SOMMAIRE Chants de marche, de veille ou marins p.5 Chants de messe p.208 Chants Marie p.241 Autres chants chrtiens p.260 Chants du matin ou du soir, de plerinage Prires p.275 Bndicits et grces p.301 Chants rajouts par vous-mme p.308 Index alphabtique p.316 Index thmatique des chants scouts p.327 Feu - boire - marins - canons - dau revoir ou dadieux - de nuit Index

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' Page i Sur quelques phénomènes sites en jaytur des EteBricités en plus & en moins. 1 8 Sut des Os & des Dents d'um grandeur extraordinaire^ 46 SurTOcre^ 55 Cbfervations de Phyjipie génitale . 6^ A N A TO M I E. , 'Sjst les ytux de quelques poifans. 76 rOkfervation Anatomique. 97 CHIMIE. Sur la quantité 4* argent que retiennent la coupelles^ 161 Digitizedby Google v\ TABLE. io9 . B O T A N I Q U E. Sur h caraShre gencriqui d^ la Planu ap* ptlUt MarJîUa. 114 OifcrvMtiofn Botaniques^ 131 A L G E B Ç E. Sur plujieurs clajjes J Equations de tou^ Us degrés qui admettent unt Solution algébrique. lOX ^ " I I * ASTRONOMIE. Sur le Satellite vu ou préfumé autour de Vénus. 211 Sur la manihre de calculer l'Equation du temps t 1243 Sur la Comète qui a paru .en ^76*2. 1x7 Sur les Obfcrvations Jolfliciales faites â Saint-Sulpice. 234 Sur la manierede concilier les Obfervations de Saint'Suipice ^ avec la diminution de t obliquité de tEcliptique. 237 Sur la caufe du mouvement obfervé dans les Nœuds du traifiime & du quatrième Satellites de Jupiter. .2^9 Sur une nouvelle manière de trouver avec , une très-grande pticijion , U mouvemeuâ Digitizedby Google TABLE. yt^ hèrairidtVinusoudtMtrcundansUmn pajfagts fur U Soltil. Page 243 HYDRAULIQUE. Sur 4a poJ^HUti iT amener à Paris iom[iL cents pouces d\au. 267^ DIOPTRIQUE. Sur Us moyens dt perfeBionnir Us luntittt d^approche* 2m A COU S T I Q U E. Sut l^ Tuyaux d*orguê^ yrf. MÉCANIQUE. Sur UTU nouvelle efpïce depifhns. . 32S. Machines ou Inventions approuvées pmrCA^ cademieen lySz. 3411 Éloge de M. Cabbi de, U CailU. 3 f 4 3S4 Éloge de M. Bradley. 41 % WBsmmaam as— aaa— 1 TABLE POUR LES MÉMOIRE& J J ESCRIPTI OK d*un nouveatrPi^ fion ^par U moyen duquel les frouemem, Digitized by VjOOQ IC î\i] f ÂËtïï '^ foni cofiJiiirahUmcnt dmlnuii^ & Us 1 cuirs rendus Sautant plus duralfUs. Par - M. Depargieux. Page 441^ Obfirvatiotîsfur la quantité d^afgerU que ^ retiennent les Coupelles, après avoir fen^ \ auxEfais. Var M. TlLhET. 45^ ^émoirefur l'Ocre. Par M. GuEtTARD. Mémoire fur tes Yeux de quelques j^oifi ""-'fons. Par M. H aller, • oft Mémoire fur les Salines de Franche^Comté^ - fur les défauts des Sels en pain qt^tmy débite , & fur leà moyens de Us icorriger ; \ Par M. DE MoNTïGNYv . 54Î ? 4 HISTOIRE Digitizedby Google HISTOIRE D £ L'ACADÉMIE ROYALE DES sciences/ Annct M. DCCLXH. PHYSIQUE Générale;. Sur tes mines defelde ITielicika en Pologne. ES Phyficiens font ordinaire* ment dans leurs voyages tout le contraire des autres Voya- geurs , ils diminuent le mer- veilleux que ces derniers , peu inftruits ou peu exaâs , femblent t plaire à répandre fur une infinité de points d'Hiftoire Naturelle cette, diminution . cependant' ne fait rien perdre à ces Hifl. ly^z. Tome J. A y Google l HrSTOIRE DE L^ACAD, ROY,^ bjets de leur prix réel ; elle eft fouvertt plus que competifée par des obfervations ipiportantes, que dès yeux accoutumés aux récherches Phy fiques , favent fubfti- ' tuer aux fables dont on avoit chargé leurs defcription^, , La Relation du voyage que M. Guet- tard a fait en Pologni^ , nous fournira plus d'un exemple de ce gue nous venons^ d!avimed; ittais un dei pïu& /rappântsl eft la Defcription qu'il a donnée des fameufes mines, de tel de Wieliczka , qu'il a eu occafion d'examiner. Il eil peade Voyageut&qui aient pafTé à portée de ces mines fans les vifiter ; jnais il femble que prefque tous aient but , 4ans les Relations qu'ils en ont données , de dépayfer^ pour ainû . dire , le Leâçur & de faire illufion à fa coriofité. L'imagination des Poètes n'a rien produit d'auffi iingulier que ce que , la plupart des Voyageurs ont dit de ces inines.; les uns en ont fait des demeures prefqufe comparables aux enfers d'Ho- mère & de Virgile ; d'autres y ont vu des palais brillans de toutes fortes de pierreries & dignes de fcrvir de demeu- res aux Dieux de l'Olympe ; d'autres nfîn y ont remarqué des rivières, des villes; des églifesfic un peuple nombreux Digitizedby Google 1>ES SCIfNCIS, 176X0, J qui naiflbit dans ces ibutçrrains , & dont plufieurs tnourpient très-avancés en âge fans avoir jamais apperçu la lumière du jour z en un mot y l'amour du merveil- leux 6c l'imagination riante ^ou effrayée des Voy^jgeurs,, ont fait 4c$ peintures û diilqmbldbies 4e ces f^inçs y qu'on ne crqlroit 3 ajf?[iai$ qu'elles repréfentaflenf le même objet ; plufieurs , qui n'ont ofé y deficendre , ont donné pour des obfer- vations faites çiar eux tout ce qu'ils en ont. entendu dire, qu'ils ont peut-être mêm^ç orné enfuite de quelques traits de leur façon^ ^ous allons bientôt voii; ce cae le {àng-froid du Phyficien a ei^ à l'ep'ancher de ces defcriptions û brik lantes ou {% terribles* Les mines de fel de WieUcaka font placées /ous une moptagne , au-defllis de laquelle eil bâtie la ville qui leur donne ce nom papeut defcendre dans ces mines par des puits , qui font au nombre de neuf,*par lefquels on tire le fel &c par lefquels les ouvriers montent 6c defcendent , à l'aide d'un cable , autour duquel ils entortillent la corde d'une çfpèce d'étriçr de fangle fur lequel ils font affîs on y peut auffi defcendre par des échelles ou ranchers placés le long des parois de ces puits. A % y Google 4 Histoire de l'Acad. roy-. Ceux qui ne veulent pas s'expofer au rifque de cette façon de defcendre dans les mines , peuvent fe fervir d'un efcalier pratiqiié à environ trois cents toifes d'un de ces puits cet efcalier , très-bien bâti eîibrique & en moellon , ^ environ quatre cents foixahté-dix marches , & cb fut par-là c[ue deïcendit M. Guettard. Ces mines ne diffèrent en rien des mines ordinaires , fi ce n'eft que Pair y cft beaucoup plus faih ; les bah?s de fel ne s'y trouvent qu'à une affer grande profondeur , & aprè^ avoir percé une epaiffeur de terrain confidérable 'Ie premier lit qu'on rencontre eft entière- ment de ce même fable dont une grande partie du terrein de la Pologne eff cohi- pofé au-deflbus font pluueurs lits de terres glaifeufes, qui Varient un peu par leur couleur & qui font plus ou moins mêlées de fable &decravier; quelques- unes en font prefqu exemptes , & les Mineurs les nomment alors halda-mid^ larka ou terre favonneufe. Quelques-uns de ces lits de terre fe trouvent parfemés de corps marins , comme de coquilles ou de madrépores les coquilles font du genrede celles qu'ort nomme cames ^ & prefque toutes alTeisé petites. Digitizedby Google DES SciENCEij; 17^1; ^ Dès qu^on el arrivé à une certaine profondeur le$ lits de terré fe trouvent eparés par des lames de pierre, quç leur peu d'épaifleur a fait regarder comme des ardoifes , mais qui font de véritables pierres calcaires , éc n'ont rien de commun avec l'ardoife , que d'être ipninces & par James ; on y trouve aufli d'e/pace en efpace des blocs de pierre dont la couleur eft une efpèce de gris- de-fer. M» le Comte de Schober même , qui a écrit fur ces mines avec afTez de détail , afTure avoir vu des bancs de terre féparés par une efpèce d'albâtre , mais M. Guettard n'en a point vu de cette eipece. , Les derniers lits de glaîfe font encoref féparés par une fubftance encore plus fingulière , par une efpèce de plâtre cette pierre, au premier. coup d'œil^ repréfente une çolleâion de dents de quelque animal devenues plâtreufes , inais rétendue de ces lits ne permet pas de l'adopter on peut fe figurer cette lub- •fiance ^ en imaginant une pâte molle ûlée 6c tortillée en anfes alongées qui tiendroient les unes aux autres y & dont plufieurs feroient appliquées les unes ur les autres. Dès que les Mineiurs ont apperçu cette pierre , ils fe tiennent fûis A3 Digitizedby Google t HÎSTÔIRE DE l'A CAD. ROV. de trouver bientôt les bancs de fel , & les rencontrent effeûivemcnt. Toutes cts matières , qui arment les difSérens Kts dont nous venons de parler , ne font pas touiôur^ rangées horizontale- inent ; ces lits s'élèvent & i'iibaiflent fréquemment , mais ce n'eft qu'après les avoir tous percés qu'on arrive aux véritables bancs de fçl , qui ne fe trou-* Vent qtl'à environ trois cents piedi de profondeur. Il 3?én rencontre cependant dans les Jerniers bancs de glaife , & oit lavoit autrefois * ces terrils pour l'eii retirer par évaporation , mais la difette de bois a fait abandonner ee travail ; oti fe contente d!^n détacher àes morceauit zffèt gros & affez tranfparews pour être employés. à de petits ouvrages qui ifiii* ic^ntieicriftaî. - . , ^ ' On tWuVe immédiatement fous cel Bancs de ghife des bancs de fol de peu d'étendue & de peu d'épaiffeur , & même fouvent dç WocS de fol îfolés 6t placés obKquement dans la glaife ; mais aulfitôt BpWQs on rencontre lés véritables fcancs de fol. ' L'étendue de ces bancs eft abfolnment inconnue ; on y a percé des galeries de huit à neuf cents pieds , fans en trouver îa fin on n'eft guère plus certain de Digitizedby Google DES Sciences, 1761 7 feur ëpaifleur, elle varie beaucoup, mais il eâ certain qu'il fe trouve daus ces mines des eJiccavations de trente à quarante pieds de hauteur, creufées dans une mafle de fel , fans qu'on en ait même atteint le terme. Cette mafle énorme va en s'inclinant d'environ 45 degrés ; elle ne fuit le fel marin dans fa criâallsiîih tbh auffi reprend*il cette même figmre» iorfqu'après Favoir fait dîâbudre dans Teau ur ouel^fois dans les cliambfes abandoDnées , y for- ment à la longue des maâes de fel , dans lefqtielleson recoftftoît la mêmetextuw. On trouve! quelquefois dans le iniiia A4 Digitized by VjOOQIC t Histoire de l'Acad. not% clés maiTes du fel le plus blanc , dei parties d'une fubftance noirâtre plus ou moins coniidérables , & qui paroiiTenf être du. bois pourri ce bois expofé à la flamme d'une bougie > s'enflamme promptement & s'éteint de mente , répandant une odeur d'huile empyreu- matique ; on a même aiTuré M. Guettard qu'on troùvoit auffi quelquefois des pyrites dans le fel ; ce qui ne feroit pas bien éionnant , les glaifes qui fe trou- vent dans le fel & aux environs étant plus que fufHfantes pour les produire. L'inclinaifon des bancs de fel à Tho- rizon, qui, félon les observations de M. Guettard , va jufqu'à 45 degrés, oblige de pratiquer diâerens étages dans l'excavation de ces mines; les galeries mê^ne vont en baîifant vers le fond de la mine ; elles aboutirent à des carrefours ou chambres aflez vaftes y dans lefquels on laifle aujourd'hui quelques piliers pour en aifurer la voûte & pour préve- nir les éboulemens que le défaut de cette précaution & le poids énorme dont ces voûtes font furchargées occaflon- 4ioient quelquefois. C'eftdans quelques unes des chambres les plus éloignées que font percés les puits qui communi* quent d'un étage de la mine. à l'autre ; Digitizedby Google DES Sciences, 1761. 9 c'ed par ce puits qu'au moyea de treuils» fur lefquels fejlevideat des cables & qui font menés par des chevaux, on fait mon- ter des maffcs defel énormes qu'on déta- che dans les étages inférieurs , & qu'a* près les-avoir roulées dans les galeries , elles font enlevées par d'autres puits uf- qu'à la furface de la terre. Ces chevaux, qu'on a beaucoup multipliés depuis quel* ques années , pour épargner aux hom- mes Je travail le plus dur & le plus pénible de ces mines , n'en fortent pas ^ du moins tant qu'ils font en état de fer- vir ; on leur a creufé dans la mafle même du el des écuries commodes ; l'eau. des pleurs de terre , qu'on troijve au com- mencement de fa mine > eft ménagée & conduite avec foin pour leur fournir à boire. Dans les mêtnes carrefours oîi fe trou-» vent les puits dont nous venons de parler, ou dans leur vojfinage , on a pratiqué des efcaliers qtii communi- quent auî3î d'un étage àj'autre en def- cendant ces efcaliers, comme en parcou- rant les galeries inclinées qui cqnduîfent d'un carrefour à l'autre , on trouve à droite & à gauche les embouchures dé plufieurs autres galeries qui conduifent à d'autres travaux de là mine ; on n'y A5 Digitizedby Google 10 Histoire de l'Acad. rot. teflent aucune incomn^odité, Taîry eft pur & fain ; on y entretient une très* grande propreté ; & le feul défagrément ^u'on y éprouve eft la pouffière que le travail & les pieds des chevaux y exci- tent celles de Saint François , de Digitized by VjOOQIC DES Sciences, 1752. ti Saint Antoine & de Si^ifmoncL, roi de Pologne , tout eft abfolument de fel , & ce feul endroit mértteroit la peine que l'on prend pour ie rendre dans le lieu ok il fe trouve. Telle eft en abrégé la defcrîption de ce que M. Gaettard a vu dajîs les mines de \^ieliczka ; nous difons qu'il a vu » car il s'en faut beaucoup qu'il en ait parcouru toute l'étendue , mais on 1'^ afluré qu'il ne trouvèrent dans le refte que !a répétition de ce qu'il venoit de voir la chambre la plus profonde à laquelle il eft parvenu , fe nomme Cruf-^ irinskî; elle en environ huit cents pieds plus bas que la furface de la terre. Il y . à dans cette chambre un puits profond de deux cents pieds , au fond duquel on travailloit alors à former des galeries jpour en tirer le fel ; le fond de ce puits feroit donc , félon le rapport des Mi* neurs , à mille pieds , ou environ la dixième partie d*ne de nos lîeues , de profondeur ; mais fi on veut s*en rappor- ter aux expériences-dû baromètre , faites par M. Schober , il en faudra déduire environ quatre cents pieds , 8c nous aurons plufieurs mines, même en France» plus profondes que les falines de >Vie- nczka. U ne nous refte plus à exposer A 6 Digitizedby Google 12 Histoire i>e l'Acad. roy. que la manière dont on en tire le fel , 8è l'origine*, que M» Guettard attribue au rodigieux amas de cette matière qu'oa y rencontre. Les ouvriers qui travaillent au f qu'elles ont recouvert d'an Digitizedby Google DES Sciences 9 1761. t% grand nombre de nouvelles couches. A l'égard des lits de plâtre & d'albâtre & des morceaux de pierre cakaire qui peuvent fe trouver ttiâlés dans ces dif* férens lits , ils ne peuvent fournir aucune objeôion contre le yûème de M. Guet- tard ; leur formation peut être de beau- coup poâérieure à celle des mines, 6c elles peuvent avoir pris naiflance dans les fentes ou les cavkës que tes matières dépofées avoîent laiflees entr'elles en fe confondant & en fe defféchant. Il fuit de l'opinion de M. Guettard ^ Îue les amas fouterrains de fd , qui ^ elon l'opinion commune , donnent la felure aux fources falées , devroient fe trouver toujours au pied des hautes montagnes ; mais cette objeftion , fi on ta faifoit , n'en feroît pas une , elle feroit plutôt une preuve de l'opinion de M^ Guettard car, en effet , prefque toutes les fontaines falées font placées de cette ftianièrç , on en trouve tout le long du mont Karpack, dans l'efpace de plus de cent lieues ; les mines de M de Saltz^ bourg & celles ou'on tr-ouve en Calabre^ lesjpntaines falées de preftjue toute FAl- lemagte, celle de Salies dans le Béarn, lei* puits falés de Salins en Franche-comté ^ de I^euze, Cfaâteau-falins & RoTdères Digitizedby Google "16 Histoire de l'A c ad. rov; en Lorraine , font tous placés de U même manière au pied des hautes mon-^ tagnes ^ & , ce qui efl bien à remarquer ^ c'efl que toutes cçs fources^font entou- rées de lits de terre & d'argile fans au- cune'roche, & que ces lits forment des ondulations & lont un peu- indipés à l'horizon ; tous caraâères qui femblent annoncer des terreins formés par des dépots. Cette efpèce de preuve a même paru ' û forte à M. Guettard, qu'il penfe que û on rechercboit avec foin aux environs des endroits où fe trouvent les fources falées , on trouveroit peut - être des mines de fel gemme femblables à celles» deWieliczka en effet, ileft comme reçu que l'eau falée des puits & des fontaines ne doit fa falure qu'à des bancs de fel qu'elle rencontre & qu'elle diffout dans fa route. Il ne s'agiroit donc que de trouver ce magafin jufqu'^ci ces bancs falins n'ont été trouvés que par une ef- • pèce dèhafard; pourquoi ne profiteroit* on pas des connoiflfances que donnent les obfervations de M. Guettard 9 pour faire la même recherche par principes & à la faveur de la théorie cy'eiles femblent indiquer ? Des fouilles dans les montagnes au-deffus de ces fources^ Digitizedby Google DES Sciences, 1761.. 17 pOHrroient, fi elles étoient prudemmeoC dirigées , conduire d'autant plus iurc- ment à cette découverte , qu'il paroît , par tout ce que M. Guettard a pu raffem-» bler d'obfervations fur cette matière , que dans tous les endroits où fe trouvent des mines de fel , elles font conftam- ment recouvertes de lits* des mêmes matières. II feroit donc facile de recon noitre fi on fe trouvoit fur là véritable route, long -temps avant que d'être parvenu aux véritables bancs de fel ; & cette découverte fi importante , feroit ,' fi elle avoit lieu , un fruit du voyage de M. Guettard ; c'en fera fûrement un gue d'avoir éclairé la curiofité du Public lur un point d^Hiftoire Naturelle, qu'il femble qu'on eût pris plaifir à défigurer par les fables dont on î'avoit furcïuirgé/ On verra déformais dans ces niines, au lieu des villages , des rivières, des habi- tans chimériques , que les obfervations de M. Guettard ont détruits fans retour, - des mafles prodigieufes de fel > des effets admirables de l'induftrie^humaine , & des veftiges du plus grand événement que l'Miftoire de la Potogne & peut-être celle de notre globe puiflent nous fournir^ Digitizedby Google iS Histoire DE l*Acai>. roy. .. • _ _^ SUR QUELQUES PHÉNOMÈNES Cités en faveur des ÉleSricités en plus & en moins» ' JN ous avons rendu compte en 1 7 j 3 i & en 17Î5 de la difpute qui s'étoit éle- vée entre les Phyficîens ëleftrifans , fur les deux efpèces d'éleftricité ^n plus &c en moins ^ & des raifons quiavoient été produites de part & d'autre ^ tant pour appuyer cette opinion que pour la dé- truire ; voici encore une fuite de ce travail. Certaines expériences ont été alléguées par les partifans de M. Frarl- klin , en &veur de Téleâricité en plus & en moins. Ge font ces mêmes. expé- riences que M. l'abbé Nollet a répétées très- fomneufe ment & examinées dans} toutes leurs circonftances , les réponfes qu'il a faites aux induâions qu on en vouloit tirer, & les nouv^les tentative qu'il a employées pour éclaircîr le^ points douteui^ qui forment les Mémoi* xes dont nous allons rendre compte; il prétend , en un mot , fidre voir que des expériences citées par les partifans de l^l Foyei Hijbîrc lyfj * ^ Hifioirc Jyis^ Digitizedby Google Dts Sciences, 1761. i^ M. Franklin , il ne réCuIte point la nécéflîté de ^admettre qu'un feul cou- rant de matière éleârique , allant tantôt d'un fens & tantôt de l'autre , fuivant que le corps qu'on éleârife eft ëpuifé ou furchargé d'41eâricité ; qu'elles fe peuvent également expliquer par les deux courans dont il admet l'exiftence 9 & qu'enfin plufieurs faits qu'il allègue qui s'expliquent très^bien dans ce der- nier fy ft^me , fe refiifent abfolument à rhypothèfe des detix différentes éleârt» citcs. Le premier article "qu'examine M. l'abbé Ndlet 5 eft la compreflibilité que quelques partîfans des deux éleâriciték attribuent à la matière éledtique cette qualité devient^ dans cette bypothèie ^ abfolument néceffaid^;, fuifqu\n veiik que cette matière ibitcondenfée dans le corps éledrîfé en^usi mais au lieu de coftdure de cette néceffité, Texiftence de cette compreffibilité dans la matière éleârique , ne féroît-il pas mieux d'exa* jsiner u elle y eft & fi elle n^ eft pas , d'abandonner Hiypoth^fe , qui ne pour- ràtfubâfter fans elle ? La matière de l'éleârictté eft affea généralement reconnue pour être la même que celle du feu, 8c les partiel Digitizedby Google ~ io Histoire de l'Acad. roy. de cette dernière ont été de tout temps regardées comme très-dures, puîfqu'il n*eft aucun corps qu'à la longue elles nie puiffent entamer. Quant au reflbrt , il fe trouve des raifons pfrefqu'égales pour leur en attribuer que pour leur en refu-' fer ; mais quand on leur en accorderoit j & même à un très-grand degré, eA réfulteroit-il qu'elle? tuffent compreiS- blés au point qu'on la fupoofe ? Une boule d'acier bien tre^mpé , a certaine- ment plus de reffort qu'une baie . de coton ou de liège de mèjne volume , & perfonne cependant ne croira qu'elle foit plus compreflible que ces dertiîères un fluide compofé d'élémens de cette Dature , qt^ reviennent aflez à la duretç extrême que Boërhaave a;ttiibue aux parties de feu, jferat certainement élafr tique , & cependant ti%s*peu^ompref- £ble. On pourroit objeâer que la ma- tière du feu fe condenfe dans une barre de fer lorfqu*on la fait chauffer , mais il fe trouve dans ce phénomène une différence bien marquée d'ayec l'élecr , tricité i le morceau de fer éleârifé garde conflamment Ton même volume , & celui du fer chauffé augmente le fien ; effet naturel de l'introduâion d'une matière qui s'eft accumulée dans fes poresi^ Digitizedby Google a>Es Sciences, iy6%. Inutîleinent diroit-on qiie fa force, avec laquelle la niatière efl pouflee par Télec- trictfé étant moindre que celle de la cha- leur, elle n'a pu vaincre la cohéfion des parties du fer pour augmenter le volume de ce dernier une expérience feite par Nollet, prouveroit évidem- ment le contraire. Il a éleôrifé un ther- momètre de mercure très- fenfible, juf- qu'à ce C[ue la matière éleûriqUe com^ muniquee à la boule fe fit voir à l'autre extrémité de la colonne par des jets de lumière , iliavoit alors uhe colonne attribuer cette rupture des globes à l'éleâricité , il. ne feroit nulle? ment néceflaire dfadmectre que cette matière éleâriqu^! lût compréffible ^ on fefja infailliblement éoUter un vafeira^ l^e , en y forçant de L'eau ou tout autre ^uidé incotnpifeffîble. > ^ ^ . Le fécond point que M. l'abbé Nollet . examine dans ce Mémoire» e^ ^^ con* ^enfation ou furabondance de matière éleârique qu'on fuppofe dans liir corps ^ & rexhsrnftion osx epûifemént de cette même omlâre dans un autre ces deuK ëtits ont» uîvantles partifans des deux éleârîckés, la caufe première de tous les phénomènes ; mais M. l'abbé Nollet ne trouve pas cette fuppofition mieux fondée que celle de la comprefiibilité En effet , comment comprendre qu'od puî0*e condenfer unfluidedansrintérieuif d'un corps dont lesjpotes lui offrent une Digitizedby Google DES Sciences , lyfii» tf infinité de paflàges pour s'écbi^per, ou qu'on puifle Yen éputfer quand ces mêmes pores offirem une libre entrée au fluide de même nature ointes des feux qui tendent l'un vers 'autre , qui femblent fe condenfer à mefure qu'ils s'approchent , & qui flnif- fent par éclater avec bruit loriqu'ils fe font fuffifamment mêlés. On objeâeroit peut-être que l'un de ces feux eft beau* coup plus petit que l'autre ; mais indé peiaamment de la direâion , qui , félon les expériences de M. l'abbé Nollet^ n'eft pas équivoque, on ne peut rien conclure de cette différence, puifque cette émanation éleârique pourroit être ffijl. lyGx^ Tome I. B Digitizedby Google 1* HïSTOIRE DE L'ACAD. ROY. abfolu Aient înyifible , même dans Uft corps animé de Péleâriclté du verre , fans que rétinc^e , dont la formation exige les deux courans oppofés , cefsât é'iéclater ; il ne faudroit pour cela que terminer ce corps par une furface plane ou largement arrondie. Comment fup- poferoit-on encore que l^condudeur, éleôrîfé par un globe de foufre , s'épuife delà matière ékârîque , lorfqu'on pré- tend ly voir rentrer fous la forme de point lumineux par Tautre extrémité? il ne fuffiroit pas même de dire que cette inatière n^y rentre pas avec la même vîteffe qu'elle en fort pour fe rendre au globe; car dans cette fuppofition , le poins lumineux devroit fubfifter quel- que temps après qu'on a ceffé de frotter le globe y & c'eft ce qui n'arrive point ^ cette efpèce de lumière s'éteignant à Vitvdtdrtt même que le globe ceffe d'être fixité. L'attraftion & la répulfîon des corps légers ne s'expliqueroietit pas plus aifé- ment dans l'hypothèfe de deux éleârici- iés , même en admettant les atmo- sphères de , dont nous avons parlé , qui empêchent, félon lui , la rentrée du fluide éledrique dans toute kl longueur du condufteur éleftrifé par Digitizedby Google DES Sciences, 1762. 17 le foufre; car pourquoi ces atmolphères arrêteroient-elles le fluide dans la lon- gueur du conduâeur, tandis qu^elles lut nvrent un paflage très-libre à fon extré- mité ? pourquoi cette matière amaflee qui enveloppe le conduâeiu* & lui fait une efpèce d atmofphère répulfive , per- met-elle plutôt au corps non éleârique * d'aller vers le conduâenr qu'à celui qûf efl éleârifé? & enfin pourquoi cette matière amaffce & cette atmofphère rentrçnt-elles à Tinfi^ant dans le conduc teur , fi dès qu'on a cefle de frotter le globe , un homme non éleârique le touche du bout du doigt ? L'expérience fuivante, rapportée par M. Vilfon , ne prouve pas davantage en Êiveur des deux éleûricités, il prend tin- fiplion deverre , dont les branches égales & parallèles entr'elles ont environ trois pieds , & l'ayant empli de mercure , il en plonge les deux extrémités dans deux vales qui contiennent du même fluide » en ^ifant ainû deux baromètres qui communiquent enfemble pair leur partie vuide. Si après avoir ifolé tout cet appar reil , de manière que l'un des deux vafes ne puifle pas tranfmettre à l'autre Péleâricité qu'on lui communiquera , on conduit à l'un des deux celle d'un B2 Digitized by Vj005^lC i8 Histoire de l'Acad. roy; globe d€ verre frotté, tandis que l'autre communique , au moyen d'une chaîne avec des corps non ifolés , on verra , fi on eft dans un lieu obfcur , fortir du hat de la colonne de mercure éleâri- fée , une lumière diffufe qui fe répand dans toutrefpace vuide,paroiflant aller àe la colonne de mercure éleârifée à celle qui ne l'eft pas, & au haut de celle- çî, on appercevra une petite lueur très* courte & plus brillante que celle qui eft répandue dans le tuyau. Si on fe fert d'un de foufre pour eleârifer, les mêmes phénomènes auront lieu , mais dans un ordre renverfé, c'eft- à-dire , que la lumière paroîtra partir de la branche non éleûrifée , pour fe rendre à celle qui l'eft &.au haut de laquelle on verra le petit bouquet de lumière. C'eft de cette expérience que fon prétend tirer la plus forte preuve en faveur des deux éleâricités ; en effet, on y voit , pour ainfi dire , à l'œil changer la marche du fluide à mefure qu'on change la nature du corps élec-^ trifant. Cependant M. l'abbé NoUet ne croit pas qu'on en puifle tirer aucune indue* tion; il reconnoît bien, avec M.^ilfon j Digitizedby Google DES Sciences ; 1761; 19 la direâion contraire du courant de la matière éleârique dans le^ deux cas de Fexpérience ; mais il ne demeure pas d'accord que ce courant foit unique ; il en vient , félon lui , un autre en fens contraire , cui produit , pat fon choc avec le premier, la petite lumière qu'on voit au haut de la féconde colonoe , & pour s'en afiurer mieux on n'a , fi on e îert du globe de verre, qu'à regarder fon extrémité voifine du globe , on en verra- fortir la matière lumineufe qui Ce précipite vers ce dernier ; & fi on em- ploie le globe de foufre, on n'a qu'à ifoler la chaîne qui communique du baromètre aux coi>s^non ifolés , 6c la terminer par une pointe du métal j Se on y appercevra un bouquet de lumière , qu'on reconnoîtra ^ enPexaminant, pour ne matière qui débouche en avant. Il y a donc toujours deux courans de ma- tière éleôrique,*& la feule différence qui fe trouve dans les deux cas de l'ex- périence , c'efè que dans celui où l'pn fe îert du globe de verre , le courant cjui en fort eA le plus fort , & celui qui y rentre le plus foîble ; au lieu que lorl- qu'on emploie le globe de foufre, le courant qui en fort eu le plus foible ; & celui qui y rentre le plus fort mais ii B3 Digitizedby Google 30 Histoire dje l'Acad, jroy. n'en réfulte en aucune manière que ces phénomènes ne doivent être attribués 2u*à un feul courant qui change de ireftion dans les deux cas de Fexpé- rîence; on en fera même bien convaincu» fi on veut bien faire attention que cetqs expérience ne diffère pas effentiellement de celle que M. Tabbé Nollet avoit tentée en 15^47, lorfqu'il maftiqua rextrémité d*wne verge de fer dans Tune des ouver- tures d'un de verre long & purgé d'air , à Textrémité duquel étoit maul- qué un. robinet de métal dans cette expérience, comme dans celle de fon, la matière éleÔrique fortoit d'un morceau de métal pour fe rendre dans un vuide , terminé par une autre maflc métallique ; mais comme. les pièces ^toient bien plus grandes que les colon- nes de mercure & le tuyau de M. Wil* fon , la direâion des deux courans ny pouvoit être mécoiume , & on voyoït difiinâement celle qui partoit du robi- net s'élancer à la rencontre de celle que jettoit la barre de fer éleârifée. Le^autorités en Phyfique ne font pas d'un grand poids en comparaifon des faits ; mais quand on fait tant que d'en employer, il faut être exaâ. On a effayé d'oppofer à M. Tabbé Nollet celle de Digitizedby Google M. Symmer en ùvewt du fyftème de M. Franklin M. l'abbë Nollet rapport» ici les parre ; proportion que M* Symmer établit par des faits » & qui ne peut abfo^ lument fubûâer avec iWpothèTe d'un feul courant de matière eleârique » tel que le iuppofent les partifj^is des deux deâricÎÊés en plus & en moins. Il nous reAe préfentement k examinef les principaux faits que les psRtifans ét% deux éleâricités prétendent faire valoir en faveur de leur hypotbèfe , Sc^ les réponfes de M. Tabbe NoUet. Si on frotte , difent les premiers , uti flobe de verre garni de fon conduâeur ien ifolé , on voit paroître une aigrette enflammée à rextrémité la plus reculée du conduâeur , & cette matière a fa fotirce dansle couffin qui frotte le globe^ & dans le globe même ^ qui la lancent ^dans le conduâeur & roblîgent de s'é- *çhapper par l'extrémité la plus éloignée* B4 Digitizedby Google ^% Histoire de lUcad. rot; Il ne s'établit donc qu'un feul couratit qui va dans cette direâion. M. l'abbé NoUet eft bien éloigné dé aier l'exiftence de ce courant, mais il pie qu'il foit feul en effet , il en fort un ^utre de fon extrémité voifine du globe ^ qui fe rend à ce dernier dans une direc-^ tion toute oppofée ^ fous la forme d'une frange lumineufe , & qui a bien été reconnu pour tel par prefque tous tes Phyficiens qui ont écrit fur cette matière, & l'exiftence de ces deux courans s'ac- corde à merveille avec les attrapions des corps légers , que les filets de ma- lière qui fe rendent au condufteur y entraînent néceffairement, & une partie de cette matière paiTe au couffin pour y remplacer celle qu'il fournit continuel- lement. Mais , dira-t-on , comment concevoir que le feu éleôriquc puiffe entrer & ibrtir à la fois par le même endroit du même corps ? on pourroit répondre à cette objeâion que vraifemblablement ce ne font pas les mêmes pores qui don- nent pafli3ge à ces courans oppofés ; mais quand ce feroit précifement les mêmes pores qui leur donneroient paf- fage , eft - ce donc le feul exemple^ .en Pbyfique de courans de matières Digitizedby Google DES SciEl^CES 9 1761. yj très-ftibtiles qui fe croifent & fe péné* trent en mtUé^ maiûères , fans déran- ger leur direâion ;' À ceux qui font cette objeâion ^ ont-ils oublié que les Tayqns de lumière fournirent , en fe croifant dans !es efpaces extrêmement 'petits , des exemptes continuels de cette fropriéié ? mais quand d'ailleurs on nt pburroît pas comprendre ce Fait ^ à la rérité trèsfurprenant, eft-illefeul £ans ce cas ? & feroit^on bien venu à nier la direâton de Taiguilte aimantée vers Fe Nord , parce gue jufqu'icî on n'a pas encore pu expliquer d^ine manière cer- taine commefit elle s'opéroit? On feroît bien à plaindre dans Pétude de la Phv- fique s?il felloit rejetter tous l'es faits dont on ne peut pas fendre raifon dans le dernier détail. Sî préfentement oa fubflitue un globe de lou&e à celui de verre, ri paroîtra encore èes feux aux ideux bouts du condudeur, mais ils feront placés différemment au lieu de la petite frange lumineufe qjui paroît venir àvt conduâeur au globe lorfqn'on emploie le globe de verre ^ on aura , en employant celui du foufre y une belle aigrette lumi- neufe > mais auiH on n'àppercevra vers Fautre extrémké de ce conduâeur ^'iute petite hou^fe de lumière» C^û Digitizedby Google 34 Histoire de l'Acad. rot. cette petite houppe que les partifans de réieâricîté ^n plus oi en moins veulent /aire paffer pour le figne Infaillible da la matière eleûrique qui ie précipite dans le conduûeur ^ pour aller reoxplir Jç vuide que le frottement occafionne ^ félon eux^ dans le globe & dans le cpo^ du&cur. Mais que deviendra ce ,riUbqnenient^ £ celte hoqppe lumineufc , ou , comm^ la nomme le P. Beccaria , cette petite étoile 9 eft une véritable aigrette plus foible à la vérité 5c plu5 courte que les ^Vutres; mais qui, commiç cMts^ tnanifeilkç la direâion ^ fon mouvemjent ptar 1^ petit vent qu'elle fiait ientir à la maia qu'on lui oppoiej pbu^e en avant là flamme d'une petite bougie qu'on lui préfente & la flimée d'une chandelle IK>uvellement éteinte , fait ondi^lcr la furface d'unie liqixeur qu'on lui offre , accélère le mouvement des liqueurs qui coulent goutte à goutte , & qui enfin, vue à^ loupe, paroît être une aigrette , petite à la vérité , mais biea épanouie ? Ce font cependanttous ces caraôères que les expériences j faites en préfence d'un grand nombre de perfoçnes ^ &C fur - tout dçs Commiflair^ çommé^ D^itized by VjOOQ IC pzr rAcadémie pour ies bien examiner, donnant aux hoippes ou points lumi- neux ; le LefUuf peut décider s'ils caraôérifem un fluide entrunt dans k condudeur ou u6 âuide qui en fort. Ce n'eft pas cependynt que M. l'abbé fîoUct prétende qu'il n*^n enfre point par cette mètnç extrénaité du coiiduc- teur par laquelle sf échappe l'aigrette; elle s'eft jao^s due , felon kii , qu'à U rencontre Ôc à la coUifion de deux co»- ran$ , & il ^ trè*-pçrfuadé qu'il s'eo itablit un qui entre dans le coaduâcur par la partie {a plus éloigiée duglobe^ H qui fournit à 1 grande aigriette qui va 4e ce conduâeur au globe de foufre. I^'cxpéri^ace qu'on cite comme la plus forte preuve en faveur des deux élçâricités , n'eft pas, félon M, Tabbé Noliet, beaiiicoup plus concluante on jéleôrife le même conduâeur eo même temps par un bout avec le globe' de v^a-jrc ^ & par Vdsatn àv>ec lé globe de ioufrc ; H dès qu'on a rendu les deuic kâricités égales , le conduâeur ne donne plus , dit -on , aucun iîgne d'ileârité ; preuve évidente , ajoute- .'t-oa , qy^e ccHe du foufre & celle du verre ae peuvent fùbMeredemble &c ie détniiient réciproquement B 6 ! Digitizedby Google 36 Histoire de l'Acad. roy; . M. Tabbé Nollet obfervc d^abord que cet énoncé n'eft pas absolument exaâr , &, qu'il arrive feulement que les fîgnes d'éleâricité ordinaires , comme Tattrac- tion & la répuliion des corps légers^^ &c. s'aâoibliuent & même dîtparoiflent for toute la longueur du conduôeur ; mais que nonobftant cette ceâation>, on voit toujours à Textrémité du con^ duâeur^ voifine du globe de ibufre^ jine aigrette lumineufe ^ & à celle qui approche du globe de verre une houp- Î>e ou point lumineux. Ce dernier rés- ultat eft celui qu'adonné M. Franklin^ & qui a été vérifié par M. l'abbé Nol^ Ut 9 &c atteflé plus d'une fois par les Commifliûres de l'Académie qui en ont été les témoins. Or , félon même les plus zélés par-^ tifans des deux éleâricités ^ les aîgret>- Us. & les points lumineux en font les caraâères les plus diftinûifs & ceuxL qu'on doic préférer à tous les autres t comment donc dire qu'un corps n'eft pas éleârique ^ quand il donne les aparques les mois équivoques des deux ileâricités ? & comment accorder l'an» iipathie qu'on leur &ippofe avec lâ. wsmhre paiiU>le dont elles animent toutes deux à la fois un même kdi^ Digitizedby Google^ BES Sciences , 1761. 37 Tnutilemem dîroit-on que la même cliofe arrive à une pointe de meta! qu'on préfente à un globe de verre 8c à un globe de foufre éleftrifés , qui ,' dans ie premier cas ,. produit un point lumineux & dans l'autre une aigrette, fens être pour cela élearique; car la difparité tû entière , i^ en ce que ces pointes ne font pas Hblées comme le conduâeur^ 2**. en ce qu'elles ne don- nent pas à la fois les ugnes des deux éledricités prétendues ; mais de plus M, l'abbé Nollet foutient que ces poin^ us , même non îfolées , font vcrha-^ blement éleâriques j elles ne font point dans leur état naturel ; elles donnent des fignes très -marqués d'éleâricité^ & on ne peut pas plus leur difputer la qualité de corps éleôrifés qu'à celui qui , fans être itolé , tire l'étincelle dans l'expérience de Leyde , & on peut s'ea rapporter à ceux qui l'ont éprouvé ^ pour faroir fi dans ce moment ils Te lont crus dans leur état naturet , quoi* . que dans cet état même ils ne puflênt opérer ni àttraâions ni répulfions de corps légers qu'on leur préfentoit. Tous les phénomènes d'éleôricité ne fe re^ iemblent pas. Quand tous les autres figt^ d'élec^ Digitizedby Google ^8 Histoire de L^AcAp. nor; triché cefferoient autour du conduftedr éleârifé par les deux globes ^ & qu'ils y ceiTeroient abfolument , on ne pour», roit donc pas le regarder comme nofi; ëleârique ; mais faudroit-il pour cela avoir recours à de nouvelles hypothè-» fes } non certainen^ent , & l'explica-»^ tion qu'en donne M* l'abbé Nollet , en fuppofant toujours les afflue^c^s &c les effluences iimultanées ^ eu fi naturelle p qu'il femble inutile d'en aller chercher une autre. EiTayons d'en présenter une idée. L'expérience a fait voir depuis long* temps que plus les corps qu'on veut éleftrifer par frottement font élaftiques % f>lus ils font fufceptibles de cette vertu ; e verre s'éleârile mieux que le fou* fre , le foufre mieux ar ce moyen ffe id>brbent &c lancent tour à tour jt mat^^ éleârique; mais ^cpmme tpus hs pi>res ne s'ouvrent ni ne Ce ferment ea même temps 9 il en refulte nçqçi{air* {^eu^ vent ^VQÎr , & ont en effet j des direc» fions opposes, le^ uns venant fe rendre dans les pores oviv^rts d^aas }e mèmp temps que d'autres font chaCTés par Iç reiTort des pores qui fe ferment , & la quantité des filets entrans & des filets iortans fera néceflairement déterminée par le d^ré d'élaAicîté du^orps & par la promptitude ^Y'QC laquelle £?s ppres fe refferreront. H n*eft donc pas étonnant , que le verr^ j^ qui eu. peut-çtrie de toutes les ];natières qu'on peut éleârifer par frot- temem la plus dut^ & la plus élafiique ^ chafle la matière éleârique avec plus de vivacité 5}u jeUe ne la reçooft , &; ^uç par oonféqujeiu les i^[hufms {oient plus vives autour des corps qu'il anime quç les ^§mnw. Digitizedby Google ^40 Histoire ot i'Acad. rot.' Le contraire arrivera néceiTairenTetit au foufre & aux autres matières de cette efpèce 9 leur étafticité eft moindre par elle-même que celle du verre; elle eft encore diminuée par le degré de chaleur qu'excite le frottement leurs pores s'ouvriront donc arec plus de facilité & fe renfermeront avec moins de force & de promptitude y & les filets de ma- tière éleÛnque y entreront avec plus de facilité que dans le verre & en feront chaffés avec bren moins de vîtefle , Sc £ar conféquent les afflucnc€S y feront [en plus vives & plus marquées que le& êfflucnces. Appliquons maititenant cette théorie à Texpérience en queftion. Le condttfteur étant placé entre deux globes , Tun de foufre & f autre de verre aâuellement frottés 9 il - nent plus que des points lumineux , tandis que les pointes qu'on leur pré- fente donnent de belles aigrettes. Cooh ment concevoir qiie dans cette expé- rience le même corps , toujours éleârifé de la mên^ manière ^ reçoive fucceflî- vement deux éleâricités différentes f n'eil-îl pas bien plus fimple de dire que d'abord la matière venue du fflobe par le conduâeur fe répaod dans la bouteille & fe tamife dans fou ^aifleur pour produire des aigrettes ^ tandis que les alBtienceSy qui ont peine d'abord à fe frayer une route dans les pores de la boo- leiUe , qui ne font poiitf mis en vibraiioft par le frottement ^ font encore foibles> mais à la fin les affluenees fe fortifient & les efiiuences du globe ^immueiit ; alors cesdernières ceflent de donner aux parties faillantes de la bouteille des Digitizedby Google "44 Histoire DE l'Acad, rot; aigrettes lumlneufes, & les pointes qu'on y préfente trouvant la roule plus facile , y verfent la leur avec plus d'abondance ic font paroîtreà leur tour des aigrettes & cette explication tû d'autant plus naturelle , que cet effet n'arrive jamais plus furement que lorfque la bouteille eft foutenue par la main d'un homme on fur quelque fupport capable de lui four- nir de la matière éleârique. Il n'eft donc pas prudent de fe preffer de conclure des aigrettes & des points lumineux , quelle eft la nature de Télec- tricité qui anime te corps qu'on exa*^ mine , puifque la même éle^bicité peut faire paroitre les uns & les autres. Ces phénomènes dépendent ^ielon M. l'abbé NoUet , de la proponion qui fe trouvé entre les dffluence^& les effluences^ & cette proportion peut varier par le chaud , par le froid , par le fec , par l'humide , &c. en un mot par tout ce 3ui peut intérefierl'étataâueldu reflbrt es pores du corps frotté M. l'abbé Nollet s'en eft auiifé ^ en rendant le frottement égal', autant qu'il pouvoil l'être , au moyen d'un couffin formé d'un^ même nombre de rondelles de papier doré , foutenues par un levier ifii étoit excité à prefier contre le globe; Digitizedby Google DES Sciences, 1761. 4^ par raâion d'un poids attaché à fon autre extrémité. Cette preffion , qu'on pou- voit , au moyen de cet appareil , rendre uniforme & égale , ou en telle propor- tion qu'on vouloit , fur différens dobes » n'a jamais produit des efFets conflans, 8c M. Fabbé Ngllet y a obfervé^ tant de variations accidentelles » que c'eft pref^ que urement perdre fon temps que de tenter d'arriver à une précifion fcrupu* leufe dans ces fortes d'effets. M. l'abbé NoUet avoit fouvent re-' marqué que les globes de foufre étoient très-fujets à éclater quand on les élec trifoit pour fe mettre à couvert de cet inconvénient , il a fait réflexion que dans un globe qu'on éleûrifoit il 0'y avoît çuère qu'une zone d'environ quatre doigts qu'on frottât ^ & que le refte ne feryoit que de fupport à cette zone y il ^ donc fupprimé tout .ce refte & formé une efpèce de large bobine ou d'épaifle poulie ^ qui a au* tant de diamètre que le globe ^ & dont il remplit la gorge , qui doit avoir au moins quatre pouces de large ^ avec du foufre fondu ^ qu'il unit enfuite, d'abord avec un fer chaud, puis fur le tour ; par ce moyen il s'eft procuré des inftrumens bien ronds ^ bien centrés ^ Digitizedby Google 4^ Histoire de l'Acad. Ror. légers & qui ne font pas fujets à éclater Comme les globes. Il ajoute à cette méthode la def- cription d'un fuppoft propre à placer commodément une loupe pour exami- ner la 4?reâîon des rayons de ces je- tîtes aigrettes , qu'on appelle points lu^ mineux. Quoique ces inftrumens né foient pas des preuves en faveur de Topinion de M. Tabbé NoUet , ils fer* vent à mieux faire les expériences qui les fourniffent c'eft peut-être une des manières les plus utiles de fervir la Phyfique que de lui donner les moyens de mieux voir & de mieux opérer. SUR DES OS ET DES DENTS D^UTu grandeur extraordinaire L'Académie a rendu compte au Pu-î Mie en 1717 1 de très*gros offemens^ fbffiles trouvés en Sibérie , & que la comparaifon qui en fut faite avec des pièces femblables du cabinet de feu M, Sloane , firent reconnoure pour de vé- ritables os d'éléphants Voicx encore un travail de la même efpèce. III' I » l Vbyci Kffloirc if 27. DigitizedbyGoOgl-e DES Sciences , 1762, 47 M. de rifle , de cette Académie ^ voit rapporté de Sibérie plufieurs os cp» Y avoient été tirés de terre , eii- tr'autres ùn très-grand fémur qui étoit dans un Monaftère de la ville de Cafan oiion le regardoit comme Tes d'un Saint ; car les Sibériens , qui n^ont jamais vu d'éléphans chez eux 9 n'avoient garde de foupçonner que cet os eût pu appartenir à un de cesr animaux , & avoient mieux aimé fuppofer que ç'avoit été celui d'un géant humain , auquel ils avoient attri Dué une iainteté peu ordinaire à ceux que les Poètes & lesfaifeurs de Romans ont fuppoié être de cette efpèce. Ce fémur ajant été apporté au Cabinet du Roi , M. Daubentôn Ta comparé à un os femblable trouvé en Canada ; & quoiqu'il manquât au fémur de Sibérie , toute une épiphyfe , en comparant cet 0$ avec d'autres de même efpèce & bien entiers , M. Daubentôn a pu évaluer , relativement à ce qui reftoit de l'os , la grandeur de l'épiphy fe emportée , & par conféquent celle que l'os entier avoit du avoir , qu'il a trou* vée de trois pieds cinq pouces» Le fémur de Sibérie & celui de Ca- nada ayant été comparés pair M. Dau* benton , au fémur de féléphant mort Digitizsdby Google 48 Histoire de l'Acad. roy; à la Ménagerie du Roi , dont le fquelette entier eft au Cabinet , il ne s*y trouva aucune différence de figure , mais il y en avoit une confidérable pour la grof- feur. Si on fait attention cependant à la différence que l'âge & le fexe doivent mettre dans la longueur & la grofleur des os des animaux de même efpèce , on ne fera plus étonné de celle qui le trouve entre les os fof&les & ceux du fquelette de réléphant de la Ménagerie ce âer nier étoit encore au^deflbus de fa eu nèfle quand il éft mort ; d'ailleurs fi on juge de la grandeur des éléphans aux- 3uels avoient appartenu les os fofliles e Sibérie & de Canada 9 par la propor- tion de la grandeur de l'humérus de réléphant de la Ménagerie avec la grandeur qu'il avoit de fon vivant , on en conclura que ces animaux n'auroient pas eu tout-à-fait neuf pieds de haut; ce qui eilbien aunleflbus de la grande taille oe ces animaux^ parmi lefquels il s'en trouve de quatorze ou quinze pieds de hauteur. Il n'eft pas rare de trouver en Sibérie de ces gros os foffiles d'éléphant ; M. de rifle avoit rapporté, outre le fémur dont nous venons de parler , plufieurs grands fragmens d'un autre fémur ^ une partie des Digitizedby Google BES Sciences, 1761. 49 ries os d'une tête, quatre dents molaires, cinq défenfes & un humérus , qui tous ont été reconnus pour avoir appartenu ï des éléphans ; & à en uger par la grandeur des os de la tête ^ Télephant duquel elle a fait partie, de voit avoir en- viron dix pieds de haut. La plus grande des défenles que M. de Tlfle a appor-* tées, feroit peut être affez grande pour douter qu'elle eût été celle d'un éléphant^. mais M. Daubenton s'efl afliiré, par la comparaifon qu'il en a faite avec d'au- très défenfes d'éléphant , bien connues pour telles , qu'elle en étoit une ; & , ce qui eft affez finguUer , c'eft que cet ivoire , quoique foffile & peut-être en- tetré depuis un très-grand nombre de fiècles , eft d'affez bonne qualité pour être employé aux mêmes ouvrages aux- quels on emploie le môrfile ou ivoire ordinaire. Les pays feptentrionaux ne font pa$ les feuls oîi l'on trouve des os foHiles d'éléphant , il s'en rencontre en bien d'autres contrées qui n'ont pas plus d'éléphans, & même en France; on trouva en 1743 , une omoplate d'élé- phant enfouie dans une forêt entre Challon & Tournus on a trouvé en Brie , au village de Gierard près de Tomcl» C Digitizedby Google 50 Histoire de l'Acad. rot; Crécjr > des deilts d'éléphans enfouies •dans le fable à plus de dix pieds de pro- fondeur, M. de Pttymorin a envoyé de Touloufe des morceaux confidérables -de dëfenfes d*^léphant,* trouvées fous terre à deux pieds de profondeur, mais celles-ci étoient abfolument décompo- fées & converties en une fubflance bo- taire ^ qui ne co^fervoit plus que la £gure extérieure des défenfes & le grain de rivoire. Le fémur dont nous avons parïé , qui a été apporté de Canada , prouve bien cu'il fe trouve des éléphans dans le nord de TAmérique , mais la circonftance de h découverte de cet os le prouve encore davantage. M. le baron de Lx>ngueuil ^tant campé ^ en 1739, à l'embouchure de rOyO dans le Miffiffipi , on lui apporta ES S C lENC ES, lyôx. 5} iqu^on connoît. Refte donc à chercher l'animal en quefiioh parmi ceux qui ont le pied fourchu; la grandeur & la con- formation de cet os ne permettent pas de l'attribuer au cochon , au buffle , au bœuf, au bélier , au bouc , aux gazelles , au dain^, ni au chevreuil j &.il porte une nfarque diilinâive qu'il n'appartient ni au chameau , ni au dromadaire on ne voit point qu'il ait été adhérent à Tos du coude , comme le rayon l'eft ' dans ces animaux. 11 ne refte donc plus parmi les animaux connus que la girafFe ou camclopardalis auquel on le puifle attribuer* Cet animal vit en Afrique ^ & parti* culièrement en Ethiopie ; il a le pied fourchu , il a des cornes , huit dents incifives dans la mâchoire inférieure , fans qu'il s^en trouve aucune dans la fupérieure ; U peut porter fa tête jufqu'à la hauteur de ieize>iedsj & fon cou en a ièpt de longueur; ainfi fa hauteur n'eft pas fort différente de celle de dix [neds, que M. Daubenton trouve qu'auroit du avoir un chameau , pour que l'os en queftion lui eût appartenu ; & ce qui rend encore plus probable que cet os ait^té le rayon d'une giraffe, c'eft que cet animal a les^ jamBes de devant beau* C3 Digitizedby Google 54 Histoire de l'Acad. ëoy. coup plus longues que celles de der-» rîère ; que , félon Ludolf , un homme de Aatura ordinaire ne lui va qu'au geES S C I^ N CES, 1761. Ç7 le plus épais & les moindres morceaux s'appellent /^ menu. On enlève les uns & les autres fur le fol oii eft percé le trou ^ & là on les dépouille foîgneufement des glaifes qui y peuvent être reftées adhé- rentes, & enluite on tes mti en tas ou meules à peu près coniques ; on porte enfuite l'ocre, pour la deflecher, fous des halles , qui en la mettant à couvert de la pluie , la laiflent expofée à toute l'aâion de Tair ; & lorfqu'elle a fubi cette préparation > on la met dans de vieux tonneaux à vin , & elle eu en état d'être vendue* Nous avons dit qu^on îgnoroît l'épaîf- fcur du banc de fable qui fe trouve zm^ Digitizedby Google 5^ Histoire Dis L*A CAO, rov. deflbuà de Pocre , & cela eft effeûîve- ment vrai à Bitry^ Voenèrt y eft placée dans h fond d*un ration , & les eaux qui y féjournent ôtent affez la fermeté au terrain pour que les ouvriers ne puiffent fouiller ni fort avant ni fort profondément , fans s'expofer à être enféVelis fous les éboulemens qui s*y feroient infailliblement mais dans une fccrière différemment placée , que M. le Monnier le Médecin a vue i, les ouvriers Tont affuré qu'on trouvoit leà bancs d'ocre& de fable placés ahema- tivement les uns fur ks autres. On ne trouve dans aucune des ocriè- res, dont parle M. Guettard, que de Tocre jaune , la rouge eft Touvr^ge de l'art; & c'eft en calcinant fortement Tocre jaune qu'on lui donne cette cou- leur. On la place pour cet effet, dans un- fourneau femblable à celui dès Tuiliers, obfervtnt d*y arranger les quartiers d'ocre de manière qu'ils laiflent entr'eux un libre pafTage à la flamme du 'bois qu'on allume defTous dans le foyer du fourneau le feu doit durer trois jours , modéré dans les deux premiers, mais aflez i Foy. Mérîd, de France par M, CaJJini i^ Thury^ page ti8» Digitizedby Google DES Sciences^ i7^î* ^ vif le troifièoie. Si on tiroît l'ocre pu$> tôt 9 elle ne feroit pas rouge , najûsë'im brun roufsâtre & beaucoup plus dura qu'elle ne doit Tètre naturellement. Telles font à peu près Us obferv^tton^ fur l'ocre que M, Guetiiird rapporte dans fon Mémoire eifa yons prétenfen }ut^ eil naturelle ou faâice y & cette dernière ne doit fa couleur qu'à la calcinatioii artificielle , au lieu que la naturelle la reçoit de l'aâion des feux fouterrains ^ à laquelle Théophrafte dit que l'ocre jaune , comme la rpuge , ont été fou- inifes ; mais ce dernier article ne peut être admis; lapofition de l'ocre & des différentes matières qui l'accompagnent dans les ocrières y eft trop régulière^ poux pouvoir être l'ouvrage d'un vol- can elle aimonceroit plutôt un dépôt formé par ajiluvion , & de plus le gra- vier qui fe ti'ouye au-deffous de l'ocre reifemble beaucoup plus au gravier C6 Digitizedby Google £o HiSf DIRE DE l'AcAD. ROY. de la mer ou des rivières qu'à des débris de matières brûlées , dont le caraâère eft toujours aifé à reconnôître. Diofcoride , Gallien , Vitruve , Pline même, n'ont parlé' de Tocre que comme d'une matière propre à la Médecine ou à la Peinture ,' & n'ont rien dit fur fa nature , non plus que leurs Commenta*^ leurs ce n'eft guère que depuis qu'oiï a commencé à vouloir clafler & arran- Îer fyftématiquement les difFérentes ubftanccs qu'offre l'étude de THiftoire naturelle, qu'on a feit quelques recher- ches fur la nature de l'ocre & qu'on l'a ^ ibuinife à l'examen chimique. Il nou^ a appris que Tocre contenoit une très* grande quantité de fer ; & que lorfqu'on- y. joignoit des matières capables de fourftir du phlogiftique , eHe fe conver- tîffoit presque entièrement en ce métal. D'après cette obfervation, quelques uns Tont rangée avec les mines de er ; d'autres la regardent confme une glaife ferrugineufe ; d'autres la placent au rang des argiles & accordent le nom d'ocre à toutes les terres friables , dou- quoi- que très-forts , qu'elle compare à trois coups de bélier qu'on auroit donnés pour abattre le château dans une de, les faces tournées au fud-efi Immédia- temjent après ^le entendit un très-^and bruit étranger au vent , qui fut fuivi d'un calme d'environ un ouart d'heure, pen- dant lequel le ciel étoit fans aucun nuage depuis î'oueft jufqu'au nord ; mais au moment que ce calme commença , elle fentit fon. lit cçmme s'avancier d^ns la cambre ^ c'eflà-dire dans la direâion de l'eft-fud-eft à Foueô-nord-oueft une féconde après elle fentit le même mou- vement j 6c in^médiatement après ua^ Iroifième , mais bien plus fort que les. précédens^ tout la charpente du château, Digitizedby Google BES Se I E NC ES, 1761. 67 craqua & il fe^fit dans une chambre voifine trois lézardes an plafond ; une perfonne couchée dans une autre pièce ^ mais dont le lit étoit placé dins une direâion perpendiculaire à celle du mou- vement , crut être renverfée de fon \iu Après ces fecoufles , la tempête reprit avec la même violence & dura jufqu'au matin. Plufieurs habitans, dont les mai- fons et oient environ à un quart de Geue p dans la direâion des fecoufles y les fef- fentirent , & deur enfans, Tun de onze ans & l'autre de neuf , crurent être jettes dans la cour , ce qui eft précifé* ment la même direâion qui avoit été obfervée au château. Il paroît que Qt tceinblement ne s'eflpas f^it fentir dans une grande étendue , mais il a été très- enûble dans tout ce canton , âc lesfe* confies bien marquées par toutes les circoniSanc^s dans le fens de Teft^fud^eft à l'oueft-nord'Oueftk !Le^ Août i7d2vte {leur Haller;; Coutelier à Strasbourg , étant occupé depuis un quart d*hîeure à repàflfer fur la meu}e de grès- àes forces d^enviroii un pied de tong'^ &Cr cotfché fur le ven^ ke j comme le font .ordinairement le$ Digitizedby Google 68 Histoire de l*Acad. rot. Couteliers pour cette opération , fur une pbnche inclinée ^ diflante de la meule aenviron quinze pouces , cette meule , à peu-près du poids de quarante-cinq livres, éclata avec un bruit terrible ^qui effraya tous ceux qui étoient dans fa boutique & même dans le voiiinage. / Le fieur Hallcr fut enlevé avec la planche ftu- laquelle il étoit couché^. & porté à cinq pieds de diftance de la machine ; le coup l'étourdit au point de lui faire perdre connoiflance & le blefla aux lèvres & au menton ; il fut porté dans on lit fans Tavoir reprife j & les Chirurgiens qui furent appelles le fecoururent par des fatgnées du bras & du pied , & par des eaux fpiritueufes ; il revint à lui & faigna copîeufement du nez y par une fuite de la vioknte com* motion qu'il avoit éprouvée ; elle avoit 4toit fi forte qu'il ne fe fouvenoit d'au» cune autre circonflance de fpn accident que d'un très-grand bruit qu'il avoit entendu ; il n avoit , lorfipiHl reprit fes fens ^ ^ucun bruifiement dans les oreilles. Au quatrième jour de fon accident ^ M* Morand le père , qui fe trouva pour lors à Strasbourg , en ayant entendu parler ^ fe traniporta chez lui , il le Digitizedby Google X> ï s s C I É N C E s , 1761. 65 trouva dans une efpèce d'ëtonnement de toute la machine , ayant une petite plaie tranfverfale au menton & deux autres au dedans de la lèvre inférieure, faites fans doute par quelqu'un des éclats de la meule , la contufion avoir occa* ûonné à l'une de ces plaies un peu de pourriture. M. Morand queftionnabéaucoup ta ma- lade & les affiftans fur lescirconftances du fait, & voici ce qu'il en apprit l'explofion avoit été fi violente qu'une des voifines étoit accourue à la boutique , croyant que la maifon étoit tombée ; la meule s'étoit partagée en plufieurs morceaux , jdont les deux plus gros, qui furent pré- fentés à M. Morand , pefoient enfemble environ quinze livres , & ne faifoient guère que le tiers de la meule , le refte des firagmens gros &c menus étoit raflem- blé en un tas dans la rue. Quelques-uns de ces fragmens qui avoient été lancés du côté de la fenêtre avoient brifé un panneau de douze car reaux de verre , qui venoit d'être rac- commodé ; d'autres fragmens avoient été portés dans la rue à plus de iix pieds de diftance; d'autres enfin, avoient été arrêtés dans des mottes de beurre , ex- poféesen vente fur une planche attachée à l'appui de la fenêtre. Digitizedby Google ' 70 Histoire de l' L'examen que fit M. Morand des gf oâ^ morceaux de la meule ^ ne lui offrit Ju'un grès ordinaire ; elle avoir vingt- eux pouces de diamètre , elle étoit. neuve , le fieur Haller s*cn étoît fervî pour la première fois la veille, pour en unir la circonférence , & l'avoit laiffce toute montée près de la moitié trempant dans Teau ; elle avoit jette quelques étincelles pendant le quart d'heure qî précéda l'explofion ; mais dans le mo- ment même elle n'en jetta aucune , & les Couteliers afliireni que ces meules oe s'échauffent jamais. , L'accident arrivé au fieur Haller n'eft pas auffi rare qu'il feroit à fouhaiter qu'il le fût, c'étoit la cinquième foiS qu'il l'éprouvoit ; mais celle-ci avoit été la plus forte. Les Couteliers de Paris ^ auxquels M. Morand en paria à fon rei- tour , n'en furent nullement furpris uil d'eux lui raconta qu'en 173 fa meule ie brifa & renverfa par terre l'ouvrier qui étoit fut la planche , & qu'un des fragmens fut lancé avec tant de violence^ qu'il alla détacher un plâtras du mur de la maifon qui étôit vis-à-vis , quoique ta rue foit affez large pour que deux voitures y puiffent paflfer facilement ; a ajouta qu^un de fes confrères avoit ea Digitizedby Google DES Sciences, ly^i. 71 îc nez emporté par une pareille aven- ture , & qu'enfin le fils d\ra fameux Coutelier de Paris avoit été tué par une femblable éxplofion. Un accident peu rare & fi dangereux mérite bien qu'on eherche à en décou* vrir les caufes & à y remédier , s'il eft Kffible ; c'éft auffi ce qu'a fmi M. Mo- rand , Se voici le précis de fcs obferva- & de fes réflewons. L'ouverture des meutes, qu'on nomme Vœil , & par laquelle pafle Taxe de fer qui les foutient , eft ronde , & l'axe eft carré ; onraffujettit dans cette ouverture par des coins de bois qu'on y chaffe pour le maintenir & le placef précifémcrit au milieu on monte enfuite la meuie fur fon fupport^ & on ajoute à l'axe une poulie de bois , dont la gorge peut avoir cinq à fix pouces de diamètre ; c'eft fur cette poulie que paffe une corde fans fin qui fe rend fur la circonférence d'une roue dé deux pieds & demi ou trois •pieds de tayon , par le moyen de laquelle & de la manivelle qui y eft attachée , on . roy. mère , forme , en s'épanouiffant , Teiv- ' veloppe extérieure de Vgsû y à bquellé^^ à cauie de la dureté , on a donné le nom éefcUroiiqut i. Cette membrane ft opaque dans fa plus grande partie^ mais au-devant de l'œil , elle prend une courbure un peu plus convexe , & de- vient auili tranfparente que les -plus belles lamel de corne; aùm cette partie porie-t-élle le nom de tornh\trànfpbm rente , pour la diftinguer du refte de ht fclérotique que quelques*uns nomment cornée opaque^ Sous cette enveloppe on en trouve une féconde ^ qui n'eft qu'une expan£on de la première , & qu'on nQmme cho^ rouie ^ c*eft-à-djre x , Éépi^aiion ou enveloppe ; celle-ci s'^ppliqu^ exaîle- ment contre Tintérieur de lafclétotique, fufqu'à r^ndroit oii commence la cofnée tranfparente ; là , elle s'en fépare ^ traverfe abfolument le globe de l'œil > formant un plan qui fert de bafe à l'ef- ,'pèce de calotte que^ foime la cornée tranfparente ce plan porte le nom à^uvée , àcaufe de la couleur de fa partie interne , quirefTemble à celle d'une peaa ^ \ Digitizedby Google DES Sciences; ij6iÏ 79 de raifin noir f c'eft fur la partie anté» rieu re qu 'eft placé ce cercle coloré qu'ot nomme iris^ &c qui entoure Touver- ture de la prunelle* Derrière celte mem- brane, & à très-peu de diftance , en eft ' placée une autre qui fe détache auffi de la choroïde & qu'on nomme couronne ciliaire^ celle-ci embrafle & tient fuP pendu vis-à^vis la prunelle un corps tranfparent & prefque Ienticulaire,qu'on nomme crifialUn; enfin , la partie médul- laire du nerf optique s'épfanouit auffi, ÔC forme une troifième membrane très fine & comme muqueufe 9 qui tapifle fous la choroïde tout le fond de Foeil, & qu'on nomme retint.' Toutes c^s membranes partagernt , comme Ton voit , l'œil en uois chambres ou cavités, l'antérieure, comprife entre la cornée tranfparente & l'iris , commu» nique , par l'ouverture de la pruneHe y avec lafeconde , comprife entre la même membrane de X\t\% , la couroàne^iliaire , & Iç criftàllin ; ces deux chambres font remplies d'une liqueur prefqu'autffi claire & auffi fluide que de l'eau , & qii'oi» nomme , pour cette raifon , humiur aqutufe^ la troifième chambre , qui n'a nulle communication avec les deux premières y eu remplie d'une efpèce;dc D4 Digitizedby Google îo Histoire de l'Acad. roy. gelée tranfparente , qu*e l^\cad. roy. cellulaire qui leur fert de gaine t cette fubftance médullaire fort en mafle ^ quand on preffe le nerf, & n'eft point recouverte de cette efpèce de membrane criblée , qui 9 dans quelques animaux terreftres, ne laifle psmer dans ce cas la jnoëlle qu'en filets. Nous avons dit que les différentes membranes du globe de l'œil éroient formées par l'expanfion de celles qui enveloppent le nerf optique , & par l'expanûon de fa partie médullaire ; mais ce qu'il y a de fingulier , c'eft que cette produâion des membranes ne fe faffe pas de la même. manière dans tout le genre des poiffons, tes uns 9 comme la carpe, la lotte, le munier & la tanche, retiennent en cette partie la même flruc- ture que les quadrupèdes > Se dans les autres, comme la truite, le faumon, l'ombre-chevalier , on retrouve la ftruc- lure de l'œil des oifeaMx. Dans les premiers , le nerf optique eft couvert d'une enveloppe très-dure , & auflitôt après qu'il a traverfé la fdéro- tique ou enveloppe extérieure de l'oêil^ il produit cette membrane argentée ^ & dont les lames paroif* jGent être une produâion de la Aibftance blanche ou médullaire du nerf optique ;. dans tout ce trajet » dep\HS le fond de Poeil jufqu'à la rétine , le nerf eft étroi- tement enveloppé d'une membrane noire , qui eft un extenfion de la pie- mère ; il fort encore de la circonférence du cercle , par ; lequel le nexf optique s'épanouit , des failceaux dis. fibres- qui vont , en s'épanouiffant , former cette membrane qu'on nomme atachnoïdc y qui s'applique fur la rétine , &à laquelle on a donné ce nom à çaufç de f^ reffem- blance avec At% tqî^es d'araignée ;. mais M. Haller n'a jamais pu les fuivre juf- que- là. Dans le? econJs, le nerf optique . donne bien à peu-près les mêmes mem- branes , mais il fe dilate e^n formant comme un arc de cercle ^ & la rétine eft fçutenue par un appendice moins lofîg , à la vérité , inais ièmblable à celut 3u'ôn ohferve dans les oifeaux , la coupe e la membrane noire à l'endroit oit Digitizedby Google 84 HiSTOIftE DP l'A CAD. ROY, palfle le nerf optique eft très-elliptique , & la moelle de ce nerf y paroît à dé- couvert; la furface par laquelle ce même nerf eft terminé ^ eft longue comme dans les oifeaux > & a , comme dans ces der- niers 9 une artère qui en parcourt la longueur; on n'y voit point cette mem- brane, fervant de bafe à la partie qu'oa nomme peigne , dans les yeux des oifeaux^ ÔC qui couvre l'entrée du nerf optique » cette partie manque abfolument, même dans les poiflbns dont nous venons de parler 9 oc qui ont la ftruôure de leurs yeux la plus femblable k celle des yeux des oifeaux. Quelle peut être la raifon de cette diverfité qui s'obferve dans les différen- tes efpèces de poiftbns ? il feroit peut-être difficile de i'afligner ; mais oq peut , fui- vant la penfée de M. tfaller , en tirer une ^ maxime bien utile aux Phyficiens , c'eft de ne jamais conclure par analogie d'une cfpèce à l'autre, & d'être toujours en garde contre les induâions. La rétine ^ de toutes les parties de Toeil , celle qui a fourni les obfervations les plus fatisfaifantes à M. Haller* On foupçonçoit depuis long-temps , & les obfervations de Ruyfch & d'Albinûs fembloient même l'indiquer , que la Digitizedby Google DES Sciences^ 1761; 8$ rétine étoit compofée de deux plans àifférehs^ dont l'un étoit un réfeau de vaifleaux extrêmement fins. Se Tautre une efpèce de pulpe blanche qui recoû-* vroit le premier ; mais on n'avoit pu encore parvenir à avoir ces deux feiul- lets réparés & entiers. La même difficulté m fe trouve pas dans les poiflbns ; toute la précaution néceflaire eft de fe fervir des yeux les plus frais ; la rétine eft fi délicate , que le plus petit commencement de putré* faâion luffit pour la détruire ; mais , en fe fervant d'yeux frais , il fuffit de fépa- rer cette tunique de celles qui la cou- vrent ce qui le peut toujours faire avec £icilité On apperçoit alors , à travers le corps vitre , une infinité de fibres blanches, parfont du cercle terminateur du nerf optique comme d'un centre , & venant fe terminer à l'endroit où com mence l'uvée ; laifiant enfuite l'œil dans de l'eau-de-vie , la rétine , qui eft naturel* lement très-épaifle dans les poiftbns ^ s'y endurcit ; &c alors on fépare la mem- brane pulpeufe qui eft afiez épaifie f de la lame fibreufe ; & il ne reftede la rétine qu'un hémifphère appliqué fur le corps vitré compofé de fibres extrêmement déliées , ÔC qui pourroit porter à juftë Digitizedby Google 8^ Histoire de l'Acaix rot. titre le nom de membrane arachndii^ Quoique M. Haller n'ait pas encore Ïm parvenir à féparer les deux lames de a rétine dans Tbomme & dans les ani- ihaux terreftres auffi parfaitement que dans les poifIbns> cependant il en a vu affez dans plufieurs'efpèces y pour que fes obfervations réunies à celle& de Ruyfch , d'Albinus & de M Maeller & Zînn ^ Tautorifent à donner la même Aruâure à la rétine de Thomme , c'eft-à* dire à la compofer d'une membrane muqueufe & d'une arachnoïde. M.. Haller a obfervé dans la rétine des quadrupèdes un grand nombre de^ vaifTeaux fanguins, partie artériels , St*^ partie veineux; ces vaifleaux, à mefure qu'ilsfe ûibdivifent, perdentleur couleur rouée & deviennent invifibles exemple évident de la produâion des vaifleauic artériels du fécond rang. Mais la plus belle obfervation que M. Haller ait fdte dans fes recherches fur les yeux des poiiTons , c'eft celle d'une mucofité noire & opaque qui re- couvre extérieurement la rétine , & fe trouve par à fîtuation interpofëe entre ta rétine & la choroïde. Cette couche ^ opaque qui empêche les rayons de lu* ière de parvenir jufqu^à lachordule^i Digitizedby Google j>ES Sciences, ij6ù îf me permet pas de fuppofer , avec M. Ma» riotte , que cette tunique foit Torgane de la viiion; elle attribue inconteiS^le- ment cette noble fonâion à la feule rétine ^& décide fans retour une quef- tion qui partageait depuis long- temps les Anatomiftes. Le corps vitré eil extrêmement petit & trés-plat dans les poiflbns ; le nerf optique parcourt chez eux un efpace confidérable avant que d'y arriver; & c'eft dans cet efpace qjue le loge, entre les deux lames de la choroïde , un muf^ cle nommé fer à cheval^ & la lame vaC-, culaire ; maWé fa petitefle, il offre des objets intéreflans & qu'on ne voit point dans les }reux des autres animaux ces objets font les. vaiffeaux antérieurs & poftérieurs du corps vitré mais avant de parler de ces vaiffeaux , il eft nécef- feîre de décrire une organifation parti- culière de l'œil des pombns. . Ces animaux n'ont point de couronne ciliaîre I Puvée eft chez eux appliquée immédiatement fur le corps vitré ,. & le criftallin eft comme chaionné dans foa ouverture ; mais il y a ^^ organe fin- gulier qui fert à affermir ce criftallîa dans fa poûtion , & cet organe varie daas les différentes efpèces de poiffons*. Digitizedby Google 88 Histoire de l'Acad. rot. Dans la carpe, le munier & la tanche , îl part de la choroïde, à Tendroit oîidevroit être la couronne ciliaire, une bande dentelée à laquelle un prolongement de la rétine fert comme de doublure ; cette bande s'attache poflérieurement au crif^ tallin y &c reçoit un yaiffeau fanguin con* fidérable qui paroît aller direâement à ce dernier ; mais ayant que d'y arriver , il jette , à gauche & à droite , des bran- ches dans l'endroit de la jonâion dé Tuvée , du corps vitré & de la rétine ^ & forme en cet endroit un cercle parfait duquel îl part une infinité de vaifleaux rendent dans la membrane qui enveloppe le corps vitré , & fe répan- dant en branches toujours de plus déliée^ en plus déliées , y forment, par leui' union avec les vaiueaux poftérieurs dont îious allons parler, le plus beau réfeau qui fe voie dans le corps animal. •Ces vaiffeaux poftérieurs , qui fe joignent à ceux dont nous venofhs de parler., naiffent du tronc central de la rétine , & s'appliquent , s'il eft permis d'ufer de ce mot , au pôle du corps vitré , oîi ils fe divifent en une infinité' de rayons qui enveloppent la convexité' du vitré , & vont, fous toutes fortes de direAions , fe joindre aux vaifTeauic^ Digitizedby Google 1 DES Sciences; 1762. S9 antérieurs que nous avons décrits , uf que dans le cercle vafculeux que ceux^ ci forment à l'origine de Tuvée ; mais il ne paroît pas que ces vaiffeaux entrent dans la fubftance même du corps vitré du moins M. Haller n'a jamais pu les y appercevoir. Dans la truite , le faumon , Tombre- chevalier & la lotte, la ftruâure de l'œil eft à cet égard un peu différente ; le nerf optique , dans ces animaux, fait un chemin confidérable dans Tceil avant que de s'épanouir pour former la rétine ; immédiatçment avant cet épanouiffe- ment , il fort de ce nerf ou de fes enve- loppes , deux vaiffeaux recoiil'erts d'une gaine noire ; ils font accompagnés d'un nerf particulier qui entre dans l'œil à côté du nerf optique , ils forment un demi -cercle autour de la convexité poftérieure de l'œil, & cjuand ils font prefque arrivés à l'uvée , il s'y joint de nouvelles membranes & de nouveaux vaiffeaux ; & il fe forme du tout une efpèce de petite cloche mouchetée au dehors & blanche en dedans , dont la figure eft comme parabolique , & oui fe termine par une pointe de laquelle il part plufieurs filets qui vont s'attacher à la partie poftérieure de la^apfule du Digitizedby Google 9d Histoire i>e l'Acad. rot» criftallin ; M. Haller y a vu plufieur^ vaiffeaux remplis de fang. Dans la truite & dans le faumon , le même tronc qui fort du nerf optique donne très-près de fa fortie une branche qui , après avoir rampé fur la convexité poftérieure du» corps vitré , forme près de luvée un cercle vafculeux prefque femblable à celui que M. Haller a obfervé dans les poiffons de la première clafle. Il feroit certainement bien curieux de définir Tufage de cette cloche parabolique ; le nerf qui^'y rend , poiirroit la faire re- garder comme mufculeufe; mais Mt Hal- ler n'y a pu diftingwer de fibres paralèl- les, & il^ime mieux demeurer dans rindécifion fur ce point , que de hafar- der une idée qui pourroit être dans la fuite démentie par Tobfervation». Le criftallin eft plus grand à propor- tion dans les poiflbns qu'il ne Teft dans les autres animaux , il eft compofé de couches concentriques^prefque fphéri- ques , & , comme ils n'ont point de chambre poftérieure , le criftallin paffq par la prunelle pour fe montrer dans la chambre antérieure , les vaifteaux fan* guins qui partent du cercle vafculeux, dont nous avons parlé ^ s'y rendent, & M, Haller les a fuivis jufque dans la Digitizedby Google DES SCÎENCES, 1761. Çtf ttBpfule qtii renveloppe. Il eft très-di& £cile d'obferver la même organifatîoii dans les autres animaux ^ cependant > quoique M, HtUer n'ait pu la trouver que dans quelques-uns , il croit être tonde à préfumer qu'elle exiile dans fous, ïnaîs ce n'eft encore qu'une con* Jeûure , qui demande à être vérifiée. La choroïde des poiffons eft bien dif- férente de celle des quadrupèdes; elle eft évidemment compofée de deux mem- branes , dont l'une eft argentée & com- mence à l'endroit même où le nerf opti- que entre dans l'œil ^ elle eft fort lârche ^ très*foible & ie déchire fort aifément ^ c'eft elle qui forme l'iris ou la membrane Mtérî^ure de l'imnew {wpillaîre i elle eft comme doublé^ d*une membrane noire fort épaifle dans le fond de l'œil , lâche & vafculeufe ^ & couverte , du côté qu'elle regarde la rétine , d'une mucofité couleur de ttibac qui s'attache à la rétine même ; emre ces deux mem- branes , il fe trouve dans leis poiftons une irca&èvfi^' t^^ifffie fine^ mais aifée à démontrer, qui part des enveloppes du nerif optique & forme un entonnoir autour de la moitié poftérieure de la membrane iioire. M. Haller la ^nomme iK^yf^^/W^ à caufe d'une artère & d'une Digitizedby Google ^1 Histoire 6e l'Acad. Ror. Teine confidérable qui s'y rendent , 8e qui après s'être diviiées en deux bran chesy y forment une quantité prodigieufe de rameaux, qui s'étant divifés &c fub^ divifés 9 vont le plonger dans Torgane que nous allons décrire. Cet organe eft une efpèce de fer à cheval d'un rouge très- vif , plat & cou- vert d'une membrane luifarfte , il em- . brafTeun peu moins que la circonférence de l'attache de la membrane vafculaire à la membrane noire , dans laquelle fe trouve un fiUon creufé pour le loger , mais prefque fans aucune adhérence; fi on le fait macérer dans l'eau de vie , on y diftingue des lignes parallèles conf- polees de fibres droites de etitremêlé^ i'un nombre infihi de vaiffeaux, cet oi*- gane exifte dans tous les poifTons que M. Haller a eu occafion de diflé^uer ; c*eft , félon lui , un véritable mufcle dont la fonâion eft de rapprocher , en fe contraftant , le criftallin de la rétine , te qui eft abfolument néceflaire aux poiflons voraces , qui ont befoin d'a^ percevoir très-diftinâement leur proîç a des diftances ^ès-inégales. L'iris eft^ , comme nous l'avons dit^ dans les poiflons formé par la membrane argentée de la choroïde qui recouvre Dig^izedby Google DES Sciences^ 176%. 91 Tuvëe celle-ci , cliez eux , eft brune entremêlée de yaifleaux rouges 9 qui liront pas paru à M. Haller avoir de direâion marquée ; la prunelle ne lui a pas paru foufFrir d'augmentation ni de diminution , même lorfqu'il approchoit une bougie allumée trèsrès d'unpoifTon vi vanr ; & à cette occauon , il rapporte un fait qui lui a paru mériter d'avoir place ici , qUoiqu'Û n'y foit point quef- tion des yeux des poifibns. Il diiTéquoit ceux d'un jeune chat noyé vingt-trois heures auparavant ces yeux , cpmme ceux de tout animal mort, avoiént la prupelle très-dilatée ; comme* le criftallin était opaque y il mit cet œil fur un fourneau médiocrement chaud ^ pour lui rendre la tranfparence ; au bout d'une minute ou deux , il apperçut avec étonnement que la p^imelle s'étoit abfo- lument refermée , & qu'elle étoit dans le même état que celle d'un chat vivant expofé au grand jour ^ toutes les fibres de l'iris étoient tendues & vifibles , on appercevoitjufqu'à cette efpècede poly- gone fibreux qui entoure la prunelle, & auquel ces fibres s'attachent ; & cet état dura autant q^ie la chaleur, à mefure qu'elle diminua^ les fibreS fe raccourci* rent ^ & Tiris fe dilata i M* Haller obfervai Digitizedby Google ^4 HlStOlRE DE L'AcAD. ROY. îeulefncftt que la principale diminution de l'im fe fît dans Tefpace qui eft entre le polygone fibreux , dont nous avons Earié 9 & les bords proprement dits de i prunelle. Un phénomène de cette efpèce mé- litoit bien d%re examiné par pkifîeurs expériences ; mais M. Haller n'a pu y réuffir 9 & il ne l'a jamais pU revoir , quelques tentatives articipe à cette dureté. Telles font les obfervations que M, Haller a communiquées fur les yeux des poiiTons elles offrent , comme on voit ^ des fingularités bien remarquables , 6c un vafle champ de découvertes à faire ; mais 9 en même temps , elles font bien regretter que M* Haller ,. comme il s'en plaint lui-même , n'ait pas été à portée d'examiner les poiflbns de mer , plus variés ^ & fouvent bien plus gros que ceux de rivière c'eft à ceux des Ana- tomiftes qui auront cet avantage , à pro- fiter de fes vues ^ & à remplir totalement cet objet, OBSERVATIOH Digitizedb-y Google DES Sciences, 1762. 9^ OBSERVATION ANATOMIQUE^ VN* maître de danfe i At\i ville de Touloofe , étoit'fujet depuis long-temps àiioé difficulté de refpîrer; il étoit op- preflc & effouffié après la moindre fati- gue;- il touffoit fans cracher beaucoup , & le peu -qu'il, crachoit étoit très- vif- queux. . Son mal augmenta pendant llnver de 175 1 , & dégénéra^ en fluxion dé poi- trine dont les fymptômes furent vio- lons , les crachats étoient rouilles , & iï fe plaîgnoit d'une douleur qu'il fentoit au milieu & à la partie fupérieure du àernum. Onie traita fuivant la méthode ordinaire , & il fut faigné fix fois. Vers le fixième jour de h. maladie , Toppref- fion devint très-forte , & dans une vio- lente quinte de toux , de laquelle il fut prefque fufFoqué , il rendit , par l'expec- toration , un corps ramifié , d'environ trois pouces de longueur. La fortie de ce corps ne fut précédée ni fuivie'd'au- Cune efFufion de fang ; les crachat^ furent mêlés de pus pendant quelque îours , & le malade fut bientôt parfaite- ment rétabli. Hifi. ij6x. Tome I.^ E Digitizedby Google çS Histoire dç l'Acad. rot* Ce corps avoit, comme nous l'avons dit, trois pouces de longueur, depuis le commencement du tronc jufqu'à Tex^ trémitédes ramifications, le tronc avoit iix lignes de trirconférence & autant! de longueur , il £e bifurquoit enfuite , èc chacune des branches fc divifoit & fe fubdîvifoit en plufieurs rameaux, dont la groffeur dinûriuoit à mefure qu'ils s'ëloignoient du tronc ; la tige avoit une cavité fenfible^ mais qui ne fut pas fqivie plus loin. .1 La figure Se les dimeniions de- c^ corps ne laiffent aucun lieu dç doùter> qu'il ait été formé dans l'intérieur des bronches, mais efl-ce la paroi intérieure de ces mêmes bronches ou une concré- tion pituiteufe moulée dans leur cavité? . On pourroit alléguer en faveur du premier fentiment , que le corps en queflion étoit creux, que les dîfFérettes concrétions qui fe font formées dans le poumon , n'ont jamais rien offert de emblable, & cju'enfin les crachats puru leifs qui fuivirent Texpulfion de ce corps, étoient une fuite de l'érofîon qui avoit féparé la paroi interne des bron- ches , de l'externe & des véficules puU monaires , d'autant plus que l'on a trouvé dans les poumons d'un phtifique^ des Digitizedby Google D^s SjCiehcis i 1761. 9^ fragmens de la tumque des bronches qui nageoient dans la fanie. Malgré toutes ces préfomptions , M, Marcorelle , de rAcadémie royale des Sciences & Belles-Lettres de Touloufe,- & Correfpondant de TAcadémie, à qu; ce fait fut communîoué , n'ofa lui ea fair^part, & ce n'a été qu'après avoir examiné par lui-même un fait pareil, qui s'eft paffé fous fes yeux ^ qu'il s'eft déter- miné à donner I4 relation de Tun &c de Tautre. Au mois de Septembre 1762 , une femme de Narbonne fut attaquée d'une, fluxion de poitrine , & rendit un corps abfolumentpareilà celui qu'avoit rendu le maître à danfer de Touloufe, M. Mar corelle l'examina fcrupuleufement, avec M. Barthès , Profcffeur en Médecine à Montpellier, & très-connu dans la répu blique des Lettres ; non-feulement ils vérifièrent la cavité de ce corps jufque dans les dernières ramifications, mais ils trouvèrent encore , à l'extrémité de ces ramîAcations , des véiîcules foufflées & remplies d'aîri or on fait que les cel- lules pulmonaires adhèrent latérale- ment , & en forme de grappes , aui yaiffeaux brprichîques. Voilà doncsians ce fécond corps des £2. Digitizedby Google lob Histoire de l*Acad. roy; preuves affez fortes d'organifation , & qui femblent le diftinguer affez nette- ment d'une concrétion pîtuiteufe. Mais cbmment , dira-t-ôn , concevoir que l^rofion qui s'^ft faite ait pu détacher toute la paroi interne des bronches y &c même quelques cellules pulmonaires , fans que la refpiration ail été gênée * & en ait fouffert un dommage notable par là fuite ? On ceffera d*en être furpris , û on veut faire attention à Textrême facilité avec laquelle les pariies enta- mées de la poitrine fe réuniffent, & fe cicatrifent. On a vu des gens guérir, après avoir effuy é des délabremens pro- digieux par desfuppurations qui avoient détruit une partie du poumon , après même avoir rejette , non- feulement des parties du poumon , mais même encore des portions de vaiâeaux fanguins, par rexpeâoration. Il n'eft donc pas éton- nant que la paroi interne des bronches ait pu fe reproduire , après en avoir été féparée de Texterne par Térofion d'une' liqueur acre qui fe fera fait jour entre deux; il a dû feulement s'établir une fùppufatîori qui a pu fofirnîr pendant qtielqùes' jourslei crachats puruiens que les la Nature a des reffôuirces fures pour réparer ks pertes , Digitizedby Google i>ES Sciences; 1761; lai dès que la caufe qui les occafionnoit €ft détruite. Mais , quelque vraifembla- J>le que tout ceci paroiffe , M. Marco- Telle n'ofe enqorf décider û les deux corps rendes par l*expeâoratbn fout effeûivement la paroi interne des bron- ches , il s'eû contenté d-expofer le fait & les idées qu'il lui a fait naître^ 6c PAcadémie n'a pas crW pouvoir nueux &ire que d'imiter^ en publiant cette obfervation ^ une fi prudente retenue ce fait au reûe n^eft pas abiblument nou- veau ; on a des exemples de gens qui ont rendu defemblables corps par Tex- peâoratioD;; mais il yen a peut-êtr rablest CHIMIE. Sur la qmntiti d'argent que raimmni Us CaupelUs. JLîARGENT qu'on emploie, bit à la fabrication d^ Monnoies , foit à celle des autres ouvrages faXis de ce métal , cft toujours allié, c'eft-à-dire mêlé d'une certaine quantité de cuivre^ ians laaueUe il n'auroit pas la dureté & la confiftance Digitizedby Google ïoi Histoire de l*Acàd. roy. nécefTaires aux ufages auxqiiels il eff àeûmé; mais cette quantité d'alliage doit être > & eft xpreffement fixée par la loi elle nVff , pouf la vaiffelTe , que la vingt-quatrième partie du poids total ^ & fi l'argent contient une plus grande juantité de cuivre , on dit qu*it n'eft pa^ aufitrc^ & il n'eft pbmt admiffible dans, le commerce.' Pour parvenir à connoître la quantité de cuivre ou alliage que contient Tar* gent, on emploie ordinairement la cou* pelle ; mais pour fe faire Une idée de cette opération , il ne fera peut-être pas inutile de rappeller au Leâeur les principes fur léfïwls^e'eft-fdndée; L'or & l'argent font les feuls métaux qui puîffent foutenir l'extrême violence idu feu fans fe décompofer tous les autres n'y peuvent réfifter , & s'y ré- duifent en verre. Le plomb efi de tous jCqs derniers celui qui fe vitrifie le plus facilement; mais il a de plus la fingulière propriété de communiquer cette racilité de le vitrifier, aux autres métaux avec lefquels il eft mêlé, & de les entraîner avec lui à travers les pores du vaifieau ut le contient, qu'il pénètre en cet tat avec une merveilleufe facilité. Si donc on a un mélange d'argent &; Digitizedby Google l DES SCIEN la flamme du jcharbon eut bientôt rendu au plomb h pïili>g\fltiqjue ^t l^iormç Baturelle; alors M. Tillet mit ce bouton de^lomb ^ qu'il àvok obtenu dans une neuve; Ôc l'ayantpoi^é au feu ^ al 4on- jia une quantité .d'argent ^ui . excédôit de beaucoup celle qu'auroit donnée une pareille quantité de plomb qui n'au- roit pas . éxé Qmploy ée ^^x eflai^ ,^ car il n'y a prefque ptombqui n^ç con^- tienne plus ou mqhis-de ce métal. . C'étoitbeaucôup jo^ d'être afllué de ce fait , mais ce n'étoit pas encore affez pour remplir les vues de M. Tillet ; il jalloit connoître avec pr^ciiion , com Digitizedby Google i>Es Sciences ; 176^. 105 lien les coupelles p^uyoient retenir rfargenît dans l'affinage , puifque cet ar- gent fin 9 retenu pr eibs^ diminuoit d'autant le poids du bouton qu'on ef- fayoît. Pour y parvenir, il a pris deux cou- pelles imbibéi^ deliehar^e , quiayoient £^vi aux efiaisi & comme il connoii^ foit exaâement le poids que pefoient ces coupelles avant qu'elles euâent fer- vi, il pouvoit aifément juger ^ en les pefant , de la quantité de plomb qu'elles avoient abfprbée , oui ie trouva monter à quatre gros , c'eû*idire^ deux gros chacune. Après les avoir réduites en poudre ^ il les mit dans un creufet avec un flux compofé de deux parties de tartre blanc & d'une partie de ialpêtre & raffiné , ayant couvertjce creufet d'un autre creufet renverfé, bien lutté les }ointures &c ménagé au haut de celui ^ui fervoit de couvercle , une ouver- ture pour laîffer échapper les vapeurs du flux lorsqu'il détonheroit ; il expoia le tout à un feu gradué , qu'il foutint à la plus grande violence pendant près id'ime heure ; l'opération finie ^ il en re- •tira envinon deux gros de plomb , qui , mis à la coupelle, fournirent ^\xk crains & àcm d'argent , poids ûâii ou Digitizedby Google loé Histoire de l'Acad. roy. de feinelle, tandis que deux gros de plomb, qui n'avoit point fervi au3c eflais., traité au même feu & de la même manière , n'en fournirent qu'un quart de grain au même poids fiâif ; il etoit donc bien sûr que le plomb qui avoit fervi aux effais avoir retenu un grain & trois quarts de l'argent qu'il avoit fervi à purifier. M. Tilfet n étoît cependant pas en- core fatisfait, il n'avoit retiré que deux gros de plomb , des quatre que fes deux coupelles avoient abtorbés il foupçoiv jia que les deux autres gros pou voient être dans les fcories en effet , les ayant bien lavées dans l'eau chaude pour dif- ibudre tout le flux, il trouva au fond lus étendu dans lequel la même ma^ tière doit être traitée avec encore plu^î d'attention qu'elle ne l'a été dans le Mémoire duquel nous venons de rendrç compte ce qi^e nous avons dit de ce^- lui-ci eft fuifilant pour en faire fentir l'importance , & pour en faire defirejr ]a continuation. ! ^-' • * 4 S UR LES SALIN E^ At Franche ^ Comté. JLe travail êifi^A. Montigoy^ duquel Dous avons à jrendre compte» a été oo> cafioisné par les plaintes adreifées a» }loi & au^inifi^re , contre la mauvaise qualit^é des fel$ de la Saline de Mont- itiorot en Franche- Comté. On y choit à ce fel d'être pierreu^r & ^unc âcreté corrofivç , de communiquei au jaatières qu'on en f$loit une amemume infupportable , 4e faler très-itt^>ariaite^ ent les frpmi^e^ ^ forment un^ Digitizedby Google i>ES Sciences 9* i76i* rof branche confidérable du commerce de cette province , de produire les mêmes inconvéniens dans la ialaifon des vian* des , & enfin d*être fi pernicieux au ^tail 9 qu'il lui occafionnoit des mala dies & la mortalité des élèves, d'ok réfuhoient néceâairement la rareté 2c la cheçté du bétail dans la province. Ces plaintes annonçoient des ob}etâ trop importans pour ne pas exciter l'attention duMinîilère. M. deTrudaine ^ Intendant des Finances & Membre de cette Académie , qui fe trouva diargé de cette aâàire, en ayant conféré avec M* Bertin , alors Contrôleur général ^ M^ de Montigny & Hellot furent char- gés d'examiner les fels & les eaux falées des falines de Salins & de Montmorot^ dont on fit venir des échantillons à Paris c ces écbai^ûUons furent fournis aux opé- rations &À l^analyfe chimique ; & voici le prédis dexe qu'eUes y firent reconr iKMtre» Toitites ks aux falées ^'on emploie à Salins .ou contiennent ^ outre le M gemme ou marin » de la {éUnite^ ei^edeiel compofé de Tacidf vitriolique bni à une bafe terreufe , dtt M de Glauber compofé du même acide mu à la baie du fel mami ^ des Ult Digitizedby Google i 10 Histoire de l*Acad. roy; déliquefcens ou qui ne fe cridallifent point y fournis par Pacide du fel mariit . ^igagé dans une bafe terreufe , une terre alkaline très-biancbe qu'on fépare du fel gemnife , en le tenant long-temps en fufion dans un creufet , une efpèce de glaife très-fine & quelques parties grafies & bitumineufes ayant une forte odeur d'huile de Pétrole. Prefqtie toutes^ ces eaux contiennent encore une a0ez grande quantité de gypfe ou matière piâtreufe , &c toutes , fans exception y contiennent un principe alkali furabon- dant qui leur donne la propriété de yerdir le firop violât , & de rétabGr la Peinture de tournefol rougie par lès acides, ce qui n^arriveroit certainement pas , û tout ce qu'elles contiennent d^alkali étoit joint aux acides vitrioli* que &c marin qui s'y rencontrent ; elles contiennent encore une terre atkàline vlu$ d'affinité qu'avec fa bafe métal*^ îique. Tous les fels de SaUns fe trouvent mêlés de toutes ces différentes matières , fur^^tout le fel qu'on met en pains Si dont on fait grand ufa^e dans tout le pays ; à Téeard de la falme de Montmo* rot 9 le M a gros grains qui eft produit par une é vaporation lente > ëfl tres-pur ; mais celui qui efl formé par une évapo- ration rapide &c telle que Peau qui le contient eft toujours bouillante , con- tient un mélange de ces mêmes matière»; c'étoit avec ce fel qu'on formoit les fels en pains , & on croyoit leur donner plus de corps en les imbibant des eaux {;raires qui refient après qu'on en a tiré e fel , & qui contiennent tout ce qui n'a pu entrer dans la compoûtion du fel ; ces^ pains fe trouvoient beaucoup plus chargés ES SCI ENCE S, 176a, tl} écumes qui s^en fépàrent dans le temps de Vébulîition. Non content de cet examen , M* de Montigny voulut s'aflurer par lui-même de Teâfet de ces fels &c des défauts qu'on leur reprochoit ; pour cela , il parcourut les pays que fourniflent ces falines , &c fur-tout les montagnes dans lefquelles fe fait le plus grand nombre da fromages Çc de falaifons ; objet de la plus grande importance pour le commerce de U Franche-Comté 9 & voici les connoif- fances qu'il y recueillit. Les fromages ialés avec le fel en pains, comraâoient vers la fuperficie un mauvais igoât^on^^ d^an^eftume; tandis que le milieu ne fe faloit que peu ou poittt du tout ; les vian des ne réuffiiToient pas mieux , ces matières mêlées^ avec le fel étant inca* pables de les préferver de la corruption^ oc leur communiquajit un très-mauvais goût ; enfin il étoit à craindre que et k1 ainii vicié ne nuisît à la longue à la fanté des habitans ^ -qui en font un ufage continuel. C'étoit à tous ces înconvénîens qu'il étoit queftion de remédier ; & M. de Montigny eut bientôt trouvé dans la na- ture même du mai d^ mojiens égalemeol Digitizedby Google 114 Histoire BE t* fôrs & faciles de s'en garantir; maî^ avafît que de les expofer > il ne fera? peut-être pas inutUe de remettre fous les }^eux du Leâeur la nature & la fMcaa- tion des fels neutres. Tout fel , du genre de xeux qi^on appelle neutres ^ eu effentiellement com- pofé d'^Htî acide & d'une bafe; cette bafe peut êtré;un alkali fixe ou volatil , une ferre abforbantc , une matière pierreufe , ^u enfin une matière miétallique.. Aucun de ces felsne peut être regardé comme véritablement neutre, que lorf- que la portion d'acide qu'il contient eft abforbée & retenire par une quantité fuffifante d'alkati. ou des matière qui en tiennent lieu;, s'il y a une portioit 4}'acide non liée à cette bafe y le fel donnera des marques d'acidité , il rou- gira, par exemple, la teinture de tour- nefol ; & fi au contraire il y a de l'alkalt non occupé par l'acide , il verdira Ta teinture de violette ; înais fi la dofe de l'un & de l'autre font juAes ^ il ne fera ni Vun ni l'autre de ces effets. Le fel marin eft compofé d'un acide auquel il a donné fpn nom , & d'un alkali à peu-près ferablable au fel de ibudeqm lui fert de bafe ; il doit, pour pire le plus parfait qu'il fe puifie , nç Digitizedby Google ijKs Sciences ; 1761. iiç contenir que ces deux feules iubflances & les contemr en. telle proportion ^ quMl ny ait aucune portion de Tacide qui ne fou liée à une portion d'alkali^ ni aucune portion d'aBcali qui ne foit occupée pav une portion d'acide ; fans cette dernière condition , l'acide de- meure libre , feroit capable de &ire beaucoup de mal , en agiflant de toute fa puifTance fur les corps auxquels il fe trouveroit appKqué , & l'alkali oifif communiqueroit au fel une âcreté défa gréable & lui donneroit une cauflicité qu'il ne doit point avoir» Le premier pas à faire pour perfec- tionner les feb de Francher Comté étoit donc d'enlever à ces fels h furabom dance d'alkaVi , qui leur communiquoit une mauvaife qualité ; pour cela^ H ne faut que mêler arec la Uqtteur qui les contient, de l'acide, dn vinaigre ou du petit lait aigri ^ pour lors les dittérens fels qui s*y rencontrent , n'étant plus embarrafTés par cet alkali iuf abondant^ fe préfentent fucceffivement en criftaux réguliers & fans être mêlés les uns avec les autres , & c'eft 9 pour le dire en paf faot, le nK>yen qu'emploient les HoK landois pour rafîner le lel de mer qu'ils tirent de France, 6c pour rendre leur Digitizedby Google 11 6 Histoire del'Acad. rot. falaifons auffi parfaites qu'elles le onK Le gypfe & les félénites , ûe pouvarit être tenus en diiTolution que dans une grande quantité d'eau y reparoiiTent en forme iolide &c concrète long-temp^ avant que l'évaporation £bit ^&z avai>- cée pour occauonner la criflallifatioa d\x fel ; & comme elles deviennent alors plus pefantes qu'un pareil volume d'eau^ elles fe précipitent au fond ; mais la violence de l'ébullition les chaiTant du •milieu de la poêle , elles retombent tout aptour &c font reçues dans des baffins portatifs de tôle à longue queue , qu'on place au fond de la liqueur tout autour de la poêle ^ & qu'on enlève idès. qu'on voit paroître à la furface les .premiers cciâaux defel marin .Ces baflins n'étoient pas, à beaucoup près, en aflez grand nombre , M. de Montigny en a plus que doublé le nombre ^ & les a vu fortir dé la poêle prefque remplis de ce mélange de gypfe & de félénitë , que les ouvriers appellent yiAW/, &' par-là il a prefque entièrement féparé cette matière étran- gère qui ne pouvoit que nuire. Puifque la forte ébullition eft nécef- faire pour la féparation du fchelot , il s'enfuit que tous les vaifieaux dans lef- quels on fera l'évaporation de l'eau qui Digitizedby Google î>iêS Sciences, 1762. nf le contîen^^ fans leur îFaire éprouver un degré de thaleur aflfezfort, n*opéreront point cette féparation , & que cette mauvjaife matière y demeurera jointe au fel dans la criftallifatlon ; c'eft préci* fément ce qui arrivoit dans les poêlon» de Salins cec pES S CIENC ES, 1761. ni endroit , & de l'autre à une cheminée élevée contre Je mur; ks côtés decerte ^anchée furent revêtus d'un mur de bricfue , dans lequel on avoit obfervé mne retraite fur laquelle il fît placer des plaques de tôle ; & le defius ayant été garni 4^ couvercles de bois qui fe pou- Yoient haufler ou baifler à volonté , la capacité du foffé fe trouva partagée entre deux cavités dont l'inférieure étoit une efpèce de cheminée horizontale qui recevoit plus ou moins de la chaleur du fourneau au moyen d'une pelle mobile de tôle qui en fermoit l'embouchure au point qu'on vouloit; & dont la partie Supérieure étoit une longue étuve très* propre à fécher les pains de fef pref- Î[ue également dans toute fon étendue,8c ans courir le rifque de les décompofer fenfiblement , nous difons fenfiblement ^ parce qu'il eft impoffible que quelque attention qu'on apporte , il n'y ait pas toujours quelque petite partie de l'acide enlevée , & par conféquent un peu de fel décompofé ; mais cet inconvénient eft réduit à û. peu de clu>fe dans les étu- ves de M. de Montigny , qu'on le peut regarder comme phyfiquement nul. Pour empêcher l'adhérence des pains de fel aux plaques, il ne faut que mettre F Digitizedby Google 111 Histoire de l'Acad. roy, fur celle -cî un lit de cendres de huit à dix lignes d'épaifleur cette cendre empêche que les pains ne s'attachent aux plaques , & s*attache fi peu elle- .même aufel, quele moindre frottement eft capable de l^nlever ; & les étuve^ {ropofées par M. de Montigny ont eu 'avantage de porter la perfeâion des pains de fel auffi loin qu'elle puifle aller^ en épargnant les frais confidérables des braiies qui fe confumoient pour cett^ opération. Nous difons auffi loin qu'elle puifle aller , car il ne penfe pas qu'on puifle jamais rendre le fel en pains, formé de fel à menu grain, fait à l'eau bouil- lante , auffi pur que le fel à gros grain de Montmorot dont il feroit à fouhaiter que l'ufage fût par-tout fubftitué à celui du fel en pains. Quoi qu'il en foit , les pratiques propofées par M. de Montigny ont eu tout le fuccès qu'on en pouvoit atten- dre y & ont été abfolument adoptées à Montmorot; on n'y fait plus que des pains de fel formés de fel fuffifamment égoutté , pétri à l'eau douce chaude & féché à l'étuve ; & la différence de ces pains avec ceux qu'on y faifoit précé^ dëmment a été fi trappante , que M. de Montigny en a recueilli lui - même le Digitizedby Google PES Sciences, 1762. 11} fruit par les marques les plus flatteufes 8c les moins équivoques de la fatistac* tion du peuple , qu'il reçut 1 en parcou- rant les mêmes montagnes oh il avoit obferv^ , en commençant fcs recheïches, les mauvais effets du fel mal travaillé* Il eft à préfumer que ces mêmes procé- dés û utiles 9 & nous ofons le dire , fi néceflaires , feront adoptés à Salins » de même qu'à Montmorot , pourvu cepen- dant que des intérêts particuliers 6c rattachement qu'on n'a qUe trop fou vent pour des abus confacrés en quelque forte par une longue habitude, ne s'y oppofent point; mais quoi qu'il en puiUe arriver ^ on devra toujours à M. de Montigny d'avoir travaillé efficacement à remédier aux inconvéniens caufés par la mauvaife fabrique des fels , & de les avoir pref* 3ue entièrement bannis par des procé- es également fûrs & faciles. Les Arts ne pourront jamais que gagner à être éclairés par les regards de ceux qui font à portée d'en connoître la pratique 6c d'y joindre la théorie » & afTez zélés pour n'épargner ni leurs foins , ni leurs peines, lorfqu 'il s'agit de contribuer au bien public , & à l'avantage de la fociétc» Ft Digitizedby Google 4 Histoire de l'Acad. roy; BOTANIQUE. Sur U caraSlre générique de la •Plante app citée Marfilea, JLa variété qui règne dans les ouvrages^ de la Nature , même dans ceux qui pa- roiffent être le plus faits fur le même {>lan , embarraffe fou vent les Botaniftes, orfqu'ils effaient de déterminer le genre auquel certaines Plantes doivent être rapportées. De ce nombre eft la plante appellée DAarJilea , fur le caraftère générique de laquelle lesBotaniftes ont confidérable- ment varié. U ne faut pas même trop .$*cn étonner ; les caraftères diftinaifs îîù genre d*une plante fe tirent de fa fleur ou de iks étamines , & la Marjilea ne femble offrir aux yeux aucune de ces parties. Les Botaniftes favent que plu- fieurs plantes qui paroiffent être dans le même cas ont cependant leurs fleurs & toutes les parties néceflaires à la fécon- dation de leurs graines , mais qu'elles ies ont cachées dans une efpèce de boîte ou d'enveloppe. La figure eft , comme on fait , moins un fruit qu'une enveloppe Digitizedby Google Z>ES S C lEN ces; 1762 Ilf iqui contient les fleurs & enfuite les graines du figuier , & parmi les plantes aquatiques , le Limma i & la pillu- laire x 9 décrites par M de Jumeu y peuvent en fournir des exemples ; mais quoique \2l MarJiUa foit , comme ces dernières y une plante aquatique , & qu'elle ait, comme elles, des efpèces de coques capables de contenir lès organes de la fécondation, elle en diâfère aflez d'ailleurs pour que les fentimens aient été partagés fur le genre de cette plante y l'ouverture des coques dont nous venons de parler , femble même doimer lieu à cette incertitude ; on ne trouve pas dans toutes les mêmes corp^ , & cette différence a donné lien d^, croire que ces coques nerenfermoient pa^,commç celles du Ltmma , les organes4e la géné- ration , qui doivent être par-tout cont- tamment les mêmes , on les a donc cher- chés dans d'autres parties de la plante £c fur-tout. dans des feuilles» , Celles de cette plante ne fontprefque qu'un compofé de véficules à quatre y cinq ou fix pans ; il part diftihées à féconder les graine^ contenues dans les coques ; félon eux , la MarfiUa eft une plante dont les fleurs n*ont pas de pétales ou feuilles , mais feulement une étamine tournée en fpirale , & ces fleurs font com- munément portées quatre à quatre fut le fommet de petites verrues , dont le defllts de ces feuilles eft comme chagriné. M. linnèÊ^s adopte à- peu - près le même fyftème , auquel il fait cependant divers changemens ; il regarde , par exemple , les mamelons des feuilles comme les véritables éramines » dont les poils que Micheli prend pour des étamines> ne font que les anthères oU fommités; il veut que le péricarpe ou enveloppe des embryons dans la coque ^ foit à qifatre loges , au lieu que Micheli ne lui en donne qu'une. Les Obfervations de M. Guettard Digitizedby Google ï> E s Sciences, 1761; iiy lèvent ces difficultés » ni Vim ni l'autre n'ont reconnu le véritable organe de là génération de cette plante ; il penfe que M* Linnasus pourroit bien n'avoir vu que des coques sèches , ou du moins après que les étamines ont ceffé d'y exifter il aura pris les intervalles entre ies cloiibns Se les loges qu'ils forment ^ pour la place qu'avoient occupée les graines , on bien il aura pu prendre les €tamines même pour des femences , Se voici, félon M. Guettard, la manière dont on peut préfumer mie fe fait la fécondation dans la MarfiUa. Les véritables organes de ta généra- tion de cette plante, font, comme céu% du ie^i&nà & de la pitfulaire i cOWèhu^ dans 1^ coques qui mirent de l'origine de dhaqiïe conjugaifon de feuilles , mais avec cette diffîreitice que dans le Ummm & la pillulaire , chaque coque contient des étamines & des piftils , au lieu que dans la MatfiUa , de huit à neuf coques cui naiffent à chaque ^embfege de leuilleS ùtie feule teîiferme les piftilft * les embryons , tandis ^e tontes 1^ autres ne contiennent que des étamines ; il réfulte de cet arrangement , que la fécondation ne peut s opérer fans que les coques s'ouvrent^ & il n^ de cette F4 Digitizedby Google ii8 Histoire de l'Acad. rot. circonftance une objeâîon que M. Guetv tard ne fe diffimule pas. Les coques font abfolumént {longées dans Peau corn- 2nent donc fuppofer que la pouâlère des étamines puiÀe. fortir des coques pour pafîer dans celle qui contient les em bryons fans être abforbée par Teau ? &C Spand même on fuppoferoit que les tamines donnaflènt, au lieu de poui^ fière , une liqueur , ne fe mclçroit-elle pas infailliblement avec l'eau dans la*- quelle les coques font plongées ^ avant que d'avoir pu parvenir à la coque qui contient les embryons? Quelque forte que puifle paroître cette objeâion , M. Guettard ne la croit cependant p9S fahs ret>Uque Teau n'eâ points félon lui 9 un obftacle à la^ fécon- dation des graines de la mdrfiUa. M. de Juilieu a obfervé que la poufiière des étfimines du itmma s'ouvroit dans Teau & y fortnoitun petit nuage facile à diftiiiguçr jÊeJfce liqueur fëminale eft donc une, liqueur yifqu'eufe ôt qui fe mêle difficil§in$nt ^vAQ lie^u i T^alogie ;qui fe trouye^^ejit^; le kmma ë Ja /è^» yWa, porte à croire que les poufSères de^cette, dernière font de jnêm^ nature; ^U^ peut donc fe çpnferver dans ^'eau fiS^z Ipi^^ temps .p^urv ciM^eUe, 'péoètf it Digiîizedby Google ^ I>ES S C N CES, 1761, 119 les coques qui contienQeflt Içs embryons; & quand même oa {uMf>{^toit qu'une Ï>artie de cette liqueur Jût di^fouté pat 'eau > il y a tant 4e coqjies à examines autour d'une feule cpqif,,à piâlt , qu'il feroit bien difficile qu'il ne e trouvât aflez de liqueur féoûnaile ppur féconder £és embryons la Nature^ rfepible avoir . eu ces hafards en yue,,loiiCqu'elle a en- touré chaque coqi^ à giâiis d'un û grand nombre de coques à étamines. Il pourroit d'ailleurs arriver que la fécondation jdes graines de la marfilea i>e le fît que lorfque l'eau , en fe retirant ou en s'évaporant, l'a la^Iiée à fec ; alors toutes les difEcultçs feroiem levées , &c cette fécondation fe feroit comme celle des plantes terreftres. Cette idée même eft d'autant plus vaifemblable , que M^ Guettarda confervé long -temps dans l'eau des pieds de marfilea ^ fans que leSj coques fe foient ouvertes, tandis que celles de quelques autres, pieds , qui avoient été abandonnés par l'eau dans laquelle ils étoient ^ fe tont toutes ou- vertes^ . n donc prefqu'aucun doute que les coques de la marfilea ne cor^ uennent les parties de la, génération, & en ce point ell^ a une refiemblance bieo. Digitizedby Google ïjô Histoire de l'Acad. roy marquée avec le Umma & la pillulaire %. mdâs elle en dîâ^e en ptufieurs points r les emences ont un péricarpe ou enve-^ ioppe particulière , & celles du kmma n'en ont point ; fes étmiines ont un pédicule comnlun., & celles du hmmtt ibnt attachées aux cloifons qui divifent antérieurement les coques ; les fommets^ ibnt alongés dans le ItmmeL ^ & arrondis dans la marfiUa ^ lés piâils du Umma font entoures d'une membrane ^ ceux At la marJUta n'en ont pcnnt ; les coques du Umma font fimples^ & celles de la marjika font douUes; mais la plus mar*^ quée de toutes tes différences qui ie trouvent entre les deux plantes, eft que dans le Umma les fleurs mâles & les fleurs femelles font renfermées dans une même coque , au lieu que dans la m^r- JiUa elles font renfermées dans des cor ques différentes. La marjiùa ne peut donc être corr^ prife fous le mimt genre que le Umma ^ elle en diff^e par trop de points effen- tiels, & elle conftitiie un genre particu- lier très-voifin de celui de ces plantes , ihais qui cependant n^eft pas le même ; elle eft parmi les plantes aquatiques dent les fleurs font enfermées dans des qo* ques y ce que le chanvre , le mais U Digitizedby Google fi£S Sciences ; 176% tjr ^tt^u^ auires parmi lei autres pltfnte^ tttreftrà. M. Guettard ne cooAoit encore qat la mêufUca qui foit de ce enre ; maïs pl^être fe trou* vera-t*il drautres efpèces qui lui appai> tiendront. Cette ptâMe eft cobmie des-Botamftes ibus d^feiis nbttis JoM Baubîn ia S^otnme Uns palufifU PuiâpmA ou là len^ tille d'eau de Padoue; Gafpard Bauhià & Magnel lui donnent te nom de Icmi" cula palujlris rttifotia punâata ou l'en^ tille d'eau dont les feuillçs font à réfeau & marquées de points Ca&fatpin lui donne le nom à^StratiûHs f ioti foldaf^ on ne fait trop pourquoi 5 a moins qu'U ne Fait confondue avec quelqu^autre planté connue des Anliens fous ce nom* Micheli la nomme falvinia du nom d'un Patricien Florentin, auquel il vouloit at>paremmeât faire fa cour ; mais M> Uttnaeus a pen£é qu'â3fant une plante à nommer , il étôit plus à propos d'en faire un monument à la gloire d'un des plus ilhiftres Botaniftes du fiécle pafle , ipi'à ceUe de tout autre , & il l'a nom née marfilea^ du nom du célèbre comte 1 1 .2Tfair*'Tn$ » miUs^ r6 Digitizedby Google 3^ Histoire de x'Acad. roy» Marfidi ^ autrefois Membre de Cettpf Aadétaie, Se Vun des hpmizie^, peut^ étve^ auxquels les Sciences en général ji & en particulier la Botpmque toient les plus redevables* M. Guettard et oit trop attaché à rAcadémie & aux Science^ quV vant d'appercevoirices ciiaaipi^os ujt l^s troncs d'arbres morts ^ on envoyokv découler beaucoiqii d'eau ; la partie in- terne de ces fungus fert. à faire de l'à-^ madott y on Femploie au0 à préparer cette matière qui arrête le fang félon lai découverte de M. Broflard ; mais il n'èfl pas vrai qu'il n'y ait'que ceux de ces** champignons qufcroiffent fur le diâne qu'on puiflfe employer à ce dernier ufage. M. N4ontet a employé avec fuccès des fungus crûs fur le hêtre, peut-être, ceux qui croiflent fur les autres bois y^ font -ils également propres. Nouvelle facilité de préparer cet utile remède ; on peut encore , fi les uns & les autres manquoient , employée la poudre cotr*^ tenue dans le lycorpcrdon ou vefle de- loup qui , fuivant les obfervations de M. la Foffe , vérifiées en préfence des» Commiffaires de l'Académie^ produit à-» peu -* près le même eâfet. JVL Montet obferve que , puifque ces fungus ne giflent que fur ia partie morte dO Digitizedby Google 34 Histoire m. L'Acââ. rotJ l'arbre 9 on peut tft ia^er avec w£Bst de vnùfemblatice que sTik ne. font pas entièrement le ptocbit de la putréfac^ tion^att nKHQSconcoïkrt-eUe pour quel* que cbo^e à leur produâion. On en trouve d'une grofieur extraordinaire ^ & i{tti âupafEmt celte du pied du çhis gros ckeral de fiifc ^ ils font fort adhé- rens au fironfc de Vtrhie^ & on a peth^f ^ les en détacher^ Le même M. Montet fe trourant^ peti^ dant les vacances de 1761 , dao^ mt endroit appdlé BtauUeu près du Vigan^ au diocèfe d'Alais^ remarquai que fur un aflez grand nofitibre d'arpefis de terre tous i^ntés de mûriers depuis lojufqu'à 25 ans , il y en avoir {^it&eiurs des plus gands à demi morts y d'aigres fort pâles fort éloignés de leur couleur ordi* naire^ & qiie ces arbres malades i% trouvoient fur H même ligne ; il sln*^ forma de ceux du canton d'où venioit cet accident 9 & il apprit- qu'il n'étoit que trop ordinaire, iion - feuleitient à Beaulieu^-tnais encore dans les Paroif- fesvoifines, comme le Vigan» Âulas^^ Saint- André , oii on élève quantité de ^cârs^^À-foie; 6 que les habitan&fe. Digitizedby Google IXE5 Science Sy ïj6i^ t]; plaignoient que, lorfque dans une pièce de terre plantée de mûriers de Tâge de ceux dont nous venons de parler ^ il y en avoit ^Iqu'un qtii œouroit ^ tous les autres périâbtent fuceeffivement x cette maladie épîdémtque des marier» commence ordinairement par la cime^ £c voici ce qu'on a d>fervé» Au temps de la sève on commence à voir découler do collet d^ne grofle branche beaucoup d'eau qur noircit toute récorce où elle touche; dès qu'on voit couler cette eau en abondance , oi> uge l'arbre perdu ^ Se quelque foii» qu'on ait de couper la branche d'oit t'eau découle , l'arbre périt par parties dans un certain efpace de temps on remarque même que fi l'on coupe tontes les groâes branches , l'arbre poufle l'an* née fuivante de forts re>ettons, mais qui périment au bout de l'année ^ & il arrive^ irès-fouvent que cette maladie é com- munique fucceffivement dans l'efpace de quelques années aux autres mûriers djr la même plantation» Une circonftance que les habitans de ce canton ont fait omerver à M. Mon- tct, pourroit peut-être donner quelques Inmieres fur la caufe de cette épidémie^ lorfqu'on arrache des mûriers^ quinic Digitizedby Google ^3^ Histoire de l^Acad. rot; i vingt années & abfolument morts ^ pour les remplacer par de jeunes arbres de la même efpèce ^ fi on néglige d'en* lever jufqu'aux plus petits fragmens des racines du mûrier mort , celui qu'on, met en fa place ne pouflegue lentement, réuffit mal & fe rabougrit ; auffi ces ar- bres ne viennent-ils jamais mieux que dans les terreins où il n'y en a jamais eu la pourriture des racines mortes porte donc une efpèce de contagion aux racines vivantes , du moins dans toute cette partie des Cévennes; mais comme cet eflfet pourroit auffi dépendre du ter- rein de ces cantons , M. Montet n'a pas oublié de l'examiner , & il a trouvé que ce, terrein n'étoit prefque par-tout compofé que d'une légère couche de terre fablonneufe au-deflbus de laquelle on trouvoît ce qu'oti appelle en lan-* gage du pays , ciflras ; ce ciftras qui/ eft plus ou moins dur s'émie toujours aflez facilement fous les coups d'un pic de fer ; il eft compofé de mica & d'un Suartz qui eft une efpèce de granit mol, ont tout ce canton abonde ; il s'y en trouve auffi de trè&^dur^ auffi beau que celui d'Egypte, & qui eft fufceptible di* plus beau poli , nouvelle fource de cette IQatière qu'on a cru û long- temps propre Digitizedby Google T>ES Sciences^ 1761; 137 à TÊgypte, & dont le Royaume fe trouve peut - être aufii abondamment pourvu qu'elle ait jamais été cette découverte eftun fruit furnuméraire des observations de M. Montet. C^ETTE année parut un ouvrage de M. du Hamtl ^ intitulé ÉUmms i'Agrh' culture^ deux Volumes w-ix , Paris ^ chc^^ Gucrin^ , L'Art de rAgrictihure cft vraîfembla^ blement le plus ancien des Arts ; i^s productions de la terre , deftinées par TAutear de la Nature , à nourrir les hommes & les animaux » & à leur pro- curer tous leurs befoiHs & toutes leuri commodités , doivent être regardées comoie les véritables richeiSes ;îes mé- taux , les monnoies > & tout ce que la facilite du commerce a hït inventer en ce genre n'enrfont que les lignes ; mais ces véritables richetFes font lei fruit du travail , cUést ne nous font accordées qu'axe prix; dèsqujc ce travail ferelâ** die ôut s^exécute maHans un État , quet ques avantages qu'il puiffe avoir d'ail* leurs , il ne peut manquer de s'afFoiblir la culture des teres , celle des arts , & te Comu^ercejqmeo^eâk fuite aéceflaiise^ Digitizedby Google i8 Histoire DE l*Acad. rot; font 9 pour ainfi £re , les nerfs qui lui donneront de la force j en augmente- ront infailliblemeiit la puifTance ^ Se qui procareront Taifance aux Citoyens. Toutes ces confid^tions avoient rmé depuis long-temps M. du Hamel tourner es vues plutôt du côté de la culture des plantes , que de cehii de la liomendature ^ & à faire fur ce fujet un nombre infini d'expériences & de re cherches y dont plufieurs ont été publiées 4lans les Mémoires de TAcademie; il avoit même publié à part la culture de la garence ^ & tout ce qui concernoh la méthode de cultiver les terres , pro- pofée par M. Tull. Mais malgré l'uùlité cle tous ces morceaux détachés & d^un» inlSnité d'ancres ^ publiés; par difiérens auteurs » il manquoit aux agriculteurs & à ceux qui avoient envie de le deve- nir y ou du moins de fe mettre à portéfe ée veiller à Tamélioration de leurs hér^ tàeeis , un livre qui pût leur indiquer 1^ principes générau^t fur lefquels ils de- ▼oient fe i^ler ^ de qui ^ en leur enfei- gliant les différentes manières d'opérer ^ ufitées dans les différens endroits ^ les mît en état de choifir cAles qui pou- yoient leur être utiles, & de s'affran- fkix du joug de la tyrannie ^ Digitizedby Google BIS SCIENCnES ^ i^yâu t^f 8c de la roatioe. Ceft for ce plan qu'a travaillé M. du Hamei> dans l'ouvrage dont nous aUons eâayer de donner une idée* Les principes généraux de la Botani eue fur la firuâure des plantes 8c fur réconomie végétale , ne font pas bornés aux feules plantes curieufes, ils s'apj^i* cjuent également aux plantes champê* très; &.il feroit auffi ridicule d'entre* prendre un Traité d^Agriculture fans ces connoiflances préliminaires , que de vouloir enfeigner ta Médecine fans don-* ner des notions d'Ânatomie & d'Eco* nomie animale c^eft auili k préfenter au Leâeur ces prinapts fi néceffaircs ^ qu'eft deftiné le premier livre de l'Ou- yrage de M. du Hamet La prenûère divifion des ptantes eft en vivacesou annuelles ; & fous ce der* nier titre , font contenues non^feulement celles qui ne vivent qu'un an ou moins d'un an, mais encore celles qui ont une plus longue durée , comme les navets ^ les carottes , les fcorfonères , qui du^ rent , à la vérité , plus d'une ^née , mais périment auffitôt qu'elles ont donné leur fruit. Les racines des plantes donnent encore une féconde manière de les ài^ vifer > les unes ont une maâe charnue^^ Digitizedby Google 1r40 Histoire de l'Acad. roy. qui leur fert de racine , & qui prend le nom de bulbe ou d'oignon ^ û elle efl compofée de couches qui s'enveloppent les uns les autres , & celui de tubercul fi cette mafle eft folide & fans aucunes couches ; les racines peuvent encore être pivotantes ou ce qu on nomme laté- rales $ c'eft-à-dire , s'enfoncer profon- dément en terre ou s'écarter de la plante, en rampant près de la furface de la terre. M^ du Hamel examine le plus ou le moins de facilité que les unes & les autres ont à pénétrer la fubflance du terrein , & les effets qui en réfultent, toutes con noiflances nécefTaires pour donner à chaque terrein les plantes qui lui font propres , & à chaque plante la culture qui lui convient ; les tiges des plantes né font pas un objets moins important que les racines avec lesquelles elles ont d'ailleurs une telle proportion , qu'elles dépendent prefque toujours les unes des autres ; auffi font-elles un objet dans le premier livre de l'Ouvrage de M. du Hamel ces tiges & leurs branches font eflentiellement deftinées à porter les feuilles & vks fleurs, auxquelles doivent fuccéder les graines ou femences ; les premières ne font pas feulement defti- pées à fervîr d'ornement à la plante il Digitized by VjOOQIC ©s Sciences^ 1761. 141^ ^ mettre à couvert les boutons & les fleurs^ elles ont une fonâion bien plus importante , & on feroit sûrement périr une plante à laquelle on enlèveroit fu-> bitement toutes fes feuilles ; les expé- riences de M^^ Mariotte , Wodward ; Haies y Guettard , &c. ont fait voir quels ibnt les organes deftinés à la tran/pira* tien des plantes » & que de plus elles leur fervent auffi de fuçoirs , pour pomper rhumidité des rofées. On conçoit donc avec qftelle attention elles doivent être ménagées , & qu'on peut fe fervir de cette propriété pour affoiblir à deflein ,* & par une fouftraôion de feuilles pru- demment faite, un arbre trop vigoureux ou une branche gourmande ; les fleurs ne font pas des organes moins impor- tans , elles contiennent les embryons des femences &c les parties deftinées à les féconder ; dans le plus' grand nom- bre , les parties mâles & femelles font renfermées dans la même fleur , mais dans d'autres il y a des fleurs mâles 6c des fleurs femelles féparées tels font les chatons du noyer , deftinés à fécon- der les embryons des noix placées fur le même arbre , mais dans des endroits diâérens ; enfin 9 il y a des plantes oii les fleurs mâles & les femelles font Digitizedby Google 141 Histoire dz l'Acâb. roy. portées par des individus différetis , comme le chanvre. La fève ^ cette li- queur qui fert , pour ainfi dire , de fang aux arbres , meritoit bien un examen particulier on a long-temps cru qu'elle circuloit comme le iang , mais cette opinion n'a pas été foutenue jufqu'ici de preuves fuffifantes; il eft bien certain que la fève eft attirée par les plantes avec une force furprenante on ignore la caufe de cette attraâion ; mais le fait xifte, & M. du Hamel le détaille dans toutes fes circonftances. L'examen des différens changemens que la fève , vrai-* femblablement aflez conftamment la même pour toutes les plantes , reçoit en paffiint par leurs diftèrens couloirs ^ n'en pas un point moins furprenant ni moins intéreflant que tous ceux dont nous avons parlé , & M. du Hamel ne le laiffe pas ignorer à fes Leâeurs ce fuc 9 quel qu'il foit , ^e les plantes pompent par leurs racines , doit être tiré de la terre , il peut être diffèrent dans les différens terreins, mais au moins y eft-il plus ou moins abondant , & plus ou moins facile à en tirer ; il eft donc nècefTaire de connoître les différentes natures de terres , & de juger celles qui peuvent retenir l'eau fuffifamment ^ trop Digitizedby Google pEs Sciences ; i'/6x; 14^ PU trop peu 9 pour pouvoir remédier à leurs défauts ou ne leur confier que les plantes qui peuvent convenir à leur nature* Nous avons déjà dit au commence- s^ent de cet article 9 que les fruits de l'Agriculture dévoient être la fiiîte du travaillai faut préparer la terre, fioa vent qu'ellemultiplie lesfemenceseut être , ou couverte de bois , oii en lande» ou en friche, ou enfin trop hu- mide; dans le premier cas^non-leule- ment on coupe les arbres , mais on arrache foigneufement les racines , & ces arrachis {uréparent fi bien le terrein , qu'on eft afiuré dV faire de bcmnes récol- tes plufieurs années de fuite ; mais il ne Êiut, fuivant la jjudicieufe remarque de M. du Hamel, pfer dé cette reiScnirce que fobremeat ; un arpent de bois , par- %oM où on en a le débit , valant prelque toujours mieux qu'un arpent de blé les landes & les friches fe travaillent difFé- remment; on met le feu aux herbes 6c aux brouffailles qui les couvrent, & enfuite , après avoir arraché à la pioche Ms racines des arbuftes & des plantes Digitized by VjOOQIC 1144 Histoire de l'Acàd. roTiI brûlées , on laboure plufieurs fois C€Si terres ^ k on tes sème ; dans d'autres pays , on travaille les tçrres en le éco- buant on lève avec une écobue qui eft une pioche Courbe & large toute la fuperficie de la terre en gazons > & après les avoir bien fait fécher , on eh conftrult des fourneaux oà l'on met le feu avec un peu de bois, ces fourneaux eux-mê* mes fe brûlent , & forment une cendre qui , étant répandue fur la terre avant que de la labourer ,Ja fertilife merveil- leufement ; les terres trop humides de* viennent fertiles en procurant un écou- lement aux eaux qui les abreuvent , ou en empêchant celles des terreins fupé* rieurs de s'y décharger ; des foffés dont on les entoure > produifentce bon effet, &les mettent en même temps à Tabri d'être gâtées par le bétail ; enfin on doit foigneufement épîerrer lestei'rcs qu'on veut mettre en valeur , fur-tout fi elles font deftinées à porter des plantes qui exigent une terre meuble & affez pro-. fondement travaillée. La terre ayant été, par les opérations précédentes , mife en état d'être labou- rée , il faut lui donner cette préparation elle eft fi importante , qu'elle décide pres- que entièrement du fort de la récolte f y Google .DES Sciences, ijSx. ^45 & que les labours multipliés peuvent fuppléer feuls aux âimiers & aux autres engrais , comme Texpérience Ta montré 9 au lieu que les terres les mieux fumées ae rapportent qae peu » fi elles ont été mal travaillées. LabôUrà? la terré eft en foulèver &t en divker les molécules pour donner ' plus de facilké aux pluies, aux rofées & aux autres influences de Fair de s'y ihfinuer^ pour faciliter aux racines des plantes qu on y veut femer lé chemitt Îju^elies doivent y feire en s'ëtei^dant ous la terre , & enfin pour £aire périr les plantes fauva^es qui nuiroient à celles qu'on a defletn dé femer. On peut employer divers moyens Î>our opérer cette divifion ; la bêche , a houe , la pioche peuvent y fervir utilement tant qu'on n'aura qu^une petite étendue de terrein à travailler; mais dès que cette étendue fe multiplie ^ elle devient un obftacle à. cette efpèce de travail qui demanderoit trop de bras ; on a donc imaginé des machines aux une fertilité plus ou moins durable; quelques terres trop ^graffes s'améliorent, avec du fable 9 des débris de coquilles , même avec des plâtras pulvérifés. Dans quelques Pro- vinces on prépare des engrais avec des végétaux qu'on laiffe pourrir en tas ; en un mot , il peut y avoir autant d'engrais G 2. Digitizedby Google" 148 Histoire de l'Acad. roy. que de circonâances particulières ^ pour-^ vu qu'on ne perde pas de vue le principe général qu'ils doiyent contribuer à di*- vifer les molécules de la terre % fam la deflecher plus qu'il n'eft néceffaire , & qu'on ne les emploie qu'avec prudence. Il eft très-rare qu'une même terre puifle porter tous les ans du froment; il s^en trouve quelques nliorceaiix dans ce cas 5 mais en général elles ont befoin d'être enCemencées d'autres plantes , &c même de fe repofer de temps en temps. Dans ce pays-ci, on a coutume de par- tager les terres labourables en trois parties, qui fontfncceffivement femées en froment , en mars , c'eft-à-dire en avoine, pois, orge, &c. & en jachère ou repos c'eft pendant cette année de repos -qu'on aie temps de donner aux terres les façons néceflaires pour les mettre en état de porter du blé. Dans quelques provinces du royaume, on ne partage les terres qu'en deux foies ou parties, qui portent alternativement du blé & des menus grains ; on voit bien due tout cet arrangement doit dépendre de la nature du terrein & de la récolte plus ou moins avancée des plantes qui doivent fair place au blé , puifqu'il faut toujcmrs trouver le temp$ de donner Digitizedby Google DES Sciences 9 17^1. 14^ à la terre les façons qu'exige ;ce dernier. Lorfque la terre a été bien préparée , on peut lui confier les fe menées ; mais il faut > fi on veut avoir une hofïtfe récolte > les bien choifir & prendre garde qu'elles foient exemptes du ma* lange d'antres graines ; il y a plusieurs efpèçes de froment , &C on doit étudier avec foin celle qui convient au terrein qu'on met en valeur ; les uns fe fèment en automne , ^ paffent , après avoir levé , tout Thiver en terre ; d'autres fe iement au printemps , & c'eft la ref- fource des pièces qui ont été endom* magées par Thiver ; on change de temps ^ temps les feiuentesi c^éft-à-^dire> qtt\>n les tire d'un atutre lailton r-cet mge ett pre^ue génératement établi , •non-feulement pt>ûr Ublé , mais encore pour toutes les autres graines. On fèmie communément le grain de la derniètte récolte ; mais il eft confiant , par des expériences inconteftables ^ qu^on peut employer , du moins pour le blé , des femences de deux ans ^ 8c peut-être d^ plus anciennes. On donne au grain quelques prépa- rations avant que de le mettra en terre , on le paffe , par exemple , à l^eiau dues avec de prétendues liqueurs prolifiques , qui , à en croire leurs inven- teurs , doivent multiplier prodigieufe- ment le produit des grains qtti en auront été imbibés , indépendahip^ot de toute culturjC , ôc affranchir les hommes de l'arrêt qui les condamne à devoir le pain , qui leur fert de ryurriture, àl^ur peine & à leur travail ; il n'eft pas dilfi- cile de voir quel fonds on peut faire fur de pareille promeffes comme il s'efl cependant trouvé quelques perfonnes ,affe3L crédules pour s'y fier , M. du Har mel a fait Thonneiir à celles de ces prati- qués qui font venues à de les effayer , & il a trouvé , comme il s'y altendoit bien , qu'elles ne produi- foient aucun effet. Les femences étant bien préparée? , il îes faut jetter en terre dans la quantité convenable , & dans la faifon & la ten^ .pérature qui leur eftpropre ; la faifon de lemer les'blés eft en automne ,• &, on ne peut trop recommander aux Laboureurs dé profiter des premiers temps convena* bJes ; le blé qui doit paffer l'hiver en a befoin d'une certaine force pour Digitizedby Google r DES Sciences , 1761. ici y téûHety 6c il pourroit bien en man- quer , fi les femences trop tardives ne lui avoient pas. permis de racquérir ayant les gelées, ils feroient d*aiUeurs plus expoiés aux maladies dont nous parlerons inceffamment; on fème com- munément ici au commencement d'Oc- tobre, &rexpérience a diâéà chaque province le temps de cette opération ; il faut que dans le temps où l'on fème , la terre ait affez d'humidité pour faire lever le grain , mais qu'elle n'en ait as aflez pour le noyer 6c le pourrir ; es femences du printemps fe font ordi- nairement dans le mois d'Âyril , c'eft le temps oïl l'on fème l'orge , l'avoine , le blé de mars 6 les autres menus grains. On fème communément à la main ; le femeur prend le grain à poignées dans une efpèce de tabher entortillé autour d'un de es bras & attaché à fon cou , & le répand avec mefure ; cet ouvrage exige beaucoup d'adrefle & d'habitude , & une très^grande intelligence ; toutes hs terres exigent une quantité précife de chaque femence , fi on leur en donne moins ^ elles ne portent pas autant qu'elles peuvent porter , & fi on leur donneitrop , on affame les plantes. M. du G 4 ragitized by VjOOQ IC 151* Histoire î>e l'Acad. roY. JHamel donne les moyens de déterminer cette quantité pour chaque terrein les femailles étant faites , on les recouvre par le moyen de la herfe , efpèce de râteau armé de longues dents de bois ^ Î[u*on fait fraîner par des bêtes de omme ; maïs , quelque précaution qu'on prenne , il y a toujours beaucoup de grain à découvert ou peu enterré , qui ne germe pas ou devient la proie dei oifeaux ; ces inconvéniens ont fiiit pen^ ier qu'un inûrumcnt qui femeroit tou* îours le çrain à la profondeur qu'on deiîre, qui n'en femeroit que la quantité néceffaire & qui le recouvriroit exaôe^ ment , feroit une chofe très-utile ; cet înftrumenè eft le femoir qui produit de lui-même \ en. le promenant dans Ifefi raies , tous les bons effets dont nous venons de parler, & dont M. du Ha- mel donne une defcription bien détaillée. Le blé une fois levé, demeure expofé tiux ravages qu'y caufent les mauvaifes herbes, les infedes & les oifeaux ; on diminuera beaucoup celui des premiè- res , fi on a foin de retourner les guérçts de bonne heure , & auffitôt que les jachères commencent à verdir, les plan- tes alors n'ont encore produit ni fleurs ta graines , & on enfévelit avec elles Digitizedby Google w>ES Sciences ; ifêt. i^y toute leur poftérfté; ileft vrai qu'eh •ttêtne tetuf^s on occafionne la germma* tion d'autres graines ; maïs un fécond labour fait à propos 5 détruira encore celles-ci , & il eft de fait que plus on multiplie les labours les on dôivje fe flatter de les voir toutes détruites , il fe trouve des graines qui peuvent fe conferver en terre un eipace de temps furprenanti les expériences de M. du Hamel lui ont conftaté cette vérité.; mais il y en aura toujours beaucoup moins que fi on n'jvoit pris aucune pré- caution ^ & ce peu ne fera pas capable de caufer beaucoup de dommage. Les oifeaux font encore des ennemis que les blésL ont à craindre les corneilles iavent punir de leur négligence les rive- rains des forêts dont les blés ne font pas levés & ^fft^ forts avant qu'elles arrivent ; elles arrachant le grain qui eft dans la terre ; les pigeons y caufent auffi quelque dommage , qui n'cft , pour ainfi 5 Digitizedby Google XÇ4 Histoire de l'Acad. roy* dire, que momentané mais les ennemi^ les* plus redoutables pour le blé , font les moineaux , ils ont quelquefois mangé le tiers ou la moitié de la récolte dans les pièces détachées; le remède eu de leur tendre des pièges ^e leur faire une guerre continuelle , & de les effrayer .même en les tirant dans les endroits où cela eft permis ; on en a tué en un feul été plus de cinq cents dans un médiocre clos où ils auroient tout dévoré fans cette précaution ; à l'égard des infeâes , il eft prefque toujours très-difficile de les détruire, 6^ s'il eft pqffible d'y parvenir , ce, n'eft qu'avec une con- fiante aftiduité à obferverla nature &5 pour ainii dire , la marche de ceux qu'on peut avoir à combattre. Les végétaux ne font pas plus exempts que les animaux de maladies capables de déranger ou même de détruire leur orçanifation , c'e/l 4 l'examen de celles qui peuvent attaquer le. blé qu'eft def- tiné le troifième livre des Élémens d'agri- culture ; ces maladies font la nielle , le charbon, l'ergot, le grain coulé , le grain retrait, le grain rpwillé , le grain avorté ti enfin le blé iîérlle , auxquelles M. du Hamel joint le blé verfé, accident qui, fnalh^^iiteufement , n'eft que trop comr muQ &c qui vaut bien une maladie. ' Digitizedby Google DES Se I E NC ES, 1761, 155 La niclU eft fouveot confondue avec le charbon , ntais ellç en difTère en bien des points, & fur-tout dans les deux fui- vans ; les épis niellés ne contiennenjt point de grain, au lieu que ceux qui font charbonnés en contiennent ; niais ce grain eft totalement vicié, & la pouf?- fière qu'il rend lorfqu'on bat le bié , a la mauvaife propriété de s'attacher aux gra,insfains ,,& de leur communiquer celle de produire des blés attaqués de la même maladie ; la caufe de ces deux xpaladies eft encore a^; peu connue on a trouvé cependant gîs remèdes coa- tre la maladie du charbon ;- les expé- riences de M»"* Tillet & Aymen ont appris que Je lait de chaux joint à une leflive affez forte dans laquelle on trempe . le blé de femence , qu'on fwa toujours }ien de choiiir le plus exempt de noir qu'il fera poffible , préferve le grain dç cette maladie , dont très- peu ^e pieds fon^ attaqués dans les champs femés de cette manière. Vcrgoc eft une efpèce de maladie qui attaque très-fouvent le feigle & plus rarement le froment; iesj;rains viciés de cette manière deviennent plus gros & plus .longs que les grains fains , & ç trouvent plus ou moins courbés ; ils font ' G6 Digitizedby Google 1 56 Histoire de l'Acad. rot. bran^ ou noirâtres ^ & leur furface eff raboteufe ; ils contiennem au milieu uii> peu de farine blanche enveloppée d'une autre farine rouffei>u brune ; cette fa- rine eft acre , & elle a la funefte pro* priété de faire tomber les membres de ceux qui en mangent dans leur pain ^ elle occafionne une gangrène sèche. Oti a vu dans l'hôpital d'Orléans phiiieu» habitans de la Sologne , n'ayant plus que le tronc, & attendant, eo cet état, une mortg^névitable. Ce malheur eft facile à éviter dans les années où la récolte eft bonne , parce qu'il eft très-aifé de féparer l'ergot du bon grain avec le crible ; mais dans les années de difette , les habitans diminuetoient trop la quan» tité de leur grain , & ils aiment mieux s'expofer au rifque de la gangrène , que de mourir sûrement de faim. Ne feroit-^ cal* elle attaque auffi les foins ^ il pouproit fe feire que les animaux qui mangent* ce fourrage en fuffent incommodés. M. du Hamel propofe d'en faire l'expérience > en nourriflant quelques beftiaux uni-!- quement de paille & de foin rouillé pour fupprimer abfolument cette nour-^ riture, fi eHe efl nuifible, ou ponvoii* Femployer fans inquiétude ,. u elle né ¥eû pas. ^ On appelle Hé ceuU celui dont lei épis 9 au heu d'être bien remplis de bons graine, en font abfohim^nt dénués à là pointe ou n'en contiennent que de mau- vais dénués de ârine, &qui s'échappent par Iç crible avec la pouâSlère > cA Digitizedby Google 15 J Histoire DE l'Acad, roy. accident eft caufé par tout ce qui peut déranger la végétation & afFoiblir les Elantes; les blés qui fe trouvent dans de onnes terres bien façonnées, y font bien moins fujets que lés autres. Le bU retrait ou échaudi eil celui qui , au lieu d'avoir f^ furface unie & d'être hien rempli de farine , fe trouve ridé extérieurement cet accident ne fait que diminuer la quantité de la farine il n'altère point la qualité du grain , & on peut l'employer en femence , où il réuffit auffi bien que d'autre ; il arrive , lorfc^ue les Mes ont été verfés encore en lait , la paille ou rompue ou amplement pliée y ne*fournit plus affez de nourriture au grain qui mûrit fans s'être fufBfamment rempli ; les grandes chaleurs , qjii accé- lèrent trop la maturité du blé , peuvent éuffi produire le même effet ; le blé doit être pefant , uni à fa furface , & d'un jaune clair & brillant; ii cette furface eft d'un blanc mat , on dit qu'il eft glacé ; ce défaut vient des grandes chaleurs , qui ont accéléré la maturité du grain,' lorfque fa farine étoit prefque formée, M. duHamelne cpniîoit. d'autre défaut au grain glacé, finon que fa fariiife boit peut-être un peu moins d'eau que d'autre îôrfqu'on la pétrit. Digitizedby Google DES SCIENCES 176t. 159 Le ^/^'tfwrir^'n'eft heureufementpasfort commun ; la plante , dans cette maladie ^ devient véritablement rachuique comme les enfans qu'on nomme noués ; elle eft toute contournée & croît moins que les* autres ; elle ne produit que des grains monftrueux > cornus y femblables à des pois , &c. on n'en connoît ni la caufé ni Je remède^ Il arrive dans quelques provinces, que les blés font attaqués d'une autre efpèce de maladie qu'on nomme fiériliu ; la plante de ces blés ftériles eft forte & vigoureufe ; mais les organes femelles de la fleur font prefque détruits, en forte que la fécondation ne pouvant fe faire , le grain avorte abfolument. M. Aymen attribue cet accident ou à la trop grande quantité de sève qui fe porte à la plante & affamç l'épi , ou à des gelées furvenues dans ïe temps du développement de l'épi, qui ont attaqué les organes femelles de la fleur apparemment plus délicats. Les meilleurs blés fonf encore fujets à un accident qui fouvent fait évanouir Its efpérances les mieux fondées^, du Laboureur ; ils font ce qu'on appelle i^jirfts ou couchés par la pluie & le vent; s'ils n'ont fait que plier, le malti'eft pas grand , ils fe relèvent d'eux- mêmes ; mai$ Digitizedby Google 'j6o Histoire de i'Acad. rot. il au contraire la paille eft caflee ou fbr^ cée par le pied > alors ib ne fe relèvent plus. Les blésveriiés peuvent mûrir , fit cet /accident leur arrive aux environs de la moiflbn & que la pluie ne continue pas ; mais s'ils font couchés long-temps, avant la récolte ou que la pluie conti- nue , ils font bientôt recouverts par rherbe ; la paille pourrit y te grain germe ^ & oneft obligé de les couper pour fervir de nourriture aux beftiaux cet accident arrive plus fouvent aux blés bien travail^ lés qu'aux autres , parce que leur paille étant plus haute U, leur épi plus pefant ^ ils donnent plus de prife à la tempête ;. mais comme il dépend de caufes qui ne font point au pouvoir des hommes , on^ ne connoît jufqu'ici aucun moyen de le prévenir. . Lorfaue les blés ont échappé à tous les acciaens dont nous venons de parler & qu'ils font parvenus à leur maturité y il n'eft plus queftion aue de les recueillir & de les ferrer c'efl cette récolte qui fait le fuet du quatrième Livre de M. da Hamel La première attention cp'o^ doit avoir , eft de bien faifir le pomt de ma- iurité du grain ; s'il eft trop verd , û devient retrait dans le tàs ; s'il eft trop Digitizedby Google DES SCTENCÈS, I761. 16I mûr 9 il s'égrène heureufement tottte^ les pièces aune même ferme n^ mûrif* fent pas toutes à la fob , & un bon La bonreur commence toujours par les plus preffées. On coupe communément it iié avec une faucille , au lieu qu'oa fauche l'orge & Tavoine ; on fe fort cependant de la faux pour le blé dans certaines provinces ^ mais il faut que la; lame en loit plus petite ëk montée fur un manche auquel il y ait une baguette ployée éh arc , pour jetter le blé coupé fur celui qui reue debout & l'empêcher de s'éparpiller cette méthode peut être ^atiquée avec fuccès ; on ne doit pas craindre qu'elle faffe plus égrener ïe blé qaç k tn^thod^ ordinaire ^ et elfe eft. beaucoup pîusÈxpéditiVe t avantagé im* metîfe fi on cOnudère qu'il n^e faut fou- Vent qu'un orage , furvenu pendant la moiifon , pour tout gâter , & que pa^ conféquent les momens y font bien pré- cieux.. Un autre avantage de tette mé* thode , eft qu*ôn emploieroit par ce moyen à ratîiaffcr le grain coupé der- rière le Faucheur, une grande quantité de femmes infirmes , d'enfans, & demeurent inutiles dans la méthode or dinaîre, ce qui empêcheroit le défœuvre» ment & la mtadicité qui en tA une fuke^ Digitizedby Google lêi Histoire d l'Acad. roy. La paille des blés abfi coupés eft plus longue, l'herbe fereproduit plus vite dans les champs fauchés que dans les autres ^ & le bétail qu'on y met paître y trouve une pâture bien plus aifée , n'ayant pas les nafeaux piqués continuellement par le long chaume qu'y laifle la faucille. Les grains étant une fois coupés , il ne refte plus qu'à les tirer de leur épi, les nétoyer & en ferrer la paille. Dans les provinces méridionales du Royajime, on ne ferre jamais le blé dans fon épi , on l'en tire auflîtôt qu'il eft coupé dan^ 3uelques-unes on le fait fouler aux pieds es befiiaux , puis on fépare la paille hachée qui en provient , & qu'on tranf- porte dan$ hs magafins qui lui {ont def? tinés , du grain qui çft porté dans les greniers. Dans d'autres pays , où l'on veut conferver la paille , on bat le grain avec des fléaux , & , après l'avoir vanné, on le porte au grenier , & la paille dans la grange après l'avoir botteiée. L'une & l'autre de ces opérations fe faifant en plein air , il faut être aiTuré d'une férénité de temps très-conftante , qu'on ne peut fe promettre dans la parr tie feptentrionale du Royaume. On y ferre donc dans les granges les gerbes joutes chargées de grain, pour les battre Digitizedby Google ©ES Sciences, 1761. 163 cnfuite à couvert & à mefure qu'on en a befoin ; cet ouvrage duf e communément tout rhivtr, & ne finit même fouvent qu'au milieu de Tété. On a propofé depuis peu des machines pour abréger cette opération ; 6c il feroit d'autant plus à fouhaiter que l'ufage s'en^tablît, que le travail des batteurs en grange eu non-feulement pénible , mais û dan^ gereux pour eux , à cauie de la pouf- fière qui fort du blé , que la plupart pé- riiTênt de maladies de poitrine ou de- viennent afthmatiques. Lé blé une fois égrené , eft pafTé par des cribles » dont les trous ont différentes figures éc dif ce qu'on nomme blé de miracle » d* abondance ou\le providence ^ il exige une terre bien fumée & bien préparée , & rend beaucoup , mais il ne peut réuflîr par-tout. Le grain , connu fous le nom de feig/e^ eu. moins délicat » il s'accommode très-bien des terres les plu5 Digitizedby Google DES SCI ENC E S, 1761. lé^ , plus légères ; il y en a de deux efpèces , l'une qui fe fème en automne & Tautre qui Te fème au printemps ; il n'efl fujet ni à la nielle ni au charbon, mais il eft fouvent ergotté. Souvent on sème dans les terres' médiocres moitié froment 6c moitié leigle , & on nomme ce mélange miuil; il exige lesi mêmes labours que le fro- ment. L'épautre eft une efpèce de grain qui tient le milieu entre Torge & le fro ment i la farine en eft aftez belle ^ mais le fon très-gros; le pain qu'on en fait a bon goût , mais n'eft pas aufli délicat que celui de froment. La culture àfi ce grain eft la même que celle du froment ^ £ ce n'eft qu'il le ùxxt femer plus tôt^ ?uoiqu'il ne fe récolte que plus tard. >n cultive de trois fortes d'orge l'orge carrée , dont les épis ont efFeâivement cette forme 1 & qu'on nomme auifi efcourgcon^{esème en même temps que le froment, & même un peu avant; ce font les orges d'hiver Torgc ordinaire ^ & celle qu'on nomme ris d* Allemagne , parce que les grains en font blancs , fe sèment au printemps avec les mars ; ce grain mêlé avec un peu de froment , fait de trèS'bon pain ; on en fait un gruau qui , préparé avec le lait f eft une très-> bonne nourriture ; enfin oij^remploie à Hifi lySz. Tome J. H ,Digitizedby Google î7o Histoire de l'Acad* koy. la nourriture du bétail & de la volailler il fatigue les terres pUts au'aucun autre, & exige qu'elles ftwent bien amendées & bien fumées. On connoît dans ce pays deux fortes d'avoine qu'on cultive, î'avoîne d'hiver , qui fe sème en même temps que les fromens , elle vient ordi- nairement plus belle Bc rend plus que l'avoine ordinaire ; cependant les Fer- miers en sèment peu , parce qu'ils cttt ordinairement affez d*embarras pour les femailles du blé , qu'ils ne fe foucient pas de fe charger encore en même temps Xic celles de l'avoine celle qu'on cultive ordinairement, eft l'avoine printannière ; elle fe^ème ordinairement au mois d'A- vril fur un feul labour on en emploie dix boiiTeaux par arpent &c quelquefois plu quand elles font venues à la hau- teur de quatre pouces, on paffe deffus un rouleau de bois pefant qui caiTe les mottes & unit le terrein , en ôtant les bofles qui empêcheroicnt de faucher; on a fom d'en arracher , autant qu'il fe peut , les mauvaifes herbes , & elle n'exige plus d'autre foin jufqu'à la moiâon. On fauche les avoines avec une faux garnie d'une efpèce de panier ^ compofé de uois crtchets de ^ois joints piar tiae Digitizedby Google DES S C I£NC ES, 1761. 171 traverfe, mais on eft dans laicoutume de les faucher avant leur entière matu- rité , & de laiffer les javelles fe mûrir Se fe renfler fur le champ , ce qu'on nomme. javclUr. M. du Hamel regarde cette méthode comme très-mauvaife ; un particulier qu'il cite, ne la fuit point; .il attend pour couper es avoines qu'elles oient mûres, &il les'fait tranfporter de fuite à la grange ; ks avoines s'é^rè-* nent moins, pèfent un douzième de plus ^ fes voifins le voyent , en conviennent , achètent de lui , autant qu'ils peuvent ^ de quoi faire leurs femences , & nefid-^ vent pas fon exemple. On sème ordinai-» tement de l'avoine de l'année ; celle de deux ans peut cependant lever. M. Ai Hamel cite à ce Aijet l'expérience qui en a été faîte ; mais il recommande de faire toujours l'effai de l'avoine qu'on veut femer , en en femant quelques grains ^ pour s'affurer s'ils lèvent bien. On cultive dans quelques provinces deux efpèces de millet , le petit & le grand ; l'un & l'autre fe sèment eu Mai ^ dans une terre douce , légère & bien amendée ; on répand la femence un peu claire , & on la recouvre auffitôt; fi cependant la terre étoit sèche, il faudroitj femer le foir & ne la recouvrir que le Hi Digitizedby Google trj^ ïilSTOIflE DE l'Acad. Ror. jnatiti, afin que rhumidité de la nuit I* difposât à gcnner, on paiTe le rouleau 4eS»s dès qu'elle e& couverte, pour comprimer la terre ; unmois après que le mulet eft levé, on eu arrache plnfieiir» pieds pour qu'il fe trouve entre chaqu Sunte huit pouces , fi c'eft du petit njxl- let , & plus fi c'eft du grand ; on donne, enfiiite n labouf léger autour de claque pied , & il n'exige plus d'autre précau-^ îion jufqu^à la récolte , que d'en ecartet les oifeaux qui en font fort friands & qui n manceroient plos de la moitié ; on les ebaffe , foit en les tirant avec de la çea» drée,foit en employ!»nt vées pour écra£sr le grain. Le mais , qu'on nomme auffi bli de Turquie ^ 6c en quelques endroits hU d*Efpagfu j k sème ou plutôt fe plante au mois de Mai ; on fait dans les fiUons é^ petites foffes de dix^fauit pouces en dix-buk pouces ; on n^ dans chacune deux grains de maïs , & on les recou- vre ; lorfqu'il tû levé 9 on àrradte le plus foible des deux pieds qui ioat to- mi$ dans ^chaque fofle 3 & ontemet tle iioiivelle grainedarnsceBes oùles^biSs n'ont pas levé; on leur donne iui/{>re- izûerlaboiut à la mi^mn âc un à la £11 de Juillet; vers la mi-Ao&t on coupt les panîcules des fieuis mâles aux pieds^ aiont les etfvek^p^ de l'épi parcdiTent renflées *y ces psinicuies ont une excd^ lente nourriture pour les bœufs ; oa été quelque temps apirès toutes tes feuilles des ti^s y ce qui dcmne encore un excellent fourrage ; irers le mois dé Septembre , on cueille tous les épii> les uns les fufpendent par bottes dans un grenier , d'autres les égrainent le milieu de Tépi , qu'on nomme le papc^ 4àn y & Us tiges de la plante qu'oA H} Digitizedby Google t74 Histoire de l'Acad. rot. coupe, fe donnent aux bœufs ; quet- 3ucfbis on sème ce grain pour en faire a fourrage , alors on le sème fort épais après la récolte du lin & même de forgé, & on le coupe en vert dans les mois d'Oâobre & de Novembre ; la farine de maïs donne un très-ben goût au pain , pourvu qu'elle n*y entre que pour un huitième, en plus grande quan- tité elle le rendroit pefant, parce que la pâte n'en lève pas bien. Le blé noir ou farrafin eft encore une des. efpèces dont on fait ufage. En ce climat il s'ac- commode affez bien des terres fableufes & légères, qui ne conviendroient pas au froment ; on le sème fur les terres defîiinées poiur les mars ; & alors c'eft à-» peu -près en même temps que ces derniers ; on en sème auffi fur les terres qui ont porté des plantes , dont on fait la trécolte de bonne heure , & comme il n'eft fur terre qu'environ cent jours, on a encore le temps de le recueillir avant l'hiver; ce gram eft très-bon pour les volailles ^ mais il feroit du pain noir , & ^ui s^mietteroit aifément; on en mange cependant en Anjou & dans quelques autres provinces par plaifir, 4fC quoiqu'on y recueille de bon blé î mais on ne le mange que tout chaud Digitizedby Google B-ES Se I EN G ES, 1761. 175 Tous les grains dont nous venons de donner la culture à la manière ordî naire , font fufceptîbles àç la nouvelle culture de M. Tull , & elle y produira le même avantage qu'elle produit fuc le froment. Les grains ne font pas le feul objet uéceflaire de la du HameL Les pâturages ou prés font en général de deux efpèces , les naturels & les r//-* ficïcU. On nomme naturels ceux qui ^ fans culture , produifent différentes her- bes ,- comme les prés bas & les prés hauts. Les premiers deviennent marais , & ne produifent que de mauvaises her- bes, fi l'eau y féjourne trop long-temps ; mais fi elle ne fait que des inondations Îaffagères , ils ^ produifent de bonne erbe moins £ne , à la vérité, que celle bigitizedby Google 'tj6 Histoire de l*Acad. rot. des prés hauts , mais qui fert de refiburce dans les années sèches ; on les améliore far des feignées ES Sciences, tj6i. 177 ferver les prés baâts > on doit les bien fermer de foffés , pour empêcher que le bétail n*y entre & qa'il ne s*y fafle des chemins ; il faut en ôter foigneufe^ ment les pierres Se en rabattre les taupi* iftières > afin que rien n'empêche la faux 4e couper rherbe près de la terre, les tngraiuer tous les deux ou trois ans avec dufbmier bien pourri , des cnrurei de mares ou d'étangs , des cendre , de k fuie f du fumier de pigeon ; ces en- grais, & fur-tout le dernier, en forti- fiant la bonne herbe, font périr la mau-* vaif^ on dok auffi foieneufement feicé périr la moufle. La meilleure façoti efk >eut-être de peigner les prés ati pria* temps avec des râteaux de fer, qui aient tes denty fortes & un peu longues ; la moufle , oui ne tient que peu au terrein ^ s'enlève tacilement fans taire le moindre tort à Fherbe , & on ôte en même temps 1^ pailles de litière, que le fumier pour- voit avoir Ikiffées, & qui gâteroient le fcin; enfin^ on y doit jetter la balayure des greniers à foin > & même de temps en tenrns im peu de graine de trèfle. On fauchecommunément le foin à la fin de Juin ou au commencement de Juil- let ; mais comme ce travail touche de près à celui de la moiflS^h , on doit., il Digitizedby Google 178 Histoire de l*Acad. roy. la faifon eft belle , l'avancer les plu^ 3uii fera poffiblc , & que la maturité e rherbe le permettra. Le foin une fois coupé , doit être fréquemment tourné & retourné avec des fourches, ce qu'oa appelle ^cr , afin que Therbe reçoive mieux la chaleur du loleil & fe defsèche plus promptement ; s'il furvïent de la pluie 1 on la raûemble en tas, qu'on appelle veillottcs , & lorfque le foin eft fait , on en fait des amas plus confidé- râbles , qui ont la forme d'un conoïdt parabolique qu'on nomme meuics ; ea cet état il peut fe conferver long- temps , la pluie n'attaquant que le defius à une très petite épaifleur , alors on n'a pluy qu'à le botteler ou à le tranfporter fans être bottelé dans les greniers oh on le garde. On forme les prés artificiels en femant dans des termes bien labourées , certain xies plantes vigoureufes, annuelles ou vi- vaces, qui produifent beaucoup d'herbe dont le bétail fe puiffe accommoder; les annuelles font le blé de Turquie , le feigle , l'êfcourgeon ou orge carrée , la fpergule , la vefce, les pois n le Tùtt en meule ^ un à foin de placer au* milieu quelques fagbts debout ^ qui fàd^ £tent la communication de l'ai^ ; Sc €uand on Tengrange ^ on doit le mettte lits par lits avec de la paille ; cette paille- y contraâé un parfum qui fait que les chevaux la mangent avec un ti'ès-grand appétit r ce fourrage ne fe tafTe pas afl» pour pouvoir, comme le foin otdinaire ^ refter long-temps en meule. Comme la* luzerne craint extrêmement le voifînage de toute autre herbe % c'eft peut-être une dés plantes qm g^ne le plus à la nouvelle culture , qui les détruit infail- liblement par es labours & donne la facilité d*aitacfaer celles qui auroientpu leur échapper. Les fainfoin fournît tm peu moins de fburrage que la luzerne ; il ne fe fauche que deux fois Tannée, on leièitte &on le cultive comme dette dernière ; on W fauche plutôt ou plus tard , fuivant fufage auquel on le deftine ; & on veut Digitizedby Google rSx Histoire de l'^Acaix roy» le donner aux bêles à laîne , on le^coupe quand il entre en fleur ; fi on remploie }>our les bœufs , on le fauchera quand espremières fleurs viendront à fe pafler ;. fi c*eft aux chevaux qu'on le deftine , on attend que la femence foit en partie for- mée ^ parce qu'ils aiment à la rencon- trer fous la dent; enfin îi on en veut, ramafler la graine f on attend à le fau- cher qu'elle foit mûre , & on fauche a\Aant que la rofée foit diflipée , afin que là graine ne fe perde pas ; il efl bien plus aife à faner que la luzerne, Dteuxboif-, ibaux de graines de fainfbin qourriflent; autant les chevaux que trois d'avoine i^ cette graine doit être étendue mince, dans les greniers & fréquemment re- muée fi on veut éviter qu'elle ne %'é- chauffe. Le trèfle qu'on ieme ordinairement ^^ cft le trèfle à fleurs rpuges.; il demajade. une terre douce ,.^rqfïe & un peu itiu- mide ; il fe ème comme de la luzerne , on le doupe ordinairement deux fois , & quelquefois trois ; il efl très-difficile à faner /& pour peu qu'il foit mpuillf 9 il perd beçuqoup de, fa qualité. Ce four- rage, verd ou fec, eft excellent poiu tous les befïiaux , mais on ne le doit donner qu'avec mefure , parce qu'il les Digitizedby Google DES Sciences 5 lyéx. 181 nourriroit trop cette plante eft moins vivace que la luzerne & le fainfoin , 6c elle doit par conféquent être renouveU lée plus ouvent. On cultive en Angleterre, pluûeurs efpèces de chiendent & degramen pour en faire des prés artificiels on peut adopter cette culture , mais il faut bien prendre garde de ne pas placer ces prés dans des terres qu'on veuille enluite remettre en blé , on auroit trop de peine à les détruire» On cultive dans quelques endroits Tajonc, jonc marin ou genêt épineux ; cette plante vient dans tous les terreins ^ mais bien plus forte dans les bonnes, terres ; les chevaux & les autres bçf- tkux en font fort friands ; on en coupe les fômmiiés à Tentréc de Thiver ; ôc pour rompre les épines , on les écrafe ^ ibit fous des meules à cidre ^ ibit fous des pilons , & on les donne en cêt état , aux animau3. On peut mettre encore au rang des. prairies artificielles les plantations de racines qu'on fait pour la nourrSure da bétail 9 comme les ponunes de terre , les topinambours, les navets^ raves & raiforts , les carottes , &c^ La pomme de terre fe plante dans Digitizedby Google j84 Histoire di^i^'Acad. rot. de petites foffes faites i trois pieds l'une de l'autre dans un ch^mp bien labouré r on commence par mettre un peu de liimier au fond ; on met fur ce fumier une de ces pommes & on la recouvre fur le champ cette pomme en poufle tout autour d'elle, & on en a vu qui en ont donné jufau'à huit & neuf cents. Oiï cultive àttffi ta pomme de terre fans fumier , en la plantant au mois de Fé- vrier dans des rigoles & les couvrant enfuite ^ mais elles produifent moins de cette manière on peut mettre les pom- mes de terre dans les pièces deftinées à être mifes en blé, elles rfépuifent point la terre , & les façons qu'on leur donne la préparent merveilleufement pour le blé. Les animaux mangent la pomnt^ de terre crue ; on la fait cuire pour les hommes , on en tire une fàirine qui ; mêlée avec un peu de froment , fait d'dfiezèon pain. L^ culture du topinam- bour eft la même oue celle des pommes de terre, le bétail s en accHnmode affez bien ; on en apprête auflî pour les hom- mes , & quand il eft bien accommodé > il approche afTez , pour le goût , du ctil d'artichauté Les navets , les raiforts & les raves fyat foavent confondues ; ce qu'on Digitizedby Google DES ScifiKCts ; Ty6l. lÔç somme à VBîhraves^ padisy eft du^enre àt% rai6>rr , & le$ raves proprement 4ites & ' les laf^^s e confHtuent qu^un g^enre. Les raves ou navets qu'on cul- tive font \^* ta tumip îles An^ois ou la rabioule clu Limofin quoique deftînée Elncipalement au létail , elle eft très*» nti^ pour la cuifîne ; & quoique fort groiTe, elle eft en même temps très* délicate 2^. la grofle rave ou gro^ fiavet eâion^ M. du Hamel uge ce triage avantageux, parce que le lin verd fe rooiâScint plus aiféœent que celui qui eft mûr ^ il arriveroit > s!iU étoient m^és ^ qu'il fe trouveroit néceflairement des brins pourris^ ou d'autres quineferoient pas aflez rouis; dès que le lin eil arra^ ché , on te lie poignée à poignée par le petit bout,, & on lt% < fécher en les fiofettant debout les unes contre les^u- tres ; auffitêt içi'il eâ fec , on l'égruge % c'eâ-à-dire qu^ eufêpare h grame, en peignant pour ainfi dire chacpie poignée avec tes dents d^A râteau fia & ferré y, £xé verticalement fur un banc, les grai- mes fe détachent 6c tombent dans un drap m lequel le banc eft pofé û queU qu'une a échappé â l'égrugeoir , les coups de ffîanipi on donne aux poignées ipii en fortent tes font détacher ; on famafle cette graine > on la vanne , on la crible , & la phas b^e étant i-éfervée pour la femence > on porte le refte an nouliapouc en &ire de l'huile. La graine Digitizedby Google ©lES Science S, iT^x» iS^ ft0t fépar^ du^ lÎA > t>n le porte an ^poutoir ^ qui doit étee ime etu preiqua dormaf^e-, maïs qui pouridiit fe renoa^ velle peu à peu; oa le coavre de paille ^u de Ibttgère & de claies chargées de pierres ^ fie ^on ly laifle juimi''à ce que la partie Ikneufe £>it aflez altérée pour rompre atfément & ans pliet ; alorsoA U retire^ on ouvreles poignées en éven- tail ; on Us fait fécber & oa les porte dans les granges* Lorfque te fin eA féché 9 au Sortir du routoir , il ne s*9gft plus que de féparer de l'écorce > pi doit is convertit en^l&fie > la partie ligneuie déjà attaquée par le commencement de pourriture qu'elle a eâiiyée au routoir t on fait pour cela trois opératkxns ; oit haie le lin, c'eità dire qu'on lie deflèche fyr des claies^ au-deflbus defquelles oa ^t un feu de chenevottes ; opératioa qiLii doit être conduite avec une grande prudence fi on veut éviter fe ku^er du^ £eu 9 ou bien oa l'arrange dans un four ]péES Sciences , tyôi. 191 communément perfuadé qu'elle exige tarit d'opérations pour êcre réduite eft cet état. X^c que nous venons de dire du lin doit auffi s'étendre du chanvre , qui exige prefque la même culture 6c It^ mêmes préparations la graine du chan- vre ou chenevis fert non-feuïement à ferfier les chenevières 9 mais encore à faire de l'huile comme celle de lin^ & de plus à nourrir jks volailles. L'efpèce de chardon , qu^on nomme chardon à foulon ou à laincr^ eft encore tme plante qui peut fe cultiver utile- ment ; fes têtes armées de piquans forts & crochus , fervent à retirer le poil des •étoffes de laine , pour le feutrer après en les foulant , & rendre par-là leur fuperficie plus unie , plus douce & plus chaude. Le chardon à foulon exige une terre crayonneufe , bien expofée & fur-tout fans aucun abri & en plein air ; en ter» rein bas il multiplie plus , mais il eft de moins bonne qualité , il aime fur- tout les terres neuves. La préparation dû terrein deftiné au chardon varie fuivant la na- ture de ce terrein ; en général , on lui donne un labour avant Thiver & on répand le fumier defius ; on donne un fécond labour au printemps , & oq Digitizedby Google k^i tfasTomç 0ï l'A CAD. rot^ jvfème fur oç fécond labour la graine é^ chardon pi^rr pincées ; quelÉS S C lEl^CES, 1761. 101 lui donner. On fent aifément quel peut être l'abus de cet ufage ; cependant comme en certains cantons il eft autorifé & qu'il feroit peut-^être bien diiBcile dà le détruire totalement , M. du Hamel penfe qu'il fuffiroit peut-être dans ces endroits de permettre à chaque Fermier de mettte en défenfe la trentième partie de fa terre ; cet efpacé à Tabri du bétail ^ fuffiroit vraifemblablement pour four** nir au cultivateur les fecours d'hiver dont il auroit befoin. Les deux derniers articles de TOu* vrage de M. du Hamel , roulent fur l'avantage que pourroient procurer le^ baux à longues années & la police des grains ; mais cei deux points , quoique bien dignes d'attention 5 font cependant trop étrangers à robet de l'Académie pour trouver place dans fon Hiftoire t tout ce que nous en pouvons dire , c'cft qu'on y reconnoît , comme dans tout le refte de l'Ouvrage de M. du Hamel ^ l'efprit du Phyficien éclairé > guidé par le coeur du bon Citoyen. Digitizedby Google toi HlSTOjRt DE l'AcAD. ROY, l'I Mi ' IJ'i illllU',, n j [ I .,' ,1' f ,11 ,T illl AL G É B R E. Sur plujuurs claffis it Équations dé tous Its degrés qui adnutunt une folmian ; algébrique. J^A réiblutîon algébrique générale des Équations feroit , pour ainii dire, la clef univerfeUe de toutes les Mathé- statiques nul problème réduit au cal- cul ne pourroit arrêter un feul ânftant le Géomètre qui en feroit pourvu; mais il s'en faut bien que cette clef univer- felle foit encore entre les mains de$ Géomètres. L'art de réfoudre Içs équa- tions , c'eft-à-dire d'affigner la "Valeur tlgébrique générale de leurs racines éft encore extrêmement borné , il eu même étonnant qu'il foit il peu avancé. Ce n'ieu pas cependant à la néglii^ gence des Géomètres qu'on doit fe pren- dre de ce peu d'avancement , les pliis grands hommes des deux derniers fiècles & de celui-ci ont fait tous leurs efforts pour porter la lumière dans cette partie des Mathématiques. Louis Ferrari^ Tar- taglia , Bombellî , Viéte , Harriotte , Defcartes , Nevton , Haller , Stirling , Moivre , M"^ Euler & Fontaine , de cette Digitized by VjOOQIC Dgs Sciences, 1762. loj JkeadéfDÎe , & un grand nombre d^au- très célèbres Aodlyftes , auxquels PAL- gèbre doit pjufieurs découvertes impor^ UQteSf ont beaucoup travaillé fur la réfoi- Jution des^quations ; mais la difficulté de la matière a jufqu'ici r^ndu inutiles toutes leurs tentatives , & on n'a encore au- jourd'hui de méthode rigoureufe pour réfoudre les éclations , que jufqu'a» quatrième degré , c'efl^à-dirie qu'on n'eft pas plus avancé qu'on ne l'étoit du temp^ de Louis Terrari , qui , au com- mencement du feizième uècle , donna le premier la réfolution des équations 4u quatrième degré. L'ejftrême difficulté de cette matîlre a probablement engagé plusieurs célè- bres Analyses à tourner leurs recher- ches vers les méthodes d'approximation qu'on emploie aujourd'hui au défaut des méthodes rigoureufes ; on ne peut pas même* trop les en* blâmer ils fe mettoient par-là en état , finon de don- ner des folutions exaâes & rigoureufes , du moins d'en approcher autant qu'on pourroit en avoir befoin , & ils ont mieux aimé fe mettre, à portée d'éluder ia difficulté , que de travailler peut-être inutilement à la vaincre. Cette difficulté cependant n'eft pas 16 Digitizedby Google 004 Histoire de l'Acad. roV. fi infurmontable qu'elle n*ait quelque- fois cédé à Tadrefle & à la confiance des analyftes , & fi on n'a pas en^core obtenu la réfolution générale des équa- tions , on eft au moins parvenu à obtenir celle d'une dafle d'équations dans cha- que degré. C'eft à M. Moivre qu'on eft redevable de cette découverte. Il en a donné les principes dans les Tranfaôions philofo- phiqueSy n^ 30^^ oîi il fait voir qu'il y a pour tous les degrés impairs une clafle d'équations , dans lefquelles les' puiiTances paires de l'inconnue étant évanouies , fi tous les termes de l'équa- tiSn , à l'exception du premier & du dernier, qui ont arbitraires , ont^entre eux une certaine relation indiquée par M Moivre , on aura toujours la réfolution algébrique & la valeur de l'inconnue y qui fera exprimée par la fomme de deux radicaux du mêvne degré que l'équation. .. Cette méthode de M. Moivre , quel- qu'ingénieufe qu'elle fût par elle-même, n'alloit , comme on voit , qu'aux équa- tions des degrés impairs qui avoient les conditions re^uifes. M. Euler a com- piété cette férié d'équations , & a fait voir dans le Tome fiJI des Mémoires de Pétersbourg, qu'il y avoit au/fi dans les Digitizedby Google DÈS Se I ENC ES, 1761. 205 degrés pairs une claffe d'équations ré- fokibles de la même manière. Tel étoit r^at de cette queftion, lors- que M. Bezoùt a tourné fes vues de ce même côté lé Mémoire dont il eft ici queftion ne contient encore qu'une partie des réfultats que lui a donnés fa méthode. Nous allons eflayer d'en pré- fenter une idée. Toute équation qui n'a que deux termes fe peut toujours réfoudre fi donc on pouvoit réduire toute équation à n'avoir que deux termes, on en auroit bientôt la folution ; noais on eft bieh éloigné de ce {>oint , car on n'a pas encore de méthode qui puiffe faire éva- nouir d'une manière générale plus d'un terme dans une équation quelconque. Quelque peu frayée que foit la route pour réfoudre les équations par l'anéan- tiflement des termes intermédiaires , c'eft cependbut par cette voie que M. Bezout attaque là difficulté ; nous allbns bientôt voir avec quel fuccès voici comment il s'y prend pour trouver les équations qu'on peut réfoudre par cette méthode , & pour les réfoudre en même temps. Il prend deux équations â deux incon* nues, les plus générales qu'il foit poffiblej; Digitizedby Google io6 Histoire de l'Acap. roy. il détermine , par les r^gl/;s connues de l'Aleèbre^ deux autres équations qui ne renferment chacune que Twe de ces deux inconnues on luppore , fie qu'U e& toujours poffible de faire » que Tune eft réquation même qu'il s'agit de rér foudre ^ & que dans l'autre les termes .intermédiaires au preipier dc au dernier puifTent s'évanouir. Ce$ coaditipas dé- terminent les qualités particulières que doivent avoir les deux équations à deux inconnues qu'on a d'abord employées. Par ce procédé, h réfolution ne dé- pend plus que dé trois chofes; x. de la réfolution d'une équation qu'on a réduite à deux termes ^ ré^lulipn qui eft toujours facile ; 2^. de la réfolution d'une des deux équations- è deux incon- nues qu'on a employées , çé qui eft .toujours poffible , parce qu'elle eft tou- jours au moins d'un degré inférieur à la propofée ; 3. enfin àts équations pairticulières qui réfultent des iuppoû- tions qu'c^ a faites dans le cours de la réfolution. On juge bien quç te dernier article eft le plus délicat &c celui qui exige le plus d'adrefle de la part de l'Analyfte mais en envifageant les équations , comme l'a hit M. fiezout, onrencontreinfailliblement dans chaqt^ Digitized by VjOO^I-^ HES Sciences, ij6i, vyj idegré à rinfini une clafle d'équations oii ces coéditions 19e mènent qu'à une équation du fecood degré, Efiayoaa de la caraôérifer plus particoUèrement. En remontant des équatiooa qu'on a ^employées pour la réfolutioa, & que M. Bezout nomme auxiliérts y à jceUe qu'on a en vue de résoudre 9 on parvient i une expreifion de l'inconnue » qui êft un compofé de radicaux du de^ré de l'équaiion & de radicaux du Iccond degré. Cette écfuation paroit , au pre- .mier coup d'œiU très-compofée ; flHtis pas un ufage adroit du calcul , M. Be- .zout trouve moyen de la transforaer en une autre qui repréfente d'une manière très-£mple la valeur de l'inconntie dans toutes ces équations & la rendre fitfcep- tible d'un même énoncé dans chaque degré. M. Bezout fait voir par ce moyen que dans toutes les équations de la dafle dont il s'agit ici , le tecond terme étant évanoui , ce qu'on peut toujours fup^ pofér , la valeur de l'inconnue eft expri^ . mée par autant de radicaux moins un » du degré de cette . équation , qu'il y a ^'unités dans ce même degré , & que les quantités affeâées de cc^ radicaux ne déend>ent que d'une éc^atiqn du /ecoAd degré. Il 7 a plus > la méthode * Digitizedby Google io8 Histoire de l'Acad. hoy, de M. Bezout ne fuppofe pas même comme une chofe néceffaire réranouif* fement du fécond terme ; d'où il fuît que les quatre {>remiers termes d'une équa* tion étant tels qu'on le voudra » on pourra toujours en obtenir la réfolution, £ les autres termes ont la condition qu'exige la méthode. Nous n'avons jufqu'ici pu obtenir par ce moyen qu'une des racines de cha- que équation dans les degrés impairs., éc deux dans les degrés pairs on fait cependant qu'il y a autant de racines dans une équation qu'il y a d'unités dans le nombre qui en exprime le degré. M. Bezout, qui n'a pas perdu dé vue ridée de réduire la réfolution de ces équations à celle des équations à deux terities , a trouvé moyen d'y réuffir en employant le fameux théorème de M. Cotes , fur la propriété du cercle rela- tivement aux faâeurs d'un binôme quel- conque ç'eft en adaptant ce théorème aux réfultats de fa méthode qu'il en a tiré un moyen de repréfentcr générale- ment ^ par une feule équation , toutes les racines de celles fur lefquelles cette méthode a prife y en forte qu'on peut avoif également telles de ces nacines que l'on veut i avantage qu'on n*avoit Digitizedby Google DES Sciences ; 176a. 209 pas eu jufqu'ici , même pour les équa- tions du troifîème degrd. Les équations dont nous venons de parler , dépendent ,- en partie , d'une équation du fécond degré. Lorfque cette équation a ks deux racines réelles , un calcul clair & facile donne la nature & la valeur de chacune des racines des équations qu'on fe propofe de réfou- dre ; mais u Téquation du fécond degré a fes racines imaginaires , & que celles des équations propofées foient toutes réelles ou toutes imaginaires , alors te calcul algébrique ne donne plus aucun réfultat clair y &c , excepté dans un petit nombre de cas , ne ie prête à aucune application numérique ni à aucune con- ilruâion. On peut en voir un exemple dans les équations du troifîème degré ^ oîi ce cas eft nommé le cas irréduSibU il feroit encore bien plus compliqué dans les équations dont il s'agit. M. Bezont a eu radreffe d'éluder cette difficulté, qu'il auroît peut-être inutilement atta- quée de front. Le rapport qu'il a trouvé entre ces équations rébelles y &c la divi- fion du cercle en parties égales , lui ^ fourni un moyen de les réduire à une cxpreffion fimple & naturelle, obtenant ainii , par l'union de la Géométrie à •Digitizedby Google aïo Histoire de l!Acad. roy; TAlgèbre, ce que celle-ci feule refufoit preiqu'abfoluinent de donner. On juge >ien que ce moyen met dans le cas d'employer plufieurs expreffions imagi- naires de fipus & de cofmus^ qui devien- nent néceflaires pour abréger des calculs qui 3 par les méthodes ordinaires y au- roient été fort longs & n'auroient donné Sue des réfultats très-obfcurs auffi M.. ezout n*a-t-ii pas négligé de les em- ployer; on ne doit jamais même dans les Sciences 3 méprîTer aucun de fe$ avantages. Nous n'avons jufqu'icî parlé que d'une feule claffe d'équations refolubles par la méthode4e M. Bezout , clafle à la vérité bien générale^ puifqu'elle s'étend dans tous \^^ degrés ; ce n'eft cependant pas la feule de cette efpèce que les recherches jde M. Bezout lui pnt indiquée. Il trouve en général dans tous les degrés à l'infini des clafTes entières d'équations réfolu- bles par fa fomme de 2 , 3 , 4 , &c. ra- dicaux du degré de l'équation , jufqu'à tm nombre de radicaux moindre d'unç unité que celui qui exprime le degré dp l'équation. Le cas dont nous venons de parler , & ceux de M» Moivre & Euler , ne font eux-mêmes que des cas particu- liers de cette règle générale, que M. Digitizedby Google DES Sciences ilyôi. m Bezout ne fait qu'indiquer ici y en faifant efpérer toute la fuite de ce travail. Il eft bien à fouhaiter qu'il en enrichifle prontptement rAnalyfc. ASTRONOMIE. Sur U SaieUiu vu ou prefumé autour dcVinus^ Il paroîti'a fans, doyte fin^Uer que FexiÂence d'un Satellite autour d'une Planète aufli proche de nous G[ueVénus> puiffe être douteuie & qu'oh ignore fi ce Satellite exifte ou n'exiîle pas c'eft ce- pendant ce qui partage aujourd'hui les j\ftronomes ; & pour mettre le Leâeur au fait de la queftion , il efl bon de rapporter ici en peu de mots ce qui s'e$ fait jufqu'à préfent fur ce fujet. Dès l'année 1645, François Fontana , Mathé- maticien de Naples , aflura qu'il avoit vu quatre fois ce Satellite , tantôt fur la partie éclairée de Vénus, qui étoit alors en croiflant, tantôt fur la partie obfcure , & enfin tout proche des cornés du croif- fant;inais la petiteiOfe & le peu de per fedion des inftrumens dont il fe fervoit , ne donnent pa$ aflez de probabilité à Digitizedby Google •ÎI2 Histoire DE l' fon obfervation pour la faire entrer id en ligne de compte. Voici quelque chofe de plus pofitif. Le célèbre Jean-Dominique Caflini rapporte deux obfervations qu'il avoir faites de ce Satellite , la première en 1672, & la fecoadéen i686. Il avoit vu toutes les deux fois, à quelque dif- tance de la planète , uQe lumière informe 2ui imitoit la p^afe de. Vénus & dont le^ iamètre étoit à peu-près la quatrième partie de celui de Vénus; mais il ne vit cette lumière que pendant très-peu de temps , parce que les deux obferva- tions fe trouvèrent près du crépufcule du matin , qui les interrompit; la con*- Ibrmité de la phafe de cette lumière avec celle de Vénus, fa groffeur à peu- près dans la même proportion à celle de cette planète gu'a la Lune à Pégard de Ja Terre, lui firent naître la penfée que ce pourroit être un Satellite de Vénus ; il n'ofa cependant Taffurer , la retenue & la prudence font le partage des grands hommes il chercha foigneufement à conftater Texiftence de ce Satellite par de nouvelles obfervations ; mais ce fut toujours inutilement , & jamais il n'a pu le revoir de fon vivant. Cinquante - quatre ans après , en Digitizedby Google DES Sciences, 1762. iij 1740 , M. Short obferva le même phé- nomène en Angleterre , il fut même plus heureux que M. Caffini, en ce qu'il eut beaucoup plus de temps que M. Caffini & qu'il put nonfeulement répéter plus de fois fes obfervs^tions , mais encore, y employer difféiieps télefcopes ; car. ç'étoit avec cet inftjrûment qu'il obfer- voit. Il trouva toujours que la petite étoile au*il voyoit avoit la même phafe que. Venus , qu'çile n'en étoit éloignée que d'environ dix minutes , que . oti diamètre. étoit un peu moindre que le tiers de celui de , & que f^ lu- mière étoit moins vive que .celle de Ta planète , quoique le Satellite parût bien terminé ; la ligne tirée de fon centre à celui de Vépus , fqrmoit un angle de dix-huit à vingt degrés avec l'équateur. Telle eft l'obfervation faite en 174a par M. Short ; mais s'il a été plus heureux que M, Cailini dans les circonftances aui ont accompagné ifon obfervation , n'a pas mieux réufli que lui à retrou- ver ce Satellite , & tous fes foins ont été depuis inutiles à cet égard. Si Ton rapproche préfentement tou- tes les circonftances de ces deux obfer- vations 9 fi l'on fe rappelle l'habileté des deux Observateurs ^ la grandeur & la Digitized by VjOOQIC ai 4 Histoire de l*Acad. rot. perfedion des inftrùmens dont ils fé fervoient , rexaûe conformité qui fe trouve en ce qu'ils ont remarque l'un & Tautre , de la grandeur du phéno- mène , de ion degré de lumière, & fur- tout Je la parité de fa phafe avec celle de Vénus ;' on aura bien de la peine à l'egarder ce qu'ils ont vu comme une illofion d'Optique, & à ne pas fe per- fuader que cefoit effeâivement unSatel- fite de Vénus^ que M» Caffini & 5hort but obfervé. D'un autre côté, comment compren-' 4ie qu'un Satellite , s'il exiftoit j n'eût été vu que deux fois en quatorze ans & eût enfui te échappé aux regards de tous les Aftronomes pendant plus d'un demi- fiècle ? on fait a la vérité que Saturne a un Satellite qui difparoît pendant une partie de fon cours ; mais ces difpari- lions font réglées & ne reflemblent point du tout à celles du Satellite de Venus. On allégueroit encore inutilement qu'a- "vant que M. Hughens eût découvert Panneau de Saturne , on avoit pris quel- quefois les extrémités des anfes qu'il femble former à la planète, pour deux Satellites ; mais" cette apparence n'étoît due qu'à la petiteffe ou au peu de per- fedion des lunettes dont on fe fervoit Digitizedby Google DES Scie N CES, lyôi, iiy alors , & il eft hors de toute probabilité que fi Vénus avoit un anneau , il eût pu échapper aux obfervations modernes Sc aux inftrumens qu'on y emploie. , Dans cette circonftance, M. de Mal- ran a voulu voir fi en fiippofant à Vénus un Satellite réellement exiftant , il n'y auK>it point quelque caufe qui ne lui laifiSt la liberté de pa^itre que dans des cas affez rares , & il en a en effet trouvé une qui pourroit prod\iire cet effet & qui s'accorde affez bien à tout ce que les deux Dbfervateurs ont vu de ce Satellite. Ceft dans ratmofphère folaire qu'il Ta trouvée on fait que le Soleil 9 par fa rotation autour de fon axe , écarte autour de lui une efpèce de pouflièrd lumineufe , qui forme dans lé plan de fon équateur un gâteau lenticulaire, qui quelquefois atteint un peu au-delà de l'orbite terreftre. Ceft à cette atmo- fphère que M. de Mairan a déjà attribué les Aurores boréales & les queues des Comètes c'eft encore elle qui , félon lui , occafionne les longues difparitions du Satellite de Vénus , ou plutôt qui ne laîffe la liberté de l'appcrcevoir que dans des circonftanccs quiidoivent être ftffez rares. Effayons de les déterminer» Digitizedby Google ii6 Histoire de l'Acad. roy. Puifque ratiîîofphère folaire peut s'étendre au-delà de l'orbe de la Terre, il eft bien certain que l'orbite de Vénus, plus proche du Soleil d'environ un tiers que laTerre , y feroit toujours comprife u elle étoit en même plan ; mais le plan de ratmofphère folaire eft le même quQ celui de Péqu^^eur du Soleil , qui fait ,. avec récliptique , un angle de J^iy tandis que la plus grande latitude de Vénus , vue du Soleil, çft feulement dej jas même iuivre pluileurs jours rbeure indiquée par le'Soleil fur un bon cadran , & qu'elle s'en .écarte plus ou moins félon les e l'Acad. rqt. de TAflronomie moderne on fait que ces ^res font des planètes affujetiies ^ comme les autres , à circuler autour du Soleil & qu'elles n'en difl^rent que par rénorme longueur de leurs orbite>^ & parce qu'elles n'ont vraifen^blablem^nt aucun mouvement de rotation fur elles- mêmes. Ces ailres , autrefois fi redoutés y ne font plus que Fobjet des foin^ & des recherches des Aftronomes celle qui a paru pendant les mois de Mai & de Juin de cette année ^ n'a point échappé aux obfervations de nos Aftronomes ; ils l'ont éxaâement fuivie , & nous allons rendre compte de leur travail. La Comète dont nous parlons fut découverte à la Ha,ie le 17 Mai par M. Klinkemberg , Cor;iefpondant de l'Académie , qui ne manqua pas de lui en faire part elle paroiffoit à la lunette comme une étoile de la quatrième ou cinquième grandeur y enviroi^née d'une fojble néhufofité. On avoit peine à l'ap- percevoir à la vue fimple ; elle étoit alors dans ta conftellatîon de la grande Ourfe, fort proche de celle du Lynx^ ayant une longitude de 2^*8^ 15*" & une latitude boréale de j^j^^ 10/. Auffitôt qu'on fut informé de on apparition y W^ Maraldi, de la Lande ^ Digitizedby Google DES Sciences, 1761. aic> Bailly & Mefller la cherchèrent & l^ jomparèrent aux étoile» lès plus vol- unes. M" Maraldi & de la Lande ont communiqué féparément à PAcadémie leur^obfervations & les élëmens qu'ils en ont déduits pour la- théorie de cette Comète.. . Avoir iîxé' par Tes oBfervations la route d'une Comète, dans le ciel étoile ,. n'eft pas , à beaucoup près, avoir décrit fhn orbite dans le lyûème folaire un Aftronome plac^ dans le SoleirTauroft déterminée par ces obfervations y, mais nous voyons la Comète de defliis la Terre ;. & comme TorBe annuel a comr muném'ent un rapport très-fenfible avec ïa partie de l'orbite d'une Comète qu'elle parcourt pendant foh apparition , il arrive nécefl'airement que les lieux de la Comète ,. vus^ de la Terre ,. difFèrent ^rodigifiLufement Je ceux que la même Comète paroîtroit avoir , vue du Soleil. Lâfameufe Comète de 175,9 parut dans la conftellation de l'Hydre , Jans une partie du ciel toute ôppofée à celle oîi on l'a voit vue en 1681 , quoiqu'elle fut itrès-peu près dans la même partie de ïàn orbite y & uniquement parce que la Terre occupoit une partie de la fienne , différente de celle qu'elle avoii occupée en i68z». Digitized by VjOOQIC 3^30 Histoire de l'Acad. roy. Il faut donc réduire la route appa- rente de la Comète dans le ciel étoile à celle que lui verroit parcourir un oWer^ vateur placé au centre du Soleil. On fent afiez combien ce calcul doit être pénible & combien on eft obligé de taire de faufles pofitiofts avant que d'avoir trouvé ceUe qui fi^tisfait aux cbfervations. ' Pour épargner une partie de ce calcul ; M. de la Lande emploie une méthode graphique très-ingénieufc il décrit un grand cercle qui repréfente Torbite de la Terre , au centre dutuel on place le iSoleil , n'étant pas néceffairc pour Topé- ration d'avoir égard à Téxcentricité. On place fur ce cercle la Terre dans Jes Doutions qu'elle avoit aux jours des oblervations de la Comète ; & ayant tiré de ces points des lignes allant au centre ou au Soleil, on tire de chacurt de ces mêmes points des lignes indéfi- nies , faifant avec les premières des angles égaux à ceux des didahces appa- rentes de la Comète au Soleil ,^réduites à l'écliptique. Il eft clair que la poiition réelle de la Comète fe trouvera chaque jour fur la ligne qui exprime pour ce jour-là fa poution apparente ; refte à favoir à quel point de chaque ligne» Digitizedby Google DES Sciences, 1761. 131 Or voici comment oa le peut déter- miner. La théorie Newtonienne nous en feîgqe que fi on partage Torbite d'une planète en parties quelconoues , &c que de ces divisons on mène aes lignes au Soleil 5 ces lignes formeront des efpèces de eûeurs ou triangles ,.dont Taire fera toujours proportionnelle au temps pen- dant lequel la partie de Torbite ellip- tique qui leur lert de bafe ^ a été par- courue par la planète. D'après ce princii>e , on cherchera donc fur les lignes qui vont de la Terre à la Comète des points tels, que menant de tous ces points des lignes au Soleil ^ ces lignes forment des triangles dont les aires foient proportionnelles aux temps écoulés entre les obfervations , & ces points feront des points de la courbe que décrit la Comète. Si donc on fait pafTer par ces points une parabole , ce qui ne différera pas fenfiblement de Tellipfe pour la petite partie qu'a par- courue la Comète , on aura Torbite de la Comète réduite à Técliptique ; on a d'ailleurs es latitudes vues de la Terre ^ qu'on réduira aux latitudes vues dif Soleil au moyen des diflances données par les opérations que nous venons de Digitizedby Google iji Histoire de l'Acad. rot^ récrire. Ob pourra donc avoir Tinclf- isaiibn de fon rbite ;. le lieu de foit nœud f la pofition du grand axe de Forbîte , le paffage par le périhélie , en unr mot tous les élémens de la tfaéo-^ rie , qu'il ne s'agira plus que de vérifier par un calcul , dont les opérations gra- phiques ont fupprimé la plus grande partie. Cèft à l^ide de cette méthode que M. de la Lande ayant calculé , fuivanc fes propres obfervations & fuivant celles de M. Meflîer , a déterminé que Va Comète avoit paffé par fon périhélie le 19 Ntai à^ 3^ 17'' du matin , qu'elle ëtoit pour lors plus éloignée de h Terre que le Soleil d'envvronr un centième de fà diftance du Soleil , ou .3 3000 lieues » 3ue le lieu du périhélie étoit à 15*^ 1 5^^ e l'Écreviffé, que le Nœud afcendant étoir à 19^-10^ des Poiffons, que l'in- clinaifon de PôrbitB .étoit de 84*^45', &* Gu'enfin cette Comète alloit fuivant 1 ordre des Signes. • Les mêmes élémens ont été détermi- nes par M. Maraldi l'accord qui fé trouve entre ces déterminations & leur conformité aux obfervations , prouvent également & l'exaftitude des Obferva* teurs & la bonté des méthodes de l'Aftro^ nomie moderne*. Digitizedby Google DES Sciences , 1761. xjj Le noyau de cette Comète a para aflez lumineux, mais mal terminé^ elle avoit une petite queue oppofée au So- leil. Si elle avoit paffé par on périhélie au commencement de Février , elle aufoit pu approcher aflez près de laTerre pour être très-vifiBle ; il faut même qu'elle foit aflez groflfe , & peut-être plus que la Terre , puifqu'on la voyoit encore lorfqu*elle et oit à une diftance p^efque double de celle du Soleil , c'eû* à-dire à environ foixante millions de lieues. En comparant Torbîte de cette. Cob- mète avec celles de quarante-huit au- tres , qui nous font connues par les obfervations anciennes , oan'en trouve aucune qu'on puîfle foupçonner d'être la même. Cen eft donc une toute nou- velle» ou» pour parler plus lufte , dont la route nous étoit totalement inconnue. Si on veut faire attention au point ou en eft préfentement rAftronomîe fes Comètes , & le comparer à celui oîi elle ,étJoit au commencement de ce fiècle , on feracertainement étonné des. progrès qu'elle a faits en aufli peu de* temps. Digitizedby Google a34 Histoire de l'Acad. rot; SUR LES OBSERVATIONS' Solflicialts faites à Saint'Sulpice^ On ne fait pas çncore bien certaine- ment fi Tobliquité ieds de foyer , dont l'axe eil fixé dans ^ plan de la méridienne ; l'image du Soleil y eft reçue fur un marbre blant fixé dans le carreau de Téglife^ & ce marbre eft couvert toute Tannée d'unô plaque de bronze , qu'on ne lève que pour faire les obfervations. Le grand axe de cette image a fur le marbre 9 pouces 7 i lignes , & une ligne répond Digitizedby Google DES Sciences; 1761. 15 j à 16" 7 ; d'où 11 fuit qu'une, féconde y eft très perceptible , puifqu'elle eft à très-peu près la feizième partie d'une Ugnc Les obfervations que M. le Monnier donne dans ce Volume , comprennent telles qui ont été faites depuis 1744 jufqu^en 1763; celles de 1764 n'ont pu y avoir place, parce que cette partie du volume étoit déjà imprimée quand elles ont été faites. Comme cependant il étoit utile qu'elles paruflent à la fuite des autres , nous avons cru que le Public nous fauroit gré de les inférer dans cette Hifloire ; les voici telles qu'il nous les a communiquées. LeMermes du grand axe de Hmage 5» du Soleil , gravés fur le marbre eo » 1745 , font marqués par des traits noirs M d'une épaifleur aiTez fenfiblepour être ^ vus fans loupe ; ces termes ont été ^ gravés dans Ja plus grande élévatioa >»du Soleil , c'eft-^-dire lorfque le n nœud de la Lune étoit dans le Bélier* H Le 20 Juin 1764 , le Soleil étant ^ parfaitement bien terminé & le ciel >» fans nuages > l'image du Soleil a para » comprendre les deux termes, c'eft-à- » dire qu'elle débordoit d'un fixième de n ligne du côté du fud ^ & d'un tiers de Digitizedby Google 136 Histoire de l'Acad, Roy. n ligne cki côté du nord , le Soleil étoi't M aiors de 4 fécondes au^deflbus du Tro^ ^ pique ; d'où il fuit qu'en faifant la » réduâion , l'image du Soleil fe trouve >> être revenue au même point préci- -» fément où elle ëtoit lorfque le lieu du >t nœud de la Lune fe trc^uvoit , il y a f^ dix-huit ans , au- commencement du » figne du Bélier ; d'où l'on doit conclura n que la prétendue diminution de Toblr- » quité de l'écliptique , à raifon d'une > minute en cent ans 5 n'a pas été fen- >^ûb\e à un inilrument qui donne , en fp pareils cas , les hauteurs mieux qu'à H 5 fécondes près »• Il paroît donc réfulter de la fuite des obfervations , faites au gnon^otfde Saint- Sulpice ^ & communiqttéjes par M. le Monnîér , que Tobliquité de l'éclipti- que n'a eu d'autres variations que celles qu'y occafionuent la nutation dont noiTS avons parlé en 1745 C'^» ^ ^^^^ ^^ trouvera les principes en ce volume ^ans l'Éloge de M^ Bradleyr; il faudroit donc abandonner la diminution abfolue d'e l'écliptique , que la comparaifon des obfervations anciennes aux modernes , femble donner de 45^ fécondes en un 0 ^^y^l Hiftoirt lyjis^. Digitizedby Google D£S Sciences, i76i* 157 Ciècle , ou au moins la fuppofer beau- coup plus petite, puîfqu'elle n'auroit produit aucune différence fenfible dans Tefpace de dix-huit ans , & il paroît ^ffeâivement que M. le Monnîer incli- neroit à la regarder comme très-petite. SU R L A MA Ni E R E JDt concilier Us Obfervations de Sainte Sulpicc avec la diminution de C obliquité de 'V Édiptique. r^ ous venons de rendre compte dans Tarticle précédent , des Obfervations folfticiales de M. le Monnier , & des induftions qu'il çn tire contre la dimi- nution de Tobliquité de Técliptique , fuppofée de 45 fécondes par ûècle. M. de la Lande ue penfe pas cepen- dant qu'on doive encore fe prefler d'abandonner la fuppofuion d'une dimi- nution confiante dans l'obliquité de l'écliptique ; & voici comment il prétend concilier cette diminution avec les ob- fervations faites au gnomon de Saint- Sulpice. En fuppofant, d'après la comparaifon des anciennes obfervations avec les ♦ modernes , d'après celles de î^, TaMé Digrtizedby Google 138 Histoire de l'Acad. roy. de la Caille & celles de M; de la Lande ^^ & enfin d'après la théorie Newtonienne , la diminution de l'obliquité de Téclipti* due de 45 fécondes par fiècle, elle aura Au varier en dix- huit ans de 8 fécondes ; qui fe meut du même fens dans une orbite concentrique à la pre- mière , produit dans les nœuds de la première un mouvement en fens con- traire à celui de la Planète attirante* . Mais il faut bien faire attention que ce mouvement en fens contraire eft^ celui du nœud ou de l'interfeâion de^& deux orbites, & qu'il pourroit très-bien^ arriver que ce mouvement , rétrograde , Digitizedby Google ^49 Histoire de l'Acad. rot. par exemple , fur Torbite de la planète attirante , devînt direâ fi on le rappor- toit à Pinterfcdion de Torbite de la Rlanète attirée avec un troifième plan, fous avons expliqué Tannée dernière i toute cette • théorie , en parlant d'un ^émcMre de M. "de la Lande fur les Nœuds des Planètes principales; voici encore une application du même prin* cipe à la théorie du mouvement jles Noeuds des Satellites de Jupiter. La fagacité des Aftronomes hiodernes & leur affiduité à bien obferver , leur a fait déterminer ^ avec une précifion >refque incroyable , la pofition des or- bites des Satellites , leurs inclinaifons^ e lieu & le mouvement de leurs nœuds; e mouvement de ces nœuds eft direâ^ quoique celui des nœuds de la Lune ^ Satellite de la Terre , foit rétrograde , c'efl de cette différence qu'il eu quef- tîon de rendre raifon. La Lune fuit absolument fa règle que nous venons d'indiquer Tattraftion qu'elle éprouve delà part du Soleil rend le mouvement de fes nœuds rétrograde fur récliptique orbite de la planète attirante. i Voye;^ Hifloire îj6i. Mais Digitizedby Google D^ES Sciences ," 17^1. 141 Mais les Satellites dé^Jupiterioiît dans un cas bien différent. L'aàion du Soleil fur eux efl phyfiquement nulle % ou du moins fi petite qu'oi la peut négliger ; le mouvement de leurs nœuds n'eft par conféquent}^ dû qu'à l'aftion mutuelle des Satellites lés uns ur les avtrçs il dçvrokdpnc en r^fulter un motiv^ment rétrograde datns leurs nœuds, c'eû-à-dire dans les interférions refpeûîves de leut? orbites, & ce mouvement a eâeâive- ment lieu ; mais ce que nous appellpn;; nœud ïiui SauUitt , ssHkù. pas Tinterfec- tion de çn orbite ^vec^celle d'un autre Satellitejmais pelle ^e cette orbi^ avec celle de Jupitçr, à laquelle on rapporte toutes celles des Satellites* Qr M. de la Lande déosontre fé l'ouvrage 4ot nous avons à rendre compta* Le Calendrier £aît le premier article de ce Livre. Les mouvemens céleftes étant la mefute de la durée du temfs^ il étoit bien jiiAe de commencidr p^e ça expliquer les principales divisons &. de- foire vêtir avec quelle adreffe l'induftrie de l'hopime a trouvé le }noyen de s'en affnrer on n'a pas cosBfnunément kt moindre idée de tout le travail & de tout. le génie qui ont été néceflaires pour former des années i qui doivent néceffairement être com-î pofées d'un nombre complet de jours , de imanière qu'eUds ne puflent jamais s'écarter d'un feul jour de la révolu-^ lion du Soleil , qui contient , outre le9 jours , des heures , des minutes & de^ fécondes , & ce qm eft encore plus difficile 9 de la révolution de la Lune, qui devient néceffeire pour la célébra- tion des Fêtes mobiles ; c'eft cependant ce qu'il étoit queftion de faire , & ce qu'on a fait réellement , lors de la réfor- ma tion 4u Calendrier en ifSi; etltf fera à jamais une époque mémorable 4as les fafte&de.£Ââroaamie Ui^^éi L5 Digitizedby Google IÇO HiSTOIRi DE l'AcAD. ROY. la Lande en donne tous les principet* torfqu'on trouve dans uff armanach les les principaux points du Calendrier énoncés pour une année , on eft com- munément bien éloigné de penfer qu'il en air tant coûté pour les y mettre. Les années font compolées' de jours , mais les jours font compofés d'heures » de minutes , de fécondes, qui fuivent^ comme les degrés ducercle, la progref- fion fexagéfimale , c'eft à-dire que foixaote fécondes valent une minute , jfoixnnte minutes un degré ou une heure , &c Il doit donc arriver qu'on rencon- tre fréquemment dans le calcul , des frac- tions fexagéfimales ; on y rencontre auffitrès-fouvent des fraâions décima- les. M. de la Lande donne ta 'manière dont les unes &c les autres , peu ufitées dans le. calcul ordinaire 9 doivent être t/aitées. . Tous ceux qui ont la plus petite con- noiflfance des Mathématiques , connoit lent le calcul trigonométrique ordinaire, mais les nouvelles théories introduifent fouvent des équations , dans lefquelles ' les^fimis tangentes & fécantesfont repré- fentés fous uneforme algébrique. M. de la Lande enfeigne à les faire reparoître feu3 leur jbmie naturelle & à trouver Digitizedby Google DES S C lEN CESf I76x. 151. même dans l'occa^on lesfinus & les tan- gentes fans le iîecoars des Tables il don- ne de même , dans un autre artide , le calcul des fraâions par les logarithmes» ' Muni de tous ces principes , M. de la Lande a donné, article par article, la manière de calculer prefque tous les ob- jets qui entrent néceflairement dans la Connoiflànce des mouvemens céleftes , commue le commenaement & la fin^ du- Crépufcule , le point de rhorixon où le Soleil fe lèveâf celui où il le couche^ l'heure de Ion lever & celle de ion cou- cher , les arcstemi-diurnes ouja portion ëe chaque parallèle diurne du Soleil ^ cpii s'étendj depuis ie. méridien jutqu'à Fhorbon dans la latitude de Pdtis , la longitude du Soleil au midi de Paris 6c au midi de tous les lieux de k Terre , même à toutes les heures du pur , is^ déclinailkm , la diflance de 1 Êqumoxe ou du pemier point à^jirus au méridien, le temps moyeu à Finllant du luidi^ vrai, oui l'heure que tmurqueroit au mtda ind^ qusé par une méridienne un pendu!» wglée fin* le mouvement moye» du S Planètes tqui fervent tant à déterminei^ tes încllnaifons de leurs orbes fur Téclip-' tique > les pbafesde Vénus , où ilénfei- §ne à G^lcuJer la quamité de lumière qu'elle doit avoir relativemeoti^fa pofi-» tion , tant avec le Soleil qu'amec \m Xerre; ks Étoiles nouvelles. &;Celleâ qu'on nonome changeantes ;i^ce qt/élle^ varient de grandeur & de lumière ^ k lumière zodiacale &c k temps' da it% aptparitions y les longitu^^i &L les; latitudes des Planjçteis>^ ieis Êcbpies deà &ielUtes de 54;^iter^la manière de leâ Digitizedby Google" i?*Es Sciences , 1762. 255 i&tu^atîon apparante & d'en dreflT^r la figure Tous C€S objets & la manière de les calculer , forment une partie confidéra- Ue de l'ouvrage de M. de la Lande nous n'aurions pu entrer dans le détail de chacun fans excéder les bornes d'un ex- irait nous nous contenterons de dire qu'il joint par- tout aux méthodes ufnées les nouveiks découvertes & les nou velr* les équations , qui font à la fois le fruit de 4a théorie de là gravitation & celui de la précifîon des obfervations moder-* nés , & nop$ nous hâteroçs de' parler de quielqwes objets plus importansquicom- pofeot le refle de cet Ouvrage. L'abtiquiié de l'écliptique eft le pre^ 9ier On ait combien les Ai\roiiom€% ont été & fo0t encore partagés fur c% fujet; les uns regaf dent l'angle de i'éclip* tique comme coaâaht ^ i h nitiatiotf près ^ ce moiiY^^ncnt de isalancemetit ^ ia &ît . 18 ieeoisdes eii neiif ans » & dont aous avons, parlé dani €ç yolume.; ies autres au comraira regardent cet angle. ccHnine dccroiflant féeUemént ia Lande iembraffe Je. JeuiimeQt it ces deraiers , & û%n Ç€iiG quantfiti .de timinution abfoli»i i47ife0Oûd6s> pai£èole£n e&t^ nood^ Digitizedby Google 054 Histoire de l'Acad. roy, feulement les observations de pliifieurs célèbres Aftronomes femblent Pindi- quer, mais en ore la même théorie qui donne la natation, donne auffi cette diminution abiolue ; & fi l'on adopte Tune , il femblc inconfequent de vou* loir rejetter l'autre. La pofition des étoiles el un des points principaux de l'Aftronomie ; c'eft à elle Su'on doit comparer ks planètes pour éterminer leurs mouvenvensapparens; snais pour parvenir à fixer la polition des étoiles , jI eft néceffaire d'en avoir quelques-unes placées avec toute Texac- titude pofîible , auxquelles on puifTe rapporter les autres; c'eft en les^ com- parant au Soleil , lorfqu'il paiTe dans leur parallèle , qu'on y parvient. M. de la Lande donne tout le détail de cette mé thode ; & pour en faire voir l'exaititude, il y joint xmc Table despofuions de plu-* fieurs étoiles de la première grandeur, déterminées en des temps & des circonf* tances diflPérentes » & €ui cependant difTèrent û les peut regarder comme parfaitement d*accord, . Il eft bien évident que lorfqu*on veut comparer des ^ obfervatioiis d'étofks^ faites aujourdlmî , avec celles* qui ont été ûites anoeonemeot ^ aa^àoii^ avpit Digitizedby Google DES SCIEN C ES, 1762. IÇÇ égard à la préceffioh des équînoxes^ ou au mouvement par lequel les in ter- feâjons de récliptiquc & de Téquareuf reculent contre rordrc des lignes , puis- que ce mouvement les fait paroître s'avancer dans le fens de la longitude. Maisil eft encore un antre mouvement par lequel récliptiquc change h poiition continuellement , elle y en foUicîtée à chaque inftant par Taôion des autres planètes, qui n'étant pas dans le même plan qu'elles , tendent à la détournen Cette aiftion générale , combinée de mille manières, forme cependant une aâion totale , qui ahère d'une part l'obliquité dé l'écliptique , & de Pautre la régularité de la préceffion des équi^ noxes, & c*eft ce qu'on appelle équation fécalaire , parce que la quantité n'en eft déterminée que par fiècles,elleéchap- peroit aux obfervations fi on la prenoit par années. M. de la Lande en détaille ici la théorie & en détermine la quan- tité 9 qui , comme on voit , doit caufer des variations dans tes latitudes de pref- que toutes, les étoiles il ajoute à cet article la manière de calculer l'heure du paflagc d'une étoile par le méridien à Paris & dans tel autre endroit qu'oa .voudra ^ U celle de trouver Thcure la Digitizedby Google ^56 Histoire de l'Acad. roy. jiuir par la ikuation des étoiles circom* polaires. 1 M. de la Lande n'a pas oublié dans cet Ouvraee l'article des réfraâions ; il donne Thiftoire abrégée de tout ce qui avoit été fait fur cette matière de- Îuis la Table publiée en 1684 par Jean* >oniinique Cailini juiqu'à M. l'abbé de la Gaille , l'Aflronome peut-être qui ait le plus contribué à éclaircir cette impor- tante matière ; il rend compte de la mé- thode dont il s'eA fervi pendant fon voyage au Cap , & dont nous avons parlé en 1755 iil y rappelle la va- riation que M. l'abbé de la Caille a ob- fervée dans la réfraâion qui dépend dç la pefantçur & de la température de l'air ily parle de la grande réfra^on obier vée par M. Bouguer , lorfque les aûres fe peuvent voir au-deffous de l'horizon & jen indique la théorie j expliquée plus au long dans l'Hifioire de l'Académie de .1749 2 il y joint la manière de déter- jniner l'accourciflement qu^ les réfrac- tions caufent aux diamètres du Soleil & de la Iauih inclinés à l'horizon ; objet ^portant dans bien des Qcçaûpos oi W " , ' i I I dans lequel il donne un abrégé des tentatives qui ont -été faites pour le réfoudre , & fur-tout .de la manière de les trouver par les dif- ^tances de la Lune aux étoiles ; mais quel- que intéreflante que foit cette matière 9 ^ Digitizedby Google 164 Histoire de l'Agad. roy. xomme on la trouvera traitée à fond dans rHiftoirexle 1759, d'après un Mémoire de M. Tabbé de la Caille , nool; prions le Leâeur de vouloir bien y recourir. Cet article eft fuivi d'une hiftoire abrégée^ des travaux & des découvertes de l'Académie fur la grandeur & fur la figore de la Terre. Cet objet fi impor- tant pour TAitronomie , la Géographie & la Navigation , eft prefque entière- ment le fruit de fes foins Se fera à jamais un monument à la gloire de la Nation françoife ; la mieux méritée eft certaine-r. ment celle qui réfultedes fervices rendus à rhumamté. M. de la Lande jcnnt à la jdétermihaifon de la figure de la Terre & de la grandeur du degré > cejle de la •longueur du pendule dans les différens endroits 9 6c la vérification de la bafe & du degré obfervé en France, entre Paris &c Amiens; la différence de polkion fur le globe n'cft pas la feule caufe qui puiffe faire accélérer une pendule ; le chaud & le ftoid font alonger ou rac- courcir les métaux , &c par conféquent la verge du pendule; il faut donc de temps entempsen^hanger la longueur ^ '8c M. delà Lande -détermine que pour faire, avancer 4me> pendule à féconde d'une minute^^cjow ^ il Êtut raccqu^^^^ Digitizedby Google DES SCIÇNCES, 1762. 261 le pendule d'environ ûx centièmes de ligne. Le dernier article de l'O^ivrage de M. de la Lande a pour objet la varia- tion de Taiguille aimantée on fait que cette variation eft différente, fuivant les temps & /uivant les lieux M. de la Lande rend compte de ces varia- tions & de la manière dont M. Albert Euler fils du célèbre M. Euler , Mem- bre de cette Académie rend raifon de la figure bizarre des lignes qui paâent par les points d'égale declinailon, telles Îju'elles font tracées dans la Carte de eu M. Hallèy , dont M. de la Lande donne auffi une idée avec la note des fautes qui peuvent s'y trouver. Il feroit difficile gue la première tentative d'ua travail cle cette efpèce en fut totale- ment exempte. . ; Cet arti;le eft , comme nous l'avons dit , le dernier du Volume , Je relje ne contient plus que des Tables la ÇIus grande partie eft occupée par les 'a blés du Soleil de feu M. l'abbé de la Caille ; elles font fuivies d'une grande quaniité'd'autres Tables , relatives pour la plupart aux différens objets dont nous venons ^e parler & qui tendent à^di- miinuer. çtu! a faciliter le cûcui. Uyit ^ ' * M Digitizedby Google i66 Histoire de l'Acad. roy. la Lande a pouffé fi loin rattentîon fur cet article , qu'il a donné à la fin de cet Ou^age les nombres & les loga- rithmes les plus fréquemment ufités dans le calcul pour épargner à fon leûeur la peine de les chercher, il y a jofèt la pofition des princip^aux endroits de Paris oîi Voh a obfervé. En tin mor , on peut dire ,qii'il n'a rien oublié de ce qui pouvolrcontribuer à remplir l'ob- jet qu*ïl s'étoit propofé. Cet Ouvi-âge ayant, fuivani fon inten- tion j laiffé plus de place dans le livre sfnnuel de Va Connoiffance des mouve- '^mêns céleftes. M. de la Lande en a * profité poirr ptacer dans la Connoif- -'fânce des mouvemens céleftes de 1764, ' qui a paru dès cette année , plufieurs " articles intéreffans., iels qu'une nouvelle méthode pour calculer les Éclipfes , ^avéé dès Tables tfès-commodes pour ' en aStéger l^s opérations ; des rern'ar- quei fur le^ inégalités des fatellites de ' Jlipiter , avec'des Tables détaillées de '^e^ inégalités ; tin avertiffement fur la [grande Éclipfe du premier Avril ; le *' résultat des dbfervations dii^affage de •\Véhtts fur le Soleil ; des. Rériiatques nou- "VeU^s ûir Ja conftrufti6h$ délsthërmo- ^À^e^i'àes Obfervatîbnsidr IW ètf^^^ DigitizedbyGoOgk DES S C lEN CES, I76i* 167 de Tattraftion & fur le flux & le reflux de la mer ; les élémens de la Comète de 1762 , calculée par M. de la Lande fur fes propres obfervations ; une nou- velle Table pour trouver la diftance de la Lune à Régulas^ une autre pour trouver le paffage de la Lune au méri- dien, & enfin une Table de logarithmes logifliaues ou fexagéflmaux , pour cal- culer fans aucune réduâion les parties proportionnelles des degrés , heures , minutes & fécondes ; & quoique cette dernière eût été déjà publiée plufieurs fois, c'efl cependant un grand avantage d'en multipher Tufage & de procurer aux Aftronomes l'avantage de Tavoir toujours fous leur main. Plus on peut procurer de facilité au calcul ^ plus on 4rocure en même temps d'avantages à rAftronomie. HYDRAULIQUE. Sur la poffîbirui d* amener à Paris dou^e cents pouces Veau. IxiEN n'eft peut-être plus avantageux à une grande ville , que d'être pourvue dans fes di£féren$ quartiersd'une quantité Mx Digitizedby Google i68 Histoire "de l*Acad. rot. 'ame & de la Samaritaine. Pour l'examen de la qualité de Teau, Kf. Deparcieux â commencé par en boire lui-même , fans lui trouver d'autre mauvaife qualité que le goût de marais 4iu'iiot toutes les petites rivières , & Ju'oiï peut leur ôter aifément en les ébaVraflaht de ce cmi^le leur donnoit, comme liptis le Venons bientôt; mais pour être plui^ îirde la bonne qualité de cette eau , il a engagé MHellot & Macquer , de cette , Académie , à k, Digitizedby Google- DES SgiecEv5 i i7;6i. 175 ibumettrç aux égrçuves chymiqu^es, 6c il fe trouve par le refultat de leur procès^ verbal , que M- Deparcieux a fait impri- mer à la fin de Ion Mémoire, 1^. que Teau djç rYVettç ne contient aucunes! fubftances fulfureufes ^ aui^p acide ni alk^li^ libres , aucunes parties fernigi-* , cuiyreures pi^ jpetallicmçs . d^p quelque eipèce que fe^ fait ;, i^. que cette eau iie cqijtient a^ic^me ^utrei matière qu'unpeu d^ félë^itç^ en mêmi^ quantité qu'en contiennent lef eaux de^ là Seine ,&.d^, toutes Tes awtrçSîT^vlèf es ècfqutçes. qu'on etnploie partout ^^tou^ les bçfoins cle la wi^^f^,. enÇh ,qu^ it^ goût de marais qii*o;i y bbfcrve y éi^ accidentel & étranger ^ 6f qu'il fe peut; D3a.^^ par le l'air ^ $c igu'il y a^toù' d^.pjçeCa,pîeiç qu' p^éqauuoasWpiquées çettf eau au r^pg de^ ^^ux orqi^aire^ de rivières trè^i^ très-bonûes k^ poire. ^ '^^riji^tt-jt^i'jpï; 1 ;i.. î Ce témoignage, etoit certainement fuffifant pour conftarer la'l>qnté des eaux de l'Yvette ; il s'eiî t^^^véïcepen- dant des perfonnes aflez prévenues pour foutenir que le^goùt ^e marais étoiç Digitizedby Google iy6 HiSTOtRE DE AcAD. roy; tellement inhérent à T^au, qu'on ne poirvolt abfolument Ten féparer. L'ex- périence étoit trop aifée à faire pour la négliger ; non - feulement elle a été répétée par M. Depardeux , mars même M. le Prévdt des Marchands 6c M. de Sartine , tîeùtenant dé Police , ont voulu la faire eux-mêmes , & ils' ont trouvé ?' ue cette eaii ,' éxpofée Amplement à air & au Solefl , perdpit abîblunvent , au plus tard en cinq jours , tout le goût ' de marais qu'elle avoit. ^ En effet , les grandes rivières n'ont èrdïriaîrerfient peu ou point dé ce goùf ; elles ne fôji^ cepetKjant coinpofées que des eaux de fources & de petites rivières qui y affluent , 6i qui en font prefqae toutes, fortement jiffeâées comment donc péut-on fuppoferqùe ce^6ût nç fé perde point Vpuifqué la feule circon- Aatice de tôirier dans im pltisrgtaHd lit Je leur pre fi fecilci^ent? Il né faut pas même becTujCoiip de réflexion poiit en démêler la caof^;'^ les eatix des petitejf arçêtçesà chaque, pas'dàns leur cbuts* pat déi?cotf3éS'idés racrhesi^ àe$ digti^i^, éés ^du^fes^de mocflin; qu'on ne vilide^réfqiie jamàfs 9 & par tonf^- Sueht obKgéés de féjourner fur la vàfe jj es bqisy^des f^idlles^ pourries 9 donï Digitizedby Google DES Sciences; elles ne manquent pas de prendre le mauvais goût ; les trous oii Ton met rouir le chanvre, les prés qu'elles cou- vrent dans leurs inondations, peuvent encore communiquer une faveur défa* gréabte ; mais quand ces mêmes eaux font une fois parvenues dans une rivière navigable , alors ibus ces inconvéniens ceflent; elle coulent avec vîtefle,fans obilacle^ fur un lit exempt de matières étrangères ; ce mouvement & Pexpofi- tion à Tair & au Soleil , leur auront donc bientôt enlevé ce goût oublies avoient cèntradé par toutes les circonf- tances dont nous venons de parler» CeUes de ITvetre auxquelles le goût de marais n'eft pas plus adhérent , le perdront donc fûrement dès qu'elles couleront dans un lit exempt de tout et ]ui pourra te leur communiquer ; it cela d'autant plù^ atfément qu'on aura attention dé nettoyer le tanal dé temps fen temps. Au moyen de toutes ces pré- tautions , on peut aflur^er Jue ces eaux feront bonnes , ftines & certainement -ée -meilleure quafité ^lie celle de lal Seine , qui , dètiii Fbndrôil oèla puifetit lés pomjpfes^ ce\^ oh kâ porteurs dVau 4a prennent , eft^hai^ë dé Tégout de tUêpkal général^ de ceux qu'y amène Digitizedby Google ijS Histoire de l'Acad. iioy. larivièredes Gobelins , & dHine infinité; d'autres égouts de Paris. M. Deparcieux invite tous ceux quis'intéreffent au biea public à en faire eux • mêmes Texpé- tiencje , pour fe convaincre que l'eau de l'Yvette perd en peu de jours fpa goût de marais & devient une des meiU leures eaux qu'on puifle boire. Le troiii^me article à examiner eft celui de la poifibilité de la conduite ,8c. celui-ci a deux chefs ; il faut que Teaui de ITvette, dans l'endroit oit on U prendra , foit aflez haute pour qu'on puifle lui ménagçr la pent€. néceflaire pour la faire arriver à l'eadroit. de Paris oii l'on fe propofe de la conduire, 6c qu'il ne fe trouve en chemin aucun obf^ tacle infurmofntabie. M. Deparcieux s'eft afliiré du premier , i^. en^efuri^nt avec çxaâitude des moulins qui fç trouvent ixf ITvette jufqu'à fa joncr tion avec la Seine, la, pente de çettQ rivière depuis Juvifî juiqu'au pont de l'Hôtel-Diçu , ^ enfuite la iiauteur di fol de 9 rue Sai^^HyacmHf , oii i.ia propofe d'établir le ppii^t 4'^rriv^, s^ deuus^du nyeaskûe U rW^èr^t il fffcllft djB cet examen^, do^t M» lipwç^eux donnet tout le-^ détail ;^ qu^ r^iw de iTveite,çrifeiyaAiçien> eftplMsAww* Digitizedby Google DES Sciences ^ ty6z. 279 de feize pieds que l'arrivée de Teau d'Arcueil à Paris à cette différence ^ on doit ajouter la pente qui la fait couler de moulin en^>sioulin. M. Deparcieux s^eft afluré de cette pente , en exami- nant la vîtefle de Teau dans les différens endroits ; & comme ITvette coule ac- tuellement par un chemin très-tortueux 9 très-embarraffé, & d'environ trente mille toifes de long , il eft évident qu'elle coulera avec une vitefleprefque double, quand le chemin qu'elle aura à faire n'aura plus que dix-fept à dix- huit mille toifes , & qu'il fera débarrafle' de tout obftacle 9 & confidérablement redrefle. On auroit donc , abfolument parlant j aflez de la pente de moulin en moulin pour la conduire ; & les feize pieds de Isauteur abfolue que nous avons trouvés ci-deflus , font en bénéfice & rendent feulement l'opération plus fûre & plus facile. La conduite de ces eaux ne préfente pas de plus grandes difficultés. M. De parcieuxfe propofe de conduire les eaux depuis Vaugien jufqu'à la montagne qui fépare Palaifeau & Maflî , dans un canal ouvert >;maçonne aux deux côtés & au' fond ; l'eau , avant qwe d'y entrer , pafiera d^ms on éipaca auffi majonnéi Digitizedby Google i8o Histoire de l*Acad, roy; mais un peu plus creux que le reile du lit de là rivière , oii elle dépofera une partie des matières étrangères qu'elle peut contenir & iqu'on enlèvera de temps en temps ; elle paflera enfuite dans le canal , en traverfant un efpace rempli de fable & de cailloux , oii elle achèvera de fe nettoyer , & le canal fera défendu des eaux pluviales , des beftiaux 6c même des hommes , par des fofTés qui l'accompagneront dans toute fa lon- gueur , & pzr des haies d'épines qu'on aura foiu d'entretenir ; on aura foin, 'de même d'en détourner tous les égouts des lieux proche defquels on pafTera. Cette première partie n'oflfire d'autres difficultés à vaintre que quelques blocs de grès aflez gros , qu'il faudra caflfer , mais qui fourniront auffi une boime partie des»maténaux néceflaires. L'eau arrivée au pied de la montagne , conti-> nuera fa route dans un aqueduc voûté-, qui percera la montagne à environ cin* quante pieds de profondeur & qui , ielon les circonfiances , fe fera à tran- chée ouverte ou par fous* œuvre. Ceux qui neconnoiflènt pas cette forte de. travail , feront effrayés de la propofi- tion de percer un canal à travers une montagne à plus de cinquante pieds aur Digitizedby Google DES Sciences , 1761. 181 deflbus de fon fommet , & dans la lon- gueur decinq à fix cents toifes mais on les prie de vouloir bien confidérer lus convenable pour la conduite de 'eau , que parce que tout ce qui avoi- fine l'ancien aqueduc n'a pas été fouillé par les Carriers , au lieu que le refte de la plaine l'a été. En arrivant à Paris , le nouvel aque- duc paiTera entre le grand chemin ôc lé château d'eau, traverfani^le jardin des^ Dames de Port-Royal jufqu'à la rue de la Bourbe, où les eaux commenceront à entrer dans une conduite de tuyaux d'un très-grand diamètre, qui pafferont à découvert par les jardins des Carme^ lites , de Saint-Magloire &c de quelque^ autres maifons, pour venir aboutir vers le milieu de la rue Saint - Hyacinthe , oîi fe fera la première diftribution dans les difFérens quartiers de Paris , & d'où le trop plein , quand il y en aura , pourra s'écouler à la rivière par la rue de. la Harpe. Digittzedby Google DES SCI ENCES, I76l* 183 Dans toute la partie découverte du canal y on ménagera, de mille en mille toifes,"ce que M, Deparcieux nomme des npos , c'^ft-à-dire des endroits oîi le canal aura plus de profondeur ces repos recevront la plus grande partie des matières hétérogènes que Teau pour- roit entraîner ; ils feront garnis de van- nes &c de -foupapes pour faire écouler Teau en cas de befoin & quand il fera queflion de nettoyer la partie du canal qui précédera un repos& ce repos même^ on abailfera au haut de cette partie une vanne, qui ne laiflera couler d'eau que ce qu'il en faudra pour favorifer le net- toyement. En nettoyant à des jours diffé* rens les diverfes parties du canal , 6c faifant cette opération un peu promp- tement , on ne s*appercevra prefque d^aucune diminution d'eau. La manière dont M. Deparcieux pro fiofe de confiruire la maçonnerie de 'aqueduc voûté qui doit conduire les eaux , tant fous la montagne de Palatfeau que depuis Arcueil Jufqu'à la rue de la Bourbe , mérite bien d'être décrite. On Élit ordinairement ces aqueducs en gale- rie, ayant deux pieds-droits furmontés d'une voûte , & Peau paffe dans une rigole pratiquée au fond ^ mais il arrive Digitizedby Google 184 Histoire ùe l'Acad. rot. fouvent que la poufféc des terres enfon- ce les pieds droits & occafionne des rér parafions incommodes & difpendieufes Eour remédier à cet inconvénient y M. >eparcieux fait fon aqueduc en forme d^un long tuyau elliptique , de la coupe duquel le grand axe eft vertical ja moitié inférieure , deftinée à fervîr de canal , eft fupponée par un maflif de maçonnerie & revêtue de grès ES S CI EN C E S, 1761. z8ç fuperâue qui pourroit furcharger le tanai dans les temps des crues d'eau. On n'avoit pas été jufqu'ici affez heureux pour avoir cet inconvénient à craindre. Comme une des principales caufes du mauvais goût des eaux , eft le éjour. des feuillec qui après avoir flotté que}- que temps fur l'eau , s'y enfoncent & s'y pourriffent, M* Deparcieux place , d'efpace en éfpace, des barres armées de longues dents de fer qui traverfent le canal & dont les dents entrent dans l'eau & arrêtent tout ce qui peut y flotter, que des gens prépofés pour cela auront foin d'enlever Journellement. Un grand inconvénient pour le canal » feroit que les eaux pluviales y décou laflent des terres voiiines , elles altère- jroient néceflairement la pureté de l'eau par la vafe 8c les autres matières qu'elles y entraîneroient ; mais les fofles prati» Qués le long du canal recevront ces eaux étrangères & les feront écouler. M, Deparcieux penfecependantqu'on pourroit, en ça$ de befoin , en profiter en les retenant dans des étangs pratiqués exprès , d'oîi on les feroit entrer dans le canal lorfqu'une longue fécberefle feroit craindre de n^ayoir pas une quaa tit€ d'eau fuffifantet Digitizedby Google 2?6 HtlSTOmE DE L*ACAD. ROY. Il ne nous refte plus à parler que^ de Tarticle de la dépenfe , & il faut avouer que ce n'efl pas le moins important pour la réuffite du projet. On imagi* ncra aifément qu'une entreprife de cette nature en exige une confidérable , mais il faut auffi en pefer les avantages & voir 11 ces derniers doivent l'emporter fur Ja dépenfe peut-être mêmefe la figure- t-on plus confidérable qu'elle ne Teft réellement ; nous ne pouvons en donner ici qû*une idée affez vague, eflayons ce- pendant de voir oîi elle pourroit aller. M. Trudaine , Confeiller d'État , In- tendant des finances &c Membre de cette •Académie, touché de l'utilité dont le projet de M. Deparcieux pouvoit être , a Mi calculer en gros par une perfonne très- capable ce qu'il en pourroit coûter pour l'exécution de ce projet , & U s'eft trouvé qu'en y comprenant les achats de terrein , l'indemnité des mou- lins , les conftruâions de toute efpèce ^ &c. l'eau de l'Yvette prife à Vaugien pourroit être rendue au haut de la rue Saint-Hyacinthe avec une dépenfe de cinq à fix millions tout au plus. . Ce calcul eft confirmé par un autre que rapporte M. Deparcieux M. Ga- briel premier Arcbiteâe du Roi , lui a Digitizedby Google DES Sciences, 1761. 187 •communiqué les devis & les marchés des ouvrages de ce genre, qai furertt ^ faits il y a environ vingt-quatre ans fous fes ordres , pour porter les égouts de Verfailles au-delà du petit parc vers Gally , oîi ils font reçus dans un grand badin maçonné tout autour &c dans le fond ces deux aqueducs ont été faits à tranchée ouverte , & il y a des en- ' droits où il a fallu fourHerplus de qua- rante-cinq pieds de profondeur ; ils font voûtés , revêtus de maçonnerie avec des chaînes de pierre de taille & pavés en pierre dure , & ont des regards de quarante en quarante toifes , avec plu- fieurs autres ouvrages & dédommage- mens qu'ils Ont occafionnés ces deux aqueducs, qu'on peut évaluer enfemble à cinq mille toifes , ont coûté environ un million trente mille livres. Or, ces cinq mille toifes d'aqueduc font à peu près le quart de là conduite à faire pour amener à Paris les eaux de PYvette , * car fi d'une part la plus grande partie de cette dernière conduite cft à canal "décou^rt ; d'^m autre côté les aque- "'ducs de Verfailles ^ dont nous venons de parler , n'e'xîgeôîen^ pas deux ponti- ' aqifieduts côhimie les demande là çoà- /duite^e l'YV^té;- / ' . • -''^ 14 Digitizedby Google i88 Histoire de l'A c ad. roy. On peut donc , tout compenfé , re- garder révaluation de cinqà fix millions comme bien faite , mais il faut obfer- ver quel avantage en reviendroit à la ville de Paris rien n'eft peut-être plus nécefTaire à une grande ville , après la conûruâion des ponts, que de lui pro- curer dans tous Tes quartiers une quan- tité d'eau fuffifante, non feulement pour les ufages domeflicues , mais encore pour entretenir la propreté des rues & pour porter des prompts fecours en cas d'incendie. VL Deparcieux, aux lumières duquel on peut certainement s'en rap- porter en cette partie , s'eft,aflUré , par un fcrupuleux examen , que la rivière d'Yvette étoit la feule dans les environs ^e Paris qui pût fournir une fuffifante quantité de bonne eau fufceptible d'ar- river à la hauteur néceffaire pour être . diftribuée dans les différens quartiers de Paris, La dépenfe propofée ne doit nul- Ifjpient effrayer, Paris ne feroit que ce qu'ont fait pi ufieurs villes du Royaume la ville de Montpellier, qui ne contient guère que la vingtièmejartie des habi- tans de la Capitale , vient de fe procu- . rer de l'eau par le moyen d'un ouvrage qui eft environ le tiers ou le quart de celui que propofe M» Deparciçus^^ 6c qui -Digitizedby Google DES Sciences; qui ne donne que la vingtîèhie partie de l'eau qui viendroit à Paris ; y auroit-il donc quelque inconvénient à faire ua ouvrage , triple à la vérité ou quadruple^ mais qui donneroit vingt fois autant d'eau pour le fervice de vingt fois plus d'habitans? Il y a plus ^ la dépenfe de ce projet eft d'une efpèce fingulière , la Ville n'ea feroit prefque que les avances; elle ea feroit abondamment rembourfée par la ceflion qu'elle pourroit faire d'une partie djs cette eau aux particuliers à un prix qui pourroit n*être que la moitié* de ce Qu'elle a toujours exigé tant qu'elle a eu e l'eau à céder. Combien le nombre de Conceffionnaires ne fe multiplieroit*il pas , & quel avantage ne feroit- ce pas pour chaque particulier que de fe pro- curer chez lui une fontaine abondante d'une eau pure &c faine ! mais quand on ne compteront pas fur cette reffource^ on ne devroit pas pour cela héfiter fur l'exécution d'un projet auffi utile , 6c dont la dépenfe procureroit pendant le temps dé la conftruâion une occupation utile à tant de Citoyens ; mais ce que nous ne devons pas oublier de remar- quer , c'eft la manière dont M. Depar- cieux a propofé ce projet tout fgn ffifi. 1762. Tom AN Digitizedby Google 19© Histoire de l'Acad. roy. difcours n'^ft que l'expreffion de {&i cœur^ & on y reconnoît par-tout fes jialens & le zèle àé&ntéreSé qui les^ ^nime» D I O P T R I Q U E. Sur Us moyms dAp^rficiionwr les lunettes d'afprQclu* X^*AcA»ÊMiE a rendu compte au Public dans fon Hiftoire de 1756 i & dans celle de 1757 2, du travail entre- pris par M. Clairaiit, pour perfçftion'- per la théorie des objedifs compofés» Voici une nouvelle fuite de ce travail. Dans les deux Mémoires précédens , M. Clairaut n'avoit confidéré que ceux 'des rayons incidens qui fe trouvoient dans un plan, paflant par le point td^ diant & Taxe optique de la lunette ; fnais pour peu qu'on y fafle réflexion , on verra que cette condition n'admet que la moindre partie des rayons & en çxcepte un bien plus grand nombre ; chaque point radiant forme le fommet d'un cône de rayons, qui a la furface du » '' " I ' I— — il— — iw^— — ^ 0 ^^y^l Hiftoire 17 S^* 2 Idem. ijsy. Digitizedby Google DES S C lEK ÇESj'iyôZt 191 verre pour bafe , & il eft aifé de démom trer que les rayons qui fe trouvent dans le plaiLpaiTant par Taxe de ce cône & celui de la lunette , font les feuls qui fe trouvent dans la condition requife , & que tous les autres , dont le nombre eft infiniment plus grand ^ s'en trouvent exclus. • 5i donc on veut examiner le degré de diftinâion que peut obtenir un objet vu dans une partie quelcçnque du champ de la lunette ; il faut de néceffit^ fou mettre au calcul tous les rayons qui' doivent néçeflairement éprouver des réfraâions bien plus îrrégulières que les autres le problême eft néceffaire à réfoudre avant que de déterminer les formes les plus avantageufes qu'on peut donner aux lentilles ; ce font auffi les 0eax objets du troifième Mémoire de M. Clairaut , duquel nous allons effayeir de préfenter Tefprit & 1^ méthode. ^ Le premier pas de M. Clairaut eft de rappeller à foa Leûeqr un Problême , dont il avoit donné la folution dans fon premier Mémoire , & il rapporte ici la formule qui en réfulte, qui donne la manière de trouver les rayons rompus par une furface fphérique quelconque , lorfque les rayc^ns incidens font tous N 1 Digitizedby Google %^i Histoire de t*AcAD. roy. dans un même plan qui paffe par Taxe de la fplière. La formule que M. Clairaut donne dans ce Mémoire, côritîent quel- que changement dans Texpreffion des quantités qui entroient dans la première ; mais ce ne font que des changemens d*expreffion qui devenoient néceflaires pour rendre cette foilnule fufceptîble du nouveau calcul dont il eft ici quef- tion. Cette opération préliminaire étant finie , M. Clairaut en vient au but prin- cipal , qu'il s'eft pfopofé dans ce Mé- moire -; il recherche d'abord quelle doit être là route d'un rayon incident qu'on lie fuppofeplus dans l'axe, comme dans la formule dont nous venons de parler ; mais fur une droite qui fait un petit angle avec cet axe. Il eft aifé de voir que ce rayon , après fa réfraâion^ ira rencontrer dans un certain endroit un plan qui paffe par le pnt de tendance des rayons incidens , pris hors de l'axe & par ce même axe ; c*eft exaftement le cas où font ceux des rayons des pin-^ ceaux optiques qui fe trouvent dans le Îlan paflant par le point radiant & par 'axe du verre , M. Clairaut parvient à déterminer ce point. Jufque-là nous n'avons fuppofé au verre qu'une furface réfrihgente, &t il Digitizedby Google ©ES Sciences; 1761. 195 en a^iéceâfairement deux. M. Claîrauc examine la nouvelle direâion que cette féconde furface donne au rayon &C détermine le point de rencontre de ce rayon du plan dont nous ayous parlé; En fuppofant donc la loi de réfraôion connue, on aura, au moyen des for-» mules , la diftance focale d'une lentille pour tous les rayons principaux. . Si on fuppofe préfentement que le rayon propofé traverfe plufieurs len- tilles très-voifines les unes des autres & de réfrangibilité différente 9 il eft queftioa de voir ce que deviendra le rayon , car M. Clairaut le fuit pas à pas & conduit toujours fon leâeur du fimple au compofé. Il eft bien fur que les for- mules qui exprimoient fa route datis les premières fuppoiitions ne l'exprimeront plus dans celle-ci , &c qu'il faudra y introduire , parce que cet examen lui a fait roir qu'unobjeôif de cette efpèce feroit , malgré cet avantage, un desplui défec- tueux qu'on pût employer. S'il eft des cas heureux où l'Art peut vaincre la Nature ^ il en eft encore plus oh elle ieroif acheter la perfeôlefii defirée par trop de débuts. - Le dernier article du Mémoire de M» Clairaut eft l'examen des objeâiâ compofés de trois verres* On peut à Digitizedby Google tÈs Sciences, 1762. 505 la lettre, déduire difie-t*il dans l'intérieur du tuyau pour produirjkles différens tons qu'on en exige? c'effce que la plupart de ceux même qui font inftruits de cette partie^ de l'Acouftique , igtiorent abfolument ou ne favent que très-imparfaitement. Rien cependant n*eft plus furprenànt pour qui voudra y faire attention ; quel tapport entre un courant d'air divifé par le tranchant d'un bifeau & le foa Digitizedby Google 3o8 Histoire de l'Acad. roy. qu'il nous fait entendre ^ & pourquoi un tuyau plus ou moins long, ouvert ou bouché > cylindrique ou conique, donne- t-il à ce Ton une intenfité & des tons difFérens ? Cette iingularité a pîqué la. ctiriofité de M, Daniel Bérnoulli ,-il a porté fur cet objet des regards attentifs; & -après un^ long examen, il eft parvenu à déterminer les règles auxquelles ces phénomènes font affujettis & les loix " iBécbaniques fuivant kfquetles chaque tranche infiniment petite de Tair con- tenu dans un tuyau fait les allées & les venues, qui par leurs vibrations pro- duifent le fon> ^ Tous les Phyficiens font d'accord que lé fon eâ produit par les vibrations de l'air ; une corde tendue & pincée offre ^ Tœil ces vibrations & fait voir évidem- ment quelle en eft la caufe ; elle offi-e de plus un autre phénomène ; pendant qu'elle fait des vibratio^ totales , elle ie partage encore enpiuireurs vibrations particulières , qui donnent ce qu'on '^ -îppçUe \es/o/i^ harmoniques , c'eft-à-dire la douzième & la dix-feptièmc majeures , ou les oâaves 6c double oâave de la quinte & de la tierce , fa^ lefquelles le fon inufical ne peut fubfifter ; on peut Btême entendre ce$ fons fans le. fou pan* Digitizedby Google DES S»cienxes , 176Z. 309 cîpal, en touchant une groiTe corde de viole avec Tarchet très-près du chevalet, Puifque les twyaux d'orgue donnent les fons muficaux , il doit doncs'y paiTer quelque chofe d'analogue, mais on ne peut s'aider ici du fecowrs des yeux , la corde fonore eft ébranlée & le tuyaa ne paroît faire aucun mouvement, il a fallu que l'analogie & le calcul guidaf- fent abfolument M. Bernoiilli dans cette recherche des guides de cette fpècc étoient fûrs entre es mains ^ & il a eu * la fatisfaâion de voir qu'il aveittoujours trouvé non-feulement les rifultats de fen calail conformes à l'expérience j mais qu'il avok même été conduit à des jdiénomènes totalement ignorés. Il eft prefque inutile d'avertir ici qu'il n'y eft queftion que des tuyaux à bouche ou de flûte, & nullement des tuyaux à anche Les flûtes de Porgue font en général de deux efpèces; les unes, font ouver- tes par leur extrimité oppofée à la bou- che , & lies autres font bouchées ces dernières donnent un ton d'une oâave plus bas que fi elles étoient ouvertes, en forte qu'un tuyau de quatre pieds bouché rend le même ton qu'un tuyau f ouvert de huit pieds, mais le fon en eft ^ plus fourd & moins éclatant & e!eâ Digitizedby Google }io Histoire i>el'Acad. rot. probablement pour cela qu'on a nommé ces jeux bouchés > des bourdons. II n'eft peut-être perfonne qui n'ait entendu parler de la comparaiCon des vibrations îbnores avec les ondulations qui fe font dans une eau tranquille forfqu'on y jette ne pierre , il n'y en a peut-être point de plus ddPeâueufe celles de l'eau ne font dues qu'à la pefanteur de ce fluide , qui n'a point d'élaûicité fenfible , fie celles de l'air tiennent principalement à fon élafticitjé ^fans que Ton poids y con-> tribue que pour très-peu de chofe. C'eft oette élafticité , qui rend l'air fi fufcep* tible de vibrations, que fi on mou ve- inent eft fort oblique , il afieâe fuccef- fivement un plan qui lui eft oppoTé de mouvemens en fens contraires. Les ma'- r*ms n'éprouvent que trop cette propriété quand leurs voiles k&t un trop grand angle avec la direôion du vent ; c'eft fur elle qu'eft fondé le mouvement des tpemblans de l'orbe & l'incommode bruit de quelques volets mal fermés. C'eft probablement cette même caufe qui met en mouvement de vibration l'air contenu dans un tuvau l'air cbaffé , ou contre la vive-arete des planches du tuyau, ou contre un bife;9u expofé à la fente par lamelle il doit pafier^ poufie. Digitizedby Google DES SOFENCES , I^ôl, 311 JiMS un inftant l'air qui y eil contenu j& lui cède dans un autre. Ces roôuver mens alternatif , très - promptennent répétés , excitent da^s l'air du tuyau ce$ ^vibrations qui produifent le on , & que ce dernier commuoique enfuite à l'air envMTonns^it qui k tranfoiet à l'oreillet» La vibration excitée dans l'air en ébranle toutes les partie , mais tputes jie peuvent pas refiiîvoir le mouvement qui fait le ion , ij n'y a, qvke celles, qui ont des reports égaux ou Capables de produire ^svii^ations, qui concourent plus ou moins enfen^ble 9 qui puiflent continuer le mouvement 4^ vibration celles qiH ne concourent point du tout^ ou qui ne le font que très-rarement, fe réduisent & ne produifent aucun fon ; c'eft la raifon phyiique pour laquelle il fi'y a que les fons harmoniques qui fe font entendre. Cette tbéoriea 4té donnée à l'Académie par M. Eftève , de la So- ciété royale ^es Sciences de Montpelr , lier , &c nous en avons rendu compte en *i75oi> Cela fuppofé ^ fi on imagine un tuyau Cylindrique fermé par un bout , & que par l'autre on le faffe réfonner , foit ai; DigTzedby Google 311 Histoire de l'Acad. roy. moyen tfun^ bouche femblable à celle tles tuyaux d'orgue 9 ibit en foùfflant fiai- pleiîient dans ion embouchure comme dans le canon d'une clef, Tair enfermé dans ce tuyau fe mettra en vibration , Vcft-à-dire que chaque tranche infini- fhent mince de Tair qui y eft contenu , foufirira un balancement alternatif très- vif dans le fens de Taxe. Ces vibrations, comme celles du pendule , feront fenfi- blement ifochrenes ^ & ii ne réfultera de leur plus ou moins de force qu'une Î>lii$Ott moins grande inteniité du un ; e fon ne pouvant fortir que par la bouche du tuyau , il en réfultera nécef- fairement qu il s'y établira un courant cTair y entrant & fortant alternative- ment à chaque vibration par fon em- • fcoucliure ; & comme toutes les vibra- tions qui fe font au-dedans du tuyau, mielque inégales qu'elles puiffent être , iont néceffairement ifochrohes i le tuyau rendra toujours le même fon , qui fera le fon fondamental du tuyau fi le . fouffle eft ménagé ; car on peut , en le forçant plus ou moins , tirer encore d'autres fons du même tuyau. Nous, aurons lieu d'en parler dans la fuite. Si nous fuppofons préfentement que le tuyau foit ouvert à fon extrémité , les Digitizedby Google DES Science S, 1761. 31J les vibrations s'y établiront comme dans le premier ; mais Tair n'étant pas obligé de fortir par la même ouverture , il s'éta- blira au milieu un point où elles feront détruites les unes par les autres, & qui Jfera véritablement en repos. On peut donc coniidérer , félon M. Bernoulli , ce tujau comme compofé de deux tuyaux bouchés , la lame d'air refpec- tivement immobile faifant Tqfiet d'une féparaïion ; or ces deux tuyaux feront de moitié plus courts que le tuyau total , que nous avions fuppofé égal au tuyau bouché de l'article précédent , ils don- neront donc un ton d'oine oâave plus haut ;•& comme ils font deux qui con- courent ^ le produire , le fon en fera beaucoup plus fort & plus éclatant. Puifque le tuyau d'orgue rend un fon mufical , il faut néceffairement qu'il s'y iétablifle non-feulement des vibrations uniformes dans toute fa longueur , mais d'autres partiales, qui , uns interrom- Îre les premières , puiffent exprimer es fons harmoniques ; & fi ces, vibra- tions partiales font quelque peine à imaginer , nous prions le Lettetlr de vouloir bien fe rappeller qu'une corde de viole , dont on touche avec l'archet fiï/î. //ôa. Tome I. O Digitizedby Google Jl4 HîSTOIltEDEL'ACAD. ROY. l'oâave ou la qumte , les fait voir dlf- tioâement à l'œil. Il y a piu$ % ctsfoos harmoniques U feront enliendre {euls> fi on le veut > ea 6mboiickaat le uiyau d'une maaière dif- férente ime âatce travetfière , dont M. Per nouUi teimit tous les trous bouchés^ îjUi a fait entndre par le feul change^ ment du vent & de la iBanière de Terni- boacher tes fons harmoniques du ton qu'elle donnoit oatiu-ellement dans cet état 9 & 9 ce qui eft bien digne de remar^ que , oane peut en tirer d'autres. Vokî QOfan>ent M BemouUi explique ce fia gulier pbénotaèûe. Il imghie que dans la cîrcotiftaiHre dont nous venons de parler , l'air eâ mis en vibration à la vérité dans tout b tuyau 9 mais d'une façon bien diflferente de celle qui eft liéceffaire pour produire le fon principal ; dans ce dernier cas ^ les vibrations fe font toutes ea mène fens ou t6ut aa plus en deux fens diffé- tens il ne peut donc s'établir qa^a feul point de repQS^ comme nous Tavons dit en parlant du tuyau ouvert , mais dans le cas des fbns harmoniques , la longuetur du tuyau fe trouve partagée eo plttfietus parties , telles que ces fcms yGoo^e DES Sciences, 1761. 3 1 ç Pexîgent , Scies vibrations de la première fe feront toujours en fens contraire de celles de la féconde , celles de la troi*^ fième en même fens que celles de la première , celles de la quatrième comme celles de la féconde ; il 7 aura donc entre ces vibrations , qu'on peut nommer pofitivts & négatives , des points où elles feront zéro , &^ oï\ par cohféquent Tair fera totalement en repos 9 fans contrit buer en aucune manière au fon aufli M. Bernoulli a t-il remarqué qu'en per» çant le tuyau dans ce$ endroits > on n'altéroit point lefonrgue , fe trouve donc , par l'ingénieufe hypothèfe de M. BernouUi, réduite au même fyftême .& prefque aux mêmes loix que celle des cordes fbnores , &c il ne s'agit phis que d'examiner for ce principe toute la marche de ces vibrations invifibles par elles-mêmes , mais auxquelles il a fu donner par cette analogie , s'il m'eft permis de m'exprimer ainfi , un corps qiii pût être faifi &c déterminé par le caU çiû j il va jufqu'à déterminer ce. qui c Digitizedby Google DES Sciences ; 1761. 317 pafleroit dans un tuyau fermé par les deux bouts s'il étoit poffible d'y exciter, un fon ; exemple bien inutile dans la pratique » puifqu'un tel tuyau ne pour- roit avoir aucun fçrn , mais qu'il étoit, cependant néceâfaire d'examiner , tant parce que la théorie des tuyaux ouverts , & bouchés par un bout découle immé- diatement de celle-ci 9 que. parce qu'il arrive quelque chofe de femblable dans les tuyaux fimplement bouchés par un boutiorfqu'on leur fait rendre les tons harmoniques , la dernière diviiion qui fe trouve entre le bouchon & le dernier point de repos étant précifément dans le cas d'un tuyau bouché par les deux bouts. 11 entre dans le calcul de M, Bernoulli un terme qui exprime la denfité de l'air & fon poids ; or. ROY. mais le chaud St le froid augmentant ou diminuant ce refFort , ôl' leqfuel in fmiffloit abfokment Ouvert , & ^atrs la pratiqtre il lie Peft pas -cette ext ^érnit^ tÛ prefque^emîifèremeftFt ffermée , & il n'y refte d*ouvettifre quece^qu^n nomme la lumière ou bouche du tuyau ce -chaHK gement en doh nécefi&iiemeftt apporter im dans le ton cjtiè i*ehd te tuyatt, ^ il s'agîflbit de le déter^ner. Pôinr tela, M. BemouHia pris une efpèce de'flafgeo- let fans trous , garfli^^n piftonqiri pou- voit entrer dedatiis & y êitie ^oufl[é jùf- " qu'à îa lumière ; tfe 'flageolet ainfi conf- ttuit , étdt un tuyau ^u;?ôft pouvoit em- ployer oirvert ou boûclié , & qui , dkn^ ce deirhîeir cas,^tcit ifufcéptîble de phi- fieuts tohs & de différentes longueurs» 6 il avoit depuis le milieu delà lumière jufqu'àfon extréttiit^u verte, foixante- Digitizedby Google huit Kgncs. Il Ta d'abord t&^yé fans le f>ifton , Se ayant bieù rem^qué le ton ^u'il dofikioit y il a enfoncé ie pifton idedans jusqu'à ce que Vinârinneat don* fiât le même ton ; le pfton éf ok alors à vingt-neuf lignes du mâieu de la hx*' fnière. C'étoit donc à cet ndrcàt tpie , fui van t'ce que nom avons dk d-'4keffas^ fe devoit faire èe nceud ou point de repos datis le tuyau brfijuïlétwrkouvert^ éc cette partie da toyati de vingt-vveuf lignes étoit exaâement à rumâcrà de lautre partie , qui en avoit trente-neuf. Or 9 £ on calcule , en vertu des hom- bres, quel ton la partie de vîngt-neuf lignes devwt avoir, on trouvera qu'elle aurok dû rendis un ton d^tne quarte plus haut que celle de treme^neuf îa iitmière Tarok donrc hk botiffer d'eine Quarte, maisi T»efare que les tuyaux 3 alongost cette différence diminue , en forte que dans les grands tuyaux d'orgue elle deviem phyfiquement nulle. Jufqulci nous n'avdns nécefTaires pour leur faire produire les différen$ tons ; mais après .cette détermination faite ,' il a voulu s'enaffurer par expé^ rience, if a pris une bouteille cyUn- drique à lon^ col » St ayant mis au fond la quantité d'eau fuffifante feule^' ment pour le couvrir ; il a foufflé dan$ l'embouchure ; & aérant bien remarqué le ion , il a calculé quelles dévoient être les longueurs du corps cyliadriqu^. de la bouteille , pour donner le$ autre$ tons de Toâave 5 & il les a marqués fiir le verre , verfant enfuite de Teau juiqu'à ce;^ tnarques^ il a foufllé à cna-^ que expérience dans Tembouchure .dr la bouteille^ & ^1 a vu que cette bou^ tfiU^, ainfi f^oeeffîvement raccourcie^ donnoit eflPeâivemént les tçps déâgnéS au£ parfaitement que ^irrégularité du verre le pouvoit permettre» Jufqu'ici nous avons cQiiûdéré 1^^ t^y au comm^ ouvert par lejbaut & fermé p4r4e bps 9 or les tuyaux decetteefpèçe ii>ntxu verts par les deux> bouts, puif-^ qijte la>ouc;he ou lttmîèiï€if^Ie}ir pet^ l^^i^ y Google 3X1 HlSTOlAE DE L'ACAD. KOY. d^une euremire. £n introduiûint cette circonftance dans^ le ^Icul , & ayant égardil^aboifîeineQt de ton que caufe k bouche fobftituée à la pleine ouver- ture , il parvient à trouver la pofi^ion étt itiaphragme ou point de repos et leor propoi*ûan avec un tuyau cylm* d^ique otivwr ^i donneroit le même ton nous èiffohs leur propdhion , car le tuyitu à cheminée ne Hfera xamaîs^uffi long que le tuyiu fimple ouvert , ni û eeruit que le tuyau bouché ,41 participera à toiis deuiK ; & le fon qu'il rendra » ûsrz auâî ftioins ^éclatant cpae celui du tetym oui^ft , & jphis que ^ehii da my^u bouobé de mdtfie ton M. Ber^ noulK a en la fetisfaâion de voir ion ceikvA t^àner parfâ^femcfnt avec la com- paraîfon qu'il afàite & la nature de ces ventres efttelle, qu'on pourroit couper le tuyau dans quel ventre on voudroit , ans que chaque partie changeât de ton, pourvu qu'on ménageât le fouffle de façon à hii faire prendre toujours le même nom- bre de nœuds qu'il avoit ces ventres > dans le tuyau cylindrique , font toujours 9u milieu de Tefpace compris entre deux ppeuds ; mais ils ne font pas placés de même dans le tuyau conique^ M. Ber^ nouUt cherche dtonc à déterminer la Eoûtion des uns & des autres , & voict is réfultats de fon calcul , confirmés prefqu'en tout par Texpérience. Tout tuyau conique ouvert eft à l'unif- fon d\in tuyau cylindrique auffi ouvert & à- peu- près de même longueur. . Les tons iucceffifs , qu'on peut tirer d*un même tuyau conique , vont , en raifon des nombres naturels, comme dans le tuyau cylindrique. On peut , comme nous Pavons dit couper un tuyau conique à tous ces ventres ^ cVâ-àdire en parties é^ales^ 9- Digitizedby Google 9ES Sciences , ij6%. }2f fans que chaque partie change de ton & cefle d'être à Funiffon. Lorfqu'on fait rendre au tuyau des tons plus hauts, ou, comme M. Bernoulli les nomme , d'un ordre plus élevé , les diftances entre les nœuds deviennent feniibrement égales ^quoiqu'elles foient très-inégales dans les ordres inférieurs ^ tandis que les ventres font toujours éga* lement éloignés pour tous les ordres , différence eflentielle qui caraâérife le tuyau conique & le diftingueducylinf drique ; enfin le tuyau conique fera tou- jours un peu plus long que^ le tuyaii cylindrique de même ton. La manière dont fe font les vibrations dans un tuyau conique conduit néceflat-r rement à expliquer l'effet des porte- voix & la propagation du fon les porte-voix l'amaffent , pour ain£ dire, en un point la voix qui fe répandroit fans cela dans toute une depiî-fphère ^ mais fi on veut en tirer avantage , il faut que la voix foit, pour abûdire, d'accord avec Iç tuyau ; obiervation néceflaire auiE aux jeux d'anche , . qui ne rendent pas la moitié du fon qu'ils devroient rendre quand le ton d? l^anche n'eft pas pro*» portionoé à la longueur du tuyau auqu^ il eu appliqué. Digitizedby Google }i6 Histoire de l'Acad. rot» Puisqu'on connoît la manière dont fe font les vibrations dans lesmyaux coni^ qucs , on peut regarder tout rhémif- phère oppoié aux corps fonor es comme partagé en une infinhé de tuyaux coni- ques infiniment aftongés& dont la pointé vient ovohtwa^f5CW^>h*iïimi?fii- rer aôuelléinent , & ce fei»a'tfne oblîga- tbn>que lui ^ifrom à jiatwais tousceofx qui "toodiront travaiit^ iur vetie^arti^^ de l'Acouûique Digitizedby Google ji8 Histoire de t'AcAb. rOt^ MÉCANIQUE. Sur une nouvelle efpice M Pijtons^ 1^'UTILITÉ des pompes dans une inanité de circonftances a fouvent en- gagé les Mécaniciens à faire de ce$ machines Tobjet de leurs recherches & à tenter tous les moyens poffiblespouj^ les perfeâionner. De toutes les parties d^une pompe j le piih>n eft peut-être la plusefientielle ; auffi n'a-t-t>n jufqu'ici négligé aucUA travail pour donner à cette partie de hk machine une conAmâion qui le rende folide y exaâ & facile à mouvoir ^eft à. quoi nt tendu jufqu'ici les travaux des Mécaniciens nous jallons bientôtt voir avec quel fuccès» Les pifton» des pompes font en gêné* rfddédéuxefpècés, les tm9n nomme fans frottement^ & les autres qui frottent* téelleiaent contre les parois au corps de pompe» ^ On n'en connok guère que-trois de Ia> pf emière efpèce ; le premier reft coinpofé d'un cylindre de cuivre, ayant au moins une hauteur •double^ diamètre^ âi Digitizedby Google DES Sciences, 176^. 329 bafç ce cylindre doit être, à très-peu près > du même diamètre que l'intérieur du corps de pompe qu'il doit prefque toucher par-tout fans frotter nulle part. On juge bien que ces deux, pièces ne peuvent être travaillées avec tfop de loin û on veut qu'elles produifent leur effet , & que cette efpèce de pifton doit réûAer aufli très-long-temps à l'aâion des liqueurs acres qu'on peut taire éle- ver à la pompe ; c'eft pourquoi on l'emploie aux pompes qui fervent à élever de la leffive , dont l'aftion aurok bientôt détruit les cuirs des autres pi^ tons, dont nous parlerons ci-après , & cette efpèce ;dg pon^pe en a retenu le nom Mpo^pe^À /^^v^, f^us lequel elle eft connue. - .j . t ; Comme le pifton de cette pompe» ne touche pas exaûement le corps de pompe , U y a néceflairement entre deux un vuide très-petit à la vérité ^ mais par lequel l'eau s'échappe en une quantité d'autant plus confidérable , que le poids de la colonne qu'elle foutient cft plus grand, & c'eftce qui empêche d'employer ce pifton , quoique fan^ frottement, dans les pompes qui doivent élever l'eau un peu haut, il s'en perdroit une trop grande quantité on peur Digitizedby Google 330 HtofRt Dt l'Acad. rôy. même âifém^nt fe convaincre ^ue dans les médiocres hauteurs , cette perte eu fenfible , car en connoiflant le diamètrte du corps de .pompe & la levée du pifton 9 on peut aifément centre deux cuirs circu- laires > qui lui permettent de s'élever & de s'abaiâer d'une certaine quantité , nHifis il eft évident que ces cuirs , plies altetnativeiïiênt d^n i'ens& de l'autre, doivent fepompe d'autant plus exaâement que la colonne d'eau eft plus ' pefante. Cette conftruôîon ne laîfferoit rîen à' éefirer , fi à la {implicite dont elle jouit elle joignoit la folidité , mais il arrive prefque toujours que le poids de la colonne d'eau, foiitenue par le cuir, ou le renverfe ou détache les clous qui le joignent au pifton ; alors l'eau n'ayant plus rien qui la retienne , s'écoule & rend la pompe inutile d'un autre côté, les clous fortis de leurs feuillures rayent avec leur tète le corps de pompe , &C cela d'autant plus facilement , que le bois étant plus petit que le tuyau , rien ne l'empêche de fe jetter plus d'un côté que de l'autre , félon que le déplace^ ment de cuir , qui n'eft jamais égal tout autour , l'y loUicitek ' C'eft ce qui a engagé M; Deparcteur à chercher une conâruâion de pifions , qui eût les avantages de celui-ci faiil^ en avoir les îûcoovénieos c celui qu'il Digitizedby Google D ES s CI EN C ES, 1762. 355 propofe n'a point. le Ce piftoQ eft compofé de deux pièces de cuivre ou 4e fer £Adu , qui , jointes çnfemble par la^verge de ter qui les çnHle toutes deux , forment un corps à ped'près cylindrique , à\\n diamètre un peu plus petit que celui du corps de pompe ; nous difons à peu-près cylindri- 5ue , parce qu*il va un peu en dépouille ^ c que la bafe inférieure efl; plus petite flue la fupérieure ce cylindre eft percé , ^lon fa longueur , de trois ouvertures , par lefquelles Teau peut aifément pailer lorfqu'on abaide le pifton ; mais lor^ qu'on le remonte , une pièce de même métal , garnie de cuir en dcilbus, & qui peut fe mouvoir de haut en bas le long 4e la verge de pidon ^ dans laquelle elle eft enfalée j s'applique fur ces ouver- tures k intercepte le retour de l'eau qui fe trouve au-deflus du pifton avec d'autantplusd exaâitude que la colonne {ç trouva plus grande. Entre les deux pièces qui compofent le pifton , fe trouvent ferrées deux autres partie; deîlinç^s à touchf^r le .corps /e Digitizedby Google 334 Histoire i>e l' pompe , Tune eu une rondelle de plomb dont les bords , fondus exprès , s'appli- Îueat fur la furface extérieure du cyîin- , rc , & y forment une large bande qn'oa rend du m^me diamètre que le corps de pomp^ 9 en l'y faifant entrer un peu à force, & Vy faifant aller & venîr à plufieurs reprifes cette pièce eft defti- née tant à faire mouvoir le pifton paral- lèlement au corps de pompe , qu'a ou- tenir U féconde pièce dont nous allons parler. Elle eft compofée d\ine efpèce de taile de cuir fort, dont le fond eft évidé i^ux endroits qui répondent aux ouver- tures intérieures du pâfton 3 Se dont les bords embrafTent , en fe relevant , la ftirface extérieure du pifton ; c'eft ce cuir qui , preffé parla colonne d'eau que le pifton enlève , s'applique exaâe- ment contre le corps de pompe, fans y frotter au-delà de ce qui eft néceflaire pour que le pifton foit fidèle Se fafte ion effet on volt aifément que , par cette conilruâion , l'eau ne peut ni le détacher, parce qu'il eft d'une pièce, ni le renverfer , parce qu'il eft foutenu en de0bus par le plomb & n'a pas aftez d'efpace pour fe retourner ; on fait prenc^re au cuir cette forme > en le Digitizedby Google DES S C lE N C ES, 1762; ^35 * mettant coût iBOuiUé dans un vaifieau fait exprès , & Vy afliijettiflant avec un morcçad 4e bois tQuroé pour cet elfFet. Ce pîftoii , confime on voit , conferre tous les avantages de. celui auquel M. Peparciaux U iubftîtutt» fans avoir aù-^ çun 4 Us défauts ; il eâ vrai qu'il coûtera iia pw plus^j mais fa durée & ion exa^^ude ind^nniferom bien de ce peut excès de déf^nfè ; & comme il fe démonte avec la plus graod^ ^ciUté , il fera toujours aifié de réparer celle de fe$ pièces qui fe feroi^déraagpe^ Ceft ré- fou4re^ iMi proWéif^ de cette epèce dans tOHte foa étendtie , que d'allier cnfemble, en pareille matière , la précî- fK>n des eiet$ ^ la folidit^ de la pièce qui h$ opère & la facilité de la réparer en cas d accident. jL^'ÂCADéMiE, en rendant compté aU Public, dans l'hidoire de l'année der- mère , de la publication de fon travail for la defcription des Arts , s'étoit enga- gée à lui annoncer chaque année les Arts dont la defcription auroit paru ; c'eft de cet engagement qu*elle s'ac* qiHt;te ici pour ânidrela miné , de la; februpie- des' mmdes deftif nés à formet k$ diâérens obvrages de fonte de fer 9 & df^ijptécautions nécef* foires pour côulen'ces cwv^i^es on, y afdnûrera TartifVvççJbqueloa^ efl paryefta D&tizedby Google »£s &CIEKCES ; tySx 5J§ à tnénager L'aâion du feu prefqu'à vo- lonté, par ladifFérenteconilruâiondes fourneaux , les différentes manières d'y porter le vent néceffaire pour en aug- menter Padivité , & enfin TinduArie avec laquelle on eu. parvenu à former avec de la terre des moules aflez précis pour y couler des chaudières & d'autres pièces auffi minces , fans qu'il fe trouve dans leur épaifleur d'inégalité fenfible* La féconde eâ une traduâion faite par M. Bouchu, du Traité du fer, écrit ea iatin par M. Svedemboi^ cet ouvrages l'année , le nom du mois oîi l'on fe trouve & le nombre de jours qu'il contient, le quantième du mois, celui de la Lune ^ la lettre dom^ P3 Digitizedby Google ^4^ Histoire de VAcjld. roy. nicale , Tépaûe , le nombre d'or , It cycle folaire , la phafe de la Lune y le levée & le coucher du Soleil pour Paris ce lever & ce coucher s*y marquent même d'une façon fmgulière ; comme le rouage qui entraîne l'image du Soleil ne pourroit la faire pafler en trois minutes lous la pièce 'qinrepéfente l'horizon^ \\n petit rouage qui le détend alors , fait élever dans ce même efpace de temps une ailette qui couvre le Soleil & en fait retomber le matin uneautre à Pheure du lerer 4u Soleil à IHnftant que le Soleil de la pendule fe couche , il s'ou- vre dans toute l'étendue du load bleu qui repréfente le Ciel^ quatre-vinçt- wx petites ouvertures , par îefqueiîes fortent auatre*vingt*dix petits briilans qui reprefentent les étoiles. Comme le mois de Février eâ tous les quatre ans de vingt-neuf jours j une étoile à trois Tayons , & qui n'efl en prîfe que de quatre en quatre ans, fait avancer le len- demain du 18 ne petite languette quî le recouvre & qui porte le chiffine 29* La manière dont les années font mar- qués par cette pendule , n'eftpas moins curieufc ; T Auteur y emploie quatre cer- cles f chargés chacun de dix chiffres ; >eelui des unités avance d'une divifioa DigitizedbyGoOgk DES Sciences; 17^2; ^4$ tous les us , & loriîqu'il a fini on tour, il fait pafler une de celles du cercle des dixaines , celui-ci en fait autant .pour celui des centaines y & ce dernier pour celui des milles ; en fortfe que cet affeœblage peut marquer jufqu'à ^sn 9999 > temps auquel rhorlo^e rie fubfif* fera certainement plus depuis long- temps. On a cru cue tous ces diffiérens eâets y doat plofieurs font ou nouveaux ou exécutés aune façon iïouveUe,/pt-ou- yoiem dans l'auteur une grande tnteUi fie P4 Digitizedby Google Z' f44 Histoire de l'Acad. rôt. l'Académie a cru que fon appUcatîotf aux pendules de cette efpèce ne pouvoii qu*êtreutHe. * riL ' , Un Moulin koriiontcd^ propèfé par le fieur Beurrier , Machinifte ordinaire de S. M. le Roi xte Pologne Diic de Bar ce mouHn a ^ comme bs moulins à la jjolonoife ,4e grand avantage d'être toujours tourné au vent dequekjue côté qu'il vienne; le paflage de Faile deJa pbfition venicale oîieUe pi^nd le vent, a la fituation horizontale oii elleceâede le prendre, s'y fait avec beaucoup de douceur & de facilité* Quoique cette confiruâibn ne paroiiTe pas pouvoir être appliquée fans inconvénient aux mon^ Uns ordinaires, à ca^fe de la longueur de leurs ailes, oui, en faifant plier les volans j gêneroitleur mouvement, ôii a cru qu'elle pouvoitêtretrès-bîen appli- quée dans tous les cas oît la longueur des volans feroit médiocre , comme lorf-^ qu'il s'agira de faire mouvoir un venti- lateur ou ufte petite pompe , cette efpèce. de mouKn n'exigeant d'autre foin que celui de proportionner la toile des ailes à la force du vent. V Un nouvU Injjlrumcnt d^ mu^ut m Digitizedby Google ' DES Sciences^ 1761. ^45 clavUty monté en cordes à boyau , préfenté par M. le Gay les cordes y font affu- }etties fur un cylindre creux qui en fait le corps 9 & elles font mifes en jeu par une roue de bois garnie de crin à fa circonférence y qu'on fait aller avec la pied & qui leur ferttl'archet à peu-près^ comme la roue d'une vielle^ mais avec cette différence que les cor4es de la vielle portent toujours fur ta roue , ati lieu que celles du nouvel inftrument n'y portent que quand une petite pièce , qui répond au clavier , les oblige de s'eii approcher lorfqu^on baiffe la touche qui repond à chaque corde , ce qui donn^ la facilité de tirer des fons plus ou moini forts. L'auteur a joint à cette machine un clavier de pédale, qui va par les mêmes moyens , & un fécond clavier , qui répond à un autre jeu de cordes à boyau, placé fur lé même cofps d'ini^ trument, & dont il tire lé fon, non en fe fervani de la roue , mais au moyea de fautereaux garnis, au lieu de plume ^ d'un petit morceau de cuir dur , ce qui produit un fon afle^ approchant de celui du téorbe ou de la guitare; l'harmonie de cet inftrument eîl agréable & reflem^ ble à un concert de parties de viole ; j^Ue pçutfliême être extrêmement variée; Digitizedby Google 54^ Histoire de l^Acad. rot. i>ar les différentes manières de touckef e clavier cet inftrument a paru ingé- nieux & mériter les efforts que Fauteur èft dans le deflein de faire , pour lui donner toute la perfeâion dont il eft iufceptible, V. Um notivelU manUre , propofée par le fieur Challier, Maître Aquebufier ^ éTaffuJenir fur U fut la plaànt des armes à feu , &fur'tout celle dcsfufîls de chaffe^ au moyen de laquelle on peut , en prenant un bouton 5 oter en un infiant la platînt entière & la remettre avec la même prompd^^ tude. On fént aflez l'avantage de cette Conftruâion i tant pour mettre la platine à Tabri > en cas de pluie» que pour pré venir des accidens qui n'arrivent que frop fouvent ; un funl étant abfolument liors d'état de tirer quand il eft privé de fa platine 9 qu'on peut lui rejoindre toujours en un inftant lorfqu'on voudra h mettre en état de fervir. * VL Dts Rames i tufage des galhts & èt$ ^aiffeaùx , propofées par M. Babut elles font placées verticalement hors çlu vaiffeau ; elles fe meuvent parallèlement à la quille ^ pour donner te coup de Digitized byGoOgle DES Sciences ; ij6t^ 347 t;^e , 6c enfuite perpendiculairetienf à Secrétaire de TAcadémie Impériale de Pétersbourg;, Correfpondant de TAcadémie. Obfervation des trois Êclipfe arrivées en 1762^ faite à Leyde* Par M» LuUofs, Correfpondant de l'Académie. Obfervation de TÈclipfede Lune du premier Novembre ijôx^faiteàRouen^ par M, Bouin , Correfpondant de TAca- démic, , ^ ' , s?' Digitizedby Google , DES Sciences , 1761; ^55 JL'A c A D É M i £ avoit propofé pour te fujet du Prix de 1761 ; Si [es Planhcs fi meuvent dans un milieu dont la réfi^ance produife quelque effet finfible fur leur mouvement ! Elle a adjugé ce Prix à la Pièce n. 6 > qui a pour devife . Quâ vî per faciks volvantur fidera Cahs, dont TAuteur eft M. Tabbé Boffut , Pro- feffeur royal de Mathématiques de TÉcole du Génie à Mézières, & Corref- pondant de rAcadémié. Cette qui a paru en approcher davan* tage eft la Kèce n?. i , qui a pour devife ffac fuper impofu'u li^uidum & gravuate carentem Mthcra ncc quidfuam temna facU habentem. ^ L'Académie à cru pouvoir citer cette Pièce avec éloge , comme remplie d'ex- cellentes recherches. Celle qui a paru approcher davantage des deux [précédentes ^ eft la Pièce n^. 2 ^ dont la devife eft ;....'. ; ; ; ^ . ^ r . . Curfws JBthcreos patitur vaflum per inane movcri* Digitizedby Google 354 HiSTOIRE 0E L*ACAD. ROT. ELOGE De m. l^Abisè de la Caille. JN icoLAS • Louis de la Caille ; Profeffetir de MatJïcmatiques au Col- lège Mazarin , des Académies Royales des Sciences de Park ^ de Péter^>0irg » de fiologne & de Gottingue ^ naquit à Rumigny, près de Rofoy en Tîérache , le 15 Mars 1713^ de NîcoIas-LouJs de la Caiîle & de Barbe Rubuy, tous deux alliés à plufieurs familles anciennes & diÔinguées du Laonnoàs. Son père ayoit lérvi d'abord dan la compagnie àes GmdanMs dt la tSïfdt , ^ fait enfnite plufiears cmpi^es dims f ATtilterîe î ce ait dans ime de 58 HiSTOIREc ]>E CACAO. ROT. connoiflbh rimportance. Pour ménager^ autant G[u'ii étoit poffible, le temps dei^ tiné à rinftruâion de Tes élèves, il com poi4 des Leçons élémentaires de Mathé- matique 9 dont il £t imprimer la première partie en 1741 & les autres fucceffîve- ment ces Leçons font extrêmement abrégées, eUes fuppoCeat les explica- tions de vive voix , pii en dévoient être comme Tame on pourroit les regarder comme deseipèees de cahiers imprimés^ 4ont il feroit bien à fouhaiter que Tufage s'introduisît àauas toutes les Écoles , on, y gagneroit un temps précieux y inuti- lement perdu à tranfcr'ire des leçons qp'on pourrjoit fe procurer aifémen^ par Ciette voîiJ. L'occupation que fournifibtt à M r^bbé dç la Caille on noviveau minif tare, ne lui avit ua avenir û brillaat i^ &i il y obûnti Digitizedby Google le de Mai 174 1 une pUc€ d'AdiMM* AftiOiH>aie , de laquelle il poib peu d*an9fées* après à celte d'Afltodé. ^ U ne* tarda pas à faire voir combien il étoît digae du qhoi^c de rAcadémie ;,il donna dès la même aimée un Memoùr^ iur TapplÎQation du eakuJ des^ diâettea? ce$ à la Triganpoiéme^phérique* RoffsJr Cous y célèbre Géomètre angipis^ avoât donné fur^ cette manière en 1716 un Ouvrage y intitule Mftimaùo crrommin mixtd Ma^tfi ; mais cet Livre, d'ailleurs affez rare>, éloit irès-difficilci à entendre^ M. rabbédelaCatUètiiadecetOuvra^ tout ce qui pouvoit avoir rapport à rAftronomie ; il f éclaircit > il en i^ndit Us formulesplus générales » 6 il eut Tart d6 les réduire aux fimples analogies du oilcul trigonométrique^ Par ce moyen ^ ii familier aux Aftronome^ , on peut » en £aifant fucceflivement varier les, ao^es & les côtés 9 reconnoitre fûcement ce qu'on ^ut avoir à cfaiinlre de chaque erreur poffible. Lesâ{>»les » d^oot Je mouvement eft ès-lent^ feiïvent pour ainfî dire atw A Aron^me&do points de reconnoiflance^ auxquels ilis comparent les mouyemeps ^s Planètes &c des Comètes rien n'eft donc plus important q!^ de fixer exèc^ Digitizedby Google "^66 HiSTiJIRt DE L'AcAD^ ftOY. temetit b pofition de tes points & d'en augmenter le nombre , ou , ce qui eft Ja même chofe , d'en conftruire un Cat^ lalogue esStaâ & complet pour y par- venir , M. l'abbé de Caille imagina de partager toute retendue du ciel vifible en bandes parallèles à TÉquateur , dont la largeur n'excède pas la largeur du champ d'une lunette de huit pieds. Il détermine avec tout le foin poâible , par les règles ordinaires, la pofition de deux ou trois des pkis belles étoiles comprifes dans chaque bande. Cela fiait , en fi^nt la lunette dansquelqu^en- droit , de manière qu'une des étoiles du milieu d'une bande parcoure un de fes fils , cette lunette devient un infiniment iuffiiant pour* déterminer la pofition de toutes les étoiles de cette bande , ^ il cft évident qu'on ne peut , par ce moyen , omettre aiicune des étoiles de cette bande, qui pafTent nécelTakemeni tou- tesr par l'ouverture de la lunette ^ & oue la même opération , répétée autant 4e fcis qu'il y A de bàfndes^ns l^endue du Ciel 9 donnera , fans aucunes autres înftrumens qu'une lunette & une pen- dule j un Catalogue des étoiles viables âuflî exaâ &c auffi complet qu'il ibit jpoffiblede l'avcûr^ Nousvçrronisbjemôt Digitized by VjOOQIC DES SciEKCïS^ iy€i j6t quel parti il a ûi tirer de cette méthode û iimple & fi facile. Il pofledoit en effet Tart précieux de amplifier les méthodes & de faciliter la Solution des prdilèmes les plus-difficiles* -On a de lui^n moyen fi facile de déteri^ sniner la pofition de l'apt^ée du Soleil xm du point oii ileftlèphiSiébigné de là Terre, qu'on a lieud*être étonné qu'il ne ie foit pas préfenté le prieoûer^ Il ^voit remarqué que le grand axe de rellipfeétoit la fieule tigae paiTaot par le ibyer qui partageât l'eliipfe en deux égalemeirt !,.& ,que les inéjgalitésdit mouvement ule la planète etoîent; de chaque côtelés mêmes avec des fignés contraires; d'où iL fuit que cette ligde efl la feule qui déteritiine deux poiiltS^ tels que. iai planète mette, autant de temps à aUer.'d'timde ises^points à Tautre xju'elle eh met il reéourner dcrcé fecemi au premier; il tiré de^^làim moyeti exr trêmement facile d*avoir la pofitaon de l'apogée 5 ea examinant avec foio les deux points éloignés de fix fignes , entre lefquebUe mouvement du &leil a été préciiGément égalde part & d'autre, & il fiiit voir parades rarfoanemens; afiro^^ domiques & par des exemples 9 que ce moyen eft fufceptible dans k pratiquai Jiiji. lySz. Tome A " Q Digitizedby Google j^a HferoiRE Di l'Acad. Roy. d'une ptédâon au moins égale à celle des méthodes qui . àToîent paru juf- qu'alors. Un autre Ouvrage de M. Tabbé de la Caille , auffi utile qu'aucun de ceux •dont nous venons d^ fatrler^ eft le Mé^ inoirè ^ ou , pour parler jplus ^ufle , le Traité des Projetions auronomiques^ qu'il donna à 1 Académie en 1744. On ^it depuis iong^teoips de quel ufage font dans TAffaronomie ces repréfenta- tions régulières dé lafphère'furuoplan^ quVm nomîne prùJôSii^ns ; oniaYoit 4 1^ vérité des règles fûres pour les. former » mais ces xègUs changeoîént fiûvaiit la idiffiérente pofinonqu'onfdbnaoit à l'œiU & loriqu^on les . vouU»t. appliquer, aux 4&lîpfes de Soleil & dés étoiles parla ILiine , on étoit obligé de^ n^liger pltr* £eurs iléfliensc, dont ik cslicul auroit 4rendu la- méthode impraticable £1 on y V3ok eu ëg»d. M. iy>bé de la Caille rappelle toutes ^ees projetions à une r^le çommunte , fufcepiible de repré- fenter tous les Siemens avec la plus gfaïkle rigueor , & à Laquelle lef calcul d'applique avecune facilitémoireilleufe* C'eft gagner beaucoup en Agronomie tpie de diminuer 4a difficulté des calculs iorfqu^on ne peut en diminuer la quaiH Digitizedby Google JEES Sciences; 1762. 35^ tîté. H applique ces mêmes règles avec dçs exemples raifonnés , au calcul des éclipfes de Soleil & de celles des Étoiles par la Lune, & enfin à la correôion des Tables; tous objets importans fur lef- quels influe confîdérablement la facilita de fa méthode. On avoit depub long-temps imaginé de calculer la route des Comètes , dan^ n orbe parabolique qui diffère effeûi- vement très-peu de Torbe elliptique très-alongé , dans lequel elles font réellement leur cours , du moins pour la petite partie de ce cours qu'il nous eA donné d'obferver ce calcul étoit infiniment plus fîmple , que fi l'on eût pris la véritable figure de l'orbite; mais, malgré cette plus grande fimplî- cité , il reftoit encore bien des difficultés à vaincre ; il donna , en 1746 , une mé- thode fi fecile de calculer le cours d'une Comète, en fuppofant fon orbite para- bolique, qu'en employant un petit nom- bre d'ôbfervations & feulement ûx faufles pofitions , le calculateur le moins exercé , peut en moins d'une demi-heure en déterminer tous les élémens, & recon- noître fi ellen'eftpasune de celles qui ont été précédemment obfervées ; il y indique le$ attentions nécefiaires dans I9 Digitizedby Google 3^4 Histoire de l'Acad. roy, choix des obfervations , pour aflurerle fuccès de cette recherche ; & pour ne rien laifl^r à defirer fur cette matière , il en donna Tannée fuivante un exemple très-détaillé donner à une méthode utile un degré de facilité confidérable dont elle ne jouiffoit pas , c'eft fouvent rendre un auffi grand fervice , que d*en inventer une nouvelle. Tant d'ouvrages, & bien d'autres dont les bornes de cet ÊlQge ne nous per- mettent pas de faire mention , produits en fi peu de temps , fuflifoient certai- nement pour mettre la gloire de M. l'abbé de la Caile en fureté ; mais ce n'étoit pas la gloire qu'il cherchoit, c'étoit le propres de TAftronomie ; l'en- vie d'y contribuer le porta à entrepren- dre un voyage au cap de Bonne- Efpé- rance , dans la vue d'y vérifier , par des obfervations 'concertée* avec les Aftro- nomes de l'Europe , pJufieurs élémens împortans , comme les parallaxes du Soleil , de la Lune & de quelques pla- nètes, l'obliquité de rÉcliprique, &c» & de profiter de la fituation de ce lieu placé à plus de 34 degrés de latitude méridionale , pour obferver la pofîtion des étoiles du ciel auftral, & complé- ter le catalogue auquel il travalllçi^ Digitizedby Google DES Sciences; 1762. 365. depuis long-temps. Ce projet de voyage fut approuvé de T Académie & adopté par le Miniftère ; & M. Pabbé de la Caille s'embarqua le ai î^ovembre 1750, fuf les Vaîffeaux de la Compa- gnie des Indes , pour fe rendre au cap de Bonne-Efpérancey muni de tous les inftrumens néceffaires 9 des recomman- dations les plus prenantes & des ordres les plus précis du gouvernement Hollan- dois* Quelqu'intéreflant que puiffe être le récit de fon voyage , nous ne répé- terons point ici ce que nos Hiftoires en ont publié dans le teùxps ; mais ce que nous ne pouvons paflerfousfilenccc'eft Taccueil. qu'il reçut de M. Tulbagh, commandant du Cap , qui fe fît un de- voir de lui procurer tout ce qui pouvoit contribuer au fuccès de fes opérations ^ èc les marques d'eftime & d'amitié qu'il reçut de plufieurs autres Officiers 6c habitans qui s'empreffèrent non-feule- ment de le fâvorifer, mais encore de le féconder dans l'occafion l'Académie a cru , qu'au hafard même d'une redite , elle devoit leur renouveller ici le témoi- gnage public de fa reconnolffance. M. l'abbé de la Caille trouva au cap de Bonne-Efpérance , comme il l'avoit bien prévu ^ un climat dans lequel on Q3 Digitizedby Google* 366 Histoire de l^Acad. Rot. jouit pendant des intervalles de temps très-confidérables , d'une férénité d'air capable d'éviter à obferver , des Aftro- nomes moins zélés que lui ; mais il éprouva bientôt un inconvénient qu'on n'autoit pas aifément deviné , ce ciel fi ferein ne l'eft, du moins quant aux obfervations , qu'en apparence , & dès que le vent de fud-eft fouffle , ce qui arrive pendant près de la moitié de Tannée, les aftres éprouvent une augmen- tation de diamètre & un fautillement qui, joints à l'incommodité caufée par ia violence du vent , ne permettent prefque pas de déterminer leur pofition; L'adreffe de M. Tabbé de la Caille , & pour tout dire auffi , Thabitud^ extrême d'obferver , qu'il avoit acquife , lui donnèrent bientôt le moyen de furmon- ter cette difficulté; des lunettes plus courtes rendirent le fautillement moins fenfible , & la manière de les mettre à l'abri du vent , acheva de faire difpa- roître un inconvénient qui auroit pu faire perdre à un Aftronome moins intel- figent , la plus grande partie du fruit de fon voyage ; il s'appliqua donc fans re- lâche à déterminer la pofition des étoiles du ciel auftral , & on ne Taccufera cer- tainement pas d'y avoir perdu fon temp5 > Digitizedby Google DES Sciences^ 17^2; 367 quand on Êiura que , dans deux années de temps il en avoit déterminé plus de neuf mille huit cents , dont il a ^épofé le catalogue dans la bibliothèque deTAca*" demie riçhefie îmmenfe pQur TÂÛrono* mie , & qui pails de bienlointout ce qui avoit été fait fur cette matière ; il s'en fal- loit bien que toutes ces étoiles fuflent comprifes dans le petit nombre de conf* tellations^uibaks qu'on connotiToit ; Nf^ l'abbé de la Caille étoit en droit de les rafiembler fous des figures qui puiflent être un monument de fou voyage &c de fes travaux , ion extrême modeftie ne lui permit pas d'ufer de ce droit ; il^voit jconfacré fon voyage à l'utilité des Sciences , il leur confiera de même lés nouvelles conûellatioos' qui ne portent d'autres figures Sf d'autre noms que cmtx des inftrumens des Sciences &S, des Béaux-Arts ; un oubli de lui-même ii rare & fi modefte , mérite bien d'avoir place dans cet éloge , &c de former un monument à fa gloire. Jamais les honu mes n'ont plus de droit d'y prétendre , que lorfqu'ils négligent de s'affurer eux* mêmes celle quleft-dûe à leurs fervices* Pendant ce même temps les obfer- » vations néceiTaires à déterminer les pa* 6c dont les Afironomes d'Éu^ Q4 Digitizedby Google y68 HisTomE DE t'AcAD. roy; tope faifoient les correipondantes , n'étoîent pas oubliées ; mais M. l'abbé de la Caille voyant qtte tous les travaux mi avoient fait le pritieipal objet de ion vo5;rage ^ n'avoient p2L&y grâces^ k ion aftivité, rempli Je temps qui devoit s'écouler iufqu'à Tarrivéé àh vaifleau iur lequel il comptoit repafTer éû Eu^ rope, il emplc^a ce temps qui lui ref-» toit, à- un ouvrage qui ieul auroit pu fervir de motif à ion vojragé ^ ce fut à xnefurer ^i> degré du mérîdfien à ila lati-^ tttde du Cap; on mefiuréfous l'Equateur , fous le cercle polaire , ea France & en plufieurs autres endroits de l'Europe ;. mais on n'avoit aucua degré mefuré dans la partie auftrale du globe terreibe, &c cette mefuret eft devenue d'autant plus importante , qu'elle femble indiquer que les psutal* ièles de cette partie n'ont pas des rayons égaux à ceux des parallèles de latitude femblable du côté du nord paradoxe bien fmgulier, mais qui mérite d'autant pkïs d'êtreéclairci, que le petit nombra de triangles qui ont été émployésà cette meiure ; l'exaditude de M. l'aj^bé de la Caille, & l'habitude qu'il a voit acquife de ces fortes d'opérations , ne permet- . lent guère de erreur Digitized by VjOOQIC DES Sciences, 1761, 369 f^nûble dans fes déterminations ; ce fut à une occupation û digne de lui , qq'il employa le temps qui s'écoula depuis la fin de fes obfervations , jufqu'à Tarrivéé du vaiffeau. Ce navire arriva efFeâivement, mais il apporta à M. Tabbé de la Caille, des ordres de paffer dans les îles de France & de Bourbon 9 pour en déterminer la fituation j il favoit , & Ton ignoroit encore en France , que la pofition de .ces îles a voit été fixée avec la plus grande exaâitude par les obfervations que M. d'Après y avoit faites ; il nTiéfita cepen^ dant pas un moment à obéir aux ordres qui lui avoient été adrelTés» montrant» par cet exemple, avec combien d'exac^ titude on doit exécuter ceux qii*on re- çoit du Souverain qui fouvent peuvent avoir des motifs fecrets , très-difFérens de ceux qui paroiffent,,& qu'on ne doit jamais effayer de pénétrer ;.. ce voyage retarda de plus de deux ans , le retour 4e M. Tabbé de la Caille , & nous ne le yîmes'reparoître à nos Affemblées, qu'au Vnois de Juin 1754, rapportant de fon expédition, non les dépouilles de TO- rient , mais^ s'il m'eû permis d'employei;' cette expreffion , celle du ciel Auftral ,. avant lui prefque inconnu aux Afltona- Digitizedby Google 37^ Histoire de t*AcA0. rot. mes, & que la £nefie & rintatigable affiduité de es obfervadons venoieot de fou mettre aux loix de rAfironomie* Auffitôt après fon retour , M. Tabbé de la Caille fe hâta de rendre compte à TAcadémie de fon voyage y dont elle a publié la relation en 175 1 1 ; mais comme 11 n*avoit , à proprement parler^ qu'effleuré dans cette relation plufîeurs des objets de fes recherches , il fe réferva à les approfondir dans différens Mémoi- res qu'il lut par la fuite. De ce nombre font es obfervatîons fur les Nébuleufes auftrales qu'il diftin- gue en trois efpèces ; la première qui contient celles qui ne foi^ compofées que d*un amas de lumière difFufe , blan* châtre & femblable à une Comète foible, fansqiieue ; la fecapde compofée d'étoi* les affez voifincs pour être confondues enfemble à la vue fimple , mais qui paroiflent féparées , dès qu'eUes font ▼ues à la lunette ; ta troiftème enfin qui contient des étoiles véritables , mais entourées de cette nébulofité qui confti* tue feule la première efpèce* Ses recherches fur les réfraftîons AiP» tronomiques ^ ne font ni moins ingé-» Digitizedby Google - DES Sciences; 1764. 371 nîeufes , ni moins intéreflantes ; il avoit remarqué pendant fon féjour au Cap , que plufieurs étoiles qui paâfoient pro- che de fon zénith , ne s*éievoient à Paris que de peu de degrés , & que d'autres au contraire très-voifines du zx^nith à Paris , paroiffoieot au Cap très-proches de rhorizon ; il eft certain xju'en faifant abftraâion de la réfraétioa , les hauteurs des mêmes étoiles obfervées dans les deux endroits, dévoient if avoir d'autre dîfFérence de hauteur que celle de la latitude , & que celle qui s'y trouvoit de plus, étoit égale à la fomme de la réfraâion-au Cap & à Paris il ne s'agif-* foit donc plus que de partager cette fbmme pour avoir la réfraÔio» abfolue à la hauteur oii l'étoile avoit été abfer- vée dans chaque endroit ; M. l'abbé de la Caille enfeigne dans ion Mémoire à. faire ce partage ; il avoit trouvé de plus Se les diifféreqtes^ d^nûtés'del'aîr fai^ ent varier fenfiblem^it la r^ra^on , C^en fut aâ!e£ pour l'engager à conélruire une table de réfraâions , compofée de deux parties ^ la prenûère exprime la jréfraâioa oioyentie , due à cha la Lune^, ayant avancé depuis fon pafi^age par le méridien du premier endroit , jufqu'à ce qu'elle foit .arrivée au fécond ; mais quoique cette différence ibit fenfible , elle n'eft pas néanmoins fort grande ; elle n'eft guère en, nombres ronds que de 1 minutes par degré de longitude , quantité dont la plus grande partie pourrpit être ahfocr bée, tant par es erreurs qu*on com- mettroit en obfervant le lieu de la Lune , que par celles des Tables. M, l'abbé de la Caille , qui , pendant toute la tra ver- fée, avoit employé cette méthode , & prefque toujours avec fuccès , donna à Ion retour un Mémoire fur ce fujet , dans lequel il examine lies différentes manières jd'obferver en mer le lieu de la Lune ^, ou ^ Digitizedby Google 374 Histoire de l'Acad. rot. pour parler plus jufte , de le déduire des oblervations , & le degré de préci- lion dont chacune de ces méthodes efl fufceptible ; il y ajoute même en faveur de ceux auxquels la Trigonométrie fphé- rique ne feroit pas familière, line ma- nière de déduire , par une opération graphique , le lieu de la Lune des obferi- vations , fans avoir à crandre d'erreur confidérable ; & il réfulte de tout cet ouvrage , qu'avec le degré de perfec- tion auquel a été portée , de nos fours , la théorie de la Lune , un Obfervateur exercé à ce genre d'opération , peut obtenir la Longitude en mer à vingtr cinq ou trente lieues rharines près y avantage très-^grand pour la Navigation, & qui peut augmenter encore à mefure que les méthodes fe perfeâionneront. Au milieu de toutes ces occupations , M. Tabbé de là Cailte n^avoit pas perdu de vue Tes recherches fur la théorie du Soleil ; il favoit que cette théorie étoît tf autant plus importante , que les lieux apparens des planètes font tonjoursiitfec* fés de l'inégalité qu'y apporte le mou- vemem de la Terre ; il avoît donné vant fon départ deux Mémoires fur ce fujet y il fit enfin paroîtrè tn 17^7 , un Ouvrage intitulé , Jfironom^ fonid^^ Digitizedby Google DES Science S, 1761. jjt mtnta^ Ce Livre , fruit de plus de dix années d'obfervations & de calculs , a pour but de déterminer avec la plus grande précifion les lieux du Soleil &C la pofitton des plus belles étoiles du ciel , & principalement de celles qui ^ étant plus voifînes de réclipttque > font par cela mêmeplus propres à y rappor- ter les mouvemens des corps céleftes t il y donne toutes les Tables néceffaires pour dépouiller les mouvemens des Af- tres de toutes les inégalités qui leur font étrangères , il y rapporte fesobfervaiions du Soleil & des principales étoiles , tou- jours comparées à la claire de la Lyre & à Sirius; &L les précautions q^i'il a prifes^ pour en affurer l'exa^itude , il les avoit pouflëes jufqu'au point de ne conclure prefque jamais les paffages par le méri* dien que de douze ou quatorze hauteurs correspondantes, prifes devant & après ce paiTage , travail capable feul d'efirayer ceux qui n^ont jamaîls éprouvé ce que Tamour des Sciences peut faire entre- prendre. Ce font ces obfervations fi délicates qui fervent de fondement à t^ détermination des élémens de la théorie du Soleil; & il termine cet Ouvrage par les obfervations de la diftance du Soleil au zémth > faitesau cap de Bonae^fpé* ' Digitizedby Google 37^ Histoire de l'Acad. rot, rance &c à lUe de France , &c par une Table de cent cinquante afcenûons droi- tes du Soleil , déduites de fes obfer- vations. Cet Ouvrage ne précéda qe d'un an la publication de fes Tables du Soleil ; il en avoit pofé , pour ain& dire > les fondemens dans l'Ouvrage précédent il emploie dans celui-ci ces élémens avec la plus grande attention ; car il y pcHifle le calcul fufqu'aux dixièmes de fécondes , exaûitude qui , jufqu'alors , avoit été inutile , à caufe de Timperfec- tion des Tables ^ & qui ne ceffe de l'être que pat la précifion de celles-cir II en a extrêmement facilité le calcul, en imiU tipliant les époques & les Tables des moyens mouvemens , & en çonftruifant les Tables d'équation de lo minutes- en lo minutes; il y a joint des Tables de tous les petits dérangemens que les aâions de Jupiter ^ de Vénus & de la Lune peuvent» produire dans le mou- vement di> Soleil ; enfin , il y aaugmenré de trois chiffres les logarithmes de la diftance du Soleil à laTerre^ Cet Ou- vrage , fait avec tant de foin & de tra- vail , mérite d'autant plus d'éloges , qu'il devient pour l'avenir une bafe certaine de tous les calculs ^Uno^ témoignag^ç Digitizedby Google DES S CÏBNC E S, 1761. 377 authentique de ce que rAftronomîe doit aux travaux de M. l'abbé de la Caille Se à ceux de TAcadémie. La célèbre; Comète de 175 9 était un ï>hénonièine tropit^téreffant pour que M. l'abbé de la Caille pût négliger dç robferver ; il robferva en effet avec fon exa4itude ordinaire , & donna à l'Académie non-feulement fes obferva- tions , mais encore les élémetis de la théorie de cette Comète qui en réfut- toient il obferva de même les deux qui parurent en 176a, dont il déter- mina aufli l'orbite & les élémens ; mais il ajouta à la théorie de celle qui parut au mois de Janvier 1760, un morceaa trop intéreffant pour être paffé fous filence. apparente de cette Comète avoit été û grande que le S Janvier , jour auquel elle fut apperçue , elle parcourut en 24 heures environ 40 degrés ; à l'occafion de cette prodi- gieufe vîteffe , qui avoit perfuadé à beaucoup de perfonnes que la Comète avoit paffé bien plus près de laTerre que la Lune , il fit voir dans fon premier Mémoire qu'une Comète rétrograde pouvoit encore avoir un mouvement apparent plus rapide ^ en fuppofant feu- lement qu'elle pafsât à peu^près à la dif*; Digitizedby Google 37S Histoire de l^Acad. rot; tance de la Lune à la Terre; qu'il étott poffibley en ce cas, qu'elle parût aller auffi vite dans le ciel qu'un homme qui iroit i très- grand pas fur le Pont-neuf paroîtroit aUer à un fpeâateur placé fur le Pont-royal , efpèce de paradoxe aftronomique, que les démonftrations de M. Fabbé de la Caille prouvent cependant avec la plus grande certitude. Onn'imagineroit pas aifément qu'avec la multitude d'Ouvrages fords de fa plume 9 il trouvât encore le moyen île travailler à ceux des autres , c'eft cependant ce qu'il a fait plufieurs fois. Le P. Feuillée avoit été envoyé en 1724 aux Canaries 9 pour déterminer plus pré- cifément la pofition du premier méridien à l'égard de celui de Paris, & il avoit dépofé à rAcadémie la relation de fon voyage, qui étoit un affez gros in-folio ; mais ce Père n'avoit corrigé fes obfer- vations que d'après les élémens connus de fon temps. M. Tabbé de la Caille en a refait tous les calculs d'après les élémens connus aujourd'hui; il a fupprimé tout ce qui n'intéreflbit ni la Géographie ni l'Aftronomie , & a donné tout l'effentiel de ce voyage en un feul Mémoire , au- quel il a joint une Carte'de ces îles. L'Académie pOfTédoit encore un tréfor Digitizedby Google ©ES SCIÉKCE^; de cette eipècc dans les Journaux du voyage de M. de Chazelles dans le Levant , oh il avoit été envoyé par ordre du Roi. Comme il étoit mort fans avoir pu mettre en ordre tous fes papiers , ils étoient denreurés en quel- que forte inutiles M. Tabbé de U Caille entreprit de les débrouiller; il en fit un extrait fidèle , auquel il joignit la notice ^e quelques autres Ouvrages du même Académicien, que l'Académie avoit en manufcrit cet extrait & cette notice font imprimés dans ce Volume. Ce même Volume contiendra encore ITiiftoire d'un pareil travail de M. Tabbé de la Caille M. le Duc de Laval trouva à Caffel le Recueil manufcrit des Ob- fervations de Guillaume , Landgrave de Heffe ; le zèle qu'il avoit pour l'avan-* cernent desSciences, l'engagea à remettre ce précieux dépôt à l'Académie ce fut encore un fiircroît d'occupations pour M. l'abbé de la Caille, qui les examina toutes & en donna la notice la plus détaillée. La notice d'un Ouvrage de cette efpèce eft prefqu aufli utile que l'Ouvrage même, quand il eft dans un dépôt où Ton peut le confuiter à toute beure. Nous avons dit dans l'Eloge de M. Digitizedby Google 38o HrsTOiRE de l^Acad. roy. Bouguer, que on Traité d'Optique fur la gradation de la lumière n'avoit été donné à rimpreflion que très-peu de ours avant fa mort , M. Tabbé de la Caille , qui avoit toujours été uni avec lui des liens de reilime & de Tamitié ^ prit de cet Ouvrage , demeuré pofthume, îe foin le plus affidu y & c'eft à ce foin que le public en doit la publication il a encore depuis donné une féconde édi- tion abrégée du Traité de Navigation du même auteur , dans laquelle il avoit rangé les Tables de finus & de loga- rithmes dans une forme fi commode , que le public Mathématicien a defiré de les avoir féparées & qu'on en a tiré beaucoup d'exemplaires à part. Il avoit offert de féconder M. de Flfle dans le travail du Dépôt de la Marine, &cela dans la feule vue d^être utile & fans de- mander aucune récompenfe ce zèle il défintéreffé lui attira de M. de Machault alors Miniftre de la Marine, la lettre la plus flatteufe & la plus honorable. Tous ces travaux ne prenoient rien fur dès que le bien de TAf- tronomie ou celui de F^adémie exi- geoient au'il quittât ce Cabinet , dans lequel il etoit fi utilement occupé. Lorf- que TAcadémie jugea à propos ' en Digitizedby Google i>Es Sciences ^ 1761. 381 1756 i , de faire mefiirer la bafe de M. Picard , il fut un de ceux qui prirent le plus de part à cette laborieufe opéra- tion les obfervations n'étoient jamais interrompues; &c indépendamment de celles qu'il communiquoît régulière- ment tous les ans à F Académie , il en faifoit encore d'autres relatives à fon Catalogue d'étoiles il dormoît à peine trois ou quatre heures dans de certaines nuits ; il a avoué à Tes amis qu'une nuit du dernier hiver il avoit été trois heures de iilite couché furie dos pour obferver des Étoiles proche du zénith, & qu'il s'apperçut feulement enfe relevant qu'il avoit été faîfi par le froid, A la fin fon tempérament , quoique robufte , fuccomba fous tant de fatigues; ilfutattaquéle vendredi 15 Mars der- nier d'ime fièvre maligne , de laquelle il mourut le %i , après avoir donné toutes les marques de la piétç fincère & folide qui avoit toute fa vie fervi de règle à fa conduite* Il étoit d'une tpîlle au-deflus de la médiocre , férieux &c froid avec ceux qu'il ne connoiffoit pas , mais fe laiflant aller avec fes amis à une gaieté douce . Digitizedby Google 38i Histoire de l'Acad. rot. & tranquille , qui peignoit toute la féré- nité de on ame ami de la vérité pref^ que jufqu'à Timprudence , il ofoit la dire en face , même au hafard de déplaire , quoique fans aucun deflfein de choquer. On peut bien juger qu'avec ce caraftère il étoit incapable d'aucun fubterfuge ; il étoit extrêmement égal & modéré dans toute fa conduite & du défîntérefTement. le plus parfait il n'a jamais foUicité aucune grâce ni fait un pas vers la for- tune 9 il faUoit , pour ainfi dire , qu'elle vînt elle-même le chercher ; auffi n'a-t-il pas eu fouvent lieu deie louer de fes faveurs ; mais fon extrême modeftie & la modération de es defirs lui tenoient lieu d'opulence , & il eft peut-être plus aifé d'être heureux en retranchant les defirs inutiles qu'en travaillant à fe mettre en état de les fatisfaire. Son ef- prit étoit de la plus grande netteté , on auroit dît , lorfqu'il parloir , que les idées les plus abftraites venoient fe ranger elles - mêmes dans fon difcours fuivant l'ordre le plus méthodique. Le même ordre & la même clarté le trou- vent dans fes Écrits ; il y jôignoit la pureté du ftyle , mais fans aucun orne- ment, & on n'y remarque aucune pen- éc brillante 6c recherchée; c^n!eftpas Digitizedby Google 0ES SCIEl^ïCES 9 17^1. jSj qu'il n'eût été à portée d'yen répandre, il avoit une connoiffance affez étendue des Belie5f-Lçttres , & la fidélité de fa mémoire étoit telle , qu'il n'avoit pref- que rien oublié de ce qu'il avoit lu ou entendu , mais il ne profitoit pas de cet avantage pour orner {es Ouvrages con- tentd'expofer nettement es penfées , il fongeoit rarement à les embellir. Jamais bomme ne fut plus fidèle ni plus exaâ à tous fes devoirs ; deux violens accès de goutte qu'il eut en 1760 ne purent l'empêchçr de faire fes leçons au Col- lège Mazarin perfonne n'étoit plus aifidu que lui à nos Affemblées , ni plus exaâ à s'acquitter de tous les devoirs qu'impofe la qualité d'Académicien. Il étoit Diacre, & la même piété qui J'avoit appelle à l'état eccléfiaftique , l'a voit empêché de recevoir l'ordre de Prêtrife 4ès qu'il 5'étoit vu lié à des fondions qui auroient pu faire obftacle à celles qu'auroit exigées de lui ce miniftère. £n vn mot yon peut dire qu'il a vécu aufli rempli de verfus que de favoir, & qu'il ^ ne lui a manqué aucune des qualités qui caraâérifent le parfait honnête homme , le digne Eccléfiaftique , le grand Aûro? pomp, & l'excellent Académicien. Digitizedby Google 384 Histoire de l'Acad. rot^ f g EL O G E De m. h a l e s. Hales , Doôeur en Théo- logie , Aumônier de S. A. R. Madame fa Princefle de Galles , & Membre des Académies Royales des Sciences de France & d*Angleterre^ naquît dans le comté de Kent le 7 Septembre 1677, de Thomas Hales & de Marie Vood ; fa famille étoit une des plus anciennes & des plus refpeftables du Comté , & fon aïeul le Chevalier Hales dé Becker- sburne avoit été créé Baronet , titre le le plus honorable que puifle porter un Gentilhomme Angloîs qui n'eu pas Pair du Rojraùme* II fît les premières études dans la maifon paterneile ; elles n'avoient alors probablement pour but que le Miniftère eccléfiaftigue , auquel on le dettinoit & dans lequel il çntï'a efFeftiveme^t dans la fuite ; rien n'avoît encore donné lieu de reconnoître les talens qu'il avoit reçus de la Natitre , ou fi quelque chofe avoit ">à le faire foùpçohner, ce n'a voit été 2;ue fan affidaité à Pétude , & la juftèffe e fon efpritj efpèce de maturité précoce m Digitized by VjOOQIC- DES S CIENCES, 1761. 385 Îfui annonce prefque toujours les talens upérieurs longtemps même avant qu'ils commencent à fe développer. Ses premières études étant finies, il fut envoyé à Cambridge à Tâge de dix- neuf ans , & infcrit penfionnaire au Collège de Chrift. Ce fut là qu'il prit fes degrés & que fon inclination pour l'étude des Mathématiques & delà Phy- fique jcommença à f e déclarer; il s'y livra avec tant d'ardeur , que fans autre fecours que fon travail , il étoit parvenu à entendre affez bien le fyftème de Co- pernic pour le repréfenter dans une efpèce de planifphère, où les planètes étoient placées dans leur ordre naturel & faifoient leuts révolutions propor- tionnellement aux temps périodiques de leurs révolutions réelles , machine alors peu connue & qui s^eft depuis extrême* ment multipliée fous le nom d'Orreri^ qu'elle a tiré du Comte de ce nom , ce Seigneur en ayant faitconftruire par M. Graham une des premières , & qui a fervi de modèle à toutes^celles qui ont été depuis faites en Angleterre ; nous difons en Angleterre , car il eft certain able de les égarer , quant à leur objets e$ conduifoit fouvent à de mauvais Îjîtes ; mais l'envie de s'inftruire les fei- oit pafier fur ces dé£agréraens ; buvent ils ne troirvoient poiu fe défakéret que de mauvaife bière aigre , M. Haies la 0 Voyei Hifitke ig$i. Digilizedby Google ôES Sciences; ly^i. 387 Tcndoit fur le champ potable ^ au grand étpnnçment de fs hôtes , en y âifant infufer dg rabfynthe ou queîqu'autre plante amère la connoifTance des planh tes commençoit déjà à le dédommager des peines qu'il prenost pour raçquérir, A rétude de la Botanique fe joignit celle de la Chimie , & nos deux aflbciés 9 non contens des leçons ordinaires de Jteur Profeflfeur , répétoient en leur pai> ttculier plufieurs expériences de Boyle^^ j& affilient avec la plus grande affi* duité aux opérations chimiques qui fe faifoient au collège de la Tt inité , danK un Laboratoire qui avoit fer vi àrilluôre Newton , & dans lequel nïême les Mar nufcrks de ce grand homme fur h Chimie avoient été brûlés par un fat4 accident; à voir Tardeur avec laquelle M. Haies fe livroit à c^ travail » on eût dit qu'il fe fenix>it en état de réparer vm jour cette perte. L'Anatomie eft une partie fi eflentielfe de la Phyfîque ^ qu'on peut bien juger {u'elle n'étoit pas négligée par le^ deuic jeunes Phyficiens. M. Haies y avoit&it des ^ogrès fi rapides , que peu contenu des moyens qu'on emploie ordinaire^ ment pour rendre fenfibles les véiiculef 4u poumon il. imtagiaa une nouvçl^ Digitizedby Google 388 Histoire de l'Acad. roy. efpèce d'injeâion , qui lui parut devoir faire un bien meilleur effet ; il adapta à la lumière d'un canon de çoufquet, l'orifice de la trachée-artère d'un poumon frais , & ayant mis le canon fur un. bra- fier , il fouffla pendant plufieurs heures dans ce poumon un air diaudôi fec, qui en deffécha toutes les membranes & les véficules , n les tenant toujours dans l'état de diftenfion ; alors il y coulg, du plomb ou de Tétain fondu médiocre- ment chaud , car on fait que ces métaux peuvent être rendus fluides par un degré de chaleur iticapable de brûler même du linge ; le tout étant refroidi , il détruiût toutes les membranes par une longue macération , & il lui reda un bel arbre anatomique , qui , non-feulement repré- entoit exadement la figure de l'inté- rieur du poumon , mais qui permettoit encore de mefurer fa capacité totale &c celle de fes différentes cavités. Une idéç fi ingénieufe, & de laquelle les Ruyfch & les Winflow fe feroient fait honneur y fut le fruit des réflexions d'un Élève en -Anatomie. Quelles efpérances ne don- noit-il pas déjà de ce qu'il devoit être un jour 1 A voir les progrès étonnans que M. Haies avoit faits dans prefque toutes les Digitizedby Google DES Sciences, 1762. 389 parties de la Phylique , on feroit tenté de fe perfuader qull avoit employé tout fon temps à cette étude , on fe tromperoit cependant ; Tapplication Î[u'il y avoit donnée n'avoit rien pris ur celle qu'il devoit à Pobjet principal qui Ta voit amené à Cambridge , & il y avoit fait de tels progrès que ceux qui avoient la dkeftion du Collège crai- nant qu'un tel fujet ne leur échappât , Taggregèrent à leur corps avant l'âge de vingt-cinq ans , &c quoiqu'il n'y eût ^int alors de place vacante; il prit, iucceflivement tous fes degrés , & peu de temps après fut nommé au doyenné d'Ély , tant fa réputation dé favant Ecclé- iiailique étoit déjà établie ; la plupart des hommes ne réuffiflent qu'avec peine à fe rendre habiles dans une feule fcience, M. Haies favoit déjà , grâce à l'étendue de fon génie, les embrafferprefquetoutei avec un égal fuccès. Auflîtôtqu'ilfe fut mis en état d'exer- cer le miniitère eccléâaftique 9 il fut nommé à la Cure de Riddington dans le comté de Middelfex, enfuite à celle de^ Parlok dans celui de Sommerfet, & fut; enfin ReÛeur de Sarringdon dans le, Hampshire, & par-tout s'acquitta de fes devoirs avec une capacité peu communei> R3 Digitizedby Google 390 Histoire de l*Acad. roy* mais nous ne le furvrons pas plus loin dans cet état étranger aux occupations de TAcadémie 9 & notis allons le confr- dérer fous le point de vue le plus intéref- fant pour nous , c*cfft-à*dîre comme uil des plus grands Phyficiens de fonfiècle* La Société Royale l'avoit admb dès 171 S au nombre de fes Membres , il commença dès Tannée fui^ante à y lire quelques-unes de fes expériences uir l^es effets de la chaleur du Soleil potir â»re monter la fève dans les arbres ; cette célèbre Compagnie , frappée de Futilité de es recherches , l'exhorta à les conti- nuer, il en lut eflfeâivement la fuite quel* 3ue temps après , de y ayant mis la efnière main, il les pubha en 1717, four le titre de Statique dts végétaux & Anafyfe Je l'air; il dédia cet Ouvrage du Roi George H , alors prince de xTdiTes* Jamais livre ne fut mieux reçu du Publié , & Jamais peut - être livre ne lÉiérita mieux c6 favorable accueil ; les expériences qu'il y rapporte font abso- lument neuves , & on y reconnoît par- lout ce génie créateur upées dans celte faifon y Se en voyamt jofqu'à quelfe liauteur la fève ïonant du rameau s'y^ élevoit. Des expériences iemblables , mais faites hors de la ifaifon des pleurs de la vigne & fur un grand ombre de plan- ' tes 9 lui avoienit appris la fls^ce 6c la quantité de la tranfpiration des plantes ^ qu'il avoit eu l'adreflè de retenir & de rendre feofibles; le jeu de la fève dans les arbres, & même l'exiftence des vaif- feaux de communication qui lui permet- tent de paiTer hitéiàlement d'un cotéà R4 Digitizedby Google 39^1 Histoire de l'Acad. ro'y. l'autre , y font mis fous les yeux avec une adreiTe inconcevable , il y évalue Teffet de la chaleur du foleil fur le% dif- férentes parties des arbres , & celui de la chaleur de la terre dont il détermine le^degré jufqu'à la profondeur à laquelle les racines atteignent communément ; il fait voir Tufage des feuilles jufque-là très-peu connu, & qui, félon lui, font les organes par lefquels Jes plantes exhalent pendant le jour la liqueur qu'elles tirent de la terre & repompent au» contraire {endant la nuit celle qui fe trouve dans 'air , efpèce ^e mouvement alternatif qui tient lieu aux plantes de la circula^ lion du fang qui exiile dans le corps animal nous ne finirions point il nous voulions feulement parcourir toutes les ^expériences que M. Haies rapporte dans cette première partie de fon ouvrage , & les réfultats finguliers qu'il en tire ; mais ce que nous ne pouvons paffeîr fousfil^nce, c'eftla prudente & piodefle retenue avec laquelle il fe contente pref- que par-tout d'énoncer les f^ts fans fe permettre de hafarder aucunes conjec- tures que lorfqu'un calcul exaâ les a changées en demonftrations il eft fâ- cheux 4Our l'avancement de la Phyfi- ique qu'un femblabk exemple n'ait pas Digitizedby Google DES Sciences, 1762. 393 encore affez perdu le mérite de la fin- gularité. La leconde partie de cet Ou- yrage n'eft pas moins intéreflante, & mérite bien le titre qu'il donne de VAna'* lyfc de l'air; il ell fingulier qu'il ait pu trouver autant de neuf dans un^matière fur laquelle on a, fur-tout depuis un fiècle , fait les recherches les plus fui-^ vies & les découvertes les plus intéref-. fantes. * Tous ceux qulavoient juqu*aIors exar miné la nature de Tair , ne l'avoient confidéré que comme un fluide pefant, tranfparent & élaftique ; on ne s'étoit point encore avifé de penfer que ce même air pouvoit exifler & exiftok réellement dans une inHnité de corps fous une forme, toute différente. M. Haies fait voir que toutes les fubftances végétales , minérales ou animales ea contiennent plus ou moins y & il a TadreiTe d'en déterminer la quantité quj dans certains cas efl inconcevable ; on ne sTmaginerpit pas , par exemple^ qu'un . demi-pouce cubique de bois de chêne pût rendre une quantité d'air qui égalât deux ceints feize fois fon volume^ &. moins encore que cet air y fut , pour jainfi dire p corporifié & devenu une partie de la n^aife du bois , du po^^s de Digitizedby Google 394 Histoire de l'Acad. roy; laquelle il falfoit environ le tiers ; on ne croira qu'à peine que le calcul hu maki ou la pierre de la veflie foit com-^ pofée pour plus de fa moitié d'air fixé qui 9 lorfqu'il a repris fon élafticité > occupe fix cents quarante-cinq fois plus de volume que la pierre qui le conte- Doit l'dKamen de cette quantité d'air Contenu dans les corps oîi on le foup^ çonnoit le moins ^ fert encore à rendre raifon de certains phénomènes dont on ne connoiflbit pas trop la caufe , comme de la détonation du nitre & de celle de la poudre & de l'or fulminant ; M. Haies la trouve dans la grande quantité d'air contenu dans le nitre , dans le tartre & tians l'eau régale , & dans la prompti*- fude avec laquelle cet air s'en dégage & reprend fon élafticité ; on ne fauroit croire combien l'examen de -la quantité d'air n d'avoir c»xime na^^^ msidifé en Fcan^ par k tfadDÔion^qu'it en a donnée » ua Ouvrage û AUilé êc c^u'on^peut regarder co;!;nme ieg^ritoe R 6 Digitizedby Google 39^ HîSTOmEDÊ L*ACAD. ROY. d'une infinité de découvertes. La Sp^ ciété Royale en fut fi fatisfaite » Xû'eii la même année que parut la première édition de cet Ouvrage, elle mit M Haies au nombre des Membres de fon ConfeiU c'eft-à-dire, des Académiciens choifis qui font chargés de la direâion &c des affaires de cette illufire Compagnie. Il étoit bien difiicile que le fiiccès des expériences fur le mouvement de lafève dans les végétaux , ne fît naître l'envie à M. Haies d'examiner celui du fang dans le corps animal , déjà beaucoup mieux connu que le premier; il n'y put réfifter , & il publia en 1733 par ordre de la Société Royale, le recueil de fes expériences & des* coirclufions qu'il en avoit tirées, fous le titre à^ Hamajlatiquc ou de Statique du fang i, C'eft en effet une mefure & une me- fure exaâe de la force avec laquelle le cœur chafie & poufie le fang dans le corps animal ; des tuyaux tranfparens , adaptés à différentes artères & à divers animaux vivans , lui faifoient voir par la hauteur à laquelle le fang s'y éeyxit ^ la force avec laquelle il étoît^poiifle paf le cœur de l'aniiàal dans les' différentes é II ; I .liuiiiiilil 1^ in !! I I ili mwl i A^^, fanguis. * Digitizedby Google DES S CIEN CES, 176l, 597 circonfiances que M. Haies favoic faire naître , foit en afFoibliiTant Tanimal par la fouflraâion dIRE BE lîAëAi}. ^hlf. ment comme fluide qu^il entretient Jâ circulation ^ vms comme fkûëepofé d'une certame ipamère ; Teau ayant toujours caufé aux animad^, dans les veines defquek on_ Tintrodaifoit , beau^ coup de mal-être & dSet promptement la mort toutes />bfervîrtions inyoï'tan- tes , & qui peuvent fervir de guide dans me infinité d'occirûons. Ses remarques iur le^injeâfonsfoht encore un objet atfolument nouveau t le but que les Ânatomiftes ft propofent dans cette efpèce de préparation , eé. -de remefttte les vaiflteâfux dans Tét^rt x>h ils étoient pendant la vie de Pani^ mal & de les y confcrver, en les m* pliffant d'nne meftière cpÀ d'abord y coule aifément Se fe fige enfuite dans leur cavité ; mais comme ces vaifleauir font extenfibfes ^ il eft évident que fi là matière de Tinje^on eft povi>ffée plus ou moinsfort que le Êing nerémt ^r le cœur 9 le vaiffirtiu qui la recevra fettà plus otL moins diftendu que dans Tani^ mal vivftnt , 'et qu'on aura tine feuiTe mefure de fa capacité. Pour remédier à icet inconvénient, M. Haies n^emploie , pour obligerttnjeâîon à s^nfinuerdans tes vatfieaux , ouelelpords d'jHie c^Ionfoè lieH^ur 9 1{l^il rend^égallcekii de H Digitizedby Google OEs Sciences, 1761. y^^ tbloane de fang ]ue foateiioit Ta^oft du coaur dans l'animal vivant , & qu ks expériences dont nous ^ons déjà parlé lui avoientfait connfervé ^ âirprenant fkdùo^ fflène^ que Teau ne ^p&ûhAt que peu tifr Digitizedby Google DES Sciences, 1761. 401 françois , par la traduûion qu'il en a donnée éc par les notes curi^ufes qu'il y a jointes. La gloire que M. Haies s'étoît fi Juftement acquife en publiant coup fur coup les deux Ouvrages dont nous venons de parler, lui attirg une diftinc- tion bien honorable de la part de l'Uni- verfité d'Oxfprd; elle lui envoya, fur fa feule réputation &c fans qu'il les eût demandées , des Lettres de Dofteur , préfent d'autant plus flatteur , qy'elle n'accorde prefque jamais ce titre qu'à ceux qu'elle a , pour ainfi dire , élevés dans ion fein ; mais xette Univerfité célèbre crut pouvoir fe relâcher de fou ufage en faveur d'un homme qui le ^méritoit fi bien & qui étoit capable de donner à ce titre plus de luftre qu'il, n'en recevroît lui-même. Les expériences de M. Haies lui avoient montré l'effet que les liqueurj fpiritueufes pouvoient produire fur le fang&furlesvifcèreslorfqu'elleséioient Î^rifes intérieurement fon amour pour 'humanité ne lui permit pas de laifier cette connoifiance oiHve , il publia en 1734 une Differtatîon contre l'ufage des liqueurs fortes , fous le titre d'avis amical aux buviurs dUau'dc*vU ; il y Digitizedby Google '4^1 HiSTOAE ÎJE l'A CAD. ROY. fait voir les fiineft^s effets des liqaeurs qui ne 4pnt toutes i[ue de l'eau-^e^vie plus ou moins déguifée y & les peiiit •alTez vivemeti^ pour dier Tenvie d'en Ajtkr à ceux qui voudroieift réfléchir ^ Biais les hommes n'écoutent pas tou- jours le langage de la raiibn , & l'Écrit ^e M. Haies n'a guère eu d'autre ufage que Celui de faire ^atoitre on bon cceiir % fon amour pour fes concitoyens. Le même amour du bien public qui l'avait engagé à publier la DifTertation "dont nous venons de parler , l'engegea à tourner fes vues vers un objet encore ]lus important ; ce fut Texamen de a nature de l'eau de la mer Se la, Techerche des moyens de là rendre potable, & de reiix 6c d'un calcul exaâ des effets de la machine ; il en réfulte qu'elle eft plus que fuffifante pour remplir tous les ol^ets qii*il s'étoit propofés. t'expé* rience a vérifié le calcul & a £iit voir que malgré le peu de t^mps que cette machine emploie à renouveler une mafle d'air , même aflez confidérable , elle ne caufe aucun vent ni aucune in- commodité ; les expériences qui ont été feites f^r les vaiflewx » ont fi bien réuifi, que M. Haies n'héfitepas à la nommer le poumon du vaijftau , du moins eft-il fur qu'elle foulage beaucoup ceux dt rjËquîpage^ & cette snachinf Digitizedby Google PES Sciences , 17^1. 407 fi utile a encore l'avantage de pouvoir Qire conftruite par-tout & à très-peu de frais c'eft fuivre exaâement le plan de laNature que d'opérer les plus grands & les plus utiles effets par les moyens les plus fimples. Noa-feulemenf le ventilateur ^ pro- pre à reoouveller l'air deftiné à la refpi- ration, msusilpeutêtre^icofleemployé à bien d'autres u&jges ; on peut, par exemple , s'en ièrvir pour Êiire pafler de l'aâr fec & chaud d'un lieu dans un autre 9 & par ce moyen & fimple fecher de grandes quantités de poudre àcanon ^ feas courir le moindre riiqMe du £eu ^ rifqueqti'il tA prefque iiçpoffible d'évi* ter par la joéthode ordinaire. On peut s'en fervir pour eAtretjenir toujows dw9 un air fec4^ grains & les aitfres pro* vifioos d'un VaifTeau. Nous xie difons risn ici de fon uiage dws les greniers k h\é 9 parce c[ue nois en avons déjt tendu compta; dons VlUÛ0m de l'Acar demie 9 en parlantdes ingénieuCes appli^ ES SCIEffCES , 176a. 405^ dîiTertation fut lue à la Société Royale en 1745 ; il donna la même année un moyen d'empêcher le progrès des in- cendies f en couvrant d'une couche de terre un peu humide les édifices pour lefquels on pourroit craindre Taftion des flammes; & ce moyen, porté à Conftantinople , a préfervé du Feu un des f>lus beaux édifices de cette Capitale de l'empire Ottoman. Deux ans auparavant, il avoit donné une Diflertation fur la manière de porter dans le ventre des hydropiques , telles injeôions qu'on voudroit pendant l'opé- ration de la paracenthèfe ou ponâion. Il avoit ouï dire qu'une femme hydro- pique avoit été guérie par une injeâion de vin rouge & d'eau minérale alumî- neufe , que fon Chirurgien s'étoit avifé de lui faire dans l'abdomen , après avoir tiré les eaux de l'hydropifie; c'en fut aflezpour l'engagera perfedionner cette méthode, qu'il rend extrêmement facile en introduifant dans le ventre deux troiscars au lieu d'un ; par ce moyen fi fimple , on peut injeâer la liqueur par une cannule à mefure que les eaux for- tcnt par l'autre , & onévite même par-là i'inconvénient de la défaillance , qui Hiji, iy^ S Digitizedby Google 4îo Histoire de l'Acad. roy/ fuît ordinairement Té vacuatîon tropfu- bite de Tabdomen. Les merveilles de rÉIeôricîté ne pouvoîent pas être indifférentes à un Fhy ficien tel que M. Haies , il en fit auffi Tobjet de fes recherches & de fes expé- riences , & lut à la Société Royale une Diflertation fur ce fujet , dans laquelle il remarque que les aigrettes éleôriques tirées d'une barre de fer , d'une pièce de cuivre & d'un œuf pofé fur cette dernière , avoient des nuances de cou- leur fenfiblement différentes , d'où il conclut que les corps qui fourniiTent. 'ces aigrettes fourniffent. auffi au feu éleftrique quelque peu de leur propre fubftance , qui occafionne cette diffé- rence de couleur, nouveau phénomène dans une matière qui en avoir déjà offert de fifinguliers, & peut-êtreauffi nouveau pas vers fon explication. Les tremblémens de terre qui , depuis quelques années , ont ébranlé prefque toutes les parties de notre globe , enga- gèrent M. Haies à faire quelques re- cherches fur la caufede ces terribles phénomènes , & il crut l'entrevoir dans une des expériences qu'il avoit rapportées dans fon Analyfe de l'air Digitizedby Google DÈS Sciences, 1761. 411 il avoit remarqué que de Tair très- tranfparent , quoique chargé de certaî* nés vapeurs, perdoit cette tranfparence dès qu'on introduifoit dans le vaifTeau où il étoit, une médiocre quantité d'air pur , qu'il fe troubloit , qu'il s'y excitoît une fermentation affez vive pendant laquelle il fe détruifoit beaucoup d'air; en fuppofant fous la terre de grandes cavités remplies d'air chargé de ces va- peurs , il ne faut qu'une fente qui y communique pour mettre en fermen- tation cet air & une partie de celui de notre atmofphère & pour y caufer de terribles mouvemens, de-là les fecouf- fes , les ouragans & tous les phénomè- nes qui accompagnent ou qui précèdent ordinairement les tremblemens de terre. Il communiqua cette idée à la Société Royale dans un Mémoire qu'il y lut à • ce liijeten 1750. On a encore de lui des recherches pour l'examen d'un moyen qui avoit été propofé pour conferver l'eau douce & le poiffon non falé , par le moyen de Teau de chaux , moyen que M. Haies trouva infuffifant. Si on doit aux Phyfi- 'ciens de la reconnoiflance pour les pra- tiques utiles, qui font le fruit de leurs travaux I on ne leur en doit peut- être Sa Digitizedby Google 4ti Histoire de l'AcAd. roy. pas moins pour celles qui feroient au moins inutiles & qu'ils empêchent de 5'introduire. Mais la Diflertation, peut-être la plus £ngulière qu'il ait donnée , eft celle dans laquelle il enfeigne à faire pafler de l'air frais à travers les liqueurs qu'on diftiUe , & à augmenter parce moyen prefque du double le produit de la difiillation. Pour y parvenir , il place au fond de l'alembic une boule d'étain percée de petits trous comme la pomme d'un arro- loir ; cette boule , au moyen d'un tuyau 3ui fort de l'alembic, répond à un fouf- et double , par l'aâion duquel on in* troduit dans la liqueur un courant d'air qui facilite itngulièrement fon élévation en vapeurs; il applique enfuite cette méthode à la diftillation de l'eau de la mer pour la rendre potable , & fait voir qu'avec un boifleau de charbon ., on peut, en dix heures dé temps obtenir une quantité d'eau potable de deux cents quarante pintes , avantage bien confî- ' dérable dansde certaines circonflances il examine enfuite le choix des matières proposées pour mêler , avant la diftilla- tion , avec l'eau de la mer, afin de retenir le bitume & les autres matières étrangères qui pourroient s'élever avec Digitizedby Google BES Sciences; 1762. 41} . elle ; enfin il ne néglige rien de tout ce qui peut augmenter Tutilité de cette découverte ; mais ce qui doit le plus tourner à fa gloire 9 c'eft l'ingénuité avec laquelle il déclare que ce qui lui a donné la première idée de cette ingé- nieufe pratique» eu le moyen à peu près femblable , qu'un Charpentier de vaif feau employoit pour enlever en très- peu de temps la mauvaifepdeur de Teaii contenue dans les puits de quelaues VaiiTeaux &c de celle no\is avons dit que fa ftatique du fang n'avoit pas à beaucoup près été portée aulfi loia que celle des végétaux , une lettre qu'il écrivoit à M. du Hamel nous en a décou- vert la raifon ; refpèce de jourmept qu'il étoit obligé de âir^e foufFrir aux animaux qu'il employoit à ks expé- riences f prenoit tant fur fon cœur vrai- inent humain , qu'il n'y^ put réfifler & qu'il les abandonna on efi communé- ment bien éloigné d'être dur pour les hommes , quand on eft û fenhble aux douleurs & aux fouffrances des animaux» M. Haies avoit été marié y il avoit époufé Marie Newce, fille du Doâeur de ce nom , Reûeur de Halisham dans le comté de SufTex , avec laquelle il a toujours vécu dans la plus parfaite union. Sa place d'Âfiocté - Étranger a été remplie par M. l^uler Direâeur perpé tuel de l'Académie Royale des Sciences de PruiTe , de TAcadémie Impériale de Pétersbourg ôc Membre de la Société Royale de Londres , déjà furnuméraire dans la mmc claiSe» DJgitized by VjOOQ IC 41 s Histoire de l'âcad. rot. » ÉLOGE De m. B r a d l e t. 3 ACQUES Bradley , Aftronome de S. M. Britannique , Doâenr en Théolo- gie dans rUniverfité d'Oxford , Profef- feur Savilien d'Aftronomîe , Leâeur d'Aflronomie 6C de Phyfimie au Mu^ faum de la même Unîveruié , Aftro- nome & Garde de robfervatoire Royal de Greenvich, Membre des Acadé- mies Royales des Sciences de France , d'Angleterre , de Prufle , de Pétersbourg 8c de rinftitut de Bologne , naquit à Shireborn dans le comté de Gloceftre en 1691 9 de Guillaume & de Jeanne Bradley dont il fut le troîfième fils. Il fit fes premières études à Nortleach fous la conduite de M". Egks & Brice qui s'empreflèrent de féconder les hcu- îeufes difpofitions qu'ils eurent bientôt remarquées dans leur Élève ; le cours de fes humanités étant fini , il fut en- Toyé à Oxford , célèbre Univerfité d'Angleterre , & ce fut*là qu'il com- mença à ^'ouvrir l'entrée des hautes Sciencesdans lesquelles il fit depuis de Digitizedby Google- DES Sciences^ lyét; 41^ fi rapides progrès , & qu'U prit fes prêt diers degrés. ^ M. Çradley avoît été deftîné par {%, famille au Miniftère eccléfiailique peutieii plus grand nonibre y û les Jôumaor de fes voyages n'avoient péri dans Tin- cendie de Pulo-Condor incendie cpd \ accompagna le maflacre général que les j liabitans de cette ile firent de tous les Anglois établis parmi euz^ Se dans lequel M. Pound lui-même courut Je plus grand rifque d'être enveloppé ; c'étoit avec ce parent que M. Bradley paflbit tous les momens que fon minis- tère lui laiflbit libres , & peut-être auffi cuelques-uns qu'il y déroboit fans trop 5 en appercevoir ;il a voit dès-lors acquis aflex de connoiflance des Sciences ma- thématiques y pour être à portée de profiter de fa confervation ; nous difbns qu'il avoir acquis^ car on ignore que quelqu'un lui eût éicilité l'entrée de ces Sciences , & il n'avott probablement eu dHiutre maître que fon génie $ ni d'autre iecours que fon application. - On imaginera Àifément que l'exemple 6 \es difcours de M. Pound ne rendoieot pas à M. Bradley le poids de fon minif- tère plus léger ; il l'exerçoit cependant avec toute l'affiduité poflible , mais il lui échappoit fouvent des regards vers le Ciel 9 &il commençoit dès-lors âjetter par fes obfervations les fondemens des belles découvertes qui l'ont mis au rang Digitizedby Google DES Sciences^ 17^1. 411 des plus grands Âftronomesde ce fiècle. Quoique ces obferyations ne fe fiffent, pour ainfi dire^ qu'à la dérobée , le nom de M. Bradley devint aflez célèbre pour parvenir aux oreilles de ce que T Angle- .terre a^oit alors de plus ^Uuflre; elles lui valurent Teflimé & l'amitié du Lord Macclesfield > grand Chancelier d'An- gleterre, de M. Newton , de M. Halley \& de plufieurs autres des plus illuilres Membres de la Société Royale* Ce fut ;par le rapport de témoins fi capables id'en bien juger , aue les talens &i les .progrès^de M firaaley furent connus de cette célèbre Cpmpagnie, & qu'elle prit la réfolution de fe 1 afibcier* A peu près dans le même temps arriva la mort du célèbre Jean Keill qui rem- pliflbit avec diftinâion la chaire fondée par le chevalier Savil dans l'Univerfité d'Oxford ; on auroit eu peut-être bien de la peine à trouver un fujet auâl pro** pre à la bien remplir que M. Bradley, tant pour ki capacité , que pour fon amour pour l'Afironomie; il t& difficile de parler froidement de l'objet de fon inclination , 9c nul n'eâ pli^ propre à enfeigner une fcience , que celui qui. J'aime véritablement aum tous les fut- virages fe réunirent-ils en fa faveur ^ & Digitizedby Google 411 Histoire &i l'Acad. roiec il fut pourvu de cette chaire le 3 r Oc^ tobre 1711 9 fe trouvant par cette no- mination à Tâge de vingt - neuf aas col- lée du célèbre Halley qui occupoit dans la même Univerfité la chaire de Géométrie fondée par le même- cheva- lier Sav3 Dès que M. Bradley eut été pourvu de cette chaire ^ il renonça à la Cnre do Biidftov &même à fon bénéfice fimple; fon cœur vraiment droit fouffi-oic depuis long* temps de fe voir partagé entre fes devoirs & fon iifclihsdion , & il faific avec empreflement Toccafion de ie déli- vrer de cette contrainte. Libre alors de fe livr» tout entier à fon goût pour TÂftronomie ^ rien n'inter- rompit plus le cours de fes obfervations"; &dès 1717 il fut en état d'en faire recueil- lir le fruit aux Aftronomes par la théorie de Taberration des Étoiles qu'il publia théorie digne d'être nife au rang des plus belles , des plus i^tiles & des plus ingé- nieufes découvertes de rAftronomie moderne. On s'étoit apperçu depuis long-t^ps que la pofition Ats étoiles éprouvoit de certaines variations qui ne répondoienft en aucune manière au mouvement appâ" Ténr^un degré en^ Digitizedby Google i>Es Sciences , 1761. 41J cpie leur donne la bréceffion dèsÉqiû-' notes. Feû M. Tabbe Picard avoît remar- qué ces variations dans l'Étoile polaire d^^ Tannée 1671 , mais il n'a voit tenté ïiîde les réduire à une règle confiante, ni d'en affigner la caufe ; les obfervations extrêmement multipliées de M. Bradlêy lui ofa le premier avan- cer q[u'elle ne VéXBÏt pas ^ & même dé- ternuner le temps qu'elle mettoit à tra- verferlesfoixante-nx millions de lieues qui forment le diamètre de Torbe an- nuel cet exaâ & induArieux Obferva- teur avoit remarqué que les émerfions du premier iatellîte de Ju{Mter tardoient à mefure que Jupiter s'éloignoit de Toppofition & que ce retardement alloit^ dans les éclipfes les plus proches de la conjonâion » jufqu'à 1 1 minutes ; il penfa que ces 1 1 minutes n'étoient 3ue le temps que le premier rayon u fatellite fortant de Tombre mettoit à parcourir la diftance qui fe trouvçît entre les deux pofitions de la Terr^ proche de Toppofition & proche de la conjonâion > & que psu- conféquent la viteffe de la lumière étoit non-teule tnent finie > mais même mefurable Quelque naturelle que fut cette expfi- ^ion,, eUç parut alors trop l^urdie ^ ^ Digitizedby Google DES, Sciences, 17^1. 415 ce n'a été que long-temps après la mof t de M. Roëmer qu'elle a été adoptée , & que les Phyûciens font unanimement demeurés d'accord que le mouvement de la lumière étoit fucceflifce fut de ce mouvement fucceffif que M. Bradiey tira^l'explicatioix des variations irrégu lièrei qu'il avoit obfervées dans les étoiles 9 & auxquelles il donna le nom èi Abmationdtsfxts. Nous allons effayer de donner une idée de fon expUcatiçn. Qu'on imagine des files de petits corps allant par des direâions parallèles entr'elles , comme par exemple , uqe pluie fans aucun vent & tomnant per- pendiculairement à l'horizon ; qu'on, exf^fe à cette pluie, un tuyau droit immobile & placé dans là même fitua^ tion verticale ; U eft évident que la Îoutte d'eau qui entre p^r fon orifice upérieur , ibrtira par l'cM-ifice inférieur , fans avoir en aucune façoi^ touché les parois intérieures du tuyau. . Mais fi on fait mouvcMr le tuyau parallèlement à lui même ^ quoique fa fituation refte toujours parallèle à la direâion des gouttes de pluie , il arrivera néceilàirement que le mouvement du tuyau leur fera rencontrer l'utip de fes parois d'autant plutôt , que l^igouyç^^ Digitizedby Google 4i6 Histoire DE l'Ac AD.. ROT. ment des gouttes fera plus lent relative- ment à celui du tuyau ; & il eft aifé de démontrer que fi l'un & l'autre moave- ment étoit égal, la goutte de pluie qui tomberoitau centre de l'ouverture Aipé- rieure du tuyau, rencontreroit la parrd étant venue a vaquer 9 çUe lui &t donnée perConne n'étoit certaine* ment plus en état que lui de remplir cette double fonâion. f Plus TAfironomie procuroît dlion-» neurs & d'avantages à M. Bradiey, plus fon amour pour cette fcience & fon affiduité à obferver le Ciel redou- bloient cçs obfervatioiis multipliées lui Digitizedby Google T> E s Sciences» 1762. 41^ découvrirent bientôt querînclinaifon de Vàxe de la Terre fur leplan de récliptique n^étoit pas confiante , mais qu'elle eprott- voit un balancement de quelques fécon- des 9 dont la période étoit de neuf an- nées cette période fembloit fe rèfufer à toutes les explications ; quelle appa- rence en effet d'en pouvoir donner de fatisfaifantes , & qu'avoit de commun une période de neuf années avec le mou- vement de la Terre qui fe fait en un an ? Les recherches & les eâbrts redoublés de M. Bradley lui firent cependant trouver la caufede ce phénomène » & ce fut dans la théorie de Tattraftion Nevtonienne On fait que le premier principe de cette théorie, eft que tous les corps s'entr'attirent mutuellement en raifon direôe de leur maflfe & en raifon ren- verfée du carré de leurs diftances. Ceft ' de cette attraâion. combinée avec le mouvement en ligne droite , que M. Newton déduit la figure des orbites des Planètes, & fpécialement celle de l'orbite de la Terre ; fi cette orbite étoit un cercle & fi le glol^ terreftre étoit exaâe- ment fphérique 9 Tattraâion du Soleil n'agiroit que pour le retenir dans fon orbite , & nullement pour déranger la pofition de on axe i mais ni Tune ni y Google 4îO Histoire de l'Acad. rot. Taotre de ces fuppofîtions n'eft vrai la Terre eft fenfiblement renflée l'Equateur 9 & fon orbite eft une ellipre •au foy^r de laquelle le Soleil eft pbcé. Quand la pofition delà Terre eft telle, que le plan de fon équateur pafle par le centre du Soleil , cet aftre n'a d'aâion que pour attirer le globe à lui , nais toujours parallèlement à lui-même & ians déranger la pofition de Ton axe , & c'eft ce qui arrive dans les deux ëc^uinoxes. A mefure que la Terre s'é- loigne de ces deux points , le Soleil fort auffi du phn de TÊquateur & s'approche de Tun ou de l'autre tropique ; alors les demi-diamètres de la Terre expofés au Soleil n'étant plus tous égaux l'Equateur eft plus puiflamment attiré •que le refte du globe , ce qui change un peu fa pofition & fon inclinaifon fur le plan de Pécliptique ; Se comme la partie de l'orbite comprife entre Téqui- êuille n'a pas de frottement non plus, mafs 'eft plutôt un foufflet qu'un piôon ; & parce que le cuir gui forme la couronne autour du noyau olide , doit porter la portion de la colonne d*eau à laquelle elle fert de bafe , on fent aifément qu'un pareil pifton ne peut pas être employé à élever Teau bien haut , il n'y réfifte- Toit pas long-temps , il ieroît coûteux & difficile à rétablir, & la partie qui fait le fouflkt , obéiffant ou fe prêtant aux deux motivemens,une pompe avec de tels piftons ne peut janMis faire tout Teffet dont eft capable la force qui le meut. ' Il y a encore le pifton fait avec pIiN fieurs ronds de cuir , de même diamètre que le corps de pompe , pofés les uns fur les autres i ils font uès-bons pour de» Digitizedby Google DES Sciences ^ ^761. 44^ pompes pneumatiques qui font travail- lées avec le plus grand foin » & qu'on .a toujours fous la main 9 qu'on démonte & remonte aifément , mais ils ne peu- vent pas être employés à des grandes pompes 9 ni même à ce qu'on nomnte. pompes domeJliques;à^zi\\t\xr^ cespiflons . deviendroient chers par le cuir qui y entre. Ils frottent quand ils font neufs^ mais quand ils ont fervi quelque temps, que les bords font ufés , qu'ils ont peu ou point de frottement 9 ils laiflfent per- dre une lame d'eau tout autour > comme le pifton des pompes à leâive , le cuir ne s'étendant pas de lui - même pour . i-emplacer ce qui s'ufe* Il efl vrai qu'en reflerrant un écrou qui eft en-deflous , on les fait un peu étendre » & cela duie encore dti temps pour une pompe pneu- n^tique qui travaille peu , tent par Tefïbrt de la charge de Teau.. Ces fortes de piftons ont deux défauts aflez grands , l'un eft celui qu'on vient de ren^arquer ^ que les têtes des clous fayent les corps de pompe quartd le febord du bois eft ufé, ou que Feffort de Teail fur le cuir qui porte un vuide près des clous , les fait lâcher & ei^ fovktk lés têtes contre le corps de y Google DES Sciences, îj6i. 447 pompe , qui le gâtent ou rayent , e» même temps que le pifton perd une partie de fon eau à chaque fois qu'il monte. L'autre défaut qui n'eft guère moins confidérable , & qui Teft Ibuvent da- vantage , vient du vuide qui fe trouve entre le contour intérieur du corps de pompe & les têtes des clous» Le haut de la bande de cuir touche biea le corps^ de pompe, nt^is la même bande de cuîr auprès des clous, fe trouve éloignée du eorps de pompe quelquefois de 2 à 5 lignes ; il arrive de-là quand le piftba enlève ta colonne, que le cuir eft obligé de fe plier au defTus des clous , jufqu'à toucher au corps de pompe , parce que le cuir porte toute la partie de la colonne d^eau qui a pour bafe la, couronne qui forme le vuide entre les clous & le cps de pompe. La bande de cuîr ne porte ou ne foU'* tient cette eau qu'enVappuyant contre le corps de pompe ; cet effort ou pref- fion de cuir contre le corps de pompe ^ . eft d^autant plus grand que Teft le vuide qui eft, entre les têtes des clous & le corps de pompe , & c'efi cette preffioi» du cuir contre le corps de pompe qui caufe tout le âottemcat dapifion^^caf Digitizedby Google 448 MÉMOIRES DE l'AcAD. ROY. s'il n'y avoit point de vuide entre ht partie folide du piflon &c le corps de pompe 9 le cuir n'auroit à foutenir au-» cune partie de la colonne d'eau ^ & il n'y auroit aucun frottement , mais il devient d'autant plus grand que Teft le vuide qui efl entre la partie folide du pifton êc le corps de pompe. Ce vuide eu quelquefois fi ^rand , que le cuir, foit neuf, foit déjà ufé^ ne pouvant foutenir l'effort de l'eau , fe renverfe , tant à caufe de la charge de l'eau 9 que parce que le frottement eâ plus grand, & que fa réfidance y con- tribue; ainfi plus ce vuide eft grand, plus le frottement l'eu auili , comme il a déjà été dit^ plutôt le cuir efl uféy & plutôt il fe renverfe. Par le pifton que je propofe , on évite ces deux défauts ; je veux dire qu'il n'y a point de clous qui pui%nt rayer le corps de pompe , & il n'y a que le moins de vuide poffible & le feul . néceflaire , entre le corps de pompe & la partie folide du pifton qui foutient le cuir par-là , il n'y a qu'une preffion prefque infenûble du cuir contre le corps de pompe. . -rff eft le plan , & BB le profil d'une pièce de cuivre ou de fer fondu ^ autour Digitizedby Google DES Science S, 1762. 449 de laquelle on coule un bourlet de plomb , repréfenté au profil CC ^ par la partie ajoutée DD ; la pièce de fonte a un peu de dépouille , fon dia- mètre eft de S à 10 lignes moindre que celui du corps de pompe. E repréfente le plan , & /T la coupe d'une autre pièce de fonte de même diamètre que la précédente, & percée de même, ayant un canon GG ^ un peu en dé- pouille pour la facilité du mouleur, la vive- arrête dedeffous HH, abattue tout autour. K K repréfente une plaque de même inatière que les deux précédentes , ronde, bien dreffée par-deffou$, ayant un canon LL dans lequel entre fans gêne ni trop de liberté le canon G G de la pièce précédente; on fait réferver à xette pièce ,en la coulant, trois sOu quatre trous //. Cette pièce eft la fou- pape du pifton, fous laquelle on met un cuir qu'on y fixe folidement par un anneau de fer mis en defibus , retenu par trois ou quatre rivets paflant par les trous /, / , réfervés à la plaque; & afin que l'anneau de fer qui retient le cuir de la foupape ne l'empêcbe pas de joindre fur la pièce FF^ les troij bran- ches {, {,^, qui joignent le bas de la Digitizedby Google 450 MÉMOIRES DE L'ACÀD* ROT. douille GG à la couronne extérieure^ font écbancrées en deflus de 5 à 6 lignes, ou bien elles font moins hautes de 5 à 6 lignes que le deflus de la couronne & le rebord ou afliette du bas de la douille où doit battre la foupape. Si on fait ce pifion en cuivre bien dreffé, on peut le pafler de cuir fous la foupape. Le canon de la foupape doit être plus court que celui de la pièce FF^ de l'épaifleur du cuir qui doit être fous la ibupape 9 & de la quantité dont la fou- {ape doit lever , qui ne pafle pas 8 à 9 ignés ; ainii il fuffit que le canon de la foupape foit plus court que Tautre d'un pouce. J'ai obfervé plufieurs fois & par des ouvertures différentes , avec des foupapes à guide qu'elles ne lèvent p^ au^là de 7 à 8 lignes , quand elles font un peu loujrdesj comme il le faut, afin qu'elles foient tout - à - fait baiffées avant que lepifton commence la marche contraire. Le plomb qu'on coule autour de la pièce BB , doit être tel que le tont entre jufte dans le corps de pompe , nV ayant aucun danger, parce que le plomb cède ; & quand le pifton a marché trois à qua^e fois , il eft calibré & n'a , comme on voit , que le jjeu néçefl^ire tout Digitizedby Google DES StiENGEs ; lj6l. 451 autour , & comme rien ne Toblige à fe porter plus d*un côté que d'un autre, fi le corps de pompe èft bien d*à-plomb^ & la fufpenfion de la tringle dans Taxe du pifton & du corps de pompe , il eft tlair que ce plomb era long- temps jufte au corps de pompe , & qu'il ne I0 gâtera jamais quand même quelque caufe le porteroit plus d'un côté que d'un autre le pis- aller eft que le plomb s'ufe , ce qui cfoit arriver à la fin ; maîg le bourlet de plomb ayant peu de dé- pouille & ayant 1 5 à 18 lignes de haut^ il dure très- long-temps. Pour couler & former le bourlet de jplomb DD^ autour de la pièce de fonte BB ou ce y laquelle fait le bas du pifî- ,ton , il faut avoir une virole XX de euivre mince , ou de tôle , ou de carton * huilé, fi l'on veut , de 3 à 4 pouces de haut , un peu conique , & telle qu'elle ait' vers fon milieu le même diamètre que le corps de pompe. On fait tourner un morceau de bois F, conique comme la virole de cuivre ^ ayant au bout le moins gros de if en iî, le même diamètre qu'a le corps de pompe on y fait taire une feuillure autour Afilf , de 5 à6 lignes d'affiette & de 4 à 5 lignes de haut feulement , & Digitizedby Google 451 MÉMOIRES DE L*ACAD. ROY. on fait réferver au centre une cheville Q ronde , de la gf ofleur du trou du milieu des- pièces de fonte. On met la pièce de bois dont nous venons de parler dans la virole de cuivre , en Ty fc^rçant un peu; fi tout a été comme on vient de le dire , on voit que la pièce de bois doit arriver jufque vers le milieu de la longueur de Ja virole on met un peu d'huile fur la partie du bois qui doit recevoir le plomb fondu , qu'on étend avec une plume , afin que le plomb ne le brûle pas ; on fait chauffer la pièce de fonte , on la met fur la pièce de bois dans la virole , faifant entrer la cheville réfervée au centre 9 dans le trou du milieu de la pièce de fonte on emplit les autres ouvertures de la pièce de. fonte avec du fable ou de la cendre , afin que le plomb ne les rempliffe pas ; cela pré- paré , on coule le plomb autour. Il eft à propos d'avoir une cuiller qui con* tienne fuffifamment de plomb, pour n'y pas revenir à deux fois , ou que Ton ait deux cuillers , &c que deux perfônnes verfent enfemble , fans quoi le bourlet feroit fujet à être de deux pièces. Le cuir de ce pifton n'a point de joint ^ c'efl une calotte eilampée^ ayant Digitizedby Google DES SCIENCES , 1761. 45J fes bords relevés de 8 à 10 Hgnes ou d*un ponce , ^ oa veut. jE en repré- fente la coupe , & S le plan avec fes ouvertures. Pour foirer ces cuirs, il faut avoir une virole A^de cuivre ou de fer , un peu conique & évafée par le haut , bien ronde & bien unie en de- dans , & du même diamètre à l'endroit le plus étroit , que le corps de pompe ; on a une pièce de bois O apercée d*un trou au miiieu , de la même grandeur que le trou du milieu des pièces de fonte 9 tourné fur un mandrin paffé dans ce trou. Le diamètre de cette pièce de bois doit être moindre que celui de la virole ou du corps de pompe^, de 5 lignes i à 6 lignes, &c doit être auili un peu conique comme la virole ; la figure O en montre la coupe , on en abat les carnes ou arêtes un peu en xond , afin qu'elles ne coupent pas le cuir. On prend un morceau de bon cuir ^ fans demander néanmoins du plus épais 9 mais qu'il foit bien uni & bien égal d epaiffeur ; celui paffé à Torge eft pré- férable à tout autre , celui paffé à la chaux eft trop caffant on arrondit ce morceau de cuir, faifant Ton diamètre phis grand ^ celui du corps de poinpe , Digitizedby Google 454 MÉMOIRES DE l'ACAD. ROY. de 1 1 à 1 5 lignes ; on y fait un trou au milieu , de la même grandeur ou un peu moins que celui des pièces de fonte , parce qu'il s'agrandira-îuffifamment ; on met ce cuir tremper , & lorfqu'il Teft affez , & qu'on Ta rendu bien fouple , on l'eftampe avec la virole & la pièce de bois faites pour cela y mettant le côté de la chair en dehors , celui-là s'appliquant*mieux contre le corps de pompe. On fait entre la pièce de bois O avec le cuir dans la virole y par le moyen d'un grand levier, ou d'une preffe, ou d'un grand étau , ou encore mieux par le moyen d'une vis & d'une clef à écrou faites pour cela, faisant paiTer la vis à travers d'une planche ou d'un établi , & par le milieu de toutes ces pièces on fait entrer la pièce de bois O^ jufqu'à ce que le cuir touche Tétabli ; dans le cas ok Ton fe ferviroit d'un levier ou d'une preffe , il faudroit mettre une cheville dans le trou de la pièce de bois O , un peu faillante pour affujettir le cuir à refter concentrique avec la pièce de bois. Il faut laîffer le tout en cet état un jour entier ou davantage, fi l'on Veut ; après quoi on retire le bois avjsc 1q cuir de ia virole ^laiffant fécher Digitizedby Google T>ES SCI ENCES, 17^1. 455 le cuir fur la pièce de hors , afin qu'il conforve fa forme & ne fe déjette pas ; & lorfgu'il eft fulfifamment féché , on égalîfe le bord , s'il ne Teft pas , on lui fait les paflages pour l'eau, de la même grandeur que ceux des pièces de fonte, comme cela eft repréfenté par ff , & on les rafleroble fur la tringle du pifton qui doit renîplir le trou du milieu des pièces de fonte & avoir une embafe P & un écrou de cuivre JF^ placé deffus ou def- fous , félon que le pifton doit être af- pirant ou foulant* Je dis qu'il faut faire l'écrou de cuivre, parce que fer contre fer dans l'eau , fe rouille extrêmement vite , au point ^u'on a de la peine à les défaire au bout de deux ou trois ans, au lieu que cuivre contre fer ne fe rouillant pas l ou bien n'y en ayant qu'un qui fe rouille , cela n'empêche pas qu'on ne les défafTe aifé- ment , n'y ayant rien de l'un qui engrène dans l'autre. En affemblant ces pièces, il faut avoir foin de mettre deux petits ronds de cuir ou de forte vache entre le bout du canon GG de la pièce FG & l'embafe ou l'écrou qui doit appuyer defttis , félon que ce fera l'un ou l'autre, poiur faire un pifton afpiraot ou refoulant Digitizedby Google 45^ MÉMOIRES DE L*ACA;D. ROY. ians cette précaution, il s'échapperoît un peu d'eau entre la tringle &c le canon. OBSERVATIONS, Sur la quantité £ Argent que retiennent Us Coupelles après avoir fervi aux E^ais. Par M. T I L L E T. € Février lySz. JDans un Mémoire que j'ai eu Thon- ncur de lire à l'Académie , fur les Effais des matières d'Or & d'Argent , & fur les moyens de les rendre moins incer- tains y j'ai dit 9 par une fuite des réfultats Sue j'y ai établis *, qu'il y avok tout lieu e croire que la diminution confiante qui fe trouve fur le fin des matières , étoit principalement occafionnée par le plomb dont on fait ufagç pour les épu- rer. J'ai obfervé que ce dernier métal , en fe réduifant en litharge & en s'imbi- bant dans les coupelles, pouvoit entraî- ner avec lui quelques particules d'ar- gent, s'en charger plus ou moins , fui- vant la quantité de plomb qu'on emploie , & les tenir noyées avec lui dans toute l'étendue Digitizedby Google ^i -^C a dc^ ^c- ijà'a. pa^e ê PI Jh Digitizedby Google Tiff l'àm pit Digilizedby Google ^c Ac jR' J^&f tfc* ij ê J^I 2 m — \ » yj^^9 vtm^ su% Digitizedby Google Digitizedby Google ;BrB,s ^ciEKtES,'i7Sî. 457 ;S'étendue des coupelles , fans qu'il n reftât aucune marque extérieure. Je m'étois propofc dès ce tenops-là de iconftater ce fait important 9 & d€ retrou- ver ^jHïI étoit pQffible , les particules jiant une chaleur aâez vive pour que le 4lomb s'y imbibe à mefure qu'il fe eon-* avertit en Utharge. Lorfque l'opéralion eâ. bien faite^ l'argent reûe pur à la fu perficie de la jcoupelle , & le plomb in-* corporé dans cette matière poreufedi£; paroit totalement. J'ai long-temps em-t ployé des coupelles quipefoient à*peu^ près, deux gros 9 & pouvoient recevoit! en litharge la même quantité de plombi Ce n'^jft pas encore ici le moment de communiquer à l'Axradémie Les^Qbferva* Mcm. lyfSx. Tome L V \ Google ^^t MiMOIRCS DE L'ACAD. K0^^ lions que 31. Hellot & moi avons faîtef fur ce mii regarde les coupelles d'eflais^ fie la néceffité de les peifeôionner ce travail tient à un autre plu» étendu dans le même genre , que nous mettrons fous les yeux de la Compagnie , lorfque des circonftances particulières ne nous arrê^ feront plus^ La forme ^U pefanteur & a nature des coupelles n*infiuant en rien fur les expé- riences que je projettois^je pris cellesqui yn'avoimt fervi autrefois , & avoient pefé deux gros avant que d'être em* ployées aux eilais; elles étoient entièreitre ce qu'il pouvoit contenir d'ar» sgent , & \q trouvai qu'il en avoit beau- coup plus rendu que n'en renferme le plomb dMit je fais tifage pour mes eflais Cette premièreépreuve Confirma nâon fentiment, & me détermina à naettre plus de précifion dans celles, que î'avois deHein de faire en employai le fiux Jeréduiiis en poudre impalpable plu^ £eurs coupelles chargées àe litbai;e ; je mêlai deux onces de cette poudre avec ilx onces de tartre blanc , & trois onces de falpêtre rafiné ; je mis ces it^attères ainii mélangées dans un creufet d'Aile* magne ; je le couvriikl'un autre creu£^ de la^êsie efpèce , & je les lutai av^c €oin , en ménageant auliaut de celui qui fervoit de chapiteau > une iâue pour les vapeurs du flux loriqu'ild^onneroit. La chaleur que je donnai d'abord au ireufet fut ttop vive ûins doute ; peut- ^trç auifi contenoit^l trop de matière pour h grandeur dont ; j'enten- dis une explofion fourde ; le creufet fè caflTa vers le commencement de l'opéra^ tion ; elle ne fut pourtant pas inutile je trouvai au fond du creufet près de tf ois gros de plond>, je le paflai à la coupelle après ravoir fondu pour l'obtenir plus mt, & j'^us encore dans cette fecondff Digitizedby Google >^0 MÉM^HC^DEL^ÂCAOiROY* À>reuve^eaucoup plus d^argent que moa ploii^b éefliné aux cfTats a en contient. Je & une trc^ème expérience fur une inouidre ^antké de matière , mais îe la lis avec une préjcifion rîgoureufe ; e me liornaiàdeux coupelles entièrer ment imbibées de lithai^e, &qui per foient eniem^e une once. J'ai dit mç chacune de avant qu'elles ^erviflent , pefoit deux grps , elles conte^ noient par conféquent quatre gros de plomb converti en litharge , & dès- lors ^ pairtcHs d'une quantité connue. Je ré» duifis ces deux coupelles en poudre ; je les mêlai avec trais onceâ de tartre l^lancy & wie once^ de^miede falpê* tre Tjà^né ; je mis ce mélange qui n'é* toit gue la nuMtié du premier , dans ua jcreufet de la grandeur de celui qui avoil caâé au feu ; & après l'avoir couvert & luté> conmie fai dit plus haut^ je lé plaçai daçs un fourneau à vent dont j^^ tarlé dans mon Mémoire fur lesEâais^ i qfjà produit le plus grand effet. J'y inénageai la chaleur dan$ les commen- jèemens ; je la pouffai enfuke au degré le plus vif pendant priés d'une heure, jk l'Opération réu^t; je ne trouvai ce- pendant pas raffeniblé au fond du créur ^t tput le plomb que les deux cpupçljf^ y Google ÔES SCIENCÉfe; 1762; 46t Hôntenoient^jen'en recueillis qu'envi-; Ton trois gros y &C je remarquai que quelques globules de ce métal étoient reftés dî^ns les fcbries qui env^toppôient le petit culot de plomb. Je fondis dans une cuiller de fer tout le métalque me donna cette épreuve , & j'en tirai deux gros de plomb qui étoit beau , brillant 6c parfaitement net; je paflai à la; cou- pelle ce plomb refTufcité , avec l'atten^ tion de pafier auffi dans une féconde coupelle deux grosdupbmbquej'em- ploie pour les effais. Il réfulta de cette expérience que le plomb refiufcité fournit deux grains 6c demi d'argent, poids ,de femelle , tandis que le plomb ordinaire, & qui n'avqit point fervi aux eâais , ne donna qu'un quart de grain 6c même un peu moins ; à peine cette particule d'argent impjcr- ceptible faifoit-elle incliner la balance , 6c Ton ne doit pas en êt/e furpris,puîf- iju'elle n'étoit que la cent vingt-huitième partie d'un grain , poids de marc. Les deux coupelles- » matière de là dernière épreuve 9 ayoient donc abforbé ehacunedeux grains & demi d'argent » poids de femelle , lorfqu'elles fervtf ent à un eflai ; Se le fait devient incontefîa- ^e> puif]^e le plomb dont je fis ufagQ Digitizedby Google alors ne contenoît en argent iqu^un quaMr de grain , poids de femelle , & s*eft trou- vé dix fois plus riche après avoir purifié- les matières, en pafTant à Tétat de lithar- ge^ & avoir été rétabli dans toutes fes propriétés n^talliques. On fera encore mieux convaincu de- cette vérité y lorfqu*on fera attention que le déchet ordinaire du fin de chaque cffai roule fur la quantité dont nous- voyons que le plomb s'eft enrichi , & ,que l'on pourroit peut-être, en eflayant des matières pouffées au dernier degré d*afEnage , retrouver la totalité de la portion qu'on auroit mife à l'épreuve, S l'on joignoît aii bouton d'eflai qui refte dans la coupelle après l'opération, le petit grain d'argent dont te plomb s'eft chargé en fe convertiffant en litharge. On pourra m'objeâer que dans les^ expériences que j'ai faites , il y a eu une efpèce de concentration , que les parti- cules d'argent difféminées dans la lithar- ge, ont pu fe raffembler dans le petit culot que l'en ai tiré , & que fpéeialementdans les deux gros de plomb de la troifième épreuve, j'ai eu peut-être tout l'argent que les quatre gros contcnoient. Quoiqu'il y ait toute apparence que le peud'argent répandu dans lalitharge ^ Digitizedby Google tfflt également dlftribué dans le plomb net que produit cette litbarge reSvtfcU fée , cependant je veux accorder qu'H y a une concentration réelle , & que le petit culot contient feul de Targent ; il n'en réfultera jamais qu'un 'demi-grain , poids de femelle , pour la totalité des quatre gros , lequel fera fuppofé appar- tenir au plontb foncièrement, & Ton fera force de convenir que les mêmes quatre gros réduits en litbarge , en ont abforbé deux grains ^ puifque rétablis dans leur premier état > ils en ont fourni deux grains &c demi. 'De ce fait aâuellement éclairci, & qui eft beaucoup plus infportant qu'il ne le paroît au premier coup d'oeil, réfulte 1**. la vérité d'une propofition que j'a- vois avancée en m'expliquant fur le tra*- vail des effais , & qui confifte à affurer que les Effayeurs rapportent toujoursle titre des matières d'argent , plus bas qu'il n'eft réellement. S^il y a en effet dans ^opération une perte confiante fur le fia des matières, parce que le plomb en ab* forbe une partie en pafTantà l'état de Etharge , il arrive de toute nécefïîté que l'Effayeur dans fon rapport ne fixe pas avec exaditude le titre des matières aflayées,puifqjki'il fe règle fur le poids V4 Digitizedby Google 9S4 MEM0IR£S de i'ACAOvJlOT. feni du bouton d'argent qui lui -reûà après Topération , & ne tient aucun compte de la partie dont la litbarge s*eft chargiée» Il réfulte, en fécond Heu, de ce faitbiea établi 9 que le plomb doit être ménagé dans les eflais d'ar^nt , &. qu'il en faut régler les proportions fur la quantité d'alliage que les matières contiennent. Dès qu'il ne les purifie qu'en oecafion^ nant quelque diminution fur le métal efTentiel, on peut être afluré que ce dé» chet fera pjus ou moins fort félon la quantité de plomb pks ou. moins con&- dérable qu'on aura employée ; & c'eft un des points fur lefquels nous avons cru devoir infifter. M Hellot &moi, dans le rapport que nous avons donné à la Cour des Monnoies , après des expé- riences réitérées^fur la difcuffion^ qui s'eft élevée entre les deux>-Ëflayeui de la Monnoie de Paris Jeur pratique n'eft pas la même en général quant aux dofes de plomb qu'il convient d'employei^^re- latiyement au titre des matières. Il faut conclure enfui de cette perte régulière fur les boutons d'efTais , qu'on s'eft trompé jufqu'ici en regardant les matières d'argent afHnées^cpmme chat^ gée& encore d'une »ortion d'alUagjS^lo£fi^ Digitizedby Google ttS ScfEl^CES^lJôl. 465 Ihê'me qu'on a pris Uè plus grandes pré- cautions pour n*y laiffer aucun corps étranger. Les lingots d'affinage font com snunément rapportés au titre de onze deniers- vitigt-un grains , e'eft-à-dire •, qu'on y iiippofe un quatre-vingt-fei- zième d'allidge; mais fi' l'on avoit fait attention que le ptbmb entraînoit une quatre-vingt-feizièm€ partie ou environ du fin même des matières, & qu'il y avoit un moyen de la retirer de la lithar- ge , on auroit reconnu- que les lingots d'affinage, lorfque cette opération efl bien faite , ne contiennent plus d'alliage. Ou approchent au moins très-près du degré de fin auquel l'art eft capable de tes poufler. Il eft certain qu'en perfec- tionnant le moyen d'extraire de la li- thargé les partkiues d-'argent qu^elle tient recelées, & en réunifiant enfuite ce lé- ger produit au bouton d'efiai, on pour- loit juger du point précis d'affinage au- quel il eft poffible de parvenir peut- être trouveroit-on quelquefois que l'af- finage eft complet y fi la chaleur étoit modérée, Scn'excédoit pas le terme que cette épreuve demande. Je dis fi la cha- leur étoit conduite avec ménagement , parce que j'ai obfervé que poufiee h un il^llé' extraordinaire U long-temps fou- ^5 Digitizedby Google 466 MImoirïs Bt E'AcjfeD. Rcrw tenu , elle peut faire perdre à de Târ»- gent très- pur quelque chofe de fbn poids^ y occafionner une forte de fublimation ^ lans qu'on ait befoin pour cela d'em- ployer le plomb comme intermède ^ & qu'on pouvoir conclure de cette moitié au total. J'ai £iit tremper ces fcories dans de l'eau chaude, jufqu'à ce que les fels alkalis qui formoient le flux , y fuflent entièrement diflbus;les grenailles de plomb qu'elles^ enveloppoient fe font afl*emblees au- fond du vafe qui contenoit la diiTolu-' ion, & après avoir été fondues dans une cuiller de fer, elles ont donné^un petit culot du poids d'un gros douze grains. J'ai paffé à la coupelle ce culot de plomb , & j^en ai tiré une petite por- tion d'argent qui pefoit un grain & demi , poids de femelle il eft démontré Digitizedby Google Ô' É s ^ C T E N 5 é ^ , 1761. 467 pzrAh que l'argent dont la litharge fe charge eft diftribué afTez également dans fe plomb rçffufcité, puifqu'après avoir tiré de deux gros de ce dernier métal , dans la troifième expérience, deux grains & demi d'argent , poids de femelle , j'en ai extrait un grain & demi , même poids iîâif, d'un gros douze grains dans le fupplément à cette même expérience. J'en ai fait une quatrième fur deux coupelles femblables à celles dont il vient d'être queftion , c'eft- à-dire , qu'el- les étoient entièrement chargées de li- tharge, & pefoient enfemble une once. J'y ai fuivi le procédé que 'f^i décrit pour la troifième expérience , à cette différence près , que je l'ai exécuté d'u^ fie manière aflez complète. J'ai raflem- blé en effet le plus exaâement qu'il m'a été poffible, tout le plomb que conte- noient ces deux coupelles , en faifant fondre les fcories dans de l'eau chaude , & j'en ai formé un culot pefant trois gros & demi vingt-quatre grains ^ poids de marc. On juge, par cette quantité , que j'ai eu à-peu-près celle cjue lés cou- pelles avoient abforbée d'ailleurs il eft bon d'obferver que le plomb fume pen- dant qu'il circule dans les coupelles, qu'il doit s'en évaporer quelques parties, & ' V6 Digitizedby Google ' 468 MtMOWlES^ DE L-ACÀD* ROY. qu'il ne faut pas efpérer que la lithargar" reflufcitée donne jamais la totalité^ du plomb qu'on aura employé pour les^^ef- lais le petit culot de plomb que jVi tiré de cette quatrième expérience a produit^ après avoir été paile à la coupelle, fept grains d'argent fin» poids de femelle* Voilà donc une nouvelle confirmation de la vérité que jVi établie il eft dons prouvé évidemment que , défalcatioa &ite de k particule d'argent qui étoit inhérente au plomb ^ & qui lui apparte-it eflayée. Nata, Ces Obfervatîons m^nt conduit à un travail plus étendu ^ dont je rendrai compte dans la fuite ; j*y établirai des faits qui ne font préfen- tés ici qu'avec réferve on y verra la rêduâion des coupelles pliTS complète ; le plomb fur lequel il n'y aura qu un feizléme de perte 9 raâemUè en un feul culot ^ & le fin qui manquoit aux ma- tières eiTay èes , emièrement reAitué. Digitizedby Google M É M O IRE s [/ R r O C R £. Par M. G u E T 1^  R p. L'0 > OR E*5 aînfi que le Tripoli , fur W ijuel j'ai- donné en 175 5 un Mémoirç , eft une fubftànee qui^ àcaùfe du fré- q-uent ufage qu'an en fait das les Arts , a- beaucoup attiré l'attention-des Natu- raliftes & des Chimiftes;les recKercbes &les expériences des uns& des autres^ ent donné natflance à-une variété de fen timen$ fur la nature de l'ocre , telle qu'o» pourroit encore faire maintenant cette quefiioii Saint- Vetain & Argenouy^ endroits peu éloignés de Donzy en Ni- vernois {i les trous qu'on ouvre dans ces gatines pour en tirer l'ocre, n'ont au plus que trente pieds de profondeur fur fept à huit de largeur ; ils forment un quarré ou un quarré long, c'eft-à-dirô que depuis leur ouverture jufqu'au fond j^. leurs, quatre côtés font tou^urs cou pés à angles droits, & que ces côtés fonv toujours proportionn^ement de la mè me longueur ; ils font compofés dan$ leur hauteur de trois bancs de terres- différentes qui précèdent l'ocre ; le pre- mier eft le moins épais> it fait le fond da^ térrein des gatines, c'eft un fable ter- reux ^ il peut avoir un pied ou deux de hauteur au-deffous de ce banc en eft placé un d'une glaife quieft d'un blanc cendréou d'un bleuâtre tirant fur le noir ; les ouvriers appellent cette glaife , terre à pot ; elle fert réellement à faire de la poterie^ les Potiers de Saint- Amand vien- nent fouvent la chercher pourleurs ou- vrages ; ce banc de glaife peut avoir dans^ 1 On tire encore de l'ocre à la Villotte pjrês^ éèBitry. Digitizedby Google DPE S Sg I E N C E S^, 176%. 47* n trou de trente pieds^ de profondeur y> neuf à dix pieds d-épaiffeur, c'çftle tiers ou à-peu-près de la profondeur totale' après ce banc , il y en a un autre d-une^ glaife dont la couleur eft d'un rouge- tirant fur le violet; il eft tantôt plus> violer que rouge > tantôt plus rouge que violet ;^ les ouvrier donnent à cette glaife le nom* de terre fougc ; la bau taur du banc qu'elle forme eft un peu^ Hioins grande ointus ils les font entrer à fbrbe de coups de maillet de bois ^ & enlèvent par ce mojren des quartiers affest confidéra- Wes de ces- terres iTocre qui eftaînfi coupée s'appelle ocn en ^uariicr;\espé* tits morçeauxtju'on ne peut guèf e s^em^' pêcher de faire , fe nomment le mentu L'ocre en quartier & le meiil font d'a- bord apportés du fond des chambres^ar le plancher du trou, & de-là fur es bords, oà Tonf^are Tocre desglaifes qui peuvent y être reftéesattàchees%& Pon garde féparémeàt cesdèuj^fubftàn- ces; on en fait près des trous des tas eu des efpèces de meules à-peu*pfrè$ coniques ; ces meules^ patleu^quami^é, font un eflet aflezânguHer, l&r£^i'm Digitizedby Google tfEs Sciences^; tySii 475' fes voit aune certaine diftance^ la belle couleur jaune de cette terre leur donne trn aïr d'une fubftance d'un prix infini- ment plus grand que n'eft celui de Tocre. Lorfqu'on a ainfi tiré une certaine quantité d'ocre , & qu'elle a commencé à' fe fécher , on la tranfportt darts des halles de trois à quatre pieds de lon- gueur , fur une largeur à peu-près éga- le ; elles font ^it^s de poutres efpacées de façon qu'elles laiflent dey jours entre elles le haut de cette efpèce de cage eil couvert en tuiles ou en chaume; on y laiffe l'ocre jufqu'à ce qu'elle foifbien defréchée;on rentonne alors^ dans de vieux vin , & on les arrange avec foin. Voilà tout l'art qu'on emploie ordî- irairement dans l'exploitation de l'ocre jaune , lors fur-tout qir'on fc propofe de la vendre en gros ; les ouvriers donnent quelquefois une petite préparation à celle qui eft pour vendre en détail^; ils en forment de petits pains >quarrés ; à cet effet ils h pêrrifTent comme l'on pétrit la pâte , ils nettoient pour cela une place proche des trous, & là ils étendent avec les pieds lès quartiers d'o- cre, qu'ils humeâent avec l'eau qu'oA tire des trous jlorf qu'ils ont ainfiamoBi. Digitizedby Google 474 MImOTRES D£ l'ACAD^KiQV; Focre jufqu*à un certain degré , iU là jeUent fur une espèce de table faite de quelques planches mobiles ^ portées iiir des traveries attachées à quatre pieux qui font plantés en terre » pour lors ils battent & broient Tocre avec un gros bâton , enfuite ils en prennent avec une l^etite palette une certaine quantité , & en forment avec teurs mains des petits pains de quelques livres pefant , aux- quels ils donnent une figure quarrée en frappant fur les furfaces du morceau 2u'ils ont pris Ton fait enfuite fécher e nouveau ces pains, & on les entonne^ lorfqu'ilsfont fecs, dans des fûts fembla- bles à ceux dont on fe iert pour Tocre en quartiers* On ne trouve pas dans Tocrière de^ Bîtry tfocre naturellement rouge, celle qu'on en envoie eft due à Tart , cet art eft encore des plus fimples on penferoit d'abord lorsqu'on voit un trou dç ces ocrières, que l'on fat l'ocre rouge avec la terre qui a cette -couleur, &au'oii ce trou ;ons'imagtneroit qu il ne s'agiroit que de ^donner à cette terre les préparations qu'on que c'eft un quarré long^ coU[^ vers le tiers de fa hauteur de plu- fieurs traverfesde briques longitudina- les, &par d'autres tranfverfales pofées à une certaine diftance les unes des au^ très , & qui laifTent ainfi des jfours pour donner une iffue à la flamme ;^ on pofe fur cette efpèfce de foyer les quartiers d*ocreaune ; onles y arrange en fautoir, de façon qu'ib laiffent également des jours entr'eux pour faciliter le paflage de la flamme qui s'échappe avec la fu- mée par les loupiraux ou cheminées qui font pratiqués au h^ut du fourneau j on remplit ainfi tout cet efpace du four- neau ; Ton fait ao-deflbus unfeu de bois ^ui dure trois jours de fuite fans difcon^ tinuer;il doit être modéré les deux pre- miers jours, on l'augmente confidéra* blement le troîfième ; l'ocre efl alors de* venue rouge ; fi on la retiroit plutôt , elle ne feroit' que d'un brun roufsâtre , 8c plus dure que la rouge; Tocre ainfi cal- cinée s'entonne dans des fûts de même que la jaune , &c fe vend de même pac tonneaux. L'opération de la catcination de l'ocre îaunefe fiait probablement delamêm^ Digitizedby Google îfT^ MÉMOIRES DE L^ACADi ROvi feçon dans les autres ocrières Hu leP cpielles f ai quelques coml^îfiances , jt n'en ai point eu la defctîptioa , lîiais celle des^ trous d'où Ton tire l'ocre jces ocrières fcAît celles^ de Ja Paroifle de Saint-George-fur-la*Préedans leBerry, & de la Paroifle de Tannay proche Saint- Bouife-fous-Sancerre en Brie i. La P» i^oifle de Saint-Georgè^fur-la-Prée eA £tuée fur un coteau- qui fert de rivage à Jki rivière de Gher^eette étération do- mine tout le pays des eîlvir©hs^&-offi-e à tout ce canton , & fur-tout à l'ociière, Qncoup d'œîldes plus agréables. Les trous de l'ocrière font ouverts fur une petite montagne ; ils ont ordinairement cinquante à foixant^ pieds dé profon- deur fur quatre à cinq de largeur on' ouvre, en les faifant > quatre à' cinq pieds de terre commune , quinze àfeize pieds d'une terre argilleule , mêlée de cailloutage on trouve enfuite un banc de gros £able rouge , de l'épaifleur de trois à quatre pieds ; qui eâ immédiate* i La Defcrîption dé îa première m*a été en- voyée par M. Pinautty Curé de Saint-Georgp fur- Ife-Prée,qui l'avoit faite lui-même. Celle de &* ftconde , par M. Guigne^ Curé de Saint-Bouife f îîpi rayait euc^ du Propriéttdro de lîocrièrc. Digitizedby Google lES S CIEN GE$5 762; 477 ^R^nt fuivi d'un maffif degrés gris& lui?- iant y de cinq à fix pieds d'ipaifleur ,& ^quelquefois fi dur ^^ju'on^ obligé d'em- j>loy er la poudre pour le rompre. Après jce maflif , on perce june terre bnuie plus ferme ^ plus folidp que l'argile ; elle a à'épaifleur dix-huit à vingt pieds elle change enfiiite de couleur 6c efl jaunir tre , le banc qu'dle forme a deux ou . trois pieds d'épaiiTeur ibus ce banc eft placé celui de l'ocre ^ qui s'étend au loin horizontalement; il n'eil tout au plus épais que de huit à neuf poi^ices* Gn trouve immédiatement deflbus Vor cre un fable paflablem^uitfin&luifant^' dont on ne peut connoitre la profon*^ 4eur.;ce qu'il y a de confiant, c'eA qu'oa le creufe orcQnairement de la hauteur £ ROX; ^eur ^ il s'attache une pedte qiiandfé d'une matière blanche aux parois jdtB deux parties féparées. Il ne fe trouve aucuns cailloux dans le corps de l'ocre mais une efpèce de gravier de Tépaifleuf de deux ou trois doigts , tient à Tocre par- dcffous ; il y a parmi ce gravier quel- ques petites pierres de la couleur dei'o- xre, sSct tendres, & qui ièmblent & former par couches; elles font ordinai* j-ement plates, on en rencontre rar^ ment de rondes. . Uocrière de Tannai en Brie » eft ou- verte dans une terre lurable cette terre eft maigres Si a peu de confiôan- CQ elle forme le premier banc des puits iucoui^ Digitizedby Google DES SCfENCES ,1762. 481 beaucoup plus abondante qu'aucune de celles qu'on connoît en France ils pré- tendent encore que leur ocre eft meil- leure que toutes ces autres. Je ne fais pas ur quoi ils appuient leur fentiment ; il eft probable que ce n'eft de leur part qu'un préjugé favorable à leur travail > 1>ré}ugé qui leur eft commun avec tous es ouvriers de quelques genres que ce foit. L'ocre qu'ils tirent de leurs mines, n'eft pas plus fine ni plus pure que celle des autres ocrières ; ces ocres , comme celles-ci, ne renferment aucuile partie gui ne foit pas ocre , fi ce n'eft quelque- Kris de la pyrite ferrugineufe le fable ou le gravier fur lequel le lit d'ocre eft pofe 3 n'eft pas mêlé dans la mafTe de l'ocre , il n'y forme au plus qu'une croûte du côté qu'il touche. Il y a donc un rapport confidérable entre toutes ces ocreis & les mines dont on les tire ; les petites différences qu'on y obferve ne font pas effentielles , & ne dépendent peut-être que de la profon- deur plus ou moins grande qu'on eft obligé de donner à ces mines pour par- venir au lit d'ocre ce qui ne vient pro- bablement que de la fituation du lieu oît l'on ouvre ces mines. Par exemple, les ocrières qui font dans des fonds ^ ne Mém. ij6x% Tome /• X Digitizedby Google ^8l MÉMOIRES DE L'ACAD^ ROY. doivent pas être fi profondes que celles qui ont fur des montagnes ou fur des colUnes dans celles-ci on peut percer pluûeurs lits d'ocre , qu'il ne feroit peut- être pas facile de pénétrer dans les ocriè* res placées dans les vaUées, à cauie de l'eau qu'on y trouve beaucoup plutôt^ qu'il feroit très^difpendieuxde tarir , 8c que le profit qu'on retire de l'ocre ne pourroit peut-être pas compenler. Aidés de toutes ces Obfervations, voyons maintenante l'çn peut répondre à la queftion fur la nature de l'ocre que î'ai annoncée au commencement de ce Mémoire potirj répondre avec encore plus de connai0ance de caufe ^ je crois qu'il ^eft néceflaire de rapporter ici les différens fentimens que Ton a eus fur cette matière. Théophrafte efi celui de tous les An- ciens dont les ouvrages nous font par- venus , qui ait le mieux écrit fur l'ocre; il veut que ce foflilefoit une terre argil- leufe il en reconnoit de deux efpèces , l'une eft jaune & l'autre rouge; celle-ci eft naturelle ou faâice » c'eft^à-dire , qu'il y en a à laquelle la couleur rouge eft naturelle»& queJa couleur de Tau* tre n'eft due qu'à la calcination par la- quelle on faifûit pafler Tocre jaune. A Digitized by VjOOQIC 01 SI s C I EN C ES, 1761 4^1 cet effet on rempliflbit de cette terre des pots qu'on couvroit d'argilIe,Ôc qu'on plaçoit dans des fourneaux où elle pre- noh une couleur plus ou moins rouge , fuivant le degré de feu qu'on faifoit. Théophrafte vouloir encore que les ocres jaunes & rouges naturelles euiTent fouffert dansUa terre même l'aâion des feux fouterrains. Diofcoride, Galien , Vitruve , Pline même , rfont parlé de l'ocre que comme d'une terre dont on fe fervoit dans la Médecine ou dans la Peinture, & n'ont rien dit de fa nature. Les Commenta- leurs qui ont travaillé àéclaircir les dif- ficultés qui pouvoient être dans ces Au leurs j n'ont pas étendu'nos idées beau- coup plus loin que n'avoient fait les Ecrivains qu'ils ont commentés. Ce n'eft que depuis que Ton a recher- ché à connoître la nature de l'ocre > qu'on l'a foumife à des expériences chi- miques , qu'on a voulu arranger fyfté- matiquement les fubflances dont les Mi néralogifles font des recherches , ce n'eft , dis-je , que depuis ce temps qu'on a commencé à varier fur la raçon de penfer au fuîetde l'ocre. Les expérien- ces de Chimie nous ayant appris que l'ocre contraoit une grande quantité de Digitizedby Google '4^4 MiMcms de l^âcad. rot fer , & que loHqu'on la traitoit avec des matières qui contiennent du pUogiftiqaey elle fe convertiffoit prefqu'entierement en fer des Auteurs fyftematiques ont rangé l'ocre avec les mines de fer pkitôt qu'avec les terres avec lefquelles beau- coup d'autres la plaçoient. Parmi ces derv» niers Auteurs j il y en a qui la regardent comme une glaife qui ne di£[&re des au* ires que parce qu'elle contient beau- coup plus de fer que les glaîfes ordinal» tes ; d'autres, du nombre defqueb font MM. Hill & d'Acofia, la placent avec les argilles, & reconnoiflent pour ocres toutes fubftances qui font friables, dou^ ces au toucher, & qui fe diflblvent faci- lement dans l'eau ; ils foudivifent enfuite les ocres en ocres vitrifiables , & en ocres alkalines,ou propres à faire de la chaux* Ces derniers fyftematiques ont à la vérité multiplié les ocres plus que n^a* voient fait les premiers i mais ils nous ont encore plus que leurs prédécefleurs, jette dans l'embarras fur la nature de Tocre , de forte qu'on ne fait plus main tenant fi l'ocre eu, une glaife, une argil* le , une mine de fer; & h une terre pour être regardée comme une ocre, doit être vitrifiaple ou alkaline , ou fi les unes ou Les autres de ces terres peuvent être réel Digitizedby Google DrES Se I ENCES, 1762. 48J lement des ocres étant vitrifiables ou ne l'étant pas. .. Quelle voie doît-on donc prendre qiiaintenant pour> lever. ces doutes, & quel eft lie point;fixe fur lequel on doive ^'appuyer pour déterminer nos idées à ce fujet? il me femble qu'on ne peut mieux faire que de prendre la vraie pcre> Tocre commune pour le terme de com- paraifon , duquel on doive rapprocher toutes les autrîes terres qui peuvent éirc des ocres* Pour le faire avec jufteffe , il me pa- roît qu'il faut regarder comme de vraies ocres toutes les terresqui ont les mêmes propriétés que celle que tous les Au- teurs. , de quelqu'avis qu'ils foient ^ avouent être la terre qui a la première porté ce nom. Or, cette ocre, qui eft xelle que nous employons communé- ment dans les Arts, qui eft naturellement 4aiipl^6cqui par Taôion du feu , devient ^ouge, doit être , pour ainfi parler, Té- talotifur lequel il fautmefurer le5 terres qu'on peut ranger au nombre des ocres cette ocre eft douç^ au toucher , s^atta^^ che ^ la langue , fe durcit ai en la mêlant avec du phlogiftique, X3 Digitizedby Google 486 MÉMOIRES »Ê l'ACAD. ROY. û on la poufle ainfi mêlée à un fembla- ble feu , & enfin ne fe difTout pas aux acides minéraux , mais à l'eau commune. En '^admetlant ces principes ^ il fera facile de reconnoltre fi une terre eil une vraie ocre ou fi elle n'en eft pas une on conftatera facilement fi le giatloUno ovt jaunç deNaplcs, le^î/ de Syrie, Vatma^ gra des Modernes , ou le fil Atltque, le bol de Venife , la terre de Sinope , la terre d'Ombre & celle de Cologne , la pierre d'Arménie, la craie noire &4€S autres fubfiances quièdes Syftématiques placent avec les ocr^s , peuvent ou non Être réellement rangées avec elles. Quelques couleurs que Ces matières puififent avoir , on ne aoit pas les ôter du nombre des ocres fi elles ont toutes les autres propriétés queTonreconnoît dans l'ocre commune ; je ne les en ôte* rois pas plus , quand elles ne feroient pas friables lous les doigts , quand cM^fe- roient légères ; l'ocre rouge comimme , qui n'eft que l'ocre jaune qui apéffé par le feu, n'en eft pas moins tme *ocre^ pour avoir change de couleur , & pout y avoir pris un degr^ de folîdité & de îdureté que l'ocra jaune n'a pas^ Pour me mettre en état de fàîre par moi-même cetejcamen> je me fuis pro? Digitizedby Google DES Sciences; lyiSi, 4?^ Ctif é le plus que j'ai pu de ces dIfFéren- te& terres, & l'examen que j'en ai fait 9 m'a découvert des difFérences qui m'en- gagent à ôter du nombre des ocres quel- ques-unes de ces matières. Le giallolina ou jaune de Naples ^ par exemple y qui eft une fubftance dure , pefante , grenue , d'un jaune vif & for* mant une efpèce de pierre, ne fe diflbut pas , il eft vrai , à l'eau forte , mais elle n'eft pas douce au toucher, ne tient pas à la langue , & a plutôt l'air d'une ma-^ tière qui a pa^ par le feu, que d'unt terre naturelle; ce feu à la vérité peut être celui de quelque volcan, l'endroit d'oîi on nous l'apporte pourroit le faire jenfer,& j'adopterois volontiers ce fen- timent; mais je ne regarderois cette ma- tière comme ime ocre que lorfqu'il fe- f oit bien établi que la fubftance premiè- re , dont le giallotino eft naturellement formé , eft une terre de la nature de l'o- cre , & qui auroit été durcie par ces feux fouterraifls ; elle feroit quant à la dureté , dans le cas de l'ocre jaune qui a été calcinée. Si le fentiment de Théophrafte qui penfoit que l'ocre commune /nême a voit loufFert l'aâion de quelque feu fembla- ble 9 étoit vrai . le gialloUno pourroit X4 Digitizedby Google 4SS MÉMOIRES DE l'AcÀD. ROT. encore à plus forte raifon y être regardé Comme une ocre ; mais il eft plus eue probable que le fentiment de Theo- pftirafte ne peut pas èire admis la Def- cription des ocrières que }'ai donaée ^ prouve ioconteftablement que notre ocre commune n'eft pas le réAiltat ^de 1 opération de quelque feu , les bancs de iableSjdeglaifes &c d'ocre y font trop régulièrement pofés, pour qu'ils aient ainii été arrangés par Taâion d'un vol- can. Ce que les volcans forment , an- nonce le défordre & la confuûon , tout y eft ordinairement jpêle-mêle , & dans difFérens fens Se inclkiaifons ;au lieu que dans les ocrières tout y efV régulier , & pofé horizontalement ; on y reconnoît plutôt reflfet de auelques dépôts ocça uonnés par des alluvions; & le gravier mu fe trouve au-deffous de Tocje^ref- lemble plutôt au gravier des bords de la mer ou des rivières, qu'à des graviers de matières brûlées ou de pozzolane. Il n'eft donc guère poffible d'attribuer la formation de Tocre à des volcans & dès lors le fentiment de Tiiépphralle ne peut fe foutenir ; c'eft plutôt , à ce qu'il •me paroît, par analogie queThéophrafte l'a adopté, que conféquemment à des ien qu'il peut très-facilement arriver qu'il y ait des terres rouges qui n'aient cette couleur , que patce qu'el- les ont fouffert une efpèce de calcina- tion parles feux fouterrains il fuffit pour cela qu'il fe trouve dans les montagnes mbre de celles qu on appelle à ciel ouvert 9 le démontre de façon à nelai£- hr aucun doute ftir cet article. Je ne fais fi la première couleur que cette'pouffière a en fe formant eft fou- rrée 9 il me paroît au contraire qu'elle eu d'abord noire , car lorfqu'on enlève de deflus les pierres les croûtes qui s'en forment 5 le deflbus de celles qui font foufrées , eft d'une couleur noire , & celui des blanches eft foufré le paffage fe fait donc du noir au blanc par la cou^ leur moyenne du foufre , ce qui parok être aflez ielon l'ordre des couleurs. Outre celci , on remarque dans cer- tains trous percés naturellement, quel- quefois entre les bancs deâ pierres , quelquefois daiis leur milieu ; on remar* que. dis- je, une pouffière noire qui a quelque humidité^ âc que je crois tom-* ber des furfaces de ces troiis qui fe dé- truifent elle n'eft probablement ni fou- frée ni blariche que parce qu'elle n'eft point affez expofée à Tait, & ne* peut par coiiféquent pas B/^qttéAfi leàegtéd^ DigitizedbyGoOgk DES Sciences, 1762. 49$ ^efiechement que la poudSère qui eft attachée aux furfaces extérieures des bancs a acquife, pour devenif de l'une eu de Fautre diés deux couleurs que prend cette pouffière étant àTair libre 1 c'eft par ce defiechement que celle^d parvient à ces états , puifque là pouffière Îioire eft plus mouette ^plus tenace que a foufrée, celle-ci plus que ta blancne^ &C que fouvent & les couches formée! par cette terré font un peu épaifles^oit voit qu'elles font compofées de trois lames 9 qui ont l'une ou Tautre de ces couleurs arrangées dans cet ordre la noire touche la pierre , la blanche eft â l'extérieur^ &c la foufrée Qatxe les deux autres. C'éft^ à ce que e croîs^ la féconde de ces couleurs, c'eft-à-dire, la blanche, qui a fait, donner par les Carriers le nom de falpêtre à la pouiTière qui a pris cette couleur l'odorai; cependant an-, nonce que c'eft plutôt du foufre , puifr qne vcomme je l'îd dit plus haut ^ on eft d^abord frappé de cette odeur, dès le premier pas qÉfon fait dans ces carriè- res y quoiqu'elles foient ouvertes en plein air , &c queia vapeur dut parcon£équent s'évaporer aifément. U me paroît que ce n^eiique fur vuk Digitizedby Google 49^ MÉMOIRES DE L'ACàD. HOT. fondement auffi faible que M. Lémex-y dit dans^ fon Diâionnaire des Dro- gues i, que la terre qu'il appeHe ampcUu , on pierre noire , donne dir fal- pêtre,ilne rapporte pas du moins les expériences qu'il pourroit avoir faites^ à ce fufet ; il le contente de dire qu'el/e contient beaucoup de ibufre & de fei , & qu'on en tire du falpêtre. C'eft pro- bablement des pierres noires de la Per- rière qu'il parle, puifqu'il en place les carrières proche Âlençon, la Perrière n'en eft pas beaucoup éloignée ; il pour- roit cependant fe faire qu'il parlât dé celles qui font dans les environs de Domfront , où l'on m'a^uré qu'il y en avoir dont la pierre étoit plus dure que celle de la Perrière au reflfe ^ quoi qu'il en foit du lieu des carrières dont M, Lémery paTle, iljra tout lieu de penfer que ce n'eft que fur des rapports que cet ameur avance que ces pierres^ donnent è^x falpêtre. Ge n'eft pas que je ne penfafle volon- tiers qu'on peut retirer du nitre de c^s pierres ; une expéAence ^e j'ai faite me portéroitfacilement àlecroire j'ai mêlé r- - - - * '-,'. t 0 ^oy. DifUon^ des Drogues ypar hcmery , ont des cavités remplies de pyrites, qui font fouvent en partie ou en total , decompofées en une matière noire t foufrée ou blanche , qui a Todeur de foufre , & oui même s'en- flamme. On trouve une iemblable pouf- £ère dans des cailloux fpbériques plus ou moins applatxs, qui font des environs .de Befançon cette pouflière fulfuretife n'eft, à ce aue je crois, due qu'à des py- rites tombées en efBorecence,loit que cette efflorefcence fe foit faite peu de temps après la formation de cescailtouii^ lorfqu'ils pouvoient facilement être pé- j^étrés par Tair, ou parce qu'ils ont de petites fêlures capables de laiffer entrer aflez d'air pour qu'ils puiiTent attaquer les pyrites Se les décompofer. Je ne m'arrêterai pas davantage à cet objet, îe me contenterai pour finir ce cue j'ai à dire fur les pierres noires, de faire remarquer que des pierres qui ont lant de rapport avec les fchites & les ardoifes,par leiu* figure rhomboïde , par leur pofition dans les carrières, par leur facilité à s'exfolier , ne me paroiflent Digitizedby Google DES Sciences ^ 1761. 499 pas devoir être rangées avec les ocres* Si par la craie noire on n'entendoit par* 1er que de la terre noire qui eft due à l'effiorefcence de ces pierres , ou de celle qui fe trouve dans les environs de ce& carrières , ce fentiment pourroit peut^ être fe foutenir , en regardant avec queU ques Naturaliftes , les ocres comme une diflblution de quelque minéral faite dans la terre ou à l'air par l'aâion de quel- que acide auffi minéral ; j'aimerois autant alors ne pas faire un genre particulier de l'ocre , & je fuivroisle fentiment de ceux qui placent ces terres avec les mi- néraux dont on imagine qu'elles tont des décompofitions,& je caraftériferois ces terres par leur couleur & la fubAance minérale qu'elles contiennent» Mais comme on n'a pas des preuves auffi complètes que l'ocre, proprenlent dite^eft une décompofition de mines de fer, qu*on en a que Telflorefcence des pierres noires , en eft réellement une de ces pierres, je penfe qu'il cft beaucoup mieux de laiffer l'ocre dans la claffe des glaifes,oii beaucoup de Naturalises l'ont placée. De plus, il faudroit pour conferver en unpoint une uniformité d'idées,mettre le lac Innœ au nombre des ocres ; le vrai y Google 500 MÉMOIRES DE L'ÂCÀD. ROt. lac lunœ eft une décompoiîtton de pier- res caldRres; en cette qualité il me fem- ble qu'il pourroit auffi bien être regardé comme ocre> que la décoFmpofition des lakies de fer, de cuivre, de ztnk , & fur- tout de pierre noire ; mais le lac lunavkZ, été rangé au nombre des ocres par au- cun des Sy ftématiques , qui le regardent ordinairement comme une marne fine .& en pouffière ceux même^ui recon- noiâent des ocres alkalines ou calcaires, ne lui donnent pas place parmi ces terres* Le fable. n'eU,fuivant bien des Au- teurs , que le détritus de rochers de cette Nature ; ceux qui penfent aînfi ferolent-ils raifonnablement recevables à regarder les fables comme des ocres , quand même ils n'admettroient dans ce ©ombre que les fables jaunes ou rouges , qu'on penfe n'être ainfi colorés que parce qu'ils ont été teints d'une matière fferrugineufe. Les fables ont toujours fait un genre particulier, quoiqu'à la rigueur, il feroit peut-être mieux de le confondre avec celui des grès , & ne confidérer les ^ que comme des grès décompofés ou comme du grès qui n'eft pas lié , Se ne fait pas mafle» De toutes ces confidérations , je con- lllurçisî en^n qu'il n'y a de vraies ocres Digitizedby Google i>ES Sciences , 1761. yot que les terres qui font douces au tou- cher, qui tiennent à la langue, qui dur- QÏSknt au feu , qui ne fe diflblvent pas dans l'eau-forte^ & qui domient beau- coup de fer, traitées ayec du phlogifti- que j'en conclurois encore que les ocres font des glaifes 9 dont le caraâère* eflentiel &'fpéciâque ft de donner cette quantité de parties ferrugineuies ; ce qui meferoit déânir l'ocre 9 une glaife très-ferrugineufe , dont les variétés fe* K>ieat d'être d'un jaune* ou d'un rouge plus ou moins foncé , fans cependant excliu*e du nombre des ocres, toute jautre terre qui auroit une autre a^uleur ^ pourvu qu'elle contînt beaucoup de fer» Les ocres n'étant dans ce principe que des glaifes , je ne ferois pas un gçnre particulier de ces térre^s, mais je ne les regarderois que comme des efpèces de glaifes à la rigueur , celles de ces terres qui font jaunes, &c fouvent d'un jaune aufli beau que celui de l'ocre , ne font- elles pas de véritables ocres ? ne contiens nent-elles pas toujours des parties ferra ^neufes ? & un peu plus ou im peu moins de ces parties devrôit*-il les exclure du. nombre de ces terres ? ne deviennent* elles pas rouges au feu , auffi-bien que les ocres ? Les glaifes rouges ^ & dont il Digitizedby Google 501 MéMOiRES i>E l'Àcad. bot. y a tant de nuances» ne poi»Taient*êlIef pas être auffi regardées comme des ocres rouges? & faudra t-il qu'une petite va- riété dans la couleur ou dans la fineâe des parties^ fépare des terres qui ont tant d'autres ^rapports? les ocres iaanes ou rouges font-elles toutes également fines.? leur couleur eft^etle j%ale dans toutes ? L'on fait qu'il en eft autrement rien dans la Nature n'eft entœrement femblable ; ce n'efi que par les proprié- tés générales que les êtres qui ont du rapport les uns aux autres, conviennent entr'eux. Une preuve de cette règle qui fe tire même de l'ocre commune , eft que cette ocre pouflée au feu , donne au même degré diflférentes nuances de couleur 5 ce qui ne vient probablement que du plus ou moins de fer que différens morceaux peuvent contenir , ou de la variété qui peut être dans la fineiTe des parties rien par conféquent n'efiplus naturel que de réunir fous un même genre les glaifbs Se les ocres. J'ai vu en Nomiandie plufieurs gtai* fes, fur* tout des jaiines , qui avoient tout l'air par la beauté de leurs couleurs , d'être des ocres on les regarde même comme telles dans quelques cantons d^ Digitizedby Google BBS Sciences ; 1761. 505 cette Province. J'en ai reçu une d'Orbec, qui m'étoit envoyée par Maître des Comptes y qui me marquoit en même temps que a cette ocre , com- n me i^ l'appelloit , étoit de la côte de »Chambroy, que les Tourneurs s'en H fervoient pour jaunir leur bois après n qu'ils l'ont travaillé ;perfônne qu'eux, H cUt encore M. de Chàumont , ne l'a » miie en ufage cette ocre eft pleine W de petits cailloux, de fable & dégra- fa vier , qui la rendent incapable de 1er- n vir dans l'état oîi elle eft en fortant de n terre ; étant lavée , elîe eft très-douce , H & prend à la langue ». J'en ai encore reçu une d'un jaune plus beau & plus vif, ^fous le nom d'ocre ; elle m'etoit envoyée par M. l'abbé Rofe, dont j'aî parlé dans mon Mémoire fur les figues pétrifiées cette terre tient auflî à la lan- gue, elle eft fort douce au toucher, & d'un grain fin , de même que celle de Chambroy , elle ne fe difibut pas dans l'eau-forte , elle eft des environs de Tours. Quant aux glaîfes rouges , elles ne font pas rares dans les endroits oîi Ton trouve les jaunes ; je n'y ai rien obfervé de fingulier , qui demande' à êcre rap-* porté iâ je remarquerai feulement f Digitizedby Google 104 MÉMOIRES D£ L'AcAD. ROT. . par rapport à une qui eft gris-de-Iin l qu'on l'emploie dans quelques cantons à peindre le devant des maiibns. Il s'en trouve une iemblable du coté de Saint* Martin-de-Ia-Beface , gran^groute qui va de Caen en bafle Bretagne* Puifque quelques-unes de ces glaifes font déjà employées en qualité de cou- leurs 9 il y a Ueu de penfer que , fi toutes ne pou voient pas fervir à ce même ufage, on pourroït en trouver un grand nombre qui ne feroient pas à négliger , &c qui pouflees avec précaution à différens de- grés de feu, procureroient peut-être des couleurs rouges , préférables au rouge que donne l'ocre ordinaire. Les mbes de fer qu'on exploite pour plufieurs forges de la Normandie, renfer^ ment des terres d'un jaune ou d'un rouge plus ou moins foncé , qui , traitées de la même façon , fourniroient encore pro- bablement plufieurs variétés de couleurs qui nous mettroient dans le cas de nous paffer de celles qu'on tire de l'étranger. On pourroit découvrir , par exemple, cette forte d'ocre qu'on appelle rauge^ brun ou brun-rouge d'Angleterre , celle 2ui nous vient d'Ëfpagne fous le nom ^almagru M Hill & d'Acofta jdifent que celle-ci eft alkaline ; les terres qui font Digitizedby Google DjJES Sciences, 1761. 50^ font de cette nature fe diffolvent à Teau* forte , Valmagra n'y excite pas le moin- dre mouvement , & y refte fans s'y dif- foudre cette terre eft d'un rouge plus vif que notre ocre rouge , & paroît être réellement une ocre , à en juger du moins par les morceaux qui avoient été envoyés d'Efpagne à M. Bomard, de qui je tiens celui que j'ai examiné. Si Talmagra étoit une terre alkaline , je ne le/egarderois pas plus comme une véritable ocre que toutes les autres que M" Hill & d'Acofta appellent du nom d'ocrés alkalines ; je ne puis me perfua- der que des terres auffi différentes entre elles que le font des terres vitrifiables & des terres qui fe calcinent , puiflent être regardées comme appartenantes au même genre ; cette propriété , ainfi que celle de fe diffoudre ou non à Teau-forte ^ eft un caraâère bien plus fur pour dif- tinguer les fubftances minérales que tous les autres qu'on pourroit employer; je crois par conféquent que dès que deux terres diflFèrent entre cHes par les effets dans l'eau-forte & da^s le feu , elles ne peuvent être de la même nature , & con% féquemment qu'elles font' de genres dit- férens. C'eft auffi fur ce principe que j'ôterois Mém. iy6z. Tome I. ^ Y Digitizedby Google \ 505 MÉMOIRES DE l'AcAD. ROY. du genre des ocres la terre appelles ocre de ruej qui fe diffout avec vivacité & bruit dans Teau-forte. Le ftil de grain clair & celui de Troie ne fe drffolvent pas dans Teau-forte avec plus de viva- cité ; ces deiix dragues employées par leS Peintres , ne font que des prépara- tions de craie ou de marné préparée & colorée par des infufions de bois de Brefil ou de graines d'Avignon ces deux flils de grain , dont le nom n'eft , à ce que je crois, qu'une corruption du mot ancien fyl , donné . à une efpèce d'ocre , ces Itils de grains , dis- je , pour- Toient auffi-bien être mis au nombre des ocres que des terres alkalines qu'on y jplace , s'il étoit vrai qu'on dût regarder comme de vraies ocres les terres aîka- linès que M" Hill & d'Acofta rangent "fous ce genre ; mais je crois que lorfqu'on voudra s'en tenir aux caraftères effen- tiels & fftrs des n^înéraux, on éloignera toujours les 'terres calcinables de celles qui fe vitrifient du nombre de celles-ci pourrorent être la terre d'Ombre , ceile de Cologne & 1% rouge d'Inde , mais là •pefanteur du rouge d'Inde me itxdk foupçonner qu'il ne feroit qu'une pré- paration de quelque métal, & peut-être de plomb û cela étoit , il me femble Digitizedby Google ©ES SCI E NCEiS, 17^*. 507 qu'il ne faudroit paa plus le placer iivec les ocres que Ton n'y place le minimum ; le rouge d'Inde pourroit être cette ocre artificielle dont parle Mathiole à l'arti- cle de l'ocre, & qu'il dît n'être qu'une préparation de plomb. La terre d'Ombre QC celle de Cologne font très-légères en compa^ifon du rouge d'Inde ; çlles me paroiflent* des terres naturelles &c du genre des glaifes ; mais ces terres font- elles des ocres plutôt que les autres' glai- fes ? c'eft ce qiie je ne penfe pas nous n'avons pas encore , que je fâche , ren- contré en France de ces fortes de terres, j'ai bien reçu quelquefois des terres trou- vées dans ce Royaume , & qu'on m'en^^ voyoit fous le nom de terre d'Ombre , mais ces terres avoient plutôt l'air de parties végétales détruites que de vraies terres. Il y a cependant lieu de penfer que dans le nombre de terres de diffî rentes couleurs qu'on trouve en France , on parviendra enfin à en rencontrer qui feront entièrement femblables à celles-» ci* Nous ferons alors plus en état de déterminer exaâement leur nature , fi l'on décrit très-exaâement les endroits où on les aura trouvées; defcriptions qui ne peuvent certainement que contri- buer beaucoup à déterminer leur nature Yi Digitizedby Google '568 MÉMOtRES DE X'ACAD. ROT.' • c*etè une pareille raifon qui m'a engagé à donner d^nsce Mémoire la defcrîptioii -des ocrières que j'avoîs pu voir, ou fur lef{ueUes j'avois des obferyations détail- lées & que je pouvons regarder comme faites avec exaâitude. M É M O I R* E Sur Us yeux de quelques Poijfons^ Par M."Haller, ZQ Mars ny62^ J 'avois deftiné à l'Académie les obfer- vations que 'ai âites fur la génération des Quadrupèdes , en les comparant à celles que j'ai feites fur les Poulets ; il me manque encore quelques vérifica-^* tions'pour les premiers jours oui fui- vent l'accouplement , 6c j'ai différé jui^ ^qu'ici de compléter ce Mémoire, aue j'aurai f honneur d'ofFrir à cette illuftre Compagnie dès qu'il fera en état de lui être préfenté. Je prends la liberté uverney & d'être expôfé à quelque critique ii je m'étois rencontré avec cet Digitized by VjOOQIC DES Sciences; 1761. 50^ illuftre Anatomifte, dans quelque partie de la flruâure de l'œil , m'engage à me hâter ; je me réferve„de fuppléer à ce qu*il y aura de défedueux dans ce Mé- moire par une fuite de difTeâions. J^ trouvé beaucoup d^utïUté aux obferva- tionsc{uerÂnatomiedes quadrupèdes & des oifeaux a fournis à feu M. Petit ^ & je me uis attaché au même plan , %n pré* férant les yeux des poiffons , que cet illuftre Académicien n'a pas fuîvis avec la mêmeconftance que ceux des oifeaux & des quadrupèdes. Il m'a paru , en difféquant des ani'* maux de cette claffe , que eur ftruâure répand beaucoup de jour fur la Pbyfio- logie, 8A[u'elle eft infiniment plus fim- ple &c plus aifée à faiûr que celle des ' deux autres clafles d'animaux r c'eft ua inconvénient pour moi que d'écrire dans un grand éloignement de la mer, il ne me refle que des poiflbns d'eau douce , qui généralement ont moins de volume ; le uumon , la truite & la carpe en font les plus gros^ car le filure du lac de. Moraf eft fort rare , & ie'n'4 pu m'en procurer jufqu'ici. Je ne me fuis pas borné dans mon tra- vail au point âe négliger les autres clafTes d'animaux 9 fai dîiflequé généralement Digitizedby Google yio MÉMOIRES DE l'Acad. Roy. tout ce qui m'eft tombé fous les mains ; îl en a ré Ailté de^ induôions qui m'ont guidé dans bien des doutes phyfiologiques. Tai peu lu fur cette matière , & je n'êxpofe que le réfultat de mes propres recherches PAnatomie critique alonge trop les ouvrages , Je crois qu'on doit la borner à la fmiôure du corps humain. S E C T I O N I. / Sur U Ntrf ôptiqut. • Le nerf optique cil toujours confidé^ Able dans les poiflbns , une grande par tie du cerveau eft deâinée à hrî fournir de la moelle* ^ ' Les poiâbns n'ont que des tuoercufes jkmr tenir Beu du cerveau ; le notnbre , en eft inégal. hts deux tubercules qui peuvent por- ter le nom de couches des nerfs optiques y Ont une ftruâ^ure confiante dans tous les jk>ifl'ons que j'ai difféqués ; ils font creii & contiennent tm ventricule , comme dans les oifeatnt; les deux pfmcbales racines diwierf optique en fortent , Pan- térieure part extrémité antérieure, la poftérieure en fait le tour , *& fort de fon extrémité voifine du cervelet ; elle fhtîùt intérieurement une ligne blan Digitizedby Google ©ES SCIE*NCES, 1762. 511 cbe > daas laquelle viennent fe rendre des fibres blanches fans nombre , qut partent de toute la couche ; j'ai vu avec plaiât lanaiflance de ces fibres , que j'ai retrouvées dans la rétine. Ces couches font jointes 9 dans un grand nombre de poiflbns 9 éc peut-être dans tous, en deux endroits par des fibres tranfverfa- les , qui paroiuent tenir lieu de l'union qui manque aux nerfs optiques le pre- mier endroit efl fupérieur j & prefque à Forigine antérieure des couches ; le fécond eft inférieur , il eft en avant des bulbes des nerfs olfadoires de chaque côté; cette dernière réunion eft fort conûdérable , &c nrend d'afTez loin aux racines de ce nerf. Il y a encore deux paires de nerfs qui vont à l'œil; le nerf ciliaire qui eu, ^onfîdérable y & le nerfmufculaire je oe les ai pas fuivis. V Formés comme je viens de dire , le» oerfs optiques fe joignent à l'entrée des deux orbites ^ en la gaine ro- bufle que leur fournit leur dure^mère. Je ^s ai vu fe croifer conftamment & daps toutes les efpèces ; & le nerf qui virent de la .partie droite du cerveau , va fe rendre dans Toeil gatjicbe ; ils ne fe mê km point dansl'enikoitoiiiis fe croifent^ Y4 Digitized by Google 511 MÉMOIRES DE L'ACAD. ROY. & on les fépare fans déchirer la moindre fibre. II paroit aflez difficile de dire pourquoi la Nature les a réunis en apparence fans les mêler , & pourquoi elle a deftiné le nerf gauche à l'œil droit cette dernière ilruâure paroît tenir à un croifement {;énéral, qui paroît être néceffaire dans e fyftème médullaire , & dont les effets font vifibles dans l'homme par la para- lyfie du côté oppofé 4. celui où le cer- veau eft bleffé ou comprimé. Ce nerf revêtu d'une gaine fort folide & d'ilne pie -mère vafculeufe, va fe rendre à l'œil i il y entre toujours par le côté interne de 1 œil y. à une diftance confîdérable de l'axe longitudinal. La flruâure du nerf optique eft aiTez fimple ; il eft partagé par faifceaux mé; dullaires fort apparens , blancs & opa* Sues , en fibres ; ils s'épanouiffent de- ans y & forment des membranes aflez larges ; c'eft , en petit , la même ftruc- ture que Malpighi a découverte dans le' thon ; ces faifceaux ne fe décompofent pas bien nettement , mais je n'ai jamais entrepris de les décompofer , fans avoir du moins vu un certain nombre de fibres, qui uniflbit une toile cellulaire ; ces fibres étant fort preffées ont beaucoup Digitizedby Google i^s Sciences, 1761. 515 de confiftance ; elles font affez apparen- tes dans le munier, dans la truite. S E C T I O N IL Entrée du Nerf optique. Il èft^affez fingulier que les poîffons diffèrent dans cette partie de la ftruâure de Toeil ; il y en a qui fuîvent celle d^s oifeaux , & d'autres qui imitent les quadruoèdes. La ftruûure des quadrupèdes eft la plus fimple; c'eft celle que Ton trouve dans la carpe ^ la lotte y le munier, U tanche. Le nerf optique y eft couvert d'une enveloppe fort dure ; il perce la fcléro- tique j & produit auffitôt après la mem-* brane ar^ntie , qui tient lieu de choroïde; il donne à quelque diftance de cete membrane , la membrane vafculaire que les poiflbns poffèdent feuls ; il continue fa marche toujours cylindrique , & ce tfeft qu'à une ligne plus loin qu'il pro- duit la rétine. Tout cet intervalle eft étroitement enveloîpé de la membrane noire dans plufieurs poiflbns , & le nerf ti rétréci* dans plufieurs efpèces Vil a quelquefois commencé deparoîire noir^ avant qu'il ait pénétré par la fclérôtique^ Digitizedby Google 514 MÉMOIRES DE L'AcAD. R0¥. & c'efila pie-inere qui produit la mem- brane noire ; l'extrémiré da nerf paroît comme un cercle rayonnant, fort blanc » avec une ou plufieurs pointes dans fa furface. Le munier f par exemple , a un nombre de filets^ioirs formés en brofles ou en petits pinceaux ; je n'ai pas pu y démontrer une lame blanche criblée de troqs , dont les trous innombrables j de pluiîeurs grandeurs , laiflent pafTer la moelle ^ quand on laprefle> dans le bœuf 9 dans le cochon ou dans le lièvre. Pans le cocbon, la ftruôure de cette lame eft aifée à appercevoir ; c'cft une multitude de trous que joint un tiflii cellulaire ; une partie des trous eft grande 9 c'eft pour les vaifleaux , l'autre eft très-fine & deftinée à la moelle ; cette lame m'a toujours paru blanche & nette- ment féparée de la lame interne de la choroïde. , Dans les poifTons , la moelle fort en mafle quand on prefle le nerf optique; ce nerf s'épanouit & forme une coupe ronde dans les uns & en portion de cer- cle dans les autres les deux lames de la rétine fortent de cet épanouiflement. Dans la carpe , dans le munier ^^a tanche & la lotte, elle fort de la circon- férence du cerde par lequel le nerf Digitizedby Google ©ES Sciences^ 17Ô1. ftf pptique s'épanouit ; if paroat ta fortir comme des pointes ou des pinceaux ; chaque pointe eft un faifceau de fibre» ?[ui vont fe féparerôc s'épanouir pouf brmer rarachnoidè 1e tout forme un mtonnoir qui fort de l'intérieur du nerf optique » & la iubftance pulpeufe les environne ces fibres font plus tranfpa-* rentes que la fubAance du nerf optique , & e n'ai jamais pu fuivre les niets dit nerf iufque dans la rétine ^ quoiqu'il y ait àts filtres dans le nerf âc dani la rétine^ Dans la traite , dans le faumon & dans^ l'ombre-chevalièr , ôû retrouve la druc*^ ture des oifeaux^ le nerf optique donne à^eu*prèsles mêmes membranes, mais il fe dilate & forme un arc de cercle ; un appendice moins long que dans les oifeaux s'avsmce pour foutenir la rétine par le coté extérieur la coupe de la membrane noire 5 qui laifie pafTer la moelle du nerf, eft elliptique , & l\m des diamètres eft à l'autre comme trois à un , & même dans une plus grande» profyortion la moâle du nerf optique y proît à nu. On y voit le nerf optique fe terminer par une furface étroite ÔC blanche , dont on peut détacher tous les reftes de la Y6 Digitizedby Google l6 MÉMOIRES DE l'Acàd. ROir. membrane noire; cette furface eft lon- gue comme dans les oifeaux, une artère cs Sciences ^ 1761. 517. utile aux PHyficiens ; ils doivent/e met* ire en garde contre les indu^ions» SECTION IIL La Rétine, CeA cette Qicifl4rane ^ premier or- gane du plus begu des fens » oik les poif^ Ions ont le mieux ifécompenie nes par nés ; il eft prefque impoilible de rien difiinguer dans la rétine des bçeuâ, des moutons &C des quadrupèdes prefque généralement il eft vrai que 1 adrefle de Ruyfch &c d'Albinus eft parvenue à diflinguer dans la rétine un réfeau de vaifleaux que recouvre iine pulpe blan^ che ; je l'appelle blanche^ quoiqu'elle foit grifâtre & tranfparente ;^ car pour la voir il faut néceffairement de Tefprit de vin , ^ui là rend opaqu^ & qui la ' blanchit. • . Malgré ces hei?reuj[^ injeâions, on n'efi pas encore parvenu à féparer dans la rétine deux feuillets féparés & entiers, Tun de l'autre ; M. Zinn paroît même en défefpérer. Dans les poiflbns ^on voit plus & fans b moindrectiffîculté ; toute la précaution néceflaire fe réduit à fe fervir des yeux les plus ûais j car la litine eu trop déli^ / Digitizedby Google ^4% MilfOlRtS fift t^kCkD. R07. cfttt pnui {apporter les moindres corn- mencefAewaeputréfaâion 9 & elle eâ d'abord détruite il n'y a qu'à féparer de cette tunique celleâquila couvrant 9 cela * fe fait avec Ëicilité ; on voit alors , par Je vitré , Tagréable fpeâacle d'une infinité de fibreë blanches ^ui partent ou du cer- cle terminaceur du nettoptique ou de fa figue Maftdhe i ^ âbres t ponent coiHine des rayons à ta périphérie ôc Yont è terminer au ^r&nd cercle de h rétine 5 qui lui-même' eft attaché à Im membrane vitrée ^ te long de rorî^ne de Tuvée ; on laiffe enfuite Tœil dans de reau'de^vie pendant quelques jours. la tétine s'y endurcit ; eSe eft naturelles ment fot épaifle ddns les poiflbns un fend alors avec un fcalpelun peu fin fon hémifphère , depuis Tinfertion du nerf optique fufqu'à la circonférence ; 6f avec une pincette & le fcalptl , on en détaché une membrane pulpeilfe,fouvent comme grénée en dehors, beaucoup plus épaifle que la choroïde ; cette lame eft parfaite- ment ttffe du côté de la lame fibreufe fit s'en féoare toute entière il refte alors dé la rétine un hémifphère appliqué fur le corps vitré , formé par une membrane extrêmement fine , tranfparente dans l-eau-de- vie même , qui foutient & qui réunit les fibres quçje vais décrire. Digitizedby Google ]>ES SCI£N6£S 1762. 51^ Je Tai préparé d'uoe autre maAière^ en découvrant rhéiDifphère poûéri^ur &c en enlevant ks trois lames de la cfao. roïde; j'ai enlevé alors, en rafant av6ç kl fcalpcly lamembraoe pulpeuie , de la lamr arachnoïde^ vingt fois plus Une ^ 9 ieule couvert le vitré fans fcalpel mèmû fc fMs an 9 cette féparàtion ie fait aa bout de deux ou trois joers dans la carpe & dans le munier; la lame pulpeufe s'y détache de la circonférence du nerf opti- que Si laifle la lame £breufe à nu dans la tanche 5 là chofe eâ encore plus évi- dente 9 les fibres y font beaucoup plu^ gtoffôs & plus difiinâes ; elles y font ntturcUemcnt fépaféesde k membrane pulpeufe ; on y voit dans la coupe d'ui eèil 6i dans Thémifphère poftérieur ^ une fûucoupe formée par la membrane puU peufe remplie ^ fibres cui flottent a^ gré de Tcau. Ilji'y a donc dbfolument aucun doute que les poiâbns n'aient , au lieu de rétine^ deux membranes diftinâes par tous les attributs , & collées l'une fur l'autre j rextérieure , pUis cpaiffe que la ruyf. chienne, peut porter le nom de pulpeufe^ elle Tcft effeâivement ; & ^intérieure ^ vingt fois i^us mince, mérite parfaite- ment celui AUrackBoïdc g cjui vaque def Digitizedby Google 510 MÉMOIRES ÔE L^ACAD. ROT. puis qu'on s'eft fervi du nom de capfale pour le chaton du criilallin. J'ai appris à les féparer fans macération 6c ikns cfprit-de-vin fur les plus petitspoiâbns. Quoique ce foitdans les poiflcms feuls que Vdn voit avec facilité cette ftruâure, }e la crois conflante*dans toutes les çlaf- fes d'animaux, rai trouvé dans le cocfaoo, dans le chat , dAis le coq dinde , dans l'oie & dans le héron , le moyen de dé- tacher la membrane pulpeuie de l'ara- chnoïde ; elte s'en iépare dans le chat en raclant la rétine avec un fcalpet bien fin, & dans le coq d*Inde cela fe fait encore plus aifément. La macération feule dé- tache ces grains pulpeux dans tous 1^ animaux* Ces expériences réunies à celles de Rnrfch & d'Albinus, vérifiées par M. Mslter, NL Zinn & moi ^ ne laifieot aucun doute, que l'homme même n'ait fa rétine compofée d'une membrane mufqueufe^ & d'une arachnoïde.. ' Pour les fibres » je les crois égale- ment communes à touteslesclafles d'ani- maux ; jeies ai découvertes dans le coq d'Inde , où elles font foit apparentes vers l'extrémité de Venglet d'Qii fort la rétine 9 & qui eft une épiphyfe du nerf optique* Dans l'oie j'ai vu la rétine Digitizedby Google BES S CIENCES, lyél. 51I féparée de la lame pulpeufe ,'rangée en lignes parallèles jAes fibres font très- apparentes dans le lièvre parmi leâ auadrupèdes 9 quoique beaucoupplus nés que dans les poiflbns , & il feroît affez étonnant crue ces fibres régnaffent dans toute la ciafle des poiflbns , dans une partie des oifeaux , & dans une; partie des quadrupèdes , pendant qu'elr les feroient exclues d'une autre, partie des quadrupèdes & des pifeaux. 1 Je ne dis qu'un niot nt les vaifleauxt de la rétine des quadrupèdes ils font évidemment en partie veineux , & etk partie artériels ; leurs troncs font rougcSjç &C leurs tranches pâliffent. peu-à-peu j- jufqu'à fe npndre invifibles ; c'eft uqtî exemple évident de Ja ptoduâion des, vaifTeaux artériels du fécond rang ellesr forment dans le boeuf & dans le pochon ^; & apparemment dans tous les quadm^ pèdes, un cercle vafculjéux àia ^imd^. circonférence de la rétine , qjoi eft t L'AcAz>. xcr^ couverte d'une mucofité noir^ qu^i lorflie en Idmes & en grains , 6c qnl fuiotc de latumque Mire d€ Vaàl cetce kumear fe rem>ttTe dan» les oifeaniE âc T dans les ^aE i'ACAD. ROir. Comme on dHKngûefoi} bieo la mra- 1 brane vitrée dans les poiflbns , je dois avouer que je n'ai jamais vu entrer ces { vaifleaux dans Tintérkur de la fubC* tance* Dans la truite, dans ftfaitmcm 9 dans rombre-chevalier & dans la lotte même, la ftruâure n'eft plus la même* Oaiis les premiers de ces poiflbns , Tentrée da nerf opti^e Se la naifl^nce de la rétine eft longue ; 'de Textrémité antérieure de Tare , par lequel le nerf optique fe terES S CIENCE S^ 1762. 5^7 de la cloche eft en dehors & un peu eo arrière>JV ^^^ ^^ ^^ vaifleaux rempli de fang. Le même tronc artériel & vei- neux , qui for^ du nerf optique ^ donne » dans ia truite & dans le faumon , ^rt prè$ de fa fortie du nerf optique , une branche confidérable au vitré ; elle eft remplie de fang, &.fe diyife tique , & qui va joindre à quelque diftance la brandie deftinée au corps vitré. U eft difficile dedéfinir i'utiiitédefetto Digitizedby Google 5l8 MÉMOIRES DE L*ACAD. ROY. clocfae parabolique il eft vrai qu'elfe fourient le crifhillifl , & apparétnment y donne-telle des vaifleaux ; mais le nerf qui s'y rend, pourroit faire croire que c*eft un organe mufculeux , quoique je n'y diilingue pas de fibres parallèles. S E C T I ON V. Le CrijlalUn. J'ai peu de chofe à4ire fur cette par- tie de l'œil ; elle eft fort grande , pro- portionnellement' dans les poiiTons , & fort convexe même , fans être exaâe- ment fphérique ; elle paffe par la pru- nelle pour fe montrer dans la chambre antérieure de l'œil, & il n'y a point de chambre poftérieure ; on connoît fes lames & ion noyau. • Dans le héron le criflalUn macéré a formé une étoile de cinq rayons ; mais à côté de cts rayons l'on voyoit claire- ment des lignes qui partoient du centre , & qui fe divtfoient en deux branches , & même en un grand nombre de rameaux dans le faumon , l'éwile eft à trois rayons; mais ces rayetits rayons intermédiaires qui ne s'élè- yent point, & je les trouvai beaucoup -plus petits & plus nombreux* Mém. ij6x. Tomcl. Z Digitizedby Google ^30 MÉMOIRES DE L'AcAD. ROT* Je m'afllirai , par Pinfpeôion de cet xnkau 9 le nerf optique à fon entrée. Elle eft fort épaiffe dans le fond de Foeil, extérieurement lâche & vafculéu- fe , rabot£fe intérieurement , & /ê/n- blable à du cuir, fouvent parfeméc de petits poils; elle eft couverte d'une mu- ' coûté de couleur de tabac, qui couvre abondamment la furface oppofée à k rétine , & qui s'attache à la rétine même. ^ ' ^ Mais il y a dans les poiflbns une troi- fième tunique placée entre les devx 4nembranes que je viens de décrire, c*eft la membrane vafculaire; elle eft fine , mais aifée à démontrer, elle part des enve- loppes du nerf optique , un peu au-delà de la naiftance de la membrane argen* tée , & elle forme un entonnoir autour de la mpitié poftéirieure delà membrane noire. Je rappelle vafculaire^ à caufe d'une artère & d'une veine considérable qui percent to fclérotique,& qui, divifces? ' Digitizedby Google ©ES S CIEN C ES, 1761. Ç5f en depx branches principales, fe collent à la circonférence de cet entonnoir, au bord poftérieur de Torgane qpe je vais expliquer ces vaiffeaux font remplis de iang i ils donnent une quantité prodi* gieufe de rameaux qui fe divifent & fe fubdivifent comme les branches des, champignons coralloïdes, & qui fe pion- gent dans l'organe que je vais décrire il n'en refTort aucun pour rentrer dans la tunique noire. ^ . L'organq dont je parle eft peu connu ençpre^ Icovius Ta pris pour une glan- de dont il ignore Tufage , & Derham i pour un mufcle auquel il attribue l'ufage de changer la longueur de Tœil; c'eft un anneau incomplet en fer à cheval^ d'un rougeirès-vif, plat, couvert d'une mem- brane luifante ; par-tout également lar- ge , il fait un peu moins que la circon- Krence de l'attache de la membrane vaf- cuhiire à la membranenotre , &C le%deux extrémités peà éloignées Fune de l'au- tre , fe terminent en cul-de-fac j'ai trou- ve cet anneau dans tous les poiflbns; la carpe en a un autre beaucoup plus petit ^ !lacé prefque perpendiculairement dans 'intervalle qu'il y a d'une extrémité à » IN I M 111 I I II i Phyfical. theobg. Ubjcriii , cap. II^pj 04^ Z3 Digitizedby Google J^4 NféMOlRES DE l'AcAD. ROY. Tautre. Il reflemble quand il eft frais , à uoe gelée rouge , ou à un ttflaceUulaîre abreuvé de fang, & fur-tout à la cellu* Ibfité j qui dans les oifeaux aquatiques lient lieu de ligament ciliairet il y a un fiUon triangulaire fort évafé^ p^réparé dans la membrane noire 9 & ^t pour recevoir cet organe, mais il s'y attache fort légèrement quand il a été macéré, dans reau-de-vie,ilrefiemble à un muf-^ cle. Il Te répare çn lames parallèles, qui elles-mêmes font formées par des fibres droites parallèles entr*clles , 6 ony voi* des vaiffeaux innombrables fe mviieif dans leurs intervalles. Il eft bien difficile de déterminer Izt liature de cet organe le nombre desr ^iffeaux qpi vont s'y rendrie & qui en^ fortent , la couleur même fait foupçon^ ner qu^I a du rapport à laicircutationdo- fang, La Nature aflfefte la fo£me circulaire' dans l'œil ; j'ai cité lecei'cle du vitré. U y a un cercle veineux un peu plus' etf avant de la membrane noire , hmt mar* que dans le héron , dans lé coq d'Inde & dans le canard fauvage ; dans le der- nier de ces animaux , il eft^ de la plu^ grande beauté ce font trois cercles rou* £es fort appareûs, fic^ placés Pun à côté Digitizedby Google 0ES Sciences, 17^1. Ç3f de Vautre , formés par des vaifieaux d& la ruyfchienne, qui fe détournent de leur ligne droite naturelle , & fe vont continuer à ces cercles Tentre-deux de CCS cercles eft rayé & couvert d*une cellulaire rouge , comme Torgane dont nous Venons de parler ; l'intérieur eft rayé , âcfait le commencement du corps ciliaire il y a un autre cercle vafcu- laire dans îs mêmes oîfeaux plus en avant , & à la circonférence de Tu vée ; iji eft formé par les artères longues de la choi?oîde ^ à-peu-prè$ comme dans Thomme. ^ Mais le cercle dont nous parlons, fe diftingue de tous ces cercles vafculai- res par fa grandeur, qui les furpaffe in- iSniment, par Tépaifleur de fa iubftance & par les lames charnues dont il eft compofé; c'eft un véritable mufcle laminé & fibreux de la nature des fphinâers s'il fe raccourcit , il paroît tirer la ruyf- chienne contre le nerf optique , & corn* me le criftalUn y eft attache , il doit fui- vre & fe rapprocher de-la^-rétine. Les poiflbns carnaciers , tels que là -truite & le faumon, voient de loin leur proie , c'eft apparemment pour la mieux diftin- guer , que le criftallin fe rapprocihe du nerf optique, & que Tœil s'accourcit il * Z4 Digitizedby Google 536 MÉMOIRES PÊ L*ACAD. ROY. s'enfuit que lef^inceau de rayons ne £e ferme pas entre la rétine &c le crîftal- lia , mais qu'il fe prolonge jufqu'à cette membrane. Ceft un peu au-delà de ce cercle que la tunique arj^entée va s'at- tacher à la membrane noire » à laquelle elle va fervir d'enveloppe extérieure ; c'eft elle qui formeTiris , & la mem- brane noire produit l'uvée. Je n ai point trouvé de ^is aux poi£' fons & aux oîfeaux que >'ai dijûTéqués ; il manque aufli au cochon » au lièvre ^ & à pluûeurs autres quadrupèdes» SECTION VII. Sur rUvic & h Corps ctlîaîrc. Dans les poiffons, l'iris eft fort diftinû de l'uvée % il efl ordinairement argenté , on le fépare fans peine de l'uvée qui eft brune, & qui ardes vaifleaux rouges, dans lefquels je n'ai point remarqué de direûion particulière. L'u véea des fibres affez mal marquées» & je n'ai point vu de contraûion à ia prunelle des poiflbns que 'irritois;ellc eft également infenfible aux variations de la lumière,commeJeraUbuvent vu> en expofant des poiflbns en vie à la forte flamme d'une bougie fort voifine >& eo Digitizedby Google DES Sciences, 1762. 537 observant f œil pendant que cette bou- ffie s'éloignolté Je vais rapporter ici un phénomène bien fii^gulier , &c qui ne m'a réuffi qu'une fois^ mais que 'ai va. bien réeltement. . Je diflféquots les yeux d'un jeune chat } la prunelle étoit extrêmement élar- gie 5 elle l'eft daps tous les animaux morts ou inourans que j'ai vus; le cris- tallin en paroiiToit opaque, je voulus lui rendre la tranfparence par la chaleur , à l'imitation de M. Petit je mis l'œil fur un fourneau médiocrement chaud , & je le- repris bientôt pour en continuer la diffeàion ; c'étoii vingt -trois heures, exaâes après que t'anima eut été noyé quelle fut ma furprife après une minute ou deux , en examinant cet œil , de trou-, ver la prunelle rétrécte au dernier point, & l'iris d'une largeur qm me permit de voir cette admir^le ftruâure , dont rhomme eft également orné il y a dans l'iris un cercle extérieur qui paroît vaf-, culeux. Les fibres s'étoient prefque re-* dreflées par l'extenfion que l'iris^ avoit ibufferte , &c £q rendoient de f» circon-^ ^ férence au cercle rayonné , qui eft à quelque diftance de la prunelle ce cer* de reflembleà la manière dont on peint les étpUes > c'eft un polygone courbé 2i Digitizedby Google ^^^ MImoirës oé éTAcad. rot; circulakement 9 dont les angfes fonta{^\ ttemativement faillans & rentrans. Il eOr précisaient le même dans l'homme , &c A y ûonne comme dans le chat , de fé- conds rayons qui vont fe terminer à la {Prunelle même. Un duvet foi t fin reçoit- vre ces fibres. Ce mouvement arrivé tant d'iieurer après la mort y ne itie réuffit poÎAt dans» l'autres chats du même âge, & Te^rpli** earion du phénomène paroit bien diffi-* cile c*eft un nouvel exemple d'un mou^^ Vement animal très-réguUet auquel ot^ 4e fauroit dire que Taitie ait eu la môin^ dre part. Quelque temps apris^, la prunelle fe' dilata d'elle-même, & ce fut fur-tout la ^iftance du cercle rayonné de la pru^ Belle même, qui sf augmenta^ Les quadrupèdes & les oifeaux ont fe corps ciliaire jfait à^peu-pr^ de mê- me ce font des Hgties qui partent de la choroïde en ferpentant , qui s^étèvent peu-à-peu , fe détachent à la fiti de l*u-^ vée, & fe pofent fur le crifiallin;enes font recouvertes dans plufieurs quadru- pèdes , & fur-tout dans le codion^d'un réfeau admirable , à mailles ferrées 8c . prefque carrées ; je Tai retrouvé dansïe i^anard fauvagerdans'le hèyte^etÙMt Digitized by VjOOQIC DES SCIEKCËS ; lij6u fJ5^ ées membranes flottantes qui, après s'ê*^ tre élevées, redeviennent plus étroitesj & s'attachent à des fibres de Tuvée^ comme des drapeaux à demi déployés autour de la pique* On a beaucoup difputé {ur ce corps ciliaire , 6s on Ta regardé même aflex généralement comme une efpèce de mufcle propre à pouffer le criftallin con tre la cornée , 8c par conféquent à faire rencontrer fur cette dernière membrane des rayons qui , fans ce mouvement , fé ieroient râims avant que d'arriver ]nù qu'à ^lle. . qui font couchés iiir le crifialliiD, ne s^y attachent point du tout ; & je crob que c'eft affez ^apparence qui s' a eu le criftallin mobile , &c les rayons* ciliaires entièrement ^iétacfaés comme dans les quadrupèdes. Si donc la pourriture détache le cri& tallin & le rend roulant , c'eft en difloK vant la mucofité noire , qui dans lesP mêmes fujets, rend afors l'humeur aqueufe d'une couleur de café , & qui par conféquent décote les rayons ciiiai-^ res , & d'avec le criâallin & d'avec 1» zone ciliaire. Si dans les cadavres les rayons dliat^ res plient ou fe hiilent détacher , je fuis perfuadé que c'eft unr commencement de pourriture qui les a décotes dans les* &jets qu'a vu&M. Zinn ^ &c que j'ai vus./ SECTION VIIL Sur la Cornée^ Je ne dis qu'un mot fur cette mem- brane, elle eft fort plate dans les poif- poSptQsàsçèlst n'eil pas général^ la lottes Digitizedby Google 544 MftMOIEES Ori/ l'a auffi coorexe que lliomme; elle efb fort milice dans les oifeaux aquatiques^ L'humeur aqueufe qu'on a dit man-'. quer aux poiffons, ne leur eâ pas toot- àfait refufée ^ ils eu ont tous ^ Se quel- ques-uns d'eurconfidérablement 9^0111- me la lotte & m&ne-le faumoow II eflî wai cpi'elle eft vifqneufe dans une par- tie des poîflbns^mais eUe eft bien fluide dans le laumon. L'humeur vitrée eu gfai>» tineuTe au point de fe laifler dépouiller de fa membrane , & de fe ibutenir dan^ cet état. Je n'ai point difféqué de chou^^ te le quâdnipedeiqui m'a paru avoir le plus d'humeur Mueufe^c'eil le lièvre, fa cornée eâ aufll la plus convexe. La fclérotique des oifeaux aquati- cnies eft comjpofée de deux lames ^ iWxtérieure eA membraneufe » l'inté* rieure eft de corne fine & tranfp»^ente ; elle s'unit avec la cornée par un bifeaia tcès-apparent » en reimontant fur elle ex» térieurement. Dans le lièvre , elle ren^ ferme la fclérotique & fe prolonge » & le long de l'imériettr de cette membra* ne 9 & le long de fa furface extérieure i l'extrémité de la fclérotique s'infinue entre les deux prolongations de la cor-» née 9 la cornée y eft fort épuifle, & e9^ lames innombrables, Dwa^ le fauooir^ Digitizedby Google WES Science ^,1761. 545- là fclérotique eft un cartilag^e de plus d'une Ikne d'épaiiTeur , près de l'entrée du nerf optique dan» tous tes poîâfons, elle tient du cartilage, & même de l'osr à quelque diAanée de Tuvée* Je n ai encore diflequé que quatre efpècesde truites Je faumonyla truite; du lac Lemam» la petitiî truite des Alp^s & l'ombre clievalier , qui a le même oa» faôère. J'ai diflequé encore trois car^* pes ,1a carpe ordinaire , le munier & le £mat.* La fôacbe & k perche fofU les autrecè poiflbns do^ }e me ifolis fervi^ M É M O I R £ Snrks^&alirhs ik Ffoncht-Comi ^ fur Ic^ difam^ des Stis tn péUfhqu^wiy débite 9^ &Jur les m9ytn$> de Us » qui n'eft pas moins préjudiciable^ n qu'alors il fe forme fur toutes les fur- n laces une croûte dure, au-delà de la » quelle le fel ne pénètre pas, Cfue les n extrémités font amères & arides, & n que te dedans n'étant impr^é d'au- » €une partie ialine > fç corrompt ai£^j Digitizedby Google DES Sciences, 1761. Ç4 n ment ; que ces incônyénîens caufent » des pertes irréparables ; qu'il en eft » à-peu-près de même des viandes fa- H lées ; qu'enfin les habitans de la Pra- y^ vince accoutumés à donner du fel aux M beftiaux , obfervent que Tufage du fel » de Montmofot leur eu pernicieux , » qu'il occafionne des maladies , &c la » -mortalité des nourrifibns , d'où réfulte H la rareté & la. dierté du bétail en >> Franche* Comté. Des objets de cette importance ne pouvoient pas manquer de fixer Patten* tion du Miniftère. M. de Trudaine , In- tendant des Finances » l'un des Honorai- res de cette Académie^ dont le zèle pour le bien deFEtat , & pour le progrès des Sciences, ne laifle échapper aucune oc- cafion de diriger nos travaux à l'utilité publique , ayant propofé à M. le Con- trôleur général de faire examiner à Paris les fels & les eaux falées des falines de Salins & de Montmorot , je fus chargé de ce travail conjointement avec M; Helloten même temps M. Defnans^ Confeillerlionoraire au Parlement de Franche* Comté, Commiflaire diî Roi aux falines de cette Province , Membre de l'Académie de Befançon , fut chargé d'envoyer à Paris quelques livres de Digitizedby Google 946 MÉMOIRES DE Vkckù. rot; différens fels qui fe fabriquent , tant eit Eains , qu'en gros 6c petits grains aux fain,qu*en examinant leur formation fur es lieux même à&os le travail en grandi Principes contenus dans Us eaux. Le temps ne me permet pas c^emrer ici dans le détail des expériences que nous avons faites à Paris féparémenr, & que nous avons enfuite répétées enfemble , M. Hellot & moi , pour analyfer les eaux , & pour comparer lesfelsœs deux jfalines de Franche-Gomté^j^en expofe- rai feulement les réfultats ; les expérien^ ces nous ont fait connoîtreqne les eaux de tous les puits falés , tant de Sa* lins que de Montmorot , ccmtiennent en diâblution avec le fèl marin ou felgem^ Digitizedby Google DES Sciences^ 176%. Ç47 mtf desgypfesou félénites gypfeufes ,. fels comparés de Tacide vitholique en- gagé dans une bafe terreuie du fel de Gkuber fel compofé de Tacide vitrio* lîaue uni à la bafe du fel marin , des fels> deliquefcenSy compofésdeTacide maria engagé dans une bafe terreufe ;une terre* alkalme très-blanche que Ton fépare dur £el gemme lorfqu'on le tient long-temps> en rufion dans un creufet , enfin une ef* pàce de glaifetrès-fîne 9 & quelques par- tdesgra£^s bitumineufes^ayantune forte odeur eaux de toutes les fources làlées de Salins, qui fe raflem* blent dans le puits* d* Amont, dans le puits à Gray> & dans te cuits à Muire ^ de même les eaux du puits de Lons^le* Saunier , de Tétang^ du Saloir & du pré Corno^ qui fourniuent la^faline de Mont* fnorot > nous ont paru conftamment im ]Mrégnées de ces différentes matières falit nés en plus ou moins grande quantité les unes font chargée» de beaucoup de gypfe, telles que les ea^x du puits de Lons-le*Saunier,foibles en fahire ;d'au^ très plus falées font très-amères , à rain ion du fel de Glauber qu'elles contien*» nent , enfin toutes ces eaux , fans excep ter aucune des fources de Salins ni de Montmorot, portent un principe alkali Digitizedby Google 54^ MÉMOIRES DE L*ÂCAD. ROT; furabondant qui fe mamfefte en ce qu'ef les teignent en vert le firop violât, en ce qu'elles rétabliflent lar teinture de. tournefol rougie par un acide > en ce 3u*elles abforbent des quantités fenfibles 'acide végétal avant que de donner au- cun figne d'acidité , c'eft^cette même terre alkaline dont 'ai parlé ci^deflus devenue foliible par fon union avec un acide^ elle pafle à travers les filtres ; mab n^étant point faturée par cet acide, elle agit dans toutes tes eaux comme terre abforbante ;^ en effet , quand on y mêle des folutions de vitriol vert, de vitriol bleu & autres els métalliques, elle les décompofe & précipite leur bafe , parce que les acides ont moins d'affinité avec les fubftances métalliques, qu'avec les terres abforbantes; par un grand nom- bre d'expériences dont je fupprime le détail , j^ai démontré l'exiflence de cet alkali terreux furabondant, non-feule- ment dans les eaux des puits cités ci^ deflus,mais dans chacune des fources & des filets d'eau falée qui s'y joignent > après les avoir fcrupuleufement exami- nées en les faifant pafler en même temps pjar les mêmes épreuves. Cette obferva- tion fuffiroit feule pour établir que les eaux ni les fels des falioesde Franche-; Digitizedby Google DES Sciences^ 176 z 549 Comté , foit de Salins , foit de Montmo- rot , ne peuvent être mêlés d*aucun vitriol de ter , de cuivre ou de zinc , &c. parce que cette terre alkaline doit enle- ver Tacide vitriolique des bafes n^étalr liques auxauelles il feroit uni dans la terre ; d'ailleur; ces fels métalliques , û les eaux en apportoient,feroient décom- pofés pendant rébuUitîon dans les poêles où Ton forme le iel ; & pour qu'il en Teftât quelque atome » il faudroit que toute la terre alkaline fût faturée , ce qui n'arrive pas, les eauxgrafieSyC'eâ- À-dire , les eaux qui reftent à la fin des cuites 9 donnant les mêmes marques d'al- Icalicitéque les eaux des fources^prifes au débouché de leurs canaux fouterrains* ImperfcSion duftl en peiiês grains. Les fels en petits grains , tant de Salins que de Montmorot , fe font trouvés pareil- lement lirchargés d'im alkali terreux ; leurs folutions teignent eonftammént en vert le firop violât, abforbent des quantités fenfioles d'acide végétal , ré tabliflent la teinture de tournefol rou- pe par un acide ces fels ne font 4onc pas dan& Fétat de neutralité pafv* feite qui convient au fel* marin t 6c 'qu'on trouve dan^s letfel de mer. J^urcté du fd a gros grains. Le fel ^ Digitizedby Google ^^O MÉMOIRES DE l'ACAD. ROY. gros grains de Mcmtinorot eft le feul que nous ayons trouve parfaitement neutre ; le firop violât mêlé avec fa folution , y conferve fa couleur bleue pendant plufîeurs jours , comme avec la folution du fel de mer , qui , dans toutes les épreuves, a toujours fervi de terme de comparaison ; on ne voit ni dans Tune ni dans l'autre aucun indice d'alkali furabondant ce feltiré des mêmes eaux que le fel à petits grains , mais formé par une évaporation beaucoup plus lente , vient eii crîftaux plus gros , très-réguliers , & en même temps beaucoup plus purs on l'obtient par une chaleur , telle que la main pion- Î^éedans la muire peut la fupporter ; au ieu que lesTels en menus grains fe for- 'metit dans une muire toujours bouillan- te , & viennent eh petits icriôaux mal %urés fi les eaux ces fontaines falées econtenoifque du fel gemme en diffo- lution , révaporation de ces eaux plus "lente ou plus prompte n'influeroît ,en rien {tir la pureté du fel. ^ Mahlorfqu'elleyfont chargées de ma- tières étrangères , comme lesfourcesde ♦ranche*Conxté , on ne peut parvenir à Jûifiti féparer lOTifférentes fubftances Digitized by VjOOQ IC ]»£S S C I £NCESiI76l. 5$t falines , que par une très-lente évapora- cion; au contraire on les mêle enfemble ouand on les fouette fans cefle par une TOrte ébuUitîon , comme il arrire dans ia formation des fels à menus grains de Salins , & de Montmorot. Dcfoutsdufel tnpain. Ceft avec ces fels très-inférieurs en qualité au fel à kros grains de Montmorot , qu'on fa- brique dans Tune & dans Tautre faline les fels en pain ^ dont Tufage eft gé^ néral dans toute la Franche- Comté t ces pains font de difFérens moules & tle difFérens poîds , depuis deux livres & demie jufqu^à dix-huit livres ; pour les former on ^létrempe le fel à menu grain avec de l'eau graife ; on appelle ainfi Teau qui refte à la fin des cuites après Textraâiôn du fel , foit qu'on la prenne au fond des poêles ou dans les baifins qui reçoivent les égouts des fels cette eau , de couleur jaunâtre , plus ou moins épaiffe , coulant comme de l'hui- le , eft très-piquante , trèsamère 6c il'une aveur prefqu*infoutenable ; il faut la diftinguerde l'eau-mère qui en fait partie, en ce que celle-ci ne contient plus que des fels %éliquefcens à bafei terreufe , qu'on ne peut avoir en crift faux i au lieu qu l'^ugraile contient Digitizedby Google 55& Mémoires DE l'âcad. encore des fels criftalUfables nalyre que nous en avons faite , fourni du fel marin , des félénites ^ du fel de Giauber, du fel marin à bafe ter- reufe , une terre calcaire & des matières grafles ces différentes fubftances y font unies de difficile de les fépgrer. Formation on le bat avec les mains pour lui donner un premier degré de confiftance^ , on le tire du moule en le renverfant & le faifant tourner fur une écuelle plate garnie de fel , d*oîi on Tenlève en le faifant couler avec la main à mefure que les pains fortent du moule , on les met égoutter fur un lit de fel, & peu ^ de temps après on les range par files fur ' des lits de braifes ardentes , oîiils refient pendant vingt-cinq, trente & même qua- rante heures , jufqu'à ce qu'ils aient ac- quis la féchereffe te la dureté néceflaires pour réfifler au tranfport; telle efl la formation du fel en paiti que toas les corps & toutes \t9 communautés du comté de Bourgogne préfèrent depuis loug-temps aux fels criâallifés y fa br quéf Digitizedby Google »ES S€I E NC ES, 1762. 553 qués dans les mêmes falines pour les cantons SuifTes. Les raifons de préféren- ce confident , !**• en ce que cette for- me garantit le fel de Thumidité qu'il contraâe aifément en reftant à Tair ; les pains renfermant une affez grande quan* tité de fel fous une petite furface , don- nent moins de prife aux vapeurs agueu- fes répandues dans Tair, que ne reroit la fomme de toutes les petites furfaces féparées d'une pareille maffe de fel en grains i, ces pains formés dans desi moules étalonnés , préviennent les em- barras & les difcuffions qui-peuvent ar- river dans le mefurage des feîs en grains 3^. ils ne font point fujets aux infidéli- tés que pourroient commettre les Voi- tuners ou ceux qui difiribuent les fels de la féconde main ; mais ces avantages font plus que compenfés , par plufieurs défauts efientiels oui les rendeni très- inférieurs en qualité & beaucoup moins propres aux uîages domefiiques que les tels formés en criftaux. Premièrement , on n'emploie à la; formation des pains que du fel à menus grains , ou plutôt du fel formé en flo- cons dans une eau prefque toujours bouillante, dont le grand mouvement puit à la féparation des matières qui Mim, ijj^x. Tome L A a Digitizedby Google 554 MÉMOIRES DE l'AcAD. ROY. flottent avec le fel dans pes mêmes eaux ; ce fel n'eft jamais parfaitement neutre ^ ^n trouve des parties calcaires & des aiguilles gypfepfes dans fa folution. Secondement , pour unir enfemble les grains de ce fel , on les abreuve ^ on les détrempe, comme je l'ai déjà dit , avec Teau qui refte à la fin des cuites , & .qui consent par conféquent toutes les impuretés que portent leç eaux falées ; on remêle donc aveu le fel , & Ton enferme dans Tintérieur des pains le fel deGlau^er, lesfélénir tes 5 les fels déliquefcens , les partie^ calcaires & les matières graffes qu'on en jvoit féparées dans les poêles j on les fixe dan^ la partie intérieure des Eains par le de0eçhement fur la braife. ans les nombreufes analyfes que j'ai faites d^s fels en pain , foit de Salins , foit de Montmprot , j^ai conftamment trouvé ces difl^rentes matières mêlées en diflFérentes proportions , .mais tou-p jours en petite quantité, relativement à ce qu'ifs contiennent de fel marin. Troifièmeinçnt , lorfqu'on defsèche les pains de f^l fur des4raifes ardentes, on leur fait fubir une forte de càlcination qui les altère & les^ décompôfe en par- jiç ^ IVau cui s'ep dégage entraînç avec Digitizedby Google DES S C lENC ES, 1761. JJf elle une petite portion de l'acidjB ma? rin, effentielle à ce fel neutre on aug- mente cette décompofition par la corn-* biïïlion des matières graffes qui fe con- fument dans la partie inférieure des pains ; elles y laiffent fpuvent un char- bon empyreumatique d très-mauvaiftî odeur enfin^rapplication ipimédiate da feu fur une partie du pain de fel , oç- ^afionne une combinaifon nouvelle du phlogiftique des charbons avec la bafe alkali du fel marin dont Taçide eft dégagé; C^eûxxn heparfulphuris foie de foufre qui fe forme au çontaft du p^in de fel avec la braife. On s'en appercoit ^ifément Cil travaillant lesfplutions de fel en painj M'étant fouvent attaché à convertir des quantités données de ce fel en criAaux régulier^ & parfaits , j'ai conftamment obfervé que les cuillers d'argent , dont je me fervois pour enlever les fels grai- nes à mefure qu'ils fe fprmoient dans les capfules^ fe terniiToient en peu de temps & fe couvroient de grandes tadies noires, comme il arrive lorfque l'argent eft expofé à la vapeur du foufre , ou lorfqu'il eft trempé dans une folutioa ffhepar. Enfin lorsqu'on diffout les pains fe>aj' Digitizedby Google tes dans Tinténeur d'un pain de fel ; qu'il peut en être de même du fel de Glauber & des fels à bàfe terreufe, lorfque les cuites font pouflees trop loin , c'eft-à- dire lorfque l*on continue la réduâioti des eaux ; comme il arrive fouvent > jufqu'à la coagulation de Teau graffe & même de l'eau mère. Le mélange de fel de Çlauber, de gypfe , de bitume &C de fel marin à bafe terreufe fixi vient par la réduâion de ces eaux , eu d'une amertume inexprimable le rable dont on fe fert pour tirer le fel précédem- ment formé, amène en même temps ce coagulum; on l'emploie, fans le favoir^ dans les pains de fel, & malheur à ceux à qui ces pains tombent en partage ; la coloquinte n'eft pas plus amère. On peut toujours craindre ces fortes de né- gligences , lorfqu'elles ne font pas direc- tement contraires aux intérêts de ceux qui gouvernent les opérations en grand. Des pains de fel viciés par de pa- reils mélanges , produiroient tous les inconvéniens dont on s'eft plaint le fel de Glauber pénétrant dans la pâte des fromages , y porteroit fon amertume , de même que les fels déliquefcens le gypfe arrêté & endurci fur la croûte extérieure , empêcheroit à la longue Iç A 33 Digitizedby Google 51 îS MiMOiRES DE L^AcAD* Roy. fel marin de pénétrer au dedans , en formant à la lurface des fromages un enduit plâtreux. Enfin toutes ces ma- tières, plus propres à gâter les viandes qu'à les préferver de la corruption , leur communiqueroient un très-mauvais goût il étoit donc néceffaire d'exami- ner la formation des fels dans les falines même , d'y bien régler les opérations qui fépa'rent ces différentes fubflances , dy établir les procédés & les précau- tions convenables pour empêcher tout mélange qui pourroit altérer la pureté du fel marin ; enfin, de ne point aban- donner la formation des fels à des Su- balternes qui n'en connoiflent que les opérations mécaniques , & qui peuvent , avec toute la bonne volonté pofGble , ^âier des fels qu'il eft facile de rendre plus purs même que le fel de mer. C'eft dans cette vue que M* le Con- trôleur général me fit l'honneur de m'a- dreffer, au mois de Juillet 1760, des ordres du Roi pour me rendre aux fa- lines de Franche- comté , à l'effet d'y conftater, par de nouvelles épreuves, la nature &c la qualité des matières contenues dans les fources falécs , & d'examiner la formation des fels, tant pour en reconnoitre les défauts que Digitizedby Google DÈS Sciences, 1762. 559 pour chercher les moyens de le corri- ger* Les falines de France n'ayant jamais fubi d*examen chimique, l'intenti^on du Aliniftère étoitde faire fervir à l^inftruc- tion des Fonliateurs des fels & du pu^ blic , les^analyfes dont j'étois chargé , afin de connoître à fond cette matière & de détruire difSçrens préjugés qu'a- voient fait naître les défauts obfervés dans les pains de fel de Montmorot, Arrive à 6efânço;i , je concertai avec M. de Ëoyne , alors intendant de la pro- vince & premier Préfident du Parle- ment, les mefures convenables pour donner à ce travail rauthenticité nécef- faire. Quatre perfonnes inftruites en Phyfique & en Chimie ,diûinguées par Jeur mérite, & généralement honorées de Teftime publique , furent députée^ aux falines , M^^ l'Ange & Rçugnon , tous deux Profeffeurs en Médecine de rUniverfitéde Befançon, nommés pour affilier à toutes les épreuves , & avec eux , deux Maîtres en Pharmacie , char- gés d'opérer fous ma direftion ,* M. Goy , Membre de TAcadémie de Befan- çon, & M. Roflîgneux, Maître Apo- thicaire à Dôle. Muni des inftumens & de tous les vaifleaux néceffaires pour les analyfes, Aa4 Digitizedby Google 5^0 MÉMOIRES OE L'AcAD. ROT. je me rendis à Salins avec M. Defoans i Commiffaire du Confeil aux falines de Franche -Comté. Après avoir pris con- noiffance des opérations qui concourent à la formation des fels dans le travail en grand > je commençai par répéter publiquement les mêmes épreuves que f avois faites à Paris pour conflater la nature des différentes fubftances con tenues dans les eaux Talées* Ayant fait prendre féparément à leur orifice les eaux de toutes les fources & de tous les filets qui fe raffcmbtent dans les puits , je les fis paffer par les effais ordi- naires ; j'y joignis Texamen chimique des fédimens qu'elles dépofent dans leurs rigoles ; enfin je profitai de l'ana- lyfe qui fe fait en grand dans les poê- les où l'on évapore les eaux falées, pour décompofer & examiner fucceffi- vement les différentes matières qui s'en féparent, telles que l'écume abondante qui paroît à la furface des muires avant rébyllition , le fchelot ou le gypfe mê- lé de fel d'Epfum 8c de parties calcaires, qu'une violente ébullition fait tomber au fond des poêles avant la criftallifa- tion du fel marin , l'écaillé en partie fa- line , en- partie gypfeufe qui s'accumule de cuite en cuite au fond des poêles, Digitized by Google 131 ES S C lENCËS^iyôx. 5^1 formant une croûte épaiffe & dure > qu'on ne peut arracher qu'à coups de marteau 9 enfin les eaux grafTes que l'on réferve pour la formation des fels en pains ; dans tous ces produits & dans toutes ces eaux, j'ai retrouvé lesmê-^. mes principes dont j'ai déjà fait l'énumé- raiion y & rien de plus , iî ce n'eft un peu d'huile graffe animale ou végétale, donnant dans les diftillations une odeur €mpyreumatiquetrès-défagréable,qu'on rencontre auffi quelquefois dans les pains de feU J'ai trouvé dans toutes les eaux de Salins l'alkali furabondant dont j'ai déjà parlé ci-deflus ce prin- cipe nuit à la féparation des matières falines; on s'en apperçoit dans le travail en petit lorfqu'on évapore les eaux des fources , ibit au bain-marie , foit à la chaleur plus douce d'un air tempéré ; la plus grande partie de leur fel vient en croûtes falines , oîi l'on rok très-diûiac tement , avec le microfcope ou même avec la loupe , beaucoup de fel marin en trémuyes , des félénites formées en ai guilles tranfparentes , & des lames dé £ei de Glauber ; inais il eft facile d'em pêcher ce mélange ^ en mettant la liqueur au point de faturation , par l'addition 4^ quelques gouttes d'acide marin les Aa Digitizedby Google y 6a MÉMOIRES de l^Acao. roy; differens fels viennent alors TuccefSve- ment en crîftaux réguliers. L*a cide du 1 vinaigre & celui du petit lait aigri, qu'on tiomme a{y , m'ont également réu& dans ces épreuves les Holfandois fe fervent de Tazy dans le travail en grand pour raffiner nos fels de mer &c pour en rendre la criftallifation parfaite ; c*eû par cet artifice Qu'ils font depuis long- temps en poflemon de fournir les meil- leures falaifons de TEurooe on pourrait également y réuflir aux falines de Fraa^ the-Comté* Sidimtns dcsfourus. Les fédimens dé- jpofés dans les rigoles des eaux de Salins & de Montmorot ne" m'ont ifourni d'autre matière métallique que ile Tocre rouge , que j'ai réduit en fer àttirable par Taiman , en le pouiTant au feu dans un creufet , après l'avoir inêlé avec de la poudre de charbon bour lui rendre du phlogiftique. Une feule de ces fources a préfenté dans fes dépôts da fer attirable ; mais je n'ai pomt trouvé de fer en diffolution. Dans l'application que j'ai faite ie l^lkali volatil fur toutes les eaux^en par* tîculier , & fur les leffives de leurs fédi* hiens, je n'ai jamais apperçu aucune tein- te de bleu j ce qui prouve qu^elles n0 '*'! Digitizedby Google DES Sciences, 1761. 56J contiennent point de cuivrée Jamais elles ii'ont donné la couleur noire aux infu- fions de noix de gale ; d'où il réfult^ qu^elles ne contiennent point de fer. Jamais les fubftances que j'en ai retirées , en réduifant les fels à iiccité, par ladii^* tillation dans des cucurbites de verre pour les pouffer enfuite à feu nud dans des cornues luttées, ne m'ont donné au- cun veftige de fel métallique , aucua fublimé. Jamais je n'ai blanchi les pla- tines de cuivre , dont j'ai recouvert lej creufets en pouffant ces mêmes fubilaa- ces falines au feu de forge ; ce qui prou- ve qu'elles ne contiennent point de ma- tière arfénicale. J'ai fait fnbir depuis les mêmes épreuves à toutes les fubftances tirées des eaux falées de Montmorot ; les refultats ont été les mêmes. Il eft donc bien conftaté que les eaux de Mont* hiorot non plus que celles de Salins^ ne contiennent aucun fel métallique » aucun vitriol de fer^ de cuivre ou de*- zinc aucune fubftance mercurielle , ane timoniale; ni arfénicale , enfin aucune fubitance pernicîeufe. Quoique cette v- rité fût fuffifamment établie par les ex- périences que j'avois précédemment fai- tes pour féparer les fubftances falines Contenues dans ces fources , j'ai cru A a 6 Digitizedby Google 5^4 MÉMOIRES DE L*ÂCAD* ROT. devoir multiplier les eflais, & employer tout les moyens comius pour détruire les préjugés répandus dans la Province contre la mauvaife qualité des eaux de Montmorot. Les mêmes fubftances falines de Sa* lins & de Montmorot , eflayées au feu dans le creufet avec des matières^graiTes, n'ont jamais donné aucun iigne de dé- tonanon ; d'oii il réfulte qu'elles ne con- tiennent point de nirre. /âmafs il ne s'en eft élevé aucune vapeur rouge dans les j*ai verfé fépa- rément fur les eaux de toutes les four- ces de l'une & de l'autre faline la folu-> tion du fublimé corrofif par l'eau diftil- lée , tes mélanges n'ont jamais produit aucune teinte de couleur orangée ; d'où il fuit que le principe alkali , précédem- ment obfervé dans toutes ces eaux» n'eft point unfel alkali fixe ^ mais une terre alkaline ouabforbante , comme je l'ai déjà dit ci-defTus les détails de tou- tes ces épreuves 9 & des cîrconilances qui les ont accompagnées, feront réfer vés pour nos affemblées particulières. J'ai cru devoir réunir & préfenter fous un même coup d'oeil les particularités qui font communes aux deux falines de Franche-Comté , ajfîn d'éviter les répéj titions. Digitizedby Google ©ES Sciences, tj6i^ ^6% Je paiTerois les bornes qui me font prefcrites , fi je plaçois ici la defcription du travail en grand pour la cuite des eaux falées ; le temps me permet à peine d'en expofer quelques réfultats & mes principales obîervaiions fur les matières qu'on en fépare. Examen dufchttot^ des icumeSy &€^ Dans les écumes que j'ai fait ramafier à la furface des muires , avant Tébul- Ktion , j'ai trouvé beaucoup de félénites fines & légères , Hées & fufpendues par des matières graiTes ; ces féléniteS font difficiles à fondre dans l'eau ; je les ai diflbutes cependant en lesfaifant bouillir dans de feau diftillée ayant enfuite ap- pliqué leur folution très-chaude fur une diiTolution de mercure par l'efprit de nitre , elle a précipité le mercure en turbith minéral d'une belle couleur jaune ^ il en a été de même des diflbltt-* tions du fchelot par l'eau bouillante , après l'avoir purgé par des leflîves réi- térées, tant à l'eau froide qu'à l'eau bouil- lante > du fel marin & du fel de Glauber qui s'y trouvent mêlés ; il en réfulte que ces fubflances terreufes en appa* ^rence font des fels vitrioliques en éva^ 3>orant leurs folutions , je les ai criflalli- lécs en aiguilles pareilles à celles qu'osi Digitizedby Google 5^6 MâMOIRES DE l'AcA». ROY. ^pperçoit en évaporant les eaux desl fources ; ces aiguilles brillantes & travir] {arentes deviennent d'un blanc opaque, orfqu'on les met fur une .pelle rouge ou dans la flamme d'une boueîe ^ elles y rougiffentfans e fondre ; enSn lorfque je détrempois ces fubftances avec un peu d*eau^ après les avoir calcinées au creufet , elles abforboient avec avidité' le fluide , & prenoient en peiv de temp^ la dureté du plâtre. C'eft donc un véri- table gypfe ; & je mç fuis afluré qu'on pourroit en faire de très- bons enduits, iîles gypfesne fe trouvoient pas abon- damment aux environs des falines ; ces gypfes font formés de Tacide vitriolique engagé dans une bafe terreufe qui leur . eft propre ; c'eft la même fubflance gyp- ieuîe qui forme les incru dations des épines qu'on voit aux bâtimens de gra- duation de Montmorot; c'eA elleau^ .qui forme les ftalaûltes qu'on apperçoit en quelques endroits fous les baiuns des mêmes bâtimens. Je n'ai point négligé l'examen chimique de toutes ces matiè- , res ; ces ftalaâites &c ces incruftations . calcinées prennent avec l'eau la dureté des plâtres, elles font folubles dans l'eau bouillante avant la calcination ^ & leu^ ibiutioa chaude précipite ^n turbith m^ Digitizedby Google t>És Sciences, 1762. 56/ né rai la diflblution de mercure par Tacide nitreux. Il en eft de même de la partie terreufe qui s'accumule , s'attache &C s'endurcit avec le fel au 4bnd des poêles. Le gypfe des eaux de Montmorot diffère de celui de Salins par fa couleur cendrée qui domine dans le fchelot 6C dans récaille ; celui des eaux de Salins cil tfès-blanc^ en forte qu'on peut en laifler avec le fel , fans que fa blancheur en foit altérée. Il n'en eft pas de même de celui de Montmorot ; ii on en laifToit au fond des poêles , on trouveront dans les pains de fel , comme il arrive quel- quefois, des matières plâtreufesde cou- leur grife. La blancheur du gypfe le fait difparoître dans l'intérieur des pains de fel de Salins ; & c'eft par cette raifort que l'extraâion du fchelot fe fait avec beaucoup plus de foin à Montmorot qu'à Salins, Il faut une grande quantité d'eau pour diiToudre les félénites & pour les tenir eh diflblution ; c'eft par cette raifon que les fels gypfeux , contenus dans les eaux falées , viennent en forme concrète long-temps avant la formation du fel marin ; on augmente alors le feu pour $ehir les eaux dans une forte ébuUitioni^ Digitizedby Google 568 MÉMOIRES 0E l'Acad. rot. ' les parties gypfeufes condenfées fe réu- niflent 6c acquièrent bien-tôt aflez de pefanteur pour tomber d'elles- mêmes au fond d^ la poêle ; agitées &c fouettées vers le milieu de la poêle par une vio- lente ébuUition » elles font jettées fans cefle vers les bords où elles font reçues , dans des baffins portatifs de tôle qu'on enlève lorfqu'on voit paroître far h furface de la muire les premiers crif- taux de fel marin. ExtraSiondufchclat^ On n^employok i Salins gue douze baffîns pour faire ce fervice ; j'en ai fait mettre jurqu'à trente dans les poêles ^ autant qu'il en pou voit tenir au long des bords ; & ^e les ai vu conftamment à toutes les cuites fortîr de la poêle prefçiue entièrement remplis de fchelot ; j'ai plus que doublé par ce moyen Textraaion d'une matière qui ne , peut qu'altérer le fel > & qui n'eft point faite pour entrer dans nos alinciens. Altération du fel par U gypfi. Je me fuis afluré , par beaucoup d'expé* riences en petit & en grand , que la iaveur & laqualité du fel marin font&rt altérées par le mélange du gypfe iorf morot. Je reviens aux effets de ces bâtimens fur les eaux qui s'y concentrent à force d'en laver les bamns & les épines » ces eaux limpides & fans couleur à leurs fources y prennent dans les bâtimens une couleur rougeâtre qui s'épaiflit à mefiire que les eaux s'évaporent; cette teinture w. fi forte lorfque les épines font neur yes, qu'elle tache le fel en rouge , d^ jfaçon qu'on eft obligé dele rejetter & ^ perdre es eaux pendant pluj^eurl Digitizedby Google 57^ MÉMOIRES DE L'ÂCAD. R0Y mois telle efl la caufe unique de cette teinte rougeâtre qu'on voit dans les eaux grafles de Montmorot , & qui n'eft point dans celles de Salins ; c'eft elle qui produit les taches de rouge & d'o- i;angé que Ton remarque dans les fels d'eau grafle , lorfqu'on évapora cette eau julqu'à ficcité. J'ai imité ces effets dans le cours de mes expérience ; j'ai fait infufer féparément dans de l'eau de fontaine des épines coupées par mor- ceaux & des copeaux de fapin y ces infii*- fions fe font chargées en peu de temps d'une couleur rouge épaifle , & je m'en fuis fervi pour tacher des fels d'une Î grande blancheiw. Outre cette teinture^ es eaux falées prennent fur les épines un mucilage qui les rend plus épaifies 3ue celles de Salins ^ainfi que les débris es épines & des infeâes gui pourriflènt dans Us baffins de graduation, lorfqu'on n'a pas foin de les purger des moufles & des végétaux qui nagent fur leur fur^ face , des boues qui s'accumulent au dégorgement des pompes, enfin des fé- dimens terreux dont leur fon^fe couvre à la longue. On doit les tenir dans h plus grande propreté. l^éceffiec de faire égautter les fels^ ifi Digiti2edby Google DES Sciences, 1762. 577 Iç fel marin fe trouve baigné dans Jes eaux graffes; on l'en retire tout mouillé de ces eaux amères & piquan- ^tes qui lui communiquent leur mauvais . goût jufqu'à ce qu'elles foient parfaite- >inent égouttées. J'ai déjà dit que ces eaux^ tant à Salins qu'à Montmorot, étoieat fort chargées de fel de Glauber, & par conféquentdefel d'Epfum, à caufe du mélange du fel marin ; on n'ignore pas que ces felsfont très-amers ; on fait aifi qu'ils fe criftallifent très-prompte- ment au froid. Expofer à l'air froid les fels mouillés fortant des poêles, c'eft enduire tous leurs criftaux de fel d'Ep- .fum. U^en efl de chaque grain de fel . marin comme d'une bouteille de verre trempée dans cette eau chaude , & por- tée au froid ; en peu d'inOans elle paroît couverte d'unepoudrefaline très-amère, , formée par uneînfînité de petits criftaux de fel d'Epfum ; ces petits criftaux s'unif- fent par leur çontaâ, & collent enfem , ble les grains de fel marin. C'eft ainfi que dans les temps froids ^ & pendant prefque tout l'hiver , les fels deftinés à Ja formation des pains étant portés dans les ouvroirs au fortir des poêles., fe changent bien-tôt en uqe feule mafle dure , d oh il coule très-peu d'eau graflc Mim. ij6x. TomsL BJ> Digitizedby Google ^^8 MéMOlllESt>E t* danslôs cuves deftinées pour larecevoîf^^ %u liéU ^ue ces cuves qui contiennent p\us d'un nmid & àtfïii ^ en font demc >is feinpliek dans des temps plus dou% , te fèl reftaht alots en grains fëparés & %XKMlie^ detà vitM fue k formation fats Ms tfi paitHs ^ft ptâs vidé^ pendâftt iTtîvérqtie pendit l'été. On n'yifeti'Oit jamais èixvptoyer , tant à Salkis qu^a Montmomt ^ q^re des f^s piSifMwtn^nt ^gouttes; & pour fatisi^kire à cette c0i- -dniofi , il fai!rdK>it établir dans t^ éeuic falihes » comme on l'a feit à celfes de liorraîhe , dfeségoâftfdk s ^ôu joiws diauds "& toiqoiïrs huitod^ï , où les fèk ^e&mt Vii!gt-quatt'e hèù^s a>^ftt d'être pcrrtds dans lesmagalîfts. Ufimdrôîty coimruîre ^ffei de ma^aflns^uir pouvoir donner ^n dépôt de ûx fen^an^és s^ùx fels deâî 'liés à 4trè èï pain , comme un h dontfe -àu^ fèîs déftinés poiir te Suiffes. Odl T^ne condidofn qtj*ife è^lgéfît pour aflVnrw •fa pui'eté de Icttrs fets , & ijui ïéuffit tôUjOurs en effet âtr les fels en ^ain , ^rce que , dans cet intervalle , pour ipeu'qùe iaîr devienne humide, les fels délkfuefcens provenait des'wux giaffes, tombent en liqifetir ^ enttîaînttftt avec €uxk Ùl de daùbçt ^, -qui eft t^-fo*' Digitizedby Google i>s S cïE N c ES, 176t. Ï79 • Défauts dis pains de ftl en général. On voit par les obfervations qui pré- cèdent, que les fels employés en pains ibnt fouvent remplis de gypies , comme tous ceuy qui fortenr des poêlons de $alins , & qu'ils peuvent ecre encore abondamn^nt .g^irnis de fel d'Epfum ^ rfur-tout pendant d'hiven Bien loin de icorriger ces défauts , on ne fait que les augmenter en pétrifiant les pains avec 4'eîiu graile ; cette eau chargée de tout rle-fel qu'elle peut diflbudre , ne doit rien prendre dans les pains de fel, au con- traire, elle charge la dofe des matières ^étrangères parle defféchement des pains ceux de Montmorot font fujets à une 4brte d'odeur empyreumatique affez ap- prochante de celle du piffat de chat ; lelle eft caufée par les mucilages & les ^natières erafles ^ui proviennent des ibâtimens de graduation , & qui fe con- fument dans Tinteriéur des pains lors du defféchement fur la braife après Té vapo- ration de la partie aqueufe* Ayant réa- iifé cette conjeâure par des expériences, j'ai penfé qu'une evaporation lente ^ ppérée par une chaleur plus douce , pourroit remédier à ce défaut ; mais je favois en même temps qu'on n'auroit jamais que des pains très-impurs tant Digitizedby Google 580 MiMOIRFS DE l'AcAD. ROY. Gu'on employeroitles eauxgraffes à leur formation. Formation des pains de fil à reau douces JTen ai fupprimé Tufage par un moyen û facile & fi fimple, que je ne conçois pas comment il n'a pas été plutôt ima- giné. J'ai pris du fel en grain bien épuré par un long dépôt & déjà chargé, pour pafler en Suifle , je l'ai fait détremper avec de Teau douce , j'en ait fait pétrir des pains de fel de difFérens moules , je les ai fait fécder fur la braife , &c j'ai trouvé ces pains auffifolides , auffi durs que ceux qu'on formoit en même temps avec Teau grafTe. A Salins, où j'en ai fait les premiers cfTais, on croyoit que les parties onâueufes de l'eau graffe ctoient néceflaires pour coaguler enfenx* ble les grains de fel ; j'ai penfé que pour les bien unir il fufHfoit de mouiller leurs furfaces , de les preffer l'une contre l'autre & de les fécher enfuîte , le con- taû parfait des furfaces étant, comme on le fait d'ailleurs, la principale caufe de l'adhérence des corps j'ai vu pref- que en même temps que les parties onc- tueules , loin de produire l'effet qu'on leur attribuoit , ne pouvoient fervir qu'à diminuer l'adhérence des grains, parce qu'elles laiffent des yuH^s^ çnsje leitti Digitizedby Google BES Sciences ; 1761. ^Si iurfaces, en fe confumant dans rinté* rieur des pains ; la formation à Teaii douce m'a mis en état de le démontrer. J/jai fait placer dans l'intérieur des pains , pendant qu'on les formoit à Salins avec de Teau douce , des matières onÛueufeî^ & combuftibles , des boules de favon , des gouttes d'huile , des gouttes de fuif, des Boules faites des fels onftueux qu'on tire des eaux grafles en les defféchant; ayant fait fcier enfulte ces pains de fel par le milieu y dans le plan de leur ^rand cercle , tous les endroits où j'avois fait placer des matières combuftibles, étoîent marqués par des cavités entourées de grandes taches brunes ; ÔC lorfqu'bn grattoit ces^aches avec un couteau , on y découvroit une forte odeur de piflat de chat , odeur qu'on n'appçrcevoit jamais dans les endroits intermédiaires , où le fel avoit confervé toute fa blan- cheur ; lien a été de même des matières combuftibles, en forme fèche , que j'ai fait inférer dans les pains , telles que les boules de papier , de petits morceaux de bois , &c. aux endroits où ces corps avoient été détruits , on trouvoit conf- tamment les mêmes taches , les mêmes vuides & la même odeur ; elle étoit ac-^ çompagnée d'un très - mauvais goùt/rai Bb3 Digitizedby Google 581 MÉMOIRES DE L^ACAD. ROV. pouffé plus loin les expériences à Mont*- morot; j'ai fait prendre du fel graine bien pur dans les tonneaux chargés pour Neufchâtel , j'en ai fait former un grand nombre de pains , les uns avec de l'eait de fontaine, leiautres avec des décoc- tions, & même avec de fimples infu- sons d'épines &c de copeaux de fapin ^ d'autres avec de l'eau de favon , d'au- tres enfin avec du bouillon de viande i & tous ayant été féchés en même temps fur des lits de braife , les pains formés ^ foit avec de l'eau de fontaine , foît avec de l'eau de pluie , fe font trouvés d'une blancheur parfaite , fans aucun goût ^. fans aucune amertume ceux au con- traire que j'avois fait pétrir av^c des- eaux imprégnées de mucilages & dei matières graffes animales ou végétâtes ^ fe font conrtamment trouvés très-âcres , très-amers, fur -tout dans leur partie inférieure , femés de petits trous 6c de grandes taches noirâtres , accompa- gnées d'un très-mauvais goût & d'une forte odeur de piffat de chat. Caufes des taches & de la mauvaijh odeur des pains. Lorfque les décodions d'épines ou de copeaux de fapin étoient très-chargées % les pains de fel fe font trouvés tellement altérés &; criblés dans. Digitizedby Google .ç ES SciEN ct$ ; rjéi. 5S5 leur paîtiç t/ri qu'09 en a^iroit pri^ te$ niifimt iufil in poln de Montmoroc^ }!ai développé & déwQntré p^r ce? épreuves k cawfe d'un vice i^rtkuU^r du fel w pain de Montmoiot > pîof duit paf le iéjour d^s eaux dans les I4r timens, de grsuluatipa; défaut que j'ai très-c> en fedrte que Us plus aîfés rejettoient cette partie de leur fel après l'avoir féparée avec la icie ^ ce qui pouvoit faire dans lesxamp £b 4 Digitizedby Google 584 MÉMOIRES nE L^ACAD. ROT; pagnes un déchet de dix pu douze poue cent fur les fels qu'on y diftrîbuoit c'eflf ce que f ai reconnu par moi-même dans one trourhée que j'ai faite en 1760 9 iaccompagné par M. Defnans, dans les hautes montagnes de Francbe-Comté , depuis Sept-Moncel jufqu'à Mortau 9 pour con&her tes payfans eux-mêmes*, recueillir leurs plaintes contre les fels 9 interroger les Fruitiers dans les granges cil l'on fait les fromages, examiner les défauts que le fel peut y cauièr , & les diAinguer de ceux qui tiennent à des caufes tout-àfaît étrangères à celle-ci* Les défauts relatifs au fel, provenant uniquement du gypie » des fels terreux ^ du fel de Glaùbcr & des charbons empy- reumatiques réfultans de la combuAiot» des matières graffes , Tufage de l'eau pur^ pour former les* pains de fel a tout rec- tifié. Formation des pains de fd avec l*eaa douce chaude. }*ai perfeâîonné cette nou- velle formation , en faifant employer Teau douce chaude on fait que les fels de Glauber & d'Epfum font beaucoup plus folub^es dans Teau chaude que dans l'eau froide; j'ai donc penfé qu'en chauf- iant Teau pour la formation, elle pour- voit entraîner & diifoudre en s'égout^ Digitizedby Google T>ES S GIEN C ES, 176x- 58$ tant y les fels amers s'il en reftdit quel- Gue atome fur la furface des grains de lel; enfin qu'elle facilUeroit par fa cha- leur le dégagement des matières graifes. Il eft aifé de s'en affurer & de vérifier en même temps Tmilité de cette méthode ; car fi les fels dont on fait les pains font employés à l'ordinaire ^ fans être égout tés par un dépôt fufEfant , l'eau douce dont on les pétrit &c qui s'en égoutte pendant plufieurs heures avant le deflfé* chement au feu , y contrafte la couleur &C la imauvaife qualité de l'eau grafte » un goût piquant ^ une amertume pref- que infoutenable > foit qu'elle ait pafTé par les pains, de fel de Montmorot ou par ceux de Salins. Rien ne peut mieux démontrer la néceffité de iuivre ma nouvelle méthode , puifqu'au lieu d'apt- porter des principes étrangers &c vicieux dans les pains de fel^ elle fert encore à les en purger 1/ > ni. m i MM. deHaller & Tronchin que j*ai con- fuites fur Teffet des matières gypfeufes dans le corps humain, regardent Tufage des eauxgyp- feules & des fels gypfeux, comme une des prin- cipales caufes des goëtres , des obftruâioos > de la galle, & de quelques autres maladies très- communes dans les pays oii les gypfes font aboadaàs» Bb S Digitizedby Google Quelques petfonnes ontpenfé y depvS^ ^ue cette nouvelle formation eft etib iifage, que les p^ins de fel pâtris avec Teau douce devment être moids pefans. & moins folides que les pains de fel- formés avec l'eau grafie ^ parct que Teaii^ douce> a-t-on dit^ doit diflbudre du feU dans les pains , entraîner ce fel en s^é^ gouttant .& laifler des vuides à fa place r- ce raisonnement eft non-feulement dé- fruit par les feits , c'eft-à-dire par plu-î- iieurs centaines d'épreuves que f 'ai faites^ fur le poids 6c fur la durîeté des pain^ de fel formés à l'eau douce 9 mais it tombe de lui-même fi Fon fait attentîoii^ que pour la formation des pains oo^ commence par détremper & remuer le fcl dans l'eau qui doit y fervjr^ foh qu'on? emploie l'eau douce ou Peau grafle ; ii en réfulte que l'eau douce fe trouve chargée de tout le fel marin qu'elle peui^ ^fibudre avant que le fel ^ monilté de cette eau ^ ibit mis & battu dans le moule elle eft donc laturée dans Tin* térieur du pain, de même que l'eai^ graffe , avec cette différence cependant que l'eau faturée feulement de fel marin^ peut encore difToudre du fel d'Epfunt Se du fel marin à bafe terreufe^ conmie on le fait pour peu qu'bn foit ifiârutt Digitizedby Google fnChimiç ; w Jiçuquç reaugraflfcdéji* forchargée dç fels étrangers , pe peuç qu'en laiifor dans rintérieiir des pains* On eâ donc forcé dç conclure que Teai» douce n'entf aîné pas de l'intérieur de^ pains plus^de fel marin que l'eau grafle ^ mais ieulement plus de fei d'Epfum. S^ 4e Tels déliquefcens lorfqu'pn en a laiflçf pvec le fel gemme, comme il arriva too.» jours lorfque le feteft misen^pain ^^^près ijuelques heures de dépôt à Tair froide Ç'eft par cette raifon qu^il eft trjçç^van- lag^ux d'employer l'eau douce çi%aude,^ les fels étrangers ; dont on vient dç p^- Jter, étant pïu$ rplubles dansl'iîauçhauiafe jpie dans Teau froide*^ Je jçonviens que les pains de fel faits 4; Tcaii doujçô cbaude feroient iin p^^t ^oins p^ans & un peu moin^ fi>lidj$s que ceux à l'eau ^ 6 Ton continnoit ;de lai^er beaucoup de ces fels éirangors» dans la maflc ds fel deitinée à form/^r U$ pains ; mais on eô fur d'éviter ce jikHihl? inconvénient y. en fe feryaoï » rçommfi ie l'ai preicjit, de fi^l épuné par .1141 dépôt iuffifantTp c'eft'-à^dire > aiitaot ^ue le Cel deftifté à ta fourniture descap^ tons Suifles ; & c'eil un avantage de p^SK -éoo-^de i^'etrp jjariaîte jiu?à^ qu'f^m ab & pigitizedby Google ^88 MÉMOIRES BE l'Acad. Ronr; emploie des fets plus purs que ceux dont on s'eft fervî juqu'à préfent. A regard de la confervation dé ces- nouveaux pains, peut-on douter qu'ils ne réfiAent mieux à Tair & plus long- temps fans fe défaire que les pains è Teau graffe, quî'ne mélange de fel gpmme & de M d'Epfum , de parties calcaires & de fels délîquefcens h Poids des pains dcJcL Au refte , le poids àes pains peut varier beaucoup dans le même moule , avec le même fel , avec la même eau; le grain du fel qu'on y em»- ploie y fait beaucoup, & plus encore la main de l'ouvrière qui bat le fel dans le moule ; le bombement à la furface anté- rieure du pain , contribue auffi à le rendre plus ou moins pefant. J'ai fàît faire avec de Feau douce, & dans le même moule de fef marcteind , qu'on nomme ro^i re , des pains de fel qui pefoient trois livres fix & fept onces ^ d'autres qui p^A>ient à peine deux livrer & demie ; j'ai obfervé les mêmes varié- tés dans le poids des pains formés à l'eau praiTe , elles dépendent uniquement de la bonne volonté & 4e la bonne fof des Prépofés à la formation^. Dans pluiieursjmilliers de pains de fel ijue j'ai fait ^e aveci Feau douce au Digitizedby Google © r s Scie n ces, ïj6ï. ySgJ moiile rozière , employant du fel prêt a! partir pour ia Sùiffe , H s'eft trouve très- peu de pains dont le poids n'excédât de plufieu/s onces celui deS'painâ de fefc àFeau greffe p qui eft ordinairement de- trois livires. On regardoit alors dan9* \es falines Ifi nouvelle formation comme défavamageufe aux Entrepreneurs. Dicoftjfpofition du fd fur là braifei H me refte à parler des moyens aufli fimpkfi que j*ai employés^ pour éviter la décompofition* qui^ arrive dans les pains de fel > par l'application immédiate du feu ; cette- décompefition' devient très-fenfible par fa forte odeur d'efprit de fel que Ton refpirc dans les- ouvroirs- éii l'on fèche le fel en pain fur des lits^ dé braife ; mais j'ai voulu la démontrer- aux veifx > & pour cet effet j^^ai fait fuA pendre à huit où dix^ pouces au^-deffus^ des rangées d& fel des cba/fis de bois horizontaux , garnis de papier bleu ,. teint de tournefôl ; en moins d-ùn quart d^heure ces papiers ont été entièrement colorés d'ui> beau roiige, & tels qu'ils^ feroient fbrtis d'une liqueur acide; j'ai Élit détacher enfuite aveè une fçie , après* le refroidiifement des pains , la partie baffe qui porte fur lifi braife ; je l'ai fait piler ^ U 'ai rempli ile ce fel des enton^ Digitizedby Google ffCr MÉMOIRES I>I l'ACAD. ROY. soirs de verr garnU de papier k filtrer^; ^ai fait pafTer à travers le fel une petite ^aotité d^eau de pluie ; fat verfé fur ' f ette eau fikrée très-Umpide quelque$^ goutter d'huile de Un ^ dans Tipitant même la liqiieur eu, devenue d'un blanc de lait ; c'eitre&t d'uafavQn formé Air le champ par la. combinaifo de l'huila avec une leflive alkaline % effet qui prouva que le bas des pains de £^1 eft aUcalifé en partie , 6c qui conBrn^ tout ce que j'ai dit fur cette décompoïinon^ Le même phénomène n'arri^ pas loFf, & je fus^ obligé, en répétant d^épreuve ,vd*intejrpofer une platine de^ iôle entre les pains de fel & le foyer, pour diminuer la violence du ^ ; ces pains^ ^toient fort adhérens aux pdatises àe £èr qui tes foutenoient , mais e lévaiî îbien-tôt cet inconvénient^, en faifant -pofer lies pains fur un lit de cendre der âuit à^dix lignes d'épasffeur. Il me ref toit encore deux obftacles à vaincre; les pains de fel étoient tachés par la fu^- wée , & les prefm^es;rang$esiMen plu* tôt féchées ^e les dernière», parce que • îi direâion de ta chaleur & eu courant ^'air jière , pefant environ trois livres cha^ cun ils furent fécbés en moins de trente keures; les thermomètres que favoi» placés dans cette étuve> à l'extrémité la^ Elus éloignée du feu y furent brifés par i trop grande dilatation de la liqueur;^ ks pains en fortirent durs 9. fon* nans , comme ceux de la petite étuve ^ ayant toutes les qualités néceflaires pour la confervation & pour le tranfport. J'ai Élit faire iept' cuites, confécutives dans^ tte grande étuve , toujours avec 1er même iuccès ;. leur durée moyenne ai été de vin^ûx heures ,, & la confomma^ tiondu bou dai» le fourneau n'en a point paru augmentée. J^ai donc épargné 6c Itit tomber en bénéfice fur la formation^ fa totalité des braifes que l'on confom* moit précédemment dansla faline pour^ altérer le felen pain^ ôc cetteicononûe Digitizedby Google Y9* MâMOiRÊS DE l'Acad. ro*^ fait utt objet affez confidérable en dimt^ nution ur fervir de terme de comparaifon ; ni les uns ni les autres n'étoient fradurés. H en a été de même dé^plufieurs douzaines de pains de fel fcwmés à l'eau douce , & féchés à Fétuve ,qui ont été envoyés en 1760 de Montmorot à Befençon , & de Befançon' à Paris , où ces pains font arrivés en très - boii état il eft donc démontré ^ik'oii pe ut les tranfportçr y cnt purs & formés fuivant les règles que fai orefcrites; qu'ils fe confervent Se réfiftent plus long - temps à l'humidité -de rair ; qu'enfin ils ont toutes les con- 4]itions néceflaires au fer vice de la Pro- vince , comme on l'éprouve depuis quinze mois dans les Bailliages fourni j par la faline de Montmorot. On ne débite plus à préfent dans -cette iaUne que des pains de fel formés it l'eau douce & fé- as la neutralké parBake* du tel à gros srain de Montmorot ^ tam parce qu'ils loot formés de iel >à ornerai grain fait à Teau boutUaste , que parce qu'ils per- dent un peu de leur acide par le à^Sé^ chement même dans les étuves Un jour le fel à gros grain iera\généràiemeat préféré, comme il devrôit l'être ea attendant , j'ai lieu d'efpérer que la Franche-Comté^ déformaiséclairéefurla Qualité des emix *& fur la formation des iels, libre dëchoiûr Te^ce qui lui con* viendra le mieux, & déjà Jbimiie de . iels plus purs ^ me&ura gré de^iae» irayauaâ. Fin duTomt ptimicr. ip€^ri»pii»erieridç JtTX^vp^.^ ^w dç I9 Jfeipc^ 1777e Digitizedby Google Digitizedby Google Digitizedby Google Digitizedby Google V '&^ , 'rtl '>.\ /> Digitized by VjOOQIC >'i Digilized byGOOgle iflil HX inxG A \ FINE IS INCURRED ^^ THIS BOOK IS T RETURNED TO ..lE LIBRARY ON . BEFORi. THE LAST DATE STAMPED 3700^2^ ^ ^, •f^. \w^ V-, ï\e Maison"Le petit clos". Maison indépendante au calme pour 4 personnes avec entrée indépendante, cour avec salon de jardin et barbecue et place de parking privative comprenant Accueil / Location de vacances Seine-et-Marne / Location chambre d'hôtes Lizines / Le Clos du Montois Description Chambres Localisation Equipements Loisirs et commodités A proximité de la cité médiévale de Provins, nombreuses animations qui raviront les enfants spectacle de rapaces, combats de chevaliers….Véritable joyau du Moyen-Âge, Provins possède de nombreux sites touristiques les souterrains, la Grange aux Dîmes, la Tour César…. Location à proximité de Nogent sur Seine. Voir plus Description Votre hôte Christine Et Jean-Claude En savoir plus Descriptif 2022, susceptible de modifications pour 2023, merci de vous référer à la fiche descriptive validée lors de la réservation. Bienvenue au clos du Montois à 35 mn de Disneyland Paris et à 12 km de la cité médiévale de Provins. Région touristique. Dans un lieu de charme, 5 chambres de 2 à 3 personnes ont été aménagées dans de belles dépendances face à la ferme des propriétaires. Accueil chaleureux, ambiance familiale. Salle d'eau, wc, coin cuisine, télévision, dans chaque chambre. Jardin verdoyant et fleuri avec chaises longues. Détente assurée. Grange aménagée en salon d'été avec bar. Jeux d'enfants. Tarif dégressif suivant la durée du séjour. Animaux sous réserve. Notre site En 2020 taxe de séjour en supplément euros par jour et par personne. Voir plus Annonce d'un particulier Paiements acceptés Chambres Chambre Epi de Blé Chambre sélectionnée Dans un batiment annexe, chambre au rdc avec 1 lit de 2 personnes, Salle d'eau et wc privés. Voir plus Chambre Soleil de Tournesol Chambre sélectionnée Dans la ferme, chambre au 1er étage avec 1 lit de 2 personnes. Salle d'eau et wc privés Voir plus Chambre Brin d'Orge Chambre sélectionnée Dans un batiment annexe, chambre au 1er étage avec 1 lit de 1 personne et 1 lit de 2 personnes. Salle d'eau et wc privés. Voir plus Chambre Fleur de Colza Chambre sélectionnée Dans la ferme, 1 chambre au 1er étage avec 1 lit de 2 personnes. Salle d'eau et wc privés. Voir plus Chambre Poupée de Maïs Chambre sélectionnée Dans un batiment annexe, chambre au 1er étage avec 1 lit de 1 personne et 1 lit de 2 personnes. Salle d'eau et wc privés. Voir plus Localisation Thématiques Campagne A la ferme Equipements Télévision Barbecue Jardin clos Parking intérieur Jardin Equipement bébé Wifi-Internet Loisirs et commodités 4 km Restaurant 4 km Tennis 12 km Baignade 12 km Equitation 15 km Forêt 15 km Pêche 35 km Plan d'eau 89 km Site remarquable Votre hôte Christine et Jean-Claude
LECLOS DU PETIT PORT. Réalisation d’un ensemble de 5 immeubles comprenant 62 logements dénommé « Le Clos du Petit Port » situé chemin des Biâtres à AIX-LES-BAINS
Association à Montfort-sur-MeuAnnuaire Mairie / Bretagne / Ille-et-Vilaine / Montfort Communauté / Montfort-sur-Meu / AssociationsToutes les informations sur les 159 associations sur la commune de Montfort-sur-Meu. Annuaire des organismesMission d'accueil et d'information des associations d'Ille-et-VilaineDélégué départemental à la vie associative d'Ille-et-VilaineGreffe des associations d'Ille-et-Vilaine à RennesDéfense de droits fondamentauxDéfense de droits fondamentaux, activités Mali Montfort - Défense de droits des immigrées MAIRIEBOULEVARD VILLEBOIS MAREUILNuméro RNA W353003904 Information communicationRadio Frequence Huit Radios privées Hôtel JuguetPlace du TribunalNuméro RNA W353013062 Pratiques d'activités artistiques ou culturellesCulture, pratiques d'activités artistiques, pratiques Paul le Flem Pratiques d'activités artistiques ou culturelles 21 Rue DE LA SAULNERIENuméro RNA W353000839Association Art Et Danse Pratiques d'activités artistiques ou culturelles MairieNuméro RNA W353004653Association Collectif Recif Pratiques d'activités artistiques ou culturelles 1 Allée des HypolaïsNuméro RNA W442017169Bulles d'Art Pratiques d'activités artistiques ou culturelles MairieBoulevard Villebois MareuilNuméro RNA W562002558Carrement Swing Promotion de l'art et des artistes 17 Rue du DanubeNuméro RNA W353005501Castor & Pollux Musique 29 Rue Saint NicolasNuméro RNA W353015813Celtin' Paotr Et Wayfarers Reunis Folklore 6 ter Rue Jean Pierre BertelNuméro RNA W353008362Chroniqueurs Vagabonds Expression écrite, littérature, poésie 3 Place de la CohueNuméro RNA W353014035Cinema la Cane Photographie, cinéma 13 Boulevard CarnotNuméro RNA W353006551Clin d'Oeil Sur l'Art Artisanat, bricolage, expositions Route de la ForgeNuméro RNA W353014148Culture Musicale Musique 8 Rue des ArcadesNuméro RNA W353008442Dare-dare Production Spectacles 4 Rue du Champ ClosNuméro RNA W353016581Degermat Spectacles 7 Rue Pierre LotiNuméro RNA W353008350Div Yezh Monforzh Langues, dialectes 5 Rue du PuitsNuméro RNA W353020028Ensemble Vocal Alain Fromy Musique 11 Rue des EchevinsNuméro RNA W353009058Ensemble Vocal les Enchantements Pratiques d'activités artistiques ou culturelles 11 Rue des EchevinsNuméro RNA W353007143Entre Cour Et Jardin Spectacles 4 Rue des EchevinsNuméro RNA W353006629Fabrik 345 Promotion de l'art et des artistes 7 Allée des TaminiersNuméro RNA W353003415K'danse En Broceliande Pratiques d'activités artistiques ou culturelles MairieNuméro RNA W353001539L' Outil En Main de Montfort Sur Meu Pays de Broceliande Artisanat, bricolage, expositions MairieBoulevard Villebois MareuilNuméro RNA W353003665L'orange Verte Promotion de l'art et des artistes CHEZ MME COLIN52 Rue DE GAELNuméro RNA W353000476Les Amis de l'Orgue MontfortaisLes Beurdassous Musique 2 Rue des TempliersNuméro RNA W353011968Les Oiseaux de Passage Pratiques d'activités artistiques ou culturelles 11 Impasse de la ChapelleNuméro RNA W453000899Les Pinceaux d'Aquarelle Artisanat, bricolage, expositions 20 Boulevard de GaulleNuméro RNA W353005954Les Univers Dansés d'AshiaMélimélodies Musique 6 Allée de la BigottièreNuméro RNA W353012511Micmac Musique 1 Rue du General LeclercNuméro RNA W353016381Orchestre Et Choeur de Broceliande Et Choeur Feminin de l'Abbaye Saint-jacques En Broceliande Musique MairieBoulevard Villebois MareuilNuméro RNA W353008793Recre A Fil Artisanat, bricolage, expositions 9 Rue des RiedonesNuméro RNA W353004953Sortir A Broceliande Promotion de l'art et des artistes 8 Ruelle de l'EnclosNuméro RNA W353006238Storlokus Promotion de l'art et des artistes 23 Allée Albert CamusNuméro RNA W353009950The Plectrums Musique 11 Allée Paul le FlemNuméro RNA W353016621 Clubs de loisirs, relations" Club Vedette France " Collectionneurs de véhicules 13, Rue Paul Féval -Numéro RNA W353003264"cercle Montfortais" Centres de loisirs Mairie -Numéro RNA W353002221Ambiance Peche Promenade Centres de loisirs Rue Etienne MaurelNuméro RNA W353016410De l'Eau Au Moulin Clubs de loisirs, relations Ecole du Moulin à VentBoulevard SurcoufNuméro RNA W353000133Dyanaventure Collectionneurs de véhicules 3 Impasse Lé du MeuNuméro RNA W353010963Envie de Vie En Ville Activités festives 12 Chemin du Moulin de la HarelleNuméro RNA W353015372Federation Nationale Grandir Ensemble Clubs de loisirs, relations 8 Rue de la GareNuméro RNA W353002309Jeux Traditionnels de Pays Clubs de loisirs, relations Montfort Communauté4 Place du TribunalNuméro RNA W353007490La Forge Naine Jeux de cartes, jeux de société 34 Résidence La MontagneNuméro RNA W353005844Les Amis de la Chataigneraie Activités festives 20 Impasse Marin MarieNuméro RNA W353008606Les Amis du Pere Tuichot Réseaux d'échanges La Lande de BeaumontNuméro RNA W353011056Les Jardins de l'Abbaye - Ondes Scelerates Activités festives Boulevard Villebois MareuilNuméro RNA W353016565Les Sabots Bretons Animaux familiers 21 Rue de GaëlNuméro RNA W353014197Montfortclasse8 Activités festives 10 Ter Rue de RennesNuméro RNA W353016265Action socioculturelleAmicale des Retraites du Grand Saloir Saint Nicolas Clubs troisième âge MairieNuméro RNA W353006198Association Francaise Prevention Aux Sinistres Associations socio-éducatives 54 bis Rue Saint NicolasNuméro RNA W353009211Centre Creatif Musical de Montfort Sur Meu Ccmm Associations socio-éducatives mairie de Monfort sur MeuBoulevard Villebois MareuilNuméro RNA W353014184Comite de Jumelage Echanges culturels internationales MAIRIENuméro RNA W353004302Comite des Fetes de Montfort Sur MeuGenerations Mouvement - les Aines Ruraux - Club de l'Amitie de Montfort Sur Meu Clubs troisième âge mairieNuméro RNA W353003713Reseau Loisirs Pluriel Colonies de vacances 8 Rue de la GareNuméro RNA W353019827 Sports, activités de plein air" Canoe-kayak du Pays de Broceliande " Aviron, canoë-kayak La ChevènerieNuméro RNA W353003327" Montfort Basket Club " Basket-ball 11, Place de la Mairie -Numéro RNA W353003195" Tai Chi Chuan Montfort " Autres arts martiaux 13 Rue du NoroitNuméro RNA W353003177"roller du Pays de Montfort" Roller, skate 1 Chemin de la Croix HuchardNuméro RNA W353001850A Rod Laosk Marche sportive 6 résidence de la MontagneNuméro RNA W353015184Arts Et Mouvement Gymnastique 13 Allée Paul Le FlemNuméro RNA W353014232Association Cyclos Randonneurs Montfortais Cyclisme 16 Allée de la TramontaneNuméro RNA W353007339Association de Yoga du Pays de MontfortAssociation Montfort Tennis de TableAssociation Petanque Montfortaise Boules MAIRIEBoulevard VILLEBOIS MAREUILNuméro RNA W353001486Association Sportive du College d'Enseignement Secondaire de Montfort-sur-meu Associations multisports scolaires Boulevard PasteurNuméro RNA W353009965Association Sportive Saint Louis Marie Associations multisports scolaires 11 Boulevard CARNOTNuméro RNA W353000765Association Sports Et Loisirs "les Ajoncs d'Or" Handisport 12 Saint-LazareNuméro RNA W353015283Broceli'gym Montfort Gymnastique 14 Rue Per Jakez HeliasNuméro RNA W353010154Broceli'hand Club Handball Brocéli'Hand ClubPlace de la MairieNuméro RNA W353006509Broceliande Sports Subaquatiques 'bss' Sports, activités de plein air MAIRIENuméro RNA W353002678Broceliande Triathlon Associations multisports locales 27 Rue Paul FévalNuméro RNA W353006537Equisports du Pays de Montfort Sur MeuFootball Club de Montfort Sur Meu Corporel Gymnastique MairieBoulevard Villebois MareuilNuméro RNA W353001543L'office des Sports du Canton de Montfort Organisation sportive, Clubs de supporters Hôtel Montfort Communauté4 Place du TribunalNuméro RNA W353001553Le Volant Enchanteur Tennis 3 Rue du GouverneurNuméro RNA W353013170Le Volley-club de la CaneLes Ailes du Desert Sports mécaniques 12 DOMAINE DE LA RIVIERENuméro RNA W353002683Ligue d'Improvisation Et de Gestalt-therapie - Ligt Gymnastique 34 Rue Saint NicolasNuméro RNA W353012501Montfort Energym de Montfort Sur Meu Gymnastique MairieBoulevard Villebois MareuilNuméro RNA W353010500Raid Breizh Attitude Marche sportive appartement 0082 Boulevard de la Duchesse AnneNuméro RNA W353010368Raiv Montfort Sur Meu Roller, skate MairieBoulevard Villebois MareuilNuméro RNA W353002694Shotokan Karate-do Montfort/meu Autres arts martiaux Hôtel de VilleBoulevard Villebois MareuilNuméro RNA W353006037Tennis Club de BroceliandeTork Roll 3d Sports aériens 9 Allée Paul Le FlemNuméro RNA W353006707Union Sportive de la Cooperl Football Boulevard l'AbbayeNuméro RNA W353016297Yoga Au Pays Pourpré Gymnastique 57 Rue Andree Bourcois MaceNuméro RNA W353016686Yoga Bien Etre Et Vitalite Gymnastique 11 Rue Desire LucasNuméro RNA W353016719 Chasse pêcheAssociation Agreee de Peche Et de Protection du Milieu Aquatique de Montfort-sur-meu - la Perche Montfortaise - Aappma Pêche MairieBoulevard Villebois MareuilNuméro RNA W353007439Association de Chasse Privee de Bonne Rencontre de Plumaugat Chasse 14 Allée de la TramontaneNuméro RNA W353009450Societe de Chasse de Montfort Sur MeuAmicalesAmicales, groupements affinitaires, groupements d'entraide hors défense de droits fondamentaux.Amicale des Retraites "ajoncs d'Or" Groupements d'entraide et de solidarité 4 Rue du gouverneurNuméro RNA W353011084Amicale du Centre Hospitalier de Montfort Sur Meu Association du personnel d'une entreprise 33 Rue Saint NicolasNuméro RNA W353013458Amicale du Personnel Communal de Montfort Sur Meu Association du personnel d'une entreprise MairieNuméro RNA W353015590Association des Usagers de la Zone d'Activites de Montfort Sur Meu Amicales Boulevard Villebois MareuilNuméro RNA W353011137Association du Comice Agricole du Pays de Montfort Organisation de professions Montfort Communauté4 Place du TribunalNuméro RNA W353014833Association Pour la Promotion du Commerce Et de l'Artisanat MontfortaisBretagne Scolarite Benin Groupements d'entraide et de solidarité Clos du PressoirChemin de la Croix HuchardNuméro RNA W353007571Cap Ados Vacances Associations de personnes handicapées 8 Rue de la GareNuméro RNA W353013930Entraide Et Amitie Groupements d'entraide et de solidarité Centre Hospitalier33 Rue Saint-NicolasNuméro RNA W353011904Faimoutai Taimana Otaina Toucou Ni Groupements d'entraide et de solidarité 4 Place de GuittaiNuméro RNA W353004521Joailettes 35 Groupements d'entraide et de solidarité 17 Résidence la MontagneNuméro RNA W353009327Motopolgendouane Groupements d'entraide et de solidarité 17 Allée Albert CamusNuméro RNA W353010719Éducation formation'utl du Pays de Broceliande 35' Éducation formation Hôtel Montfort Communauté4 Place du TribunalNuméro RNA de l'Ecole Notre Dame Parents d'élèves 13 Rue VILLEBOIS MAREUILNuméro RNA du College Saint Louis Marie Parents d'élèves COLLEGE SAINT-LOUIS MARIE11 BOULEVARD CARNOTNuméro RNA W353000400Animations Et Loisirs Éducation formation 13 Boulevard Villebois MareuilNuméro RNA W353005688Association des Parents d'Eleves de l'Institut Medico - Educatif de Montfort Parents d'élèves INSTITUT MEDICO-EDUCATIF "AJONCS D'ONuméro RNA W353000929Broceliande Trophy Associations d'élèves 12 Rue des TempliersNuméro RNA W353019869Caisse de Solidarite du College Louis Guilloux Associations d'élèves Collège Louis GuillouxBoulevard PasteurNuméro RNA W353007238Conseil des Parents d'Eleves Et Amis des Ecoles Publiques de Montfort S/meuFoyer Socio-educatif du College Louis Guilloux Associations périscolaires COLLEGE LOUIS GUILLOUXNuméro RNA W353000273Hongrie Commerce Associations d'élèves CFTAL'AbbayeNuméro RNA W353005744Loisirs Et Fetes Associations périscolaires ECOLE NOTRE DAME13 Boulevard VILLEBOIS MAREUILNuméro RNA W353000270Organisme de Gestion des Ecoles Catholiques de Montfort Sur Meu - Éducation formation 13 Rue VILLEBOIS MAREUILNuméro RNA W353000518Recre-actions Gael Parents d'élèves ECOLE PRIMAIRERue DE GAELNuméro RNA W353000804Un Arc-en-ciel Dans l'Cartable Apprentissage 33 Boulevard BalzacNuméro RNA W353011750 SantéAppui Santé Brocéliande Organisation des professions médicales 2 Place Saint NicolasNuméro RNA W353019919Association des Aides Soignants es de Bretagne Nord Santé 19, Rue du Clos Saint-Jean -Numéro RNA W353001016Association des Professionnels de Sante de Montfort-sur-meu apsm Organisation des professions médicales 11 Rue du 11 Juin 1944Numéro RNA W353015083La Maison d'Adele Organisation des professions médicales 5 Impasse Paul SérusierNuméro RNA W353014546La Petite Chenille - Solidarite Autisme Aide aux malades Boulevard Villebois MareuilNuméro RNA W353013581 Etablissements médico-sociauxServices et établissements Francaise des Psychologues Scolaires de Bretagne afps Bretagne Établissements pour adolescents en difficulté 7 Allée DES TAMINIERSNuméro RNA W353002331Section Locale des Accidentes du Travail Et des Handicapes du Pays de Montfort Établissements pour handicapés MairieNuméro RNA W353006160 Association Eureka - Emplois - Services Groupements de chômeurs Hotel Montfort Communauté4 Place du TribunalNuméro RNA W353002969Association Française des Psychologues de l'Education Nationale afpen Interventions sociales 7 Allée des TaminiersNuméro RNA W294002213Association Locale d'Aide A Domicile En Milieu Rural de Montfort Sur Meu Interventions sociales Hotel Montfort Communauté4 Place du TribunalNuméro RNA W353005287Le de Broceliande - Echange de Services Et de Savoirs Interventions sociales mairieBoulevard Villebois MareuilNuméro RNA W353006188Les Amis de William Ruiz Associations familiales 21 Allée Paul Le FlemNuméro RNA W353004989Maison des Lyceens de Montfort Foyers socio-éducatifs LYCEE RENE CASSIN2 Les BataillesNuméro RNA W353000448Associations caritatives, humanitairesAssociations caritatives, humanitaires, aide au développement, développement du Ajoncs d'Or Associations caritatives intervenant au plan international Saint-LazareNuméro RNA W353006740Breizh'nn 4l Secours en nature 7 domaine de la RivièreNuméro RNA W353012914Les Petites Graines Associations caritatives à but multiple 11 Boulevard du ColombierNuméro RNA W353013057Ny Aina Madagascar Associations caritatives intervenant au plan international 3 Allée du MistralNuméro RNA W353019807 Services familiauxServices familiaux, services aux personnes des Amis du Foyer Residence Maisons de retraite Foyer Résidence des Personnes Agées5 Rue de l'OurmeNuméro RNA W353006307Les Petits Chouns association des Assistantes Maternelles Et des Parents du Secteur de Montfort Crèches, garderies PLACE DE LA MAIRIENuméro RNA W353002601 Conduite d'activités économiquesClub des Entreprises du Pays de Broceliande Conduite d'activités économiques Place Saint Nicolas - antenne 3 cNuméro RNA W353009047 Défense d'intérêts économiquesReprésentation, promotion et défense d'intérêts d'Employeurs Launay du Meu Groupements professionnels 1 Les Vaults de MeuNuméro RNA W353014922Groupement de Developpement Et d'Echanges Socio-culturels des Pays de Becherel, Montauban, Montfort, Plelanle Grand, Saint-meen le Grand Etmordelles Centres de gestion Goupement de Développement et d'Echanges Socio-Culturels des pays de Bechere12 Rue de la SaulnerieNuméro RNA W353005633Office de Commerce Montfort Communauté Amicales de commerçants Hotel Montfort Communauté4 Place du TribunalNuméro RNA W353015618Environnement, cadre de vieAro Velona préserver les Vivants Sensibilisation à l'environnement 12 Boulevard de l'AbbayeNuméro RNA W353010778Association de Randonneurs "rouge-gorge" Environnement, cadre de vie 10 Rue des TempliersNuméro RNA W353005359Association Kapé Préservation de la faune sauvage 6 Rue Duguay TrouinNuméro RNA W353014932Cêhapi, Producteurs d'Idees En Action Sensibilisation à l'environnement 1 Rue Merlin l'enchanteurNuméro RNA W353013487Eco-garde Comités de défense 4 Place du TribunalNuméro RNA W353013300Les Riverains du Chemin du Petit Bromedou Défense et amélioration du cadre de vie 10 Rue des EchevinsNuméro RNA W353005595Terra Amazonia Défense et amélioration du cadre de vie 7 Rue de GergovieNuméro RNA W353016372Tous Au Sec - Sec Pour Tous Comités de défense Ruelle des MoulinsNuméro RNA W353013421 Aide à l'emploiAide à l'emploi, développement local, promotion de solidarités économiques, vie ' Eco Promotion d'initiatives de développement durable 13 A VILL2 de la ChapellenieNuméro RNA W353005006Institut Rural d'Education Et d'Orientation " Launay Quero "Montfort, Ma Difference Promotion d'initiatives de développement durable 3 Rue Paul FévalNuméro RNA W353007518Sécurité, protection civileAssociation des Sapeurs-pompiers Montfortais Amicale de sapeurs pompiers 8 Route de PlélanNuméro RNA W353010316 Armée, anciens combattantsArmée dont préparation militaire, médailles, anciens des Anciens Combattants Et Veuves d'Anciens Combattants de Montfort Sur Meu Anciens combattants MAIRIENuméro RNA W353000517Union Nationale des Combattants de Montfort Sur Meu Anciens combattants MairieBoulevard Villebois MareuilNuméro RNA W353015771 Les associations sur les autres communesAssociations à la NouayeAssociations à TalensacAssociations à BreteilAssociations à IffendicAssociations à BédéeAssociations à PleumeleucAssociations à Saint-UniacAssociations à la Chapelle-Thouarault La présente page des associations de Montfort-sur-Meu sur l'Annuaire des mairies a été modifiée pour la dernière fois le vendredi 22 avril 2022 à 19 vous désirez faire un lien vers cette page, merci de copier/coller le code présent ci-dessous
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Guide de voyageFranceOccitanieTarn-Et-GaronneMonteilsRestaurantsCuisine françaiseLE CLOS MONTEILS Monteils Restaurants Produits gourmands – Vins Sports – Loisirs Shopping – Mode – Cadeaux Voyage – Transports Maison – Déco – Jardin Pense futé – Services Résultats Cuisine française à Monteils L'avis du Petit Futé sur LE CLOS MONTEILS La demeure est austère. Nous sommes devant l'ancien presbytère du village de Monteils, un petit panneau discret annonce les menus. On lève la tête, et le cadran solaire au-dessus de la porte nous souffle que la vie est trop courte pour être petite ». Intuitivement, on sent que l'on va passer un grand moment. Il faut frapper à la porte, et Françoise Bordariès nous ouvre avec le sourire. Machinalement, on lui tend la main, on a vraiment l'impression de venir manger chez l'habitant. L'accueil de Françoise est chaleureux, d'une étonnante simplicité. Son mari Bernard prépare le piano en cuisine, et on est tenté de lui laisser la totale maîtrise de notre assiette, tant cet amateur de jazz est un virtuose, sublimant le terroir et les saisons. Passons outre la décoration un peu désuète, les sols et les plafonds d'époque. L'évidence est dans l'assiette, tout est harmonie, de l'œil à la papille en passant par le nez. Un grand moment en effet, à un prix vraiment très doux, à goûter en été sur la fraîche terrasse qui donne sur la Lère. La meilleure adresse que l'on connaisse. Organiser son voyage à Monteils Transports Réservez vos billets d'avions Location voiture Taxi et VTC Location bateaux Réservez votre bus Réservez votre train Hébergements & séjours Trouver un hôtel Location de vacances Echange de logement Trouvez votre camping Services / Sur place Réservez une table Activités & visites Voyage sur mesure Apprendre une langue étrangère Informations et horaires sur LE CLOS MONTEILS Ouvert du mercredi au samedi le midi et le soir. 3 toques Gault & Millau 2011. Réservation recommandée. Menus de 29 € à 54 €. Formule du midi 18 € ardoise. Jardin. Terrasse. Services Accessible aux fauteuils roulants Vous êtes le responsable de ce lieu, cliquez ici Avis des membres sur LE CLOS MONTEILS Trier par Publicité En savoir plus sur Monteils 82300 Les jeux concours du moment Remportez 1 séjour de prestige en Espagne, pour 2 personnes ! Profitez d’un séjour relaxant pour 2 personnes à Calella, dans la Province de Barcelone avec l'Associació Turística de Calella ! Remportez un guide numérique ! Du 19 au 29 août Je dépose mon avis et je gagne des Foxies Pour soumettre votre avis vous devez vous connecter. Retour Connexion Espace des Membres Email Mot de passe Mot de passe oublié ? Pas encore membre ? Réinitialiser le mot de passe Merci pour votre avis ! Bravo, votre compte a été créé avec succès et nous sommes heureux de vous compter parmi nos Membres ! Votre avis a été envoyé à notre équipe qui le validera dans les prochains jours. Vous pouvez gagner jusqu'à 500 Foxies en complétant votre profil ! Montfortsur-Meu (35160) Dans un cadre de vie exceptionnel, en bordure du Meu, à 2 pas des commerces, écoles et services, le "Clos du Petit Saloir" est composé de 23 parcelles No category Distillerie Merlet et Fils SAS Letravail des Cassini laissa même son empreinte sur le terrain où l'on trouve encore aujourd'hui des toponymes dits « Signal de Cassini », qui révèlent les lieux où se sont effectuées les mesures de l'époque. Ces points de repères correspondent aux sommets des innombrables triangles qui formaient la trame de la carte de Cassini. Vous pouvez consulter les cartes de cassini sur See other formats MÉMOIRES SUR LES RÈGNES DE LOUIS XV ET LOUIS XVI ET SUR LA RÉVOLUTION PAR J. N. DUFORT, COMTE DE CHEVERNY INTRODUCTEUR DES AMBASSADEURS, LIEUTENANT GÉNÉRAL DU BLAISOIS 173L — 1802 PUBLIÉS AVEC UNE INTRODUCTION ET DES NOTES P AR ROBERT DE CRÈVEGOEUR Ouvrage orné de deux portraits TOME SECOND E. PLON, NOURI PARIS U dVof 39003002815515 TAWA 7 a u .> n m; i i, j i r, x c i * ^0-07 Digitized by the Internet Archive in 2012 with funding from University of Toronto ~R •- MEMOIRES SI! P. LES RÈGNES DE LOUIS XV ET LOUIS XVI LA RÉVOLUTION Les éditeurs déclarent réserver leurs droits de traduction et de reproduction à l'étranger. Ce volume a été déposé au ministère de l'intérieur section de la librairie on mars 1886. PARIS. TYPOCIïAl'IlIK E. PLON , NOURRIT ET C. ie , RDE GÀRANCIERE, 8. A GEND] ;rny 1736-1818 Imp Cha do . MÉMOIRES SUH LES REGNES DE LOUIS XV ET LOUIS XVI ET SUR LA REVOLUTION PAR J. N. DUFORT, COMTE DE CHEVERNY INTRODUCTEUR DES AMBASSADEURS, LIEUTENANT GÉNÉRAL DU BLAISOIS 1731 — 1802 PUBLIÉS AVEC UNE INTRODUCTION ET DES NOTES PAR ROBERT DE CRÈVECOEUR Ouvrage orné de deux portraits TOME SECOND PARIS LIBRAIRIE PLON E. PLON, NOURRIT et O, IMPRIMEURS-ÉDITEURS RUE GARANCIÈRE, 10 1886 Tous droits réservés Univers i BIBLIOTHECA aviens9^ DC /3/.1 . D,t3"A3 ISU r* .5 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY TROISIÈME ÉPOQUE 1764-1787 {SUITE. CHAPITRE XVI Visite chez Mesmer. — Le baquet. — Les initiés. — D'Espréménil. — Court de Gébelin. — Construction d'un baquet à Cheverny. — Jnsuccès. Voyage à Charolles. — La famille Mayneaud de la Tour. — Les Perrin de Grégaine. — Lure. — M. Batailhe de Francès. — Une propriété à l'anglaise. — Antorpe. — Besançon. — Le Breuil. — Séjour chez Sedaine. — M. de Salaberry à Pezay. — Le marquis de Rome. — Le chevalier de Pontpibaud. — La société Martainville. — Madame de Lafreté et le docteur Saiffert. — M. de Sanlot-Bapaume. — Le comte de Héere. — Mort de madame de La Valette. — Quelques anecdotes anciennes un dîner chez le marquis de Pezay; Diderot. — Les plâtres de Pajou à Cheverny. — David et Sedaine. Ce fut à peu près vers ce temps-là * que Ja fureur du magné- tisme tourna toutes les têtes à Paris. Je vais à ce sujet entrer dans quelques détails qui me sont personnels. Le comte de Pilos, Olavidès, mon ami particulier, avait une imagination vive; Mesmer le séduisit. Il donna cent louis 1 Au commencement de 1784, comme on le verra un peu plus loin. II. 1 2 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DK CHEVEKNY. pour être initié, et il entraîna le président de Salaberry, dont l'imagination se prêtait à tout. Mon ami Sérilly, insouciant, mais curieux, en homme pour qui cent louis n'étaient rien, fut aussi admis. J'éprouvai alors les persécutions les plus vives, on m'aurait fait recevoir pour rien. On voulait vaincre mon incrédulité en obtenant des effets sur moi. Dans un dîner avec Deslon l , j'avais avancé que je résisterais à toute attaque. On essaya, rien ne réussit, et Ion me regarda comme un sujet rebelle. Cependant, mon cher Salaberry et le comte de Pilos, pour lequel Mesmer avait beaucoup de considération, obtinrent que je serais initié et introduit dans les salles. La scène est trop singulière pour que je ne la retrace pas ici telle qu'elle se passa. J'arrivai avec le président, à midi, à l'hôtel de Goigny, rue Coq-Héron, où Mesmer tenait ses séances. Nous montâmes au premier par un petit escalier, et l'on alla avertir Mesmer. Il salua amicalement mon camarade, vint à moi et me dit avec l'accent allemand Monsieur, M. le comte de Pilos et M. le président de Salaberry m'ont répondu que vous n'abu- seriez pas de la complaisance que j'ai pour eux en vous laissant voir les effets du magnétisme. J'exige seulement que vous ne disiez à personne que vous n'avez pas été reçu ; vous direz que je vous ai traité et guéri. » Je lui répondis Si l'on me fait la question, je répondrai dans ce sens-là. Je vous remercie de me mettre à portée de m'instruire. » Alors il ouvrit une petite porte, et nous entrâmes dans l'appartement. Toutes les pièces étaient ouvertes; dans la première, décorée comme une salle à manger, il y avait plu- sieurs personnes qui allaient et venaient; on y voyait un piano-forte ouvert et deux ou trois guitares. Dans la pièce à 1 Charles Deslon, médecin, grand partisan de Mesmer, auteur de plusieurs ouvrages sur le magnétisme. On le ridiculisa, ainsi que son patron, dans les Docteurs modernes, pièce représentée au Théâtre italien en 1784, ce qui suscita un toile général tle la part des amis de Mesmer. G. DESNOinESTERRES, fa Comédie satirique au dix-huitième siècle, p. 250 et suiv. TROISIÈME ÉPOQUE 1764-1787. 3 droite, faisant jadis un grand salon, étaient plusieurs per- sonnes devisant très-bas. Quelques gens, les uns malades, les autres croyant l'être, s'apprêtaient à entrer ou à s'en aller. Je rentrai dans la première pièce pour passer dans celle du baquet. Qu'on s'imagine une grande caisse ronde, haute d'environ dix-huit pouces, fermée hermétiquement, et en gros bois de chêne, à peu près comme un baquet; plusieurs trous dans le couvercle dans lesquels entraient à l'aise des barres de fer coudées, jouant à la volonté du malade; de grosses cordes d'un pouce, passant de même dans d'autres trous, se rattachaient à la barre de fer du milieu. Ces cordes, plus ou moins longues, étaient occupées par des malades ou en atten- daient. Il y avait environ vingt personnes, toutes de ma connais- sance, hommes et femmes. Les uns dirigeaient une barre de fer, soit vers des obstructions, soit vers telle autre partie du corps qu'ils croyaient malade. Il y avait des hommes penchés, des femmes en léthargie; les uns poussant des cris périodiques, d'autres se livrant au sommeil, d'autres à des rires convulsifs. Je fis le tour comme un homme initié dans les mystères. Mesnard de Glesles y était assis; il me demande quel était mon mal. Je lui réponds Je n'en ai plus, je suis guéri. » Je me place à côté de lui, il me parle avec transport de sa maladie, du bien qu'il ressent et de la certitude de sa guérison. Je vois de Pert, des vivres il y venait pour la dernière fois, car il est mort trois jours après. Il me dit qu'il espérait, mais qu'il n'éprouvait aucun soulagement. Cependant, un des médecins s'approche de moi et me dit Monsieur, prenez garde, cette dame va avoir des convul- sions. » Elles ne tardèrent pas, elle se tordit les bras, roula les yeux, rit, cria. Pendant ce temps, mon médecin, que je n'avais jamais vu, sur ma question Quel remède lui donner? » me dit Monsieur, suivez-moi. » Il ouvre une porte et entre avec moi seul dans un grand salon. Il était matelassé, le plancher en totalité de plus d'un pied, les murs 1. 4 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. et les croisées à la hauteur de six pieds. Il me dit Pour hâter la guérison, quand le malade est attaqué dans le principe par le mesmérisme, on renferme ici jusqu'à ce qu'il soit en état de sortir. Ces attaques ne durent pas plus d'une demi-heure. » Cependant le mal de ma dame allait toujours en augmen- tant; ses rires, ses cris étaient excessifs, ses convulsions faisaient pitié; elle fut ficelée comme un bout de tabac. Trois gaillards de médecins la détachent et la prennent, malgré les efforts qu'elle faisait, ses cris, ses sanglots; on ouvre la porte, on la pousse dans cette chambre et on l'y enferme. J'écoute, je l'entends crier sourdement, puis le silence se rétablit. Alors j'entends dans le lointain une guitare, une voix qui avait l'air aérienne, chantant une ariette italienne ; tous écoutent, tombent en extase, et l'on peut suivre sur leurs visages les mouvements de la musique ou gaie ou triste. Je sus que c'était un des médecins qui guérissait comme Orphée. J'en conclus qu'il y avait là bien des dupes et beaucoup de jongleurs. Salaberry m'avait quitté; mon jugement porté, je cherchai les moyens de le joindre. Je descends le grand escalier et je me trouve en bas. J'entre dans une grande pièce donnant sur le jardin, ayant deux croisées ouvertes, avec une grande cheminée et un gros poêle; elle avait l'air d'avoir servi à une serre chaude. Il y avait là des individus assez mal mis, comme des couturières, etc., de tous les âges, et brochant sur le tout, une quantité de commères ou de gardes-malades. Le baquet était établi entre les deux fenêtres. Plusieurs vieilles femmes assises sur des chaises de paille étaient dans des assoupissements profonds. Je fixai mon attention sur une d'elles, qui ne jouait rien, mais qui tout naturellement était en paralysie. D'Espréménil, le fameux d'Espréménil J , petit, assez gros, un bonnet blanc sur la tête, un chapeau par- dessus, en redingote, s'agitait, parlait, se démenait comme 1 Jean-Jacques Duval d'Espréménil 1746-1794, alors conseiller au Parle- ment. Il avait été aussi l'un des plus zélés partisans de Cagliostro. TROISIÈME ÉPOQUE 1764-1787. 5 un coryphée de Mesmer. Il dissertait avec enthousiasme et bavardait avec cette fausse éloquence de barreau qui l'a si mal servi. Un gros monsieur de quarante ans, à croix de Saint-Louis, nez retroussé, joyeux, et ayant plus de santé à lui seul que tous les médecins, se fit mettre un siège sur le baquet, s'assit dessus et disserta avec gaieté sur l'effet du mesmérisme qui lui avait rendu son embonpoint. Je questionnai mes vieilles femmes, qui me dirent que ma paralytique était dans un sommeil procuré exprès pour la guérison du malade. Un médecin arriva; une assez belle fille, les yeux fermés, était tranquille sur une chaise; il s'approcha d'elle et passa plusieurs fois l'index sur ses paupières. La fille se réveilla et regarda tout le monde. Le médecin lui promena les mains, les doigts étendus, à un demi-pied tout le long de son corps, surtout sur l'estomac; par degrés elle revint à elle, se leva, causa. Alors les vieilles femmes me dirent Monsieur, voyez! voilà le moment où elle peut secourir notre malade. » Elles lui dirent un mot; elle se fit donner un siège vis-à-vis la paralytique et la magnétisa un gros quart d'heure; mais la chose ne réussissait pas. Alors elle lui prit tous les membres, lui secoua toutes les articulations, avec une adresse que n'aurait pas eue le plus habile garçon de l'Hôtel-Dieu. La paralytique criait, pleurait, souffrait; enfin l'imagination exaltée opéra son effet, elle jura qu'elle se trouvait mieux et se mit à marcher de force et avec un bras. Tous les regardants furent dans l'admiration. Ma somnam- bule, que je suivais des yeux, se rajusta avec une espèce de coquetterie, ne fit qu'un saut sur l'appui de la croisée et de là dans le jardin, où elle se mit à folâtrer et à couper des fleurs, comme une femme qui avait gagné sa journée. Plusieurs autres furent magnétisées, endormies, réveillées. J'en avais assez vu pour asseoir un jugement. J'emmenai mon beau- frère, et nous allâmes dîner. Cependant le comte de Pilos, qui voulait tout observer, s'était fait montrer l'opération prétendue chimique du baquet et avait été autorisé par écrit à me la communiquer. Il fallait 6 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. toutes ces précautions, attendu que Mesmer avait ses raisons pécuniaires. Nous dînâmes chez Salaberry; Mesmer y vint avec le fameux Court de Gébelin l , si connu dans la répu- blique des lettres. Il n'avait que cinquante-quatre ans 2 ; mais sa maigreur et ses rides lui en donnaient quatre-vingt- dix. Dans le dernier degré du marasme, et d'une nature défaillante, il s'était jeté dans les bras de Mesmer, comme un homme qui se noie prendrait une barre de fer rouge. Son imagination exaltée faisait le reste. Mesmer ne lui prescrivait aucun régime. Il mangea à nous effrayer, parla beaucoup et avec bonhomie. Il mourut dix jours après. Nous partîmes pour Gheverny, et à peine arrivés, nous procédâmes avec le comte de Pilos à l'opération du baquet. Je fis faire six barres de fer coudées, rondes comme des tringles, longues de trois pieds, limées en pointe et arron- dies de chaque bout, un baquet de bois rond, avec un cou- vercle, de cinq pieds sur deux de hauteur. Dans le couvercle étaient huit trous en rond, espacés également, et un dans le milieu. J'envoyai chercher un tombereau de sable de Loire, assez gros et mêlé de galets; ]e pris soixante bouteilles vides, bien nettoyées, que je fis emplir d'eau de Loire et boucher en bouchons neufs. Nous nous enfermâmes; chaque bouteille fut magnétisée, c'est-à-dire qu'en prenant la bouteille dans les mains, et tournant le goulot horizontalement vers le nord, nous lui procurâmes la vertu prétendue magnétique, en pro- menant nos mains vivement dessous et ramenant le principe au goulot et au nord; — chaque bouteille demandait trois minutes d'opération. Nous les couchions alors sur un lit de sable, au fond du baquet, en observant de les diriger toutes au nord et d'introduire chaque goulot dans le fond d'une autre bouteille ; toutes couchées et ramenées à leur direction 1 Antoine Court de Gébelin 1725-1784, érudit fort connu. Il avait publié une lettre sur le magnétisme qui eut deux éditions 1783 et 1784. 8 Cinquante-neuf ans, d'après la note précédente. Court de Gébelin est mort le 10 mai 1784, ce qui Hxe la date de la visite chez Mesmer au com- mencement de cette année. TROISIÈME ÉPOQUE 1164-1787. 7 intérieure l . Getle opération se rapetissa jusqu'au point milieu, et quand elle fut finie, nous fîmes remplir avec exac- titude tout le baquet, jusqu'au ras, du reste du gros sable. Le tout fut porté dans un salon en tente, contigu au grand salon. On mit une grosse et longue corde dans le trou du milieu, et les barres de fer dans leurs trous respectifs. Chacun de nous avait une petite baguette de fer bien propre, de dix pouces de long, pour augmenter l'action du magnétisme. Les boiteux, les paralytiques, les malades des deux bourgs furent invités; comme l'opération était accompagnée de beaucoup de secours pécuniaires, il n'en manqua pas. La magnétisation et toutes les simagrées que nous avions vu faire furent employées sans succès, sans obtenir le moindre effet. La simplicité des habitants de la campagne était bien plus sûre que l'astuce des habitants des villes; aussi un mois après il n'en fut plus question. Le sable fut rendu au jardin, les bouteilles à la cave, et le fer à une destination plus utile. Sans nous disputer avec les fous ou les têtes exaltées, nous savions à quoi nous en tenir, et c'était suffisant pour nous. Au mois de juillet, ma fille étant en Franche-Comté, M. et madame de Gauvilliers, qui nous tenaient fidèle com- pagnie, ayant montré le désir d'aller voir leur famille à Cha- rolles, où le père était receveur des états de Bresse, nous eûmes l'idée de les accompagner. Le projet fut aussitôt exécuté que conclu. Nous nous mîmes cinq dans une berline M. et madame de Gauvilliers, mon fils aîné, ma femme et moi. Nous allâmes coucher à Romorantin, et le lendemain à Vierzon, où nous vîmes un établissement magnifique de mines de fer à M. le comte d'Artois. De là nous prîmes la poste et nous nous ren- dîmes à Bourges. Je comptais y trouver l'archevêque, mais il n'y était pas. Après avoir visité la ville, nous vîmes dans la cathédrale une lampe perpétuelle entretenue par une rente fondée juridiquement par la maison d'Étampes, pour un 1 Gomme la description est assez obscure, j'ai respecté le texte même dans ses incorrections, de peur d'en altérer le sens. 8 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CUEVEItNY. soufflet donné par un des leurs à un archevêque ' . Après avoir vu quelques manufactures de toiles'et d'indiennes, nous partîmes le lendemain. A la Charité, nous allâmes voir une fabrique de boutons qui était en pleine prospérité, et nous passâmes aux eaux de Pougues, où feu M. le prince de Gonti allait tous les ans et avait fait bâtir un logement commode. Il craignait d'avoir la pierre et prétendait que ces eaux, souveraines pour les reins et la vessie, le faisaient vivre. Après avoir vu à Nevers la cathédrale, et quelques ouvriers en émail, nous vînmes coucher à Moulins. Nous eûmes le temps de parcourir la ville et de voir le superbe monument de M. de Montmorency, décapité à Toulouse 2 . Le lendemain, nous partîmes pour aller dîner à Sept-Fonts 3 . Cette maison, que j'avais fort envie de voir, me parut si singulière qu'il me vint dans l'idée de composer une pièce en cinq actes, sous le titre de Fana- tisme monacal, où je rendis tout ce qui s'était passé dans cette visite, en ajoutant pour catastrophe une histoire que tout le pays contait. Comme cette pièce a fait quelque bruit, mais que je n'ai jamais voulu la faire imprimer, j'en fais ici men- tion. Après un dîner très-mauvais, servi avec des cuillers et des fourchettes en buis qui empuantissaient la bouche, nous partîmes pour nous rendre à Gharolles. Nous passâmes la Loire à pied sec, pour ainsi dire, près de Paray-le-Monial, et nous arrivâmes de nuit à Charolles. Cette ville avait été le berceau de deux familles de mon intimité. Mayneaud de la Tour, mort conseiller de grand chambre et père de la comtesse de Pons, anciennement 1 M. Albert d je lui servais d'intermédiaire avec son fils qui était en voyage, et dont j'étais le seul défenseur. Les quinze cent mille livres dont ce fils avait fait brèche à sa fortune avaient affaibli sa tête, quoiqu'il eût encore près de quatre millions. Je m'apercevais qu'il baissait. Il exigea de moi que nous vinssions faire à Magnanville un voyage qui devait être très-brillant. On y attendait madame la marquise de Seran, que nous aimions beaucoup, appelé en 1783 à l'intendance de Bourgogne, qu'il conserva jusqu'à la Ré- volution. 1 Fontaine de Biré. Leur contrat fut signé par le Roi le 25 janvier 1784. 30 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. ainsi que le comte de Thiard qui devait ensuite venir à Cheverny, en allant à son commandement de Bretagne ! . Mais le besoin que j'avais à Cheverny pour affaires me mit dans l'impossibilité d'accepter. Il fit donc son voyage sans moi, et il m'écrivait tous les deux jours ; de retour, il continua pendant huit jours à m'écrire. Sa dernière lettre était datée de riiôtel des Fermes; elle était pleine d'esprit, de raison, et même de politique. Deux jours après, je reçus une lettre de M. de Gypierre qui m'annonçait que M. de Préninville s'était éteint. Il était rentré chez lui, la fièvre l'avait pris; le lende- main il s'était senti mourir, avait reçu les sacrements, s'était fait lire par un valet de chambre lecteur les prières des ago- nisants, et il était mort à midi le plus doucement du monde. Le baron de Breteuil ne tarda pas à déployer dans son ministère la hauteur tout allemande que la nature lui avait donnée, fortifiée par ses formes d'ambassadeur. Le public, accoutumé à la bonhomie de M. Amelot, commença à mur- murer. M. de Breteuil voulait suivre les traces du duc de Choiseul, mais il n'avait ni son esprit, ni son amabilité, ni son bon cœur; maladroit par vanité et ne doutant de rien, il ne contribua pas peu à préparer la Révolution. Les sarcasmes plurent sur lui ; il s'était fait graver un por- trait sans lettres, mais où la place était laissée. Les plaisants firent graver au bas simplement la musique d'un opéra- comique de Sedaine, Ah! c'est un superbe cheval! Oubliant qu'un ministre ne doit faire acception ni exception, il se fit un petit tribunal de littérature dont Rulhière 2 était le pro- totype. Connu par de jolies pièces de vers, une Révolution de Pierre III en Russie alors manuscrite, Rulhière était aussi un des hommes les plus renommés pour leur méchanceté. 1 II était gouverneur de Brest. 2 Rulhière, secrétaire d'ambassade en Russie sous le baron de Breteuil, avait assisté à la révolution qui mit Catherine II sur le trône. Il en écrivit le récit sous le titre d'Anecdotes sur la révolution de Russie en l'année 1762. Mais cet ouvrage, dont il fit des lectures dans différents cercles, ne fut publié qu'en 1797, après la mort de l'Impératrice, conformément à la volonté de l'auteur. TROISIÈME ÉPOQUE 1764-1787. 31 La fille du baron de Breteuil, madame la marquise de Matignon ! , ayant hérité de sa mère d'un caractère altier, veuve, fort riche et l'air décidé, affichait les modes les plus nouvelles, et dépensait horriblement; elle était consultée par la Reine qui aimait beaucoup le genre, et donnait le ton à Versailles. Ma fille, lorsqu'elle fut présentée, dut à la parenté de cette dame avec M. et madame de Toulongeon de l'avoir pour présider à sa toilette. Le perruquier de la Reine, que j'avais vu postillon chez Cramayel, donnait alors le ton, et la seule coiffure du jour coûta dix louis. La tenue de madame de Matignon ne contrastait pas mal avec l'amabilité et l'esprit de sa tante, madame de Gypierre. Celle-ci avait réussi à se faire un faisceau d'amis; la conversation chez elle était dégantée et amusante, et elle savait ménager tout le monde. Le baron aurait dû prendre d'elle des leçons d'adresse et de conduite. Madame de Gypierre fut attaquée d'un squirrhe qui devint cancéreux, et nous la vîmes mourir par degrés dans des dou- leurs affreuses. J'eus le chagrin de me trouver dans ce moment à Paris et d'assister aux tristes suites de cet événe- ment. Deux ans auparavant, pendant qu'elle était à Gheverny , nous avions été obligés de lui annoncer la mort de madame de Sartine, femme du ministre de la marine, qui était fort notre amie, mais encore plus la sienne. Sa santé dès ce moment s'était trouvée très-altérée. M. de Gypierre avait profité de son crédit et de celui de son beau-frère pour quitter son intendance, en passant à la place de conseiller d'Etat 2 , et laissant l'intendance à son fils qui était âgé de vingt-cinq ans; il l'avait marié deux ans auparavant à mademoiselle de Bandeville de Bauche 3 , fille 1 Angélique-Elisabeth Le Tonnelier de Breteuil, veuve de Louis-Charles de Goyon, comte de Matignon, mort en Italie, en 1773, d'un accident de chasse. Ce Matignon était fils d'une demoiselle de Clermont d'Amboise, dont la famille était alliée aux Toulongeon. * En 1785. 3 On peut voir, à propos de ce mariage, dans Paris, Versailles et les pro- vinces t. I, p. 200, le mot assez drôle que l'on prêtait à la jeune fille, au moment de ses fiançailles, sur M. d'Orléans, intendant de Cythère. 32 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. d'un conseiller au Parlement ayant aimé son plaisir, et dont j'ai fait mention. Ce mariage paraissait faire le bonheur du jeune homme; l'héritière était superbe, et la terre de Bande- ville magnifique. M. de Gypierre avait aussi, comme je lai dit, marié sa fille, tenue sur les fonts du baptême par la ville d'Orléans, à M. Maussion de Gandé, maître des requêtes, que son crédit fit nommer à l'intendance de Rouen. La suite fera voir ce que sont devenues les plus belles dispositions que l'on puisse prendre pour une famille. La Révolution soufflera dessus, et tout s'évanouira comme un beau songe. Je ne puis finir cette époque sans me rappeler un homme très-intéressant que j'ai été à portée de connaître, le fameux Bucquet ! , chimiste et médecin, qui est mort à trente-six ou trente-sept ans. Né de parents peu aisés qui avaient tout sacrifié à son éducation, il se destina à la chirurgie. Dès qu'il put, il travailla l'anatomie sous les maîtres les plus habiles; ensuite se livrant avec le même enthousiasme à la chimie, il fit des progrès étonnants sous Macquer 2 et les plus fameux chimistes de Paris. Convaincu des bons effets de l'éther, il s'attacha beaucoup à en tirer tout le parti possible pour l'humanité. Dès qu'il fut reçu médecin, il l'employa avec succès et en quantité dans ses guérisons. A trente ans tout au plus, ce qui est bien jeune pour un médecin à Paris, il eut de la vogue et des partisans. Cependant son état ne le soutenant pas assez pour avoir un cabinet de chimie, il sentit la nécessite de se faire démonstrateur, afin de se procurer tout ce qui pouvait agrandir ses connaissances. Il partagea donc sa vie entre trois cours de chacun trois mois, un cours d'anatomie, un cours de physique et un cours de chimie. Dix-huit à vingt personnes s'abonnaient à ces cours, et comme il ne prenait 1 Jean-Baptiste-Michel Bucquet 1746-1780, fils d'un avocat au Parlement, ami de Lavoisier et maître de Fourcroy. C'était, d'après le Dictionnaire ency- clopédique des sciences médicales, un des médecins les plus méritants du dix- huitième siècle. 2 Médecin, membre de l'Académie des sciences, professeur de chimie au jardin du Roi, mort en 1784. TROISIÈME ÉPOQUE 1764-17*7. 3Ï presque aucune vacance, il ne tarda pas à être en état de soutenir sa famille et de se procurer des instruments et tout ce qui lui était nécessaire. Il parlait avec une aisance qui contribuait merveilleuse- ment à rendre ses idées le plus nettement possible. Plein d'esprit et d'érudition, dès qu'il se voyait avec des personnes capables de le coûter, il augmentait d'imagination et de facilité. Cependant le travail assidu le fatiguait singulièremeut; il se sentait épuisé, et il voulait réparer. Il trouva de quoi se ranimer en se servant de l'éther, avec lequel il avait fait des expériences beureuses sur beaucoup de malades. Il poussa les doses de cet excellent confortatil jusqu'à une chopine par jour; mais les ressorts s'usèrent, la macbine s'affaissa, et il finit par périr, au regret de tous ceux qui l'ont connu et qui espéraient pour l'humanité qu'il en deviendrait un flambeau. Je vais maintenant parler de Pechmeja. Né dans la Gas- cogne, ayant beaucoup d'esprit naturel, après avoir fait ses études, il vint à Paris, n'ayant pour tout bien que son habit. Il fut adressé à Févêque de son diocèse, qui ne sentit pas trop ce qu'il valait et l'envoya, par manière d'acquit et pour s'en débarrasser, au fameux abbé Raynal, qui alors était connu de peu de monde et n'avait pas encore la réputation que son livre lui a donnée depuis. Préninville cherchait un gouverneur pour Boullongne, son fils unique ; il s'adressa à l'abbé Raynal, qui se mêlait de procurer des sujets, et qui lui indiqua Pech- meja. Celui-ci, dès qu'il se fut mis à cette besogne, déploya tout son esprit, toute son adresse et toutes les connaissances qu'il avait acquises; il fut assez heureux pour trouver un sujet capable d'en profiter, et si, par malheur, il ne l'avait pas induit dans les principes des philosophes du jour, ana- lysant la piété filiale comme il décomposait tous les autres sentiments, Préninville et son fils lui auraient eu une tout autre obligation. Aimable en société, plein d'esprit, de gaieté, de saillies et d'érudition, il fut recherché de tous. Il suivait cette famille à Gheverny, et j'avais contracté une II. 3 34 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. grande amitié pour lui. L'éducation finie, il fut assez large- ment récompensé pour vivre avec les savants. Travaillant au livre de l'abbé Raynal, il fit plusieurs articles, entre autres celui de Batavia, dont la chaleur et les peintures voluptueuses n'ont pas d'égales. Cet homme, qui se croyait d'une force incroyable, futattaqué de vapeurs; il écouta tous les conseils, aucun ne lui réussit, et son imagination devint malade. Enfin il trouva un nommé Dnbreuil ! , médecin delà maison de Noailles, homme habile, mais aussi systématique que lui. Dubreuil était établi chez les Noailles à Saint-Germain en Laye. Affectant des prin- cipes de philosophie, il visitait les hôpitaux et guérissait de telle manière qu'on le venait consulter de Paris, quoiqu'il se dérobât le plus qu'il pouvait aux visites. Pechmeja, qui croyait lui devoir son existence, obtint de son ami de loger avec lui, et, se consacrant aux malades, il se faisait un plaisir d'assister ceux qui mouraient, en analysant leurs derniers moments, les consolant, les amusant et voulant se convaincre de plus en plus du néant de toute chose. Ils vécurent ainsi six ans, fêtés par la maison de Noailles et par tous les parents et amis, mais se dérobant souvent pour jouir ensemble de la communication de leurs idées et philosopher tout à leur aise. Cependant Dubreuil, qui était d'une santé délicate et qui se ménageait, fut saisi, malgré toutes ses précautions, d'une fièvre maligne qui l'emporta le septième jour. La tête partit à Pechmeja, et il se laissa tellement consumer par le chagrin qu'il suivit son ami trois jours après. Tout ce qu'il demanda en mourant, ce fut d'être enfermé dans la même tombe que Dubreuil, ce qui fut fait. Le prince de Beauvau et sa société s'échauffèrent tous sur ce beau trait, et se mirent dans la tête de faire enchâsser les deux amis, comme un modèle 1 Ce médecin, dont j'ai en occasion de parler ailleurs Saint-John de Crè- vecceur, p. 81, est une rigure originale dont il est souvent question dans les Mémoires du temps. L'histoire de la mort des deux amis est fort connue, mais je ne me souviens pas d'avoir vu mentionner nulle part la châsse en verre dont il est parlé plus loin. TROISIÈME ÉPOQUE 1764-1787. 35 d'amitié sans exemple. On fit faire une châsse de verre très- épais où ils furent mis tous les deux, et on la plaça dans la chapelle du château; allait les voir qui voulait. Cet événe- ment fit parler la ville et la cour. Avant de quitter cette époque, il faut que je fasse encore mention d'un homme qui a joué un rôle. Il s'appelait M. de Vizé l , fils du gouverneur de Longwy, et il était peu riche; il pouvait avoir quelques années de plus que Louis XV. Encore tout jeune, il avait été porte-drapeau dans le régi- ment des gardes -françaises et était capitaine aux gardes, ayant trente ans de service, sans avoir jamais obtenu un congé. D'une belle figure, quoique un peu gros, il était d'une force et d'une santé singulières. Sans grande élocution, sans aucune instruction, sans grand esprit, mais bon, franc et loyal, il allait beaucoup dans les sociétés de la robe et y était aimé et estimé. Il avait le mérite d'exécuter toutes les choses extraordinaires, soit qu'on les lui proposât, soit qu'il les eût entendu raconter. Il était tellement ignorant qu'un jo-ar, dans la conversation, on dit qu'il y avait quelque chose de beau à voir à Bordeaux; c'était la salle de spectacle bâtie par Louis XIV; il devait partir pour le régiment qui marchait à Wesel, et il me demanda sérieusement s'il ne ferait pas bien de passer par Bordeaux, pensant que cela ne le détournerait pas beaucoup. Il était fort ami de la maison Roslin et de ma belle-mère, et venait y dîner et souper plusieurs fois la semaine; il était aussi des petits soupers du vendredi que donnait Roslin le fils, chez Coupé. Il ne tarda pas à se lier avec nous, et, au commencement de mon mariage, voulant venir nous voir à Saint-Leu, il prit une carte des environs de Paris et se mit 1 Entré au régiment des gardes en 1719, il devint lieutenant général en 1762 et commandeur de Saint-Louis en 1772 ; il avait plus de soixante-cinq ans de service quand il prit sa retraite, en 1785. Son père, qui avait été capi- taine aux gardes et gouverneur de Longwy, était frère de Jean Donneau de Vizé, le fondateur du Mercure calant, et de Louis-Philippe Donneau de Vizé, évêque d'Ephèse, vicaire général de Strasbourg. Mercure, juin 1729 et octobre 1737. Luynes, t. X, p. 386. 3. 36 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. en route avec un attelage de deux mauvais chevaux; mais s'orientant tout de travers, il prit le grand chemin de Pon- toise. Ii comptait arriver pour dîner, mais à trois heures il n'était encore qu'à Franconville. Ce n'était point un homme à renoncer à son projet, et il savait vaincre les difficultés le plus sérieusement possible. Il laisse donc son équipage, et se fait montrer le château de Saint-Leu qui était à mi-côte. Il va droit devant lui, mais, bientôt fatigué, il avise un homme qui conduisait un âne avec un bât, et les loue l'un et l'autre pour se faire transporter chez moi. Il s'établit sur l'âne à califourchon, et comme il était passablement gros, il y entre avec une peine affreuse. A cinq heures du soir nous sommes tous surpris de le voir arriver. Il nous crie aussitôt Il ne s'agit pas de rire, ii s'agit de me tirer de l'étau dans lequel je suis. » On veut l'aider, impossible! ses reins et son ventre étaient tellement compri- més qu'il était tout enflé et bouffi, comme un homme qui va être frappé d'une attaque d'apoplexie. Il fallut couper la sangle, et à force de bras l'enlever tout brandi, lui et le bât. On le pose sur ses pieds comme un vrai Sancho Pança; enfin, au bout d'une demi-heure, on parvint à lui rendre la liberté sans qu'il y pensât un instant après. Il se mit à jouer, c'était pour lui un baume à tous les maux. Je vais le peindre par un trait, qui sera suivi de sa vie qu'il me conta. Après la mort de M. Roslin le grand-père, arrivée à la maison de Passy, nous étions revenus avec la veuve, rue Vivienne. Le salon était rempli des fils, petits-fils, et des amis qui faisaient cercle; tout cela était d'une tristesse à mourir. Vizé était debout, seul à la cheminée, le dos au feu depuis un quart d'heure. Il m'appelle, je me lève; il me dit tout bas Tu t'ennuies, je m'ennuie, nous nous ennuyons. » Je réponds Voilà une belle litanie que je répète comme toi. — Viens t'asseoir, me dit-il, tout là-bas, je veux te conter ma vie. Gela me désennuiera, et te fera passer le temps. » J'accepte, et il commence J'étais jeune, me dit-il, TROISIÈME ÉPOQUE 176i-I787j. 37 blanc, frais et fort joli, lorsque j'entrai dans les gardes. Un abbé de la chapelle, à Versailles, me prit sous sa garde; il me donnait souvent des louis qui valaient quarante-cinq livres; avec cela je jouais et me divertissais; j'en fis tant que le jeune roi me paya deux fois mes dettes, parce que je l'amusais. Je pariai un jour contre le ducd'Estrées l que je jouerais une partie de paume contre lui, et que je gagne- rais. Je devais avoir des bottes fortes, un large baudrier a et une épée de cent-Suisse; par-dessus tout cela un tam- bour, une baguette dans la main gauche, ma raquette de l'autre, et une pipe dans la bouche. Chaque fois que je casserais une pipe, je devais perdre quinze; chaque fois qu'avant de relever la balle je ne frapperais pas un coup de baguette, je perdrais trente. Il me donnait trente et bisque 2 par jeu; la partie était en six. Je m'étais exercé. u Le Roi, toute la cour en étaient instruits, et il fut convenu que cette partie extraordinaire se ferait h Gompiègne. Je me divertis à Paris, je perds mon argent. Je me rap- pelle mon pari. Je n'avais pas le sol pour me rendre à Gompiègne. Je pars à pied, mon épée sous le bras. Je ren- contre un gaillard qui allait aussi lestement que moi, nous nous accostons; il franchissait les fossés, les haies, j'en fais autant. Je me pique, je parie, je perds, je mets l'épée à la main, il fait de même il se défendait h merveille. Il me ait une blessure à la hanche, saute le fossé, caracole autour de moi et me met dans une rage dont on n'a pas d'idée, lorsqu'il me dit A quoi bon vous entêter? je vous sai- gnerais par tous les bouts. Ecoutez-moi, j'ai fait tous les métiers; j'ai été prévôt de salle, j'ai été frater dans une apothicairerie de moines, et depuis deux ans je m'exerce 1 Le fait a dû se passer vers 1725 ou 1730. Le duc d'Estrées, à cette époque, était un vieillard Victor-Marie, vice-amiral et maréchal de France, né en 1660. Il s'agit donc très-probablement d'un homme que son âge rappro- chait bien plus de Vizé, Louis-Charles Le Tellier de Gourtanvaux 1695-1771, qui porta le titre de comte, puis, en 17G3, celui de duc d'Estrées, maréchal de France en 1757. 2 Avantage de quinze points qu'un joueur fait à un autre. 38 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CIIEVERNY. dans les troupes de sauteurs pour aller à la foire Saint- Germain. Vous voyez bien que vous n'avez pas tant de titres que moi. » La paix se fit. Vizé lui montra sa blessure; mon homme la fit saigner, y mit un emplâtre, et les voilà à poursuivre leur chemin, les deux meilleurs amis du monde. Vizé le prend à son service, et ils arrivent à Compiègne, la veille au soir de la partie que tout le monde attendait. Vizé se présente dans l'arène avec son accoutrement; on peut juger de la gaieté que cela produisit sur des courtisans qui voyaient l'enfant-roi s'en amuser. Vizé, tout à son affaire, n'était pas homme à être distrait; toutes les folies, il les fai- sait le plus sérieusement possible. Il joua sa partie, et la gagna aux applaudissements universels. On l'accompagna en triomphe pour le faire changer, mais l'étonnement des spectateurs fut grand, lorsqu'on vit qu'il avait sur le devant de la hanche un cataplasme rempli de sang, ce qui ajouta encore au merveilleux de cette partie. J'ai été à même de vérifier l'anecdote, le marquis de Souvré, mon voisin à Che- verny par la terre de Gormeré qu'il avait achetée, m'ayant confirmé le trait comme présent. Je ne salirai jamais le papier de toutes les anecdotes plus plaisantes les unes que les autres qu'il me conta ce jour-là. J'étais au supplice par la gravité que la situation de la famille m'obligeait de garder. Il me conta son duel avec le chien d'un de ses camarades, qui prétendait avoir l'animal le plus intrépide. Vizé parie qu'il se battra nu, corps à corps avec lui, et le terrassera. Le pari était gros, et avait beaucoup de spectateurs. Vizé se met nu comme une main sans gant; il avait l'avantage d'être velu comme il y a peu d'hommes. Il se met à quatre pattes, fait venir tous ses cheveux sur sa tête, charge le chien, l'épouvante, le bat, le déchire; le chien s'enfuit dans tous les coins, jusque sous le lit, en hurlant de peur. Vizé gagna le pari, et le maître, dans sa rage, tua le chien. Il me conta aussi l'anecdote que tout le monde sait; ren- TROISIÈME ÉPOQUE 1764-1787/. 30 contrant un enterrement, il s'était mis à cheval sur la bière et avait forcé les porteurs à le porter ainsi, les prêtres à l'accompagner. Il devint cordon rouge, lieutenant-colonel du régiment des gardes ; mais ses affaires étaient dérangées, et il voulait mourir sans faire perdre qui que ce soit. Gomme j'avais toute sa con- fiance, je lui conseillai de demander au roi Louis XV les entrées de la chambre; il les obtint l , ce qui fit son bonheur. Alors il se fixa à Versailles, et supprima son carrosse. Bien reçu partout, il ménagea jusqu'à quatre-vingts ans et, à sa grande satisfaction, paya tout ce qu'il devait. Je vais maintenant parler d'un autre être très-singulier que j'ai vu beaucoup en société, le baron de Gandale 2 . D'une très-ancienne famille de Bigorre, il prétendait descendre des comtes de Foix ; il avait été capitaine de cavalerie. De moyenne taille, il avait une physionomie belle et bien caractérisée, un faux air de Louis XV, et de très-beaux yeux. Sa mémoire était prodigieuse; il avait une quantité d'anecdotes inépui- sables, et savait la généalogie de toutes les familles connues. Je l'ai vu passer huit jours à Saint-Leu, en troisième avec nous, toujours nouveau, sans se répéter un instant. Singuliè- rement adroit de ses mains, il jouait au bilboquet de toutes manières et ne manquait jamais de réussir; il faisait rouler une dame du trictrac sur une autre, comme un toton ; enfin il était inépuisable dans tous les genres d'amusements. Il vivait chez un loueur de carrosses de la rue du Bouloi, dans une montée au troisième; il y occupa pendant vingt ans une chambre, meublée de quatre ou cinq cartes généalo- giques et d'un lit en grabat, avec un seul domestique dont il changeait comme de chemise. Il était si connu pour payer mal les chaises à porteurs ou les fiacres, que dès qu'ils le voyaient, ils s'en allaient à toutes jambes. Il avait un habit 1 En 1772. Gazette du 21 mars. 2 Ce doit être Bertrand-Léon de Foix, comte de Candale, capitaine d'infan- terie, dont l'acte mortuaire, du 3 mars 1782, a été relevé par M. de Ghastellux sur les registres de Saint-Eustache. 40 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. de livrée, fond vert, et une redingote pareille, qu'il faisait endosser à tour de rôle aux malheureux qui voulaient le servir. Cette livrée servait d'enseigne pour que tous les fiacres sur la place refusassent de marcher. Il recevait dans son galetas des messages de princes, par des pages, pour des invitations de êtes ou de soupers, ayant pour ces cérémo- nies cinq ou six oripeaux; d'ordinaire, il était vêtu d'un habit uni, mais propre, quoiqu'il lui durât depuis des siècles. Avec le temps il vint à hériter; il acheta voiture et che- vaux ; mais cette magnificence se ressentit de sa parcimonie. Il avait soixante-deux ans lorsqu'il reçut la nouvelle de la mort de sa mère; il en lit un étalage considérable, il se rajeu- nissait par là; mais ce qui nous fit rire, ce fut de le voir venir chez moi, avec des harnais noirs et un cocher en noir qui portait des pleureuses. Nous eûmes toutes les peines du monde à lui prouver que toute cette magnificence n'était pas d'usage. Sa société était agréable, même aimable, en dehors du jeu; mais dès qu'il perdait, il ne se connaissait plus. Une scène qui lui arriva chez moi est trop plaisante pour que je ne la consigne pas ici. Il faisait une partie de trictrac avec le président de Salaberry qui était très-vif, mais beau joueur. Sur un coup, Caudale saisit un flambeau d'argent et le jette dans un coin de la chambre. Je prends mon sérieux et je lui dis Monsieur, finissez, je vous donne ma parole que voilà la dernière fois que vous jouerez chez moi. » La partie finie, il me quitte sans prononcer un mot. Le lende- main, il vint dîner; je lui tins parole et je ne l'invitai à rien. Enfin, auboutde trois semaines d'assiduité, il vintpour dîner de très-bonne heure Ah çà! me dit-il, me tiendrez-vous rigueur encore longtemps ? me voila corrigé, je vous le a promets. Jouons une partie. » Je me fis beaucoup prier, enfin voici ce que je lui proposai Baron, lui dis-je, nous allons jouer une partie à écrire, à trente sous la fiche, pas davantage, mais à une condition. J'exige que quelque coup qui vous arrive, vous me donniez votre parole d'hon- TROISIÈME EPOQUE 1764-1787. 41 neur de rire si je vous Je dis. — Vrai? — Vrai ! sans cela je ne jouerai de ma vie avec vous. — Mais s'il vient quel- qu'un, nous interromprons cette singulière partie. — Non, tout le inonde a vu votre colère, tout le monde verra que vous êtes corrigé. — Allons, je le veux bien, je vous ferai voir comme je suis maître de moi. » Nous commençâmes la partie, et je tins parole dès qu'il amenait un dé piquant, je lui disais u Baron, riez. » Cette plaisanterie alla à merveille jusqu'au milieu; mais mes dés lurent si beaux, et je le forçai si sérieusement à rire, qu'il finit par avoir une contraction dans le visage, en me mon- trant les dents avec une mine pire que celle d'un diable. Tout le monde en riait aux éclats, et le sacrifice fut si fort que je n'hésitai pas à jouer depuis avec lui, sans toutefois rechercher sa partie. Sur la fin de sa vie, il loua un appartement très-beau, rue du Sentier; cela lui porta malheur il fut pris d'une goutte qui se porta sur les reins et la vessie. Abandonné de tous ses gens, par son humeur qui augmentait journellement, sans aucun ami, parce qu'il était très-égoïste, il finit après six mois de souffrances dans des douleurs affreuses, en 1788. MM. des Galloys de la Tour, cousins issus de germains de ma femme, étaient trois frères, comme je l'ai dit. L'aîné était premier président au parlement d'Aix et intendant de la province, marié à mademoiselle d'Aligre. De ses deux frères, l'un était capitaine au régiment des gardes, il se nom- mait le chevalier de la Tour; l'autre, la Tour des Pontais, capitaine de cavalerie, s'était retiré avec la croix de Saint- Louis. Ce dernier, sans esprit, mais fort bon homme, était asthmatique de naissance, ne s'était jamais couché dans un lit, et était devenu le plus fameux joueur de trictrac qui ait existé. Sa réputation à cet égard était sans pair; il perdait cependant son argent comme un autre. Il est mort à cinquante ans, usé par sa maladie. Lui et le capitaine aux gardes vivaient souvent chez nous. Ce dernier était un excellent homme, mais doué de l'esprit 42 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. le plus faux que j'aie jamais connu; prenant le contre-pied de tout ce qu'on disait, il déraisonnait à l'année, avec des sentiments de chevalier français. Dur à lui-même, dans les temps que les capitaines avaient les compagnies à leur compte, il avait les plus beaux hommes et les mieux faits du royaume; mais il s'était fourré dans la tête une tactique dont il ennuyait tout le monde. Il ramenait toujours la conver- sation sur ses découvertes, prétendant qu'en marchant, même au pas de charge, on pouvait, la tête sur l'épaule gauche, avoir un œil qui regarderait devant et l'autre sur la ligne de côté. Des disputes sans nombre s'ensuivaient. Un jour, il me prit dans un coin pour me convaincre ; tout le monde riait et voulait savoir comment je m'en tirerais. J'étais près de la cheminée, je l'arrête et lui dis Chevalier, jusqu'à ce que vous m'ayez prouvé que vous ne rendrez pas vos soldats louches, il m'est permis de douter. » Il veut parler; je tire froidement un petit écu de ma poche, le pose sur la cheminée Messieurs, je parie, il faut faire juger le pari. » Je fais une inclination, passe sous le bras qu'il avait étendu dans sa démonstration, et je m'esquive. Messieurs, dis-je en m'en allant, décidez. » Tout le monde rit, et il n'en parla plus. A cela près, fort galant homme, chevalier de toutes les- femmes, il nous tint fidèle compagnie, jusqu'à ce que son âge le forçant à quitter Paris, il allât finir ses jours chez son frère l'intendant, où il est mort, six mois avant la Révo- lution. 11 entendait si mal qu'il se brouilla avec le maréchal de Biron, son colonel, aussi esprité que lui, dans une conver- sation tête à tête. Il crut que le maréchal lui faisait quelques reproches, tandis que celui-ci parlait de tout autre chose. Ils se fâchèrent si bien qu'ils ont été brouillés cinq ans, et que leurs amis communs n'osèrent pas les raccommoder et lais- sèrent faire au temps. Ils avaient tous les deux l'esprit si gauche qu'ils se seraient brouillés plus fort. Je viens de voir dans les gazettes faire mention du comte TROISIÈME ÉPOQUE 1764-1787. 43 Oginski 1 . Comme jai beaucoup vécu avec lui pendant son séjour en France, qu'il venait à Saint-Leu passer quelquefois la moitié de son temps avec ma société, je veux le dépeindre tel que je l'ai connu. Le comte Oginski arriva à Paris en 1 750, fort jeune, mais son maître et jouissant d'une fortune immense, grand, bien fait, d'une jolie figure et d'une grande aptitude pour tous les talents. Il loua un appartement rue Saint-Honoré, près l'hôtel de Noailles, et employa son temps à se perfectionner dans le violon, la peinture, et je ne sais combien de petits talents agréables. Dès qu'il se crut quelque acquis, il se fit présenter et se répandit dans les meilleures sociétés. Il alla faire un voyage en Pologne, revint avec l'ordre de Saint- Stanislas et fut fêté partout. C'est alors qu'il se livra à notre société. Il fut invité chez les princes, et, voyant qu'on y jouait très- gros jeu, il crut que la contenance d'un grand seigneur était d'y briller. Un voyage de Chantilly l'en dégoûta. On jouait un jeu immense, et, à deux heures du matin, il se trouva gagnant trois mille louis au marquis de la Vaupalière 2 . Les imprécations, le désespoir du perdant l'affligèrent; il resta et le prévint qu'il veillait pour le racquitter, ce qu'il ne put faire qu'à huit heures du matin. Le surlendemain, il se mit au jeu qui ne lui fut pas si favorable, et à deux heures du matin, le même la Vaupalière lui gagnait à son tour deux mille louis, lorsque regardant la pendule, il dit Je vais me coucher. » Oginski lui répond En ce cas-là, j'ai eu 1 Michel Oginski £1731-1803 avait été un moment favori de Catherine, et nommé, grâce à elle, grand maréchal de Lithuanie. En 1771, il se déclara contre les dusses et fut bientôt obligé de fuir. Il prit une seconde fois les armes en 1795-, et c'est évidemment à ce propos que M. Dufort a trouvé son nom dans les journaux. Luynes parle, en mai 1757 t. XII, p. G5, d'un M. d'Oginslu qui venait de partir pour l'armée en qualité d'aide de camp du duc d'Orléans, et vante son talent de musicien. 2 Pierre-Charles-ÉtienneMaignard, marquis de la Vaupalière, né en 1731, lieutenant général en 1784. On lit dans Grimm, à la date de janvier 1777 t. XI, p. 410, une anecdote où il est question de sa passion pour le jeu. V. aussi la Correspondance secrète Lescure, t. I, p. 330. U\ MÉMOIRES DU COMTE DUFOIIT DE CÏIEVERNY. tort de veiller avant-hier. » La Vaupalière reprend Je ne blâme pas les autres, mais je ne racquitte jamais. » Oginski, piqué, partit et renonça pour la vie à se trouver avec des joueurs. Fêté, considéré, il se lia avec tous les étrangers. Le prince Repnin 1 , bardé d'ordres, d'une figure charmante, ancien favori de la feue impératrice, était alors en France et ils se lièrent ensemble. Il y eut une confédération en Pologne; Oginski, grand maréchal de Lithuanie, voulut jouer un rôle; il leva une armée de huit mille hommes, soutint la guerre pendant trois mois contre la Russie et la Prusse, fut battu et perdit tout. Il épousa la princesse Humieska 2 et revint en France. Il débuta chez moi, un violon d'une main, un tableau de l'autre. Voilà, dit-il en entrant, ce qui me fera vivre désormais. » Les troubles de la Pologne augmentèrent, le partage s'ensuivit, il se sauva à Vienne, ses terres tom- bèrent dans le lot de la Russie, et l'Impératrice les donna au prince général Repnin. Le prince écrivit à son ami qu'il lui laissait le revenu sa vie durant. Triste présent qu'Oginski sans doute a été réduit à accepter. 1 Nicolas Vasiviliévitch Repnin 1734-1801. Il devint feld-maiéchal. 2 Nom douteux. CHAPITRE XVIII 1 Le comte d'Osmont; sa famille; l'auteur fait sa connaissance en Normandie. — Son portrait; sa passion pour le jeu. — Le comte de Gaulaincourt; la baronne de Guy. — Madame Filleul. — Le marquis de Garsault. — Le château du Bourg. — La comtesse de Vassy. — Retour à Paris. — D'Osmont à Saint-Leu. — Le jeu à l'armée. — Un souper chez madame Grimod- Dufort; l'huile de la lampe. — Mariage de d'Osmont; singulières distrac- tions. — La société des princes. — Un juron malencontreux. — Chasse à Hénonville. — D'Osmont et Olavidès. — Le doigt dans un volet. — Le maître d'hôtel du duc d'Orléans. — L'abbé d'Osmont, évêque de Com- minges. — Cornus. — Madame d'Osmont. — Une chasse étrange à Crécy. — La partie de Louis XVI. — Mort de d'Osmont. Tandis que je puis encore m'occuper, je veux consacrer quelques moments à un ami intime qui, par l'originalité de son caractère, a occupé la ville et la cour. Je l'ai perdu. C'est un hommage à rendre à sa mémoire, d'autant que cette mémoire est intacte. Le comte d'Osmont 2 , né en 1719, était l'aîné de deux autres frères et sortait d'une très-ancienne famille de Normandie. Il descendait, du côté maternel, du maréchal de Médavy 3 , et ses ancêtres avaient aidé Charles de^Duras dans la conquête du royaume de Naples. Comme aîné, il était destiné à réunir sur sa tête plus de soixante mille livres de rente, en terres situées près de Coutances et de Saint-Lô. Son second frère 4 était d'une belle figure, mais, par un 1 On a cru devoir placer ici ce long et curieux portrait, que l'auteur avait intercalé beaucoup plus loin, au milieu des souvenirs de la Révolution. 2 Gabriel-Rainabé-Louis d'Osmont, fils d'Eustache, comte de Boitron, et de Marie-Louise de Pardieu de Maucomble. 3 Son trisaïeul, Antoine d'Osmont, avait épousé en 1598 Françoise Rouxel de Médavy. 4 Charles-Antoine-Gabriel d'Osmont de Médavy, né en 1723, chanoine du 46 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. accident arrivé en nourrice, il était resté avec une jambe plus courte que l'autre de trois pouces. Il fut destiné à l'état ecclésiastique et fut fait comte de Lyon. Quoiqu'il eût huit ou neuf ans de plus que moi, j'étais resté cinq ans avec lui au collège d'Harcourt. Il était si bon, si liant, que je me rap- pelle souvent l'amitié dont il me comblait, et celle que tout le collège avait pour lui. Dès qu'il fut sorti du collège, il alla se fixer à Lyon, où il passa beaucoup de temps. Je reviendrai sur ce qui le concerne. Le troisième l , après avoir servi quelque temps, se déter- mina à partir à Saint-Domingue, dans l'espérance d'y faire un établissement. Le cœur s'en mêlant, il épousa une femme très-féconde, mais avec très-peu de fortune; heureux auprès d'elle, il passa sa vie à faire des enfants et à cultiver une modique habitation. Ce fut en 1748 que je connus le comte dOsmont l'aîné; il avait alors vingt-neuf ans, et moi dix-sept. J'étais parti de Paris pour voir la Normandie, et, après avoir passé quinze jours au château des Landes près d'Orbec, à trois lieues de Lisieux, je me rendis an château de Guespré, près Argentan, d'après l'invitation du vieux comte de Gaulaincourt. J'y trou- vai le comte dOsmont, qui faisait la cour à la fille du maître de la maison, madame la baronne de Guy 2 , établie ordinai- rement à Argentan. Cette dame était charmante et fort gaie. D'Osmont me prit tellement en amitié que nous devînmes inséparables pendant les deux mois que je restai dans cette province. J'aimais la chasse, il en était fou; de sorte qu'en- traîné par le plaisir, je restai dans le pays plus que je n'avais chapitre noble de Lyon, dont les membres portaient le titre de comtes de Lyon, vicaire général d'Auxerre, nommé à l'évèclié de Comminges en 1763. 1 Louis-Eustache dOsmont, comte de Boitron, chevalier de Malte de mino- rité, capitaine de frégate, qui épousa en 1750 Marie-Elisabeth Cavalier de la Garenne. 2 Suzanne-Louise-Françoise-Henriette, H Ile de Louis-Henri, comte de Caulaincourt, et de Suzanne-Françoise-Geneviève de Bailleul de Vie. Elle avait épousé en 1741 INicolas-François-Dominique Dufour, baron de Guy. Elle mourut en 1758. TROISIÈME ÉPOQUE 1764-1787. 47 compté. C'était en automne, et il revenait des carabiniers, où il avait été faire son service comme capitaine. Grand et fort bien fait, il avait un grand nez qui, dit-on, ne dépare jamais une belle figure. Il marchait la tête en avant, et s'excusait en disant qu'il avait la vue extrêmement basse; cependant quand il voulait il voyait de loin. Né avec une distraction des plus plaisantes, un amour très-vif pour tous les plaisirs, de l'esprit, un goût décidé pour la lecture, il avait acquis beau- coup d'instruction sans qu'il eût l'air de s'en douter. Il se livrait à corps perdu à ce qui l'amusait; si un livre lui plai- sait, il en perdait Je boire et le manger, de même pour la chasse; mais la passion à laquelle toutes les autres cédaient était le jeu. Enfin, il avait un caractère fait pour plaire dans toutes les sociétés, et sa franchise mettait tout le monde à l'aise avec lui. Se livrant à toutes les conversations, il y pla- çait sans prétention des propos qui montraient ses connais- sances et son excellent jugement. Malheureusement la passion du jeu absorbait toutes ses qualités; dès qu'un coup malheureux lui arrivait, il entrait dans des impatiences, dans des fureurs qui, du reste, n'ef- frayaient personne, car elles n'étaient que contre lui-même. Les yeux lui sortaient de la tête, les veines de son front se gonflaient, les épithètes qu'il se donnait forçaient les audi- teurs à lui rire au nez. Pour lui, tout à son malheur, il ne s'apercevait pas de la gaieté qu'il inspirait. Il contait sans suite et avec une volubilité étonnante ce qui lui était arrivé; il se levait, jetait à terre les chaises qui se trouvaient sur son chemin, et revenait s'asseoir comme s'il était du plus grand sang-froid. Si par hasard alors il entendait raconter une nouvelle intéressante ou discuter un point d'histoire, il venait écouter et se mêler à la conversation , comme si l'instant d'auparavant il n'avait pas été dans une rage incroyable. Nous parcourûmes toute la Normandie, et je fus produit par lui partout; nous allâmes à Falaise, où il y avait alors deux femmes qui pouvaient passer pour des beautés 48 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVEKNY. madame Filleul ' et madame d'Orbessan *. D'Osmont était bien reçu partout; présenté par lui, je le fus de même; toutes les maisons les plus riches s'empressèrent de nous donner des fêtes. Un équipage de chasse des plus beaux, à trois riches particuliers MM. les marquis d'Oilliamson et de Gourcy 3 et M. de la Fresnaye 4 , était ce qui convenait le plus h d'Osmont et à moi. On nous attendait au château du Bourg, habité par M. et madame la marquise de Vassy 5 qui en avaient hérité; nous y allâmes tous, et nous y trouvâmes le marquis de Fiers 6 , grand joueur, grand chasseur, de sorte que nous nous assu- râmes des plaisirs de toutes sortes. Nous allâmes dîner au haras d'Hièmes, chez M. le marquis de Garsault 7 qui en était gouverneur; c'était un des plus fins connaisseurs en chevaux du royaume, et les Normands l'appelaient M. de Guères sot. Ces haras étaient dans le plus bel état possible. M. de Gar- sault n'avait d'autres voitures que celles où l'on entrait par derrière; il prétendait parer ainsi aux accidents qui peuvent arriver si les chevaux prennent le mors aux dents, parce qu'il pouvait descendre sans danger, quelque fût leur train. Nous revînmes au chàtgau du Bourg. Il n'était pas alors ce qu'il est devenu depuis entre les mains du fameux Gro- mot 8 , intendant de Monsieur, qui en avait fait une habitation ' Celle, je crois, dont la fille épousa Marigny. 2 D'Orbessan ou d'Orbesson, nom difficile à lire. ;i D'après l'époque 1748, il s'agit probablement de Jaeques-Gabriel- Alexandre d'Oilliamson, marquis de Saint-Germain, et de son gendre et cousin, François Hardouin d'Oilliamson, marquis de Gourcy, marié en 1736 à Gabrielle-Françoise d'Oilliamson, fille du premier. 4 De la famille de Vauquelin, vraisemblablement. 5 Bruno-Emmanuel-Marie-Esprit, marquis de Vassy, marié en 1738 à Suzanne-Françoise-Jeanne de Vassy, sa cousine. G Ange-Hyacinthe de la Motte-Ango, comte de Fiers, marquis de Messey 17J 9-1775, conservateur des chasses de la forêt de Monthère et louvetier d'Alençon. "' François-Gédéon de Garsault, capitaine du haras sous le grand écuyer. {État de la France de 1749. 8 Jules-David Cromot, né en 1725, seigneur du Bourg, conseiller du Roi, contrôleur général du marc d'or, secrétaire du cabinet du f»oi, premier commis du contrôle général, surintendant des finances du comte de Provence. TROISIÈME ÉPOQUE 1764-1787. 49 magnifique. Il avait tous les caractères de l'antiquité; les cheminées étaient à l'ancienne mode, avec des manteaux tel- lement élevés qu'un homme de cinq pieds pouvait y entrer sans se baisser; au-dessus, un petit miroir à biseau d'un pied et quelques pièces de marbre incrustées; tout était dans le même goût. La dame du château élait à l'avenant; quoique jeune et bien faite, c'était une vraie figure de tapisserie; grande, compassée dans tous ses mouvements, fort cérémonieuse, vêtue à l'antique grand panier, robe de velours cramoisi, chargée de perles et diamants; nous prétendions qu'elle res- semblait pas mai à Notre-Dame de Lorette. Cependant, quoique sur l'étiquette, elle était on ne peut plus polie et considérait amicalement le comte d'Osmont. Je fus, comme étranger, destiné à être son associé à une partie de piquet, et d'Osmont à faire la chouette. Cet arran- gement eut lieu tous les soirs, car nous allions régulièrement à la chasse tous les jours, dans une belle forêt qui s'étendait jusqu'aux haras. Dès que d'Osmont arrivait, il s'établissait devant la cheminée, touchait à tout, au miroir, aux marbres. Bientôt la partie commençait madame de Vassy faisait son établissement, tirait une superbe boîte d'or, arrangeait ses grandes manchettes de dentelle, et nous jouions. D'Osmont ne pouvait voir une boîte sans la prendre, y fourrer trois doigts et se barbouiller comme un vrai suisse, bien heureux encore pour le propriétaire quand, par écono- mie, il ne la mettait pas sous son nez pour ne pas perdre le tabac. Madame de Vassy ne tarda pas à s'apercevoir de ce manège; trop polie pour s'en plaindre, elle se levait, ver- sait le tabac dans la cheminée, sonnait et envoyait remplir sa boîte. Toute cette délicatesse de procédés était perdue pour le comte d'Osmont, qui, tout au jeu, jurait ou prenait un air riant, suivant les cartes qu'il avait dans les mains. Madame de Vassy se promettait sûrement de ne plus laisser sa tabatière sur la table, mais elle l'oubliait le lendemain, et pendant huit jours cette scène recommença; elle finit par sacrifier sa boîte et en prit une autre. II. 4 50 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. Le comte d'Osmont avait une autre manie; il se serait cru malade si, dès qu'il apercevait le soleil, il ne s'était pas mis en face, le regardant en clignant des yeux jusqu'à ce qu'il éternuât. Combien de fois ne l'ai-je pas vu quitter ce qu'il aimait le mieux, une partie de jeu, pour aller grave- ment faire ce manège, qui souvent lui procurait des éternu- ments sans fini Au surplus, gai, aimable, sans prétention, il avait, bors du jeu, le ton de la meilleure compagnie. Incapable d'un attachement suivi, il aimait toutes les femmes; comme à la chasse , tout lui était bon , il courait le lièvre, le cerf, une partie de jeu, la bonne chère ou une femme avec la même vivacité , sans pouvoir dire ce qu'il aimait le mieux. Il jouait tous les jeux, ne trouvant jamais qu'on jouât assez cher, et il était ravi de faire la chouette à tout un salon; il ne prenait nulle humeur qu'on pariât contre lui. S'il perdait, c'était au sort, à la fatalité, à son imbécil- lité de jouer qu'il s'en prenait; s'ennuyant d'une continuité de fortune, il semblait qu'il se portât mieux en perdant. Ses jurements, sa colère, ses vivacités lui valaient une pur- gation. Quoiqu'il ne fût pas au point où il en est venu depuis, son originalité me plut beaucoup je démêlai la sûreté de son caractère et son esprit. Je commençai par m'en amuser; nous devînmes bientôt intimes, et cela jusqu'à sa mort. Après un séjour des plus agréables de deux mois en Nor- mandie , je revins à Paris; d'Osmont m'y suivit il logeait au faubourg Saint-Germain, dans un hôtel garni, rue des Saints-Pères , et moi chez ma grand'mère , rue des Enfants- Rouges. Il venait me voir presque tous les jours. Il avait valet de chambre, laquais et cocher; ces trois êtres ne sa- vaient jamais où le prendre. Il allait presque toujours à pied, comme un chat maigre , dans un déshabillé qu'on appelait en chenille, et qu'on pouvait regarder comme le plus sale négligé. Il restait où il s'amusait, et me suivait souvent à la campagne, sans qu'on sût où il était. J'ai raconté comment nous nous amusions à Saint-Leu,. TROISIÈME ÉPOQCE 1764-1787. en vrais jeunes gens, à des exercices violents, à des sauts périlleux, même à danser sur la corde. Maladroit et dis- trait, il nous regardait et ne s'occupait que du trictrac ou de la chasse. Cette anne'e, lorsque les officiers allèrent à leurs régiments, d'Osmont, qui n'aimait aucune gêne, s'im- patientait à sa manière bruyante; car, sans ambition, il ne servait que pour satisfaire sa famille. Il revint de cette cam- pagne avec la croix de Saint-Louis; il n'attendait que cela pour quitter honnêtement le service. Il nous conta que dans la dernière affaire où il se trouva , chargeant à la tête de sa compagnie , il avait perdu son chapeau dès le commencement, et que de sa vie il n'avait tant souffert. Cette année, il avait voyagé avec son corps , quoiqu'il eût fait son possible pour s'en dispenser. Marsilly, gentilhomme ordinaire, riche habitant de Saint-Domingue et capitaine de dragons ! , devenu depuis un des plus gros et des plus sages joueurs de Paris, nous conta devant le comte d'Osmont que leurs régiments s'étaient rencontrés à Lilie en Flandre; que les corps d'officiers s'étaient traités comme il est d'usage; que d'Osmont, étant en malheur, avait non-seulement perdu tout son argent, mais même celui de ses camarades; qu'il avait absolument voulu jouer au piquet contre les officiers du régiment qu'on traitait; que pour l'obliger, car il était fort aimé , ses camarades avaient boursillé jusqu'à leur dernier écu; qu'il avait joué trois jours de suite; qu'il s'était invectivé à son ordinaire, avait juré, tempêté sans discontinuer; qu'enfin , après un coup mal- heureux, avisant un portrait sur la cheminée de l'auberge, il s'était figuré que c'était cette figure inanimée qui lui por- tait malheur; qu'il s'était levé en fureur et lui avait asséné un grand coup de poing, tout au milieu. Il l'avait crevé; mais le pire de l'aventure, c'est qu'il s'était trouvé un clou derrière qui lui avait déchiré les doigts. Cet événement le calma, et, après s'être fait panser, il quitta le jeu. Le comble 1 Probablement Jacques Commines de la Borde de Marsilly, qui figure parmi les gentilshommes ordinaires à YEtat de la France de 1749. 4. 52 MÉMOIRES DU COMTE DUFOKT DE CHEVERNY. du malheur fut que l'aubergiste lui fit payer vingt écus ce détestable portrait. D'Osmont écoutait et ne niait rien , et nous le forçâmes à nous montrer les coutures qui lui res- taient à plusieurs doigts. Il quitta enfin le service et partit pour la Normandie, et je fus un an sans entendre parler de lui. Je le croyais perdu, lorsque je reçus une lettre où il m'annonçait son retour à Saint-Leu, pour un jour fixe. Je revins à Paris assez malade; il vint me voir régulièrement tous les jours deux ou trois fois, il restait dix minutes, souvent ne me parlait pas, ouvrait mes rideaux et s'en allait. Pendant ma convalescence, il dîna tous les jours tète à tète avec moi, et le plus gourmand de tous les mortels se contentait du régime d'un malade. Il était de ces hommes qui pren tient le temps comme il vient, et il était content pour peu qu'il pût manger à sa suffisance, car il était d'un vigoureux appétit. Vivant et soupant tou- jours dans la meilleure compagnie, son originalité perça; la sûreté de son commerce et son amabilité firent le reste. Mademoiselle deCaulaincourt, veuvedeM. Grimod-Dufort, dont j'ai parlé plusieurs fois, tenait rue du Coq-Héron un grand état de maison. Tout ce qu'il y avait de mieux dans la jeunesse de Paris avait des prétentions sur elle, et j'ai raconté ce qui se passa alors entre lui et moi. Un jour, la belle veuve nous invita à un souper des plus fins, et il fut fait un pari entre d'Osmont, du Gage et le marquis de Borda, que celui qui serait gris en sortant payerait une amende. D'Osmont me mit dans la confidence et me dit qu'il était sûr de gagner le pari en buvant une cuillerée d'huile avant de se mettre à table, attendu que le vin ne ferait que passer. La première chose qu'il fait est d'arriver sans avoir pris aucune précaution; il se rappelle le pari et sort; ne trouvant pas ce qu'il désire et ne voulant point le demander, il prend la lampe de l'escalier et en boit une gorgée, puis il vient me conter cette belle prouesse. Ce qu'il y eut de pis, c'est qu'il s'empoisonna en pure perte; la belle veuve pré- tendit qu'il fallait rendre les enjeux, que tout cela n'était TROISIÈME ÉPOQUE 53 qu'une plaisanterie, mais qu'elle les dédommagerait par l'essai du meilleur cuisinier de Paris. Le souper fut excel- lent, on y but des vins fins sans profusion ni bravade; d'Osmont était enragé de son excès de précaution qui lui avait affadi le cœur. Nous sortîmes ensemble; le malheu- reux n'eut pas le temps de descendre jusqu'en bas; il prit son parti, cassa un curreau de vitre, et se soulagea en jurant d'une manière si comique qu'il était impossible de ne pas en rire de tout son cœur. Depuis qu'il avait quitté le service, il allait régulièrement voir sa famille tous les ans. Cette exactitude m'étonnait dans un bomme qui ne voulait être soumis à quoi que ce soit. Une année, en revenant, il me confia qu'on voulait le marier. M. le comte de 1 , capitaine aux gardes, retiré dans sa terre et son voisin, était fort riche et avait une fille unique; on voulait la lui faire épouser. C'était une affaire de conve- nance pour les deux familles, et il m'avoua que ce mariage, arrangé de longue main, plaisait beaucoup à la demoi- selle, dont il me fit l'éloge. On eut pourtant toutes les peines du monde à obtenir son consentement; son frère et sa famille le décidèrent enfin. Comme j'étais obligé d'aller souvent à Versailles, qu'il fallait en faire part et avoir l'assentiment du Roi, je le déter- minai à venir avec moi. Je n'ai de ma vie fait un voyage plus divertissant; il ne voulait pas être plaisant, et rien n'était plus comique que ses plaintes sur la contrariété qu'il éprouvait. Il m'avouait que personne n'était moins fait pour le mariage, et il plaignait sa future de tout son cœur; il convenait qu'il faisait un mariage très-avantageux, qu'il épousait une femme très-douce, très-sage et très-aimable, qui le regardait depuis longtemps comme lui étant destiné, mais il ne cessait de répéter qu'elle faisait une vraie folie. Il chargeait le tableau comme un homme qui espérait qu'on lui rendrait sa parole, et comme si j'y pouvais quelque chose. 1 De Thèrc, dont la fille, T\ ose-Thérèse, épousa le comte d'Osmont. 54 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. Enfin, tout étant conclu presque malgré lui, il tarda pour aller se marier jusqu'au dernier moment. On l'attendait depuis quinze jours, et la première chose qu'il fit fut d'oublier les papiers les plus nécessaires. Il fallut retarder le jour pris et envoyer un courrier. Il était à Valognes, il fallut nécessaire- ment qu'on le menât dans la famille où il devait entrer; une vieille tante à succession tenait une très-bonne maison où le comte d'Osmont n'était jamais allé, parce qu'on n'y jouait pas ou très-peu. Il entre, et se place au milieu de la che- minée qui était garnie de porcelaines superbes; comme il avait la manie de toucher à tout, il en prend une pour l'exa- miner et, distrait, la laisse tomber; il veut la rattraper, mais, maladroit comme il l'était en tout, il rafle du même coup tout ce qui était sur la cheminée. Tous ceux qui étaient dans l'appartement s'empressèrent de ramasser et de réparer le désordre; pour lui, voyant la porte ouverte, il s'en va. Il n'y est pas retourné depuis, s'embarrassant peu de ménager la succession. Le jour de la célébration, il est obligé décemment d'aller faire visite chez une tante religieuse qui avait élevé sa femme ; il n'y est pas depuis un quart d'heure que, se souvenant qu'il y avait dans la ville une assemblée où l'on jouait gros ]eu, il prétexte une affaire, laisse sa femme et prend une voiture; il ne se rappelle qu'à dix beures qu'il avait promis de venir reprendre sa femme. Le souper de noce était retardé, la nouvelle mariée très-inquiète; mais d'Osmont était connu et avait le talent de porter son excuse avec lui. Sa bon- homie adoucissait ses torts, et sa femme qui l'aimait était toujours prête à l'excuser. Il était temps de le marier. Il n'y avait pas un an que, par suite d'une conduite peu réglée, il avait pensé mourir; je lui avais tenu fidèle compagnie , mais ce qu'il y avait de plus singulier, c'était la quantité de jolies femmes, toutes de nom, qui venaient le voir régulièrement les après-midi. Certainement il n'était pas un homme à bonnes fortunes de ce genre, on ne pouvait soupçonner personne de lui être TROISIÈME ÉPOQUE 1764-1787. 55 cher, car il s'avouait incapable d'aucun attachement suivi, et sa négligence sur sa personne ne pouvait qu'éloigner ; mais son originalité, son amabilité, la considération de sa famille en Normandie, sa parenté avec tout ce qu'il y avait de mieux, avaient fait de lui, et malgré lui, un homme à la mode. Dans le moment où il était le plus languissant, je le trou- vai à l'Opéra dans la posture d'un homme qui touche à ses derniers moments; je m'empressai de le ramener chez lui. Dans la voiture ses lamentations avaient une tournure vrai- ment comique, et au lieu de le consoler, je me trouvai malgré moi forcé de rire. Quoi! disait-il, il faudra que je meure! peux-tu le croire? J'avais encore quarante ans à vivre, j'en suis sûr. Ces diables de médecins me défendent le sexe, ils ne savent pas combien ce remède me serait utile! » Et là-dessus, des détails les plus comiques qu'il entremêlait de regrets, de jurements, que c'était une bénédiction. Ce n'était pas cependant avec le ton de la mauvaise compagnie, c'étaient des répétitions, des mots sans signification, des idées qui sentaient son homme d'esprit et bien élevé, et s'il lui partait un gros juron, il se mordait les lèvres et rougis- sait; il s'en est bien corrigé depuis. Quoique nous n'eussions pas les mêmes goûts, j'ai été témoin souvent de ses orgies, et s'il eût été possible d'en faire le récit, on y aurait trouvé des choses si plaisantes et d'un si beau ton, malgré leur indécence, des amours de vingt- quatre heures si singulières, qu'elles auraient peint son ca- ractère sous un côté nouveau. Dès qu'il fut marié, il fut forcé d'aller chez les princes ; cela le contraria d'abord et lui convint ensuite parfaitement. Il y trouvait du jeu, du monde et des plaisirs, et c'est tout ce qu'il désirait. Il n'était question que de sa gaieté et de ses saillies. Le prince de Gondé le mit dans son intimité; l'homme le plus froid, le plus timide, se trouvait à son aise vis-à-vis de quelqu'un qui faisait tous les frais. Feu la princesse de Gondé mademoiselle de Soubise 5 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. était belle, vertueuse, et douée par excellence. Les voyages de Chantilly furent continuels; d'Osmont n'en manquait pas un. C'étaient des fêtes perpétuelles, et le jeu y fut très-gros; on jouait au trente-et-quarante. Respectant les princesses, il était incapable de leur manquer. Cependant un trente-et-un contre un trente-deux lui fit perdre toute modération, il lâcha un f. .. qui interdit tout le salon ; il était à côté de la princesse. Il reste confus, met sa main devant sa bouche, comme un homme qui aurait voulu avaler sa langue; mais le coup était si fort que \es yeux lui sortaient de la tête, et ses muscles étaient dans une contrac- tion effroyable. Le prince sut le tirer d'affaire avec esprit. Prenant un air riant Avouez, madame, dit-il, qu'il n'y avait que le comte d'Osmont au monde qui pût vous faire entendre un si vilain mot. » Tout le monde rit, et d'Os- mont, tout à son jeu, eut l'air d'oublier ce qui s'était passé. Il se promit de se modérer; il était de la meilleure foi du monde, mais la chose était au-dessus de ses forces. On allait et l'on revenait de Chantilly dans une grande gon- dole ! ; les favoris y étaient admis, et pour ne pas s'ennuyer en chemin, on y avait établi une table sur laquelle on jouait. Le prince et la princesse tenaient le fond de la voiture; quel- ques dames, d'Osmont et plusieurs autres joueurs occupaient les autres places. D'Osmont qui perdait fit le diable à quatre; n'ayant pas ses coudées franches, il étouffait. Ne sachant à qui s'en prendre, il frappe sur la table, veut la jeter par la portière et fait tant d'efforts qu'il finit par écorcher les bras de la princesse, qui étaient les plus beaux du monde. Elle fut la première à l'excu- ser, et d'Osmont prit un air d'intérêt, et parut si affecté de sa maladresse, qu'on continua le jeu dans l'espérance de voir de nouvelles scènes. Dans les intervalles des voyages, il nous donnait le plus de temps possible. J'ai déjà raconté comment il était venu 1 Grand coffre avec des banquettes sur les quatre faces, éclairé par huit petites fenêtres trois de chaque côté, une en avant et une en arrière. TROISIÈME ÉPOQUE 1764-1787. 57 faire un voyage à Hénonville, terre appartenant au grand- père de ma femme. Il revenait de Normandie, et il savait que lorsque j'y étais je disposais à peu près de la chasse. La terre était plus giboyeuse que les plaisirs du Roi. On avait pratiqué des fosses pour poster les tireurs, tandis qu'on fai- sait des rabats. Nous y allâmes par le temps le plus à souhait possible. Nous e'tions chacun à notre poste avec deux do- mestiques chargeant nos fusils, et chaque demi-heure, nous vovions arriver une nuée de perdreaux et un bataillon de lièvres. Je ne tardai pas à abattre une trentaine de pièces. D'Osmont faisait un feu soutenu; je l'entendais jurer à chaque instant, et je ne voyais rien rester, mais à chaque coup il prenait son fusil et le mettait sur son genou, comme pour redresser la canne. La battue finie, je m'empresse de l'aller trouver; il était hors de lui, et les yeux lui sortaient de la tête; il n'avait tué que quatre pièces. Gomme il était dans le trou et qu'il avait la vue basse, les lièvres arrivant sur lui se détachaient sur le ciel, et lui paraissaient plus grands que nature. Nous continuâmes, il fut plus heureux, et sa gaieté revint, car la mauvaise humeur ne durait jamais chez lui. Mon ami Olavidès, comte de Pilos, dînait et soupait chez moi toutes les fois que nous y étions. D'Osmont me trouva un jour lui donnant une leçon de trictrac. Il avait entendu parler, comme tout Paris, de la manière dont ce Péruvien semait l'argent; il me prend en particulier Tu as là un bon pigeon dans ce Péruvien, me dit-il, laisse-moi lui don- ner des leçons. — Mon ami, tu n'as pas la patience, et * cela n'en vaut pas la peine, car nous ne jouons rien. — On dit qu'il est riche à millions et qu'il sème l'argent. — On t'a dit la vérité, mais je t'avertis qu'il est plus fin que toi. — Enfin fais-moi le plaisir de me donner à souper avec lui. — Quand tu voudras. — Joue-t-il à quelque jeu? — A tous, excepté le trictrac. — Eh bien, donne-moi parole de me faire faire un brelan avec lui. — Prends ton jour. — Demain. — C'est dit. — Il ne sait pas si bien le brelan que moi? — Je le crois, mais il joue noblement et perd 58 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. son argenttout de même. — Bon, tant mieux, à demain. » Il sort, il n'est pas dans la rue que je raconte la scène à M. Olavidès. Je Je connaissais assez pour être sûr qu'il en tirerait un excellent parti pour nous divertir. Le lendemain, d'Osmont arrive des premiers; ma femme arrange un brelan à trois entre M. Olavidès , le chevalier de Fontanieu et lui. La partie s'engage; d'Osmont cave au plus fort d'entrée de jeu, joue gaiement, lestement, et perd quelques louis, comp- tant semer pour recueillir. Olavidès joue fort serré et fort bien ; bref, il finit par faire va-tout avec un brelan que d'Os- mont perd pour la dixième fois. Le tonnerre serait tombé dans le salon qu'il n'y aurait pas eu plus de bruit; il se renverse sur son siège, jure, fait ses imprécations usitées, et finit par me dire en criant Tu me disais que ce monsieur du Pérou jouait l'argent comme la paille, et qu'il perdait toujours ; tu vois? Tu m'assurais qu'il ne savait pas le jeu, et il joue comme un diable; tandis que moi, je perds tout mon bien. » Tout le salon éclata de rire. M. Olavidès ne fait pas semblant d'entendre , et la comédie dure jusqu'à la fin de la partie, qui ne fut pas meurtrière. La leçon coûta à d'Osmont une vingtaine de louis, et ce n'était rien pour le train de jeu où il était. Heureusement qu'en m'adressant à M. Olavidès, j'avais su à qui j'avais affaire; car, sans ma précaution, tout autre, d'après cette incartade, aurait pu croire que j'avais voulu le faire jouer de malheur. Une scène très-plaisante arriva à d'Osmont chez le prince de Gondé. Le prince et la princesse avaient voulu qu'il restât en petit comité; la princesse était en couches, et l'on jouait au whist toute la journée. D'Osmont était alors dans une affreuse veine de malheur. Sa tète n'y était plus, et il jurait par toutes les lettres de l'alphabet. S'il ouvrait son jeu et qu'il ne vît pas d'as, il se levait, criait et disait tellement son jeu que personne ne voulait être son partenaire; tout le monde lui riait au nez sans qu'il y prît garde. Enfin, il lui arriva un coup abominable; alors il se lève comme un fu- rieux, jette tout ce qui se trouve devant lui, se cogne partout. TROISIÈME ÉPOQUE 1764-1787. 59 Il avise un trou dans un volet; sans songer à ce qu'il va faire, il y fourre son index d'une si grande force qu'il lui est im- possible de le retirer, et le voilà pris comme un autre athlète F . On fut obligé d'envoyer chercher un menuisier, qui, au bout marquis de Paulmy, fort connu dans les lettres. "Etat de la France de 1789 et Calendrier historique de l'Orléanais. 2 D'après VHistoire de BloU, t. I, p. 184, cette insurrection avait pris nais- sance à Montmirail, dans la Sarthe, parmi les ouvriers des verreries. 3 Le 25 novembre 1792. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 143 fallut que le Département, le District et la municipalité se missent en marche; on rafla tous les hommes, les femmes s'offrant à faire le service. M. de Salaberry eut bien de la peine à obtenir d'aller dans sa voiture, qui fut aussitôt rem- plie de ses amis et des plus honnêtes gens de la ville. Heureusement que nos bourgs étaient à plus de trois lieues de Blois; on eut beau pérorer, personne ne bougea. Madame de Salaberry perdit la tête, elle voulait courir à Blois; je refusai de l'y faire conduire, quitte à lui déplaire. Qu'y aurait-elle fait? Tout le monde avait suivi le torrent, mais les plus sensés, dès qu'ils avaient pu s'échapper, étaient retournés tranquillement se coucher. M. de Salaberry, plus en vue dans sa voiture, n'avait pu en faire autant; il était resté coucher chez des connaissances à Mer, et cette inon- dation de têtes folles s'était répandue dans les granges et les maisons, pour prendre du repos et quelques victuailles. La nouvelle était arrivée à Orléans, où l'on avait plus de sang-froid et plus de forces. Les gens sensés comprirent que la guerre civile était aux portes. On détacha toute la garde nationale, avec ordre de prendre celle des bourgs et villes sur la route; on fit marcher le peu de troupes de ligne qu'on avait, et on les envoya tous à Beaugency, avec six canons. Tout cela fut fait avec célérité, et tandis que les insurgés couchaient à Mer, les autres couchaient à Beaugency ils savaient de minute en minute ce qui se passait. Enfin, les insurgés se mirent en marche à la pointe du jour pour se rendre à Beaugency. Excepté quelques paysans de bonne foi, les autres étaient des gens de sac et de corde, vrais jaco- bins qui s'attendaient au pillage. Ils restèrent comme pétrifiés lorsqu'en avant de Beaugency, ils trouvèrent les six pièces de canon prêtes à faire feu, les canonniers à leur poste, et la troupe présentant un front de près d'un quart de lieue. On parlementa, on se harangua, et chacun regagna ses foyers sans bruit, harassé de cette équipée l . 1 V. V Histoire de Beaucjency, par Lottin et Pellieux, t. I, p, 255 et suiv. 144 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVEIÏNY. Rochejean n'avait pas perdu son temps; entouré de socié- taires, il s'était arrêté à Ménars, dont le propriétaire, Poisson de Malvoisin, l'héritier de madame de Pompadour, jeune, à peine dans le service, s'était éclipsé comme tant d'autres, après avoir tenu tant qu'il avait pu. M. de Marigny avait fait construire sur sa grande terrasse une coupole magnifique, de soixante pieds d'élévation, pour recevoir la statue de Louis XV que le Roi lui avait donnée. Elle était plus que de grandeur humaine, toute de marbre blanc du plus beau grain, et faite par Pigalle. C'était un morceau digne du sujet le Roi était debout, en habit de l'Ordre, aussi ressemblant que possible. Le régisseur, par une inadvertance impardonnable, avait négligé de faire faire un trou et d'enterrer la statue. Rochejean et sa troupe se ruèrent dessus et, en trois heures, la mirent en si petits morceaux qu'il n'y en avait pas un gros comme le poing. Ils revinrent triomphants à Blois, et eurent à la société une mention très-honorable pour cette expédi- tion, ainsi que pour d'autres gentillesses du même genre faites dans le parc. Nous étions inquiets de tous les événements qui se succé- daient avec une rapidité inconcevable. Nous avions appris le départ de Grégoire pour la nouvelle assemblée; on nous avait répété ses propos et ceux de Chabot, qui parlait publiquement du jugement du Roi et de sa mort, comme chose nécessaire. Affectant une religion à sa guise, Grégoire faisait son métier d'évêque, confessait même, allait le soir au club, et ne marchait qu'entouré de ses fidèles. Il avait joué le per- sécuté pour la bonne cause et l'humanité. Parce qu'un menuisier saoul l'avait menacé, on prétendait qu'il avait manqué d'être assassiné. Les gens peu éclairés, ceux qui par peur sont partisans du gouvernement tel qu'il est, fai- saient leur cour à l'évêque en allant aux offices; mais ils en revenaient toujours mécontents, parce qu'il tournait sa reli- gion au profit de la cause qu'il propageait, déblatérant contre le Roi, les riches, les aristocrates et les autorités anciennes. Enfin il partit; c'était un poids de moins qui pesait dans la QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 145 province. Voici le singulier costume de voyage d'un évêque constitutionnel un chapeau rond et très-haut, une cocarde nationale, une énorme cravate, une redingote noisette, une veste rouge, une culotte noire et des bottines. Il monta leste- ment dans une diligence avec quelques autres clubs, et dis- parut de la ville. Nous nous rendîmes à Blois vers les fêtes de Noël pour nous y établir. Convaincus qu'on ne pouvait trouver le Roi coupable, nous étions encore dans une sécurité qui nous soutenait. Le procès était entamé, les esprits inquiets, les jacobins triomphants. Enfin arriva la fatale nouvelle de la mort du Roi ; tous les honnêtes gens dans la province s'étaient bercés, jusqu'à l'exécution, de l'illusion qu'il serait innocenté. A la suite de cette nouvelle, je fus tellement malade et tour- menté que j'eus beaucoup de peine à me remettre. Le pis de la situation des honnêtes gens on n'osait pas les nommer ainsi, c'est qu'on les examinait, et que le moindre mouve- ment aurait valu une dénonciation. J'entretenais toujours ma correspondance avec deux per- sonnes. Nous savions qu'on ouvrait les lettres. On y mettait si peu de mystère qu'on vous les remettait toutes déca- chetées on les recachetait au comité de la ville avec un cachet immense, intitulé en rond Comité de Blois. Mais nos précautions étaient prises; il n'y avait que les faits néces- saires, et les réflexions étaient si rares qu'elles ne pouvaient préjudicier en rien. Après cet événement sur lequel il me répugne de m'étendre, la République fut proclamée, et il y eut une espèce de tranquillité, tous les partis se mesurant pour entrer en lice. Les bonnes gens, les gens confiants crurent que la République proclamée était établie, et alors que tout le monde serait tranquille. M. de Salaberry fils était resté à Paris. Son père était forcé d'y aller pour l'affaire de la succession Rousseau, une assemblée de créanciers voulant nous frustrer de soixante-dix- huit mille livres qui nous étaient dues en commun. M. de »• 10 146 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. Rome, son ami, son parent, le pressait de partir; mais M. de Salaberry, tenu par les affaires de la Ville, dont il se tourmentait plus qu'il ne devait, et cédant à i'impulsion de ses amis, le laissa partir seul. M. de Rome avait la fureur d'e'crire, et, à peine à Paris, il entama la correspondance la plus active avec son cousin et avec sa femme. Celle-ci re'pon- dait à l'instant à chaque lettre. Quant à M. de Salaberry, il les oubliait souvent; au bout de huit jours, il en trouvait dans ses poches qui étaient encore cachetées, et il les fourrait dans un tiroir sans y plus songer. Enfin, persécuté par moi, qui jugeais sa présence indispensable à Paris, il prit son parti; il y alla pendant une quinzaine de jours et revint à Blois. L'hiver était fini; nous retournâmes à Gheverny, et M. et madame de Salaberry nous promirent de venir passer huit jours avec nous. Le Comité de salut public de Blois, composé de Fou- chard, de Péan, de Vourgères-Lambert et d'Arnaud, était arrangé selon le désir du Comité de salut public de Paris, qui avait influé par les Jacobins sur cette nomination. Fou- chard, jadis soldat, ensuite curé, était un homme à deux mains, capable de servir et de desservir pourvu qu'il y vît son intérêt, insolent, hardi, impudent, fort comme un tau- reau; il était regardé généralement comme un homme méchant et sans probité. Péan, procureur à Saint-Aignan, jeune et d'une assez jolie figure, était dans l'âme un scélérat sans foi. Son seul but était de faire fortune, et il espérait s'élever sur les ruines de ceux qu'il ferait assassiner '. Vour- pères-Lambert, jadis destiné à l'état ecclésiastique, d'une bonne famille de Vendôme, avait épousé la cousine ger- maine de mon curé prieur, d'une famille honnête, respectée et considérée à Vendôme. Lors de son mariage, nous lui avions donné une espèce de retour de noces, à cause de la famille de sa femme. C'était un homme de peu d'esprit, 1 Touchard-Lafosse, dans son Histoire de Blois, et J. B. Delorme, dans V Histoire de Saint-Aignan, ont cherché, sans grand succès, à réhabiliter la mémoire de ce terroriste. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE l7>7-l80l. 147 entêté par conséquent, devenu Pâme damnée du parti qui l'influençait, et capable de tout, sans moyens et sans courage. Arnaud, jadis secrétaire de particuliers, avait épousé la fille d'une femme de chambre de madame la marquise de Lafayette, que l'on disait avoir été comédienne, mais ne pensant en rien comme son mari. Il avait d'abord tenu près de Ménilmontant une pension où il faisait peu fortune. Il s'imagina alors de venir à Blois, où il forma une classe de quarante jeunes personnes. Sa femme et deux demoiselles présidaient à tout; il avait des maîtres à des heures régu- lières, et lui-même dessinait, démontrait la géographie et charmait les écolières. Toutes les mères de Blois et des environs avaient été séduites. La pension, en trois ans, était montée à un degré de perfection, et la plus amère critique ne pouvait mordre contre les mœurs. C'est ici naturellement que je dois rapporter l'histoire d'André, qui a une grande connexité avec celle de cet Arnaud. Lorsque Dobel, grand musicien claveciniste, me quitta pour entrer chez mon ami le marquis de Rancogne, j écrivis à M. Sedaine, le priant de me chercher un musicien qui put le remplacer. lime dit qu'il connaissait un Liégeois, nommé André, excellent professeur, qui était chez Grétry seulement pour son pain. Je lui répondis que les temps étaient bien changés, que mes enfants étaient élevés, que je n'avais plus le moyen de faire jouer la comédie, ainsi que je n'en voulais pas. André trouva à se placer chez madame de la Tour de Clairvaux, à Savonnières, et il venait deux fois par semaine à Blois donner des leçons à mademoiselle de Gauvilliers. Il ne tarda pas à se fixer à Blois pendant l'hiver, et il eut assez d'écoliers pour avoir quelque argent devant lui. Arnaud ne tarda pas à voir combien un sujet pareil serait utile dans ses classes. Lui et sa femme employèrent tout pour le fixer; André remit à Arnaud environ cent louis d'épargne, alla loger chez lui, et ne tarda pas à prendre tous ses principes. Le voilà jacobin enragé, oubliant ses protec- teurs, et plus à craindre pour eux, parce qu'il avait eu 10. 1 48 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. jusque-là le ton de la société. Cependant Arnaud, le voyant totalement gagné au parti, se hâta de le salir tout à fait pour qu'il ne pût plus reculer, et le fit faire membre du Départe- ment, où il se signala par son ineptie, son insolence et ses propos révolutionnaires. Hézine était devenu procureur du district maître de mathématiques avant la Révolution au collège de Pont- Levoy, c'était un Normand transplanté, qui avait épousé la fille d'un garde-chasse. Il était féroce et poltron, quoi- que ayant des talents pour réussir. Ajoutez un Chevalier, perruquier, dont j'ai déjà fait le portrait. Tels étaient les administrateurs auxquels était confiée la sûreté d'une pro- vince, et qui en étaient les proconsuls. Ces conjurés ne travaillèrent qu'à chasser des places les honnêtes gens qui les remplissaient. Toutes les lettres furent décachetées ; on arrêta quelques gens marquants , entre autres madame Rangeard de Villiers, Mahi de Cormeré en son nom, et sœur du malheureux Favras, qui était mère de deux garçons et de deux filles. Elle avait la tête tournée du supplice de son frère. Un de ses fils, disait-on, était émi- gré, et l'on prétendait que la mère lui écrivait et lui faisait passer des secours. M. Cellier, dont l'innocence n'était plus douteuse, était sorti de la grande prison pour être mis dans le couvent des Carmélites, devenu la prison des suspects. Un M. O'Donnell l , Anglais naturalisé Français, ayant acheté une petite terre entre Cheverny et Romorantin , bon chrétien, puisqu'il avait sacrifié son bien pour la religion catholique, charitable, mais se vantant d'être l'ami de M. de Thémines, prononcé comme un Anglais sur tout ce qui se passait, avait, malgré sa résistance, été saisi et incarcéré. Le sieur Bâillon, fils du fameux horloger 2 , de receveur 1 Jacques-Bruno O'Donneîl, chevalier, seiyneur de Corbrandcs. Catalogue de 1789 Bailliage de Blois. 2 La charge de premier valet de chambre de la Rnine sans fonctionna été QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-180 . I 49 des tailles à Amboise était devenu commissaire des guerres à Blois. Caressant les sans-culottes, mais se prononçant contre les injustices, il ne tarda pas à être arrêté, et à être traduit au criminel pour des dilapidations avec les fournis- seurs auxquelles il n'avait nulle part. Différents autres par- ticuliers, des curés, des prêtres, tous très-honnêtes gens, étaient emprisonnés continuellement, de sorte que la déso- lation et la terreur étaient non-seulement dans la ville, mais dans le département. M. de Salaberry, comme je l'ai dit, arrivait de Paris. Quoique la municipalité fût très-bien composée, aucun de ses membres n'avait encore subi l'arrestation. Le bruit se répand que le comité, en décachetant des lettres, trouvait assez de preuves pour faire des visites domiciliaires; il apprend cette nouvelle, et il est le premier à inviter ses amis à brûler toutes leurs lettres. La seule correspondance qu'il eût était de Rome, et il en faisait si peu de cas qu'il mettait souvent ses lettres dans ses poches sans les ouvrir. Son fils lui écrivait en anglais, et lui peignait avec énergie les nou- velles du jour et l'affreuse situation de Paris. Ces lettres, quoiqu'on les eût lues, lui étaient remises fidèlement, pour tâcher d'avoir les réponses et d'en tirer parti ; mais il oubliait de répondre et même de lire. C'était au mois de juin *, et M. et madame de Salaberry m'avaient assuré vaguement qu'ils viendraient passer quel- ques jours avec nous. Nous les voyons arriver un soir. M. de Salaberry prend la parole et me dit Nous ne sommes pas venus plus tôt, à cause d'une singulière aventure qui m'est arrivée. J'étais avecun collègue à la Ville, lorsque Fouchard n achetée par le nommé Bâillon, horlogeur. » Luynes, septembre 1743, t. V, p. 147. — M. de Richelieu et madame de Luynes furent parrain et mar- raine, an nom de Mgr le Dauphin et de la Reine, du Bis du nommé Raillon, premier valet de chambre de la Reine et horlogeur. » Ibiii., juillet 1753, t. XIII, p. 9. D'après VÉtat de la France de 1749, il s'appelait Jean-Baptiste Bâillon. Jal cite deux autres horlogers du même nom, peut-être les ancêtres de celui-ci. P. 186, verbo Belin de Fontenay . 1 1793. I 150 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE et un autre sont arrivés et ont dit Nous venons demander un membre de la Ville pour nous accompagner, comme il est décrété, et faire un enlèvement de papiers chez un particulier suspect. Je me suis offert; ils ont accepté en hésitant, et, en chemin, ils m'ont avoué que c'était chez moi. J'ai dit que a j'en étais fort aise, et que je leur livrerais tout ce qu'ils désire- raient, étant bien sûr que mes correspondances ne tirent à aucune conséquence. Us sont donc venus chez moi ; je leur ai livré tout; ils ont fait la même chose chez ma femme. » M. de Salaberry, avec sa bonhomie ordinaire, était dans la plus parfaite sécurité. Je ne voulus pas la troubler; je fis simplement la réflexion que je ne croyais pas que ce fût le moment de quitter, et qu'il fallait être à la parade; mais nous passâmes la soirée sans aucune inquiétude. Cependant, à cinq heures du matin, M. de Salaberry était dans ma chambre. Il n'avait pu dormir et cherchait à se rassurer, parce que, n'ayant pas eu de nouvelles de Blois, c'était, disait-il, une affaire finie. Je me levai à six, et lui proposai de faire mettre des chevaux sur une petite calèche pour aller voir une ferme ; c'était un prétexte pour le distraire. Après avoir déjeuné, nous nous acheminons vers l'écurie pour presser le départ, et il était enfoncé dans le bout de cette écurie, qui est immense, lorsque je vis arriver son maître d'hôtel à cheval. Il a joué un rôle si honnête dans ce malheureux événement, que je vais en faire le portrait. Bonvalet avait été garçon chez le fameux Bucquet, et le servait dans ses cours. Il avait plu au président de Salaberry, qui les suivait exactement, et qui le prit pour son laquais après la mort de Bucquet. Cet homme montra tant d'intel- ligence, que M. de Salaberry renvoya un nommé Dosson- ville, qu'il avait pris dans la terre d'Auneau, et qu'il avait élevé par degrés à la place de maître d'hôtel. Ce Dossonville s'est depuis rendu fameux sous Robespierre , qui l'avait revêtu d'un pouvoir illimité'. Bonvalet se conduisit dans 1 II en sera question plus loin avec détails. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE I781-180l. 151 cette place en homme honnête et intelligent, et remit l'ordre et l'économie dans une maison qui en avait grand besoin. Dès que Bonvalet me voit, il descend de cheval et me dit Je viens avertir M. de Salaberry qu'il va être arrêté ici; où est-il? — Il est là , lui dis-je; il faut le prévenir dou- te cernent. Je vais tâcher de l'amener, et vous ferez le reste. » J'entre, et je lui dis Président, voilà Bonvalet qui arrive. » Il le joint. Bonvalet lui dit Monsieur, vous êtes un homme, et vous prendrez sûrement la chose comme vous devez la prendre. Le comité , non content d'avoir mis les scellés chez vous , a décidé de vous faire arrêter. » Le président, sans s'émouvoir, répond Qu'il le fasse, s'il l'ose, je ne crains rien » ; et nous nous acheminons tous les trois vers le château. Nous ne hu avions pas élit qu'on voulait venir l'arrêter chez moi. Sa femme s'échauffa et le gronda sur sa négligence à garder les lettres; lui, soutenait qu'il n'avait rien. Enfin, nous le forçons à fouiller dans ses poches. A notre grand étonnement, il avait cinq ou six lettres de son fils, et plus du double de M. de Rome. Nous en parcourûmes quelques-unes, qui ne nous firent pas hésiter à les brûler toutes sur-le-champ. Il avait renvoyé ses chevaux, je lui conseille de permettre que je le fasse reconduire à Blois ; il valait mieux aller au-devant, que de se laisser traîner comme un criminel. A l'instant les chevaux furent mis, et ils par- tirent. Je me rendis le lendemain à Blois de grand matin; je le trouvai entouré d'amis , de M. et madame Baron , madame de la Gondinaye et madame Tirât. Tout le monde était dans la joie. M. de Salaberry, en arrivant, s'était présenté au comité et s'était expliqué avec fermeté. Il crut les avoir persuadés, et on lui dit de se retirer et d'être tranquille. Pendant ce repos, ces scélérats compulsaient les lettres. Ils avaient chargé Rochejean , qui lisait l'anglais en écolier, de traduire quelques phrases des lettres du fils. On en fit des extraits isolés pour servir de pièces probantes. Rome, dans ses lettres, parlait de Chambord, qu'il voulait faire 152 MEMOIRES DU COMTE DUFOilT DE CHEVERNY. acheter au prince de Conti ; il mettait en abrégé le p. de G., on conclut que c'était le prince de Condé; enfin, on tirait de tout les conséquences les plus diaboliques l . J'avais quitté M. et madame de Salaberry sur les onze heures, aussi tranquille qu'eux. J'allai faire quelques visites, et, rentrant dans la rue des Carmélites , j'aperçus à l'autre bout M. de Salaberry qui venait à moi , suivi à quelque dis- tance d'un brigadier de maréchaussée. Ils m'ont envoyé chercher, me dit-il, et m'ont enjoint de me rendre aux Carmélites. Ya voir ma femme, et fais pour le mieux. Voilà le garde, il faut le suivre. » La porte était ouverte, le geôlier l'attendait. Il m'embrasse, entre avec vitesse, et l'on ferme la porte. Je volai chez ma belle-sœur, et il me fallut essuyer la scène la plus lamentable. M. de Salaberry trouva bonne compagnie aux Carmé- lites; elle était augmentée de Dinocheau 2 , constituant, alors procureur de la viile, et poursuivi pour avoir pris le bon parti, et s'être opposé aux massacres et aux dilapidations que les coquins voulaient faire, et d'un M. Robbé de Lagrange, neveu du fameux Robbé, le poète 3 , mis en accusation après avoir été condamné par jugement à six mois de prison 4 ; il avait près de cinquante ans, et pas plus de tète qu'à quinze; c'était le meilleur enfant possible et le plus aimable, faisant des vers et des bons mots. Je revins le lendemain à Blois. Je me rendis chez M. Baron, où s'était retirée ma- belle-sœur; les soins de ces honnêtes gens avaient calmé sa tête. On me conseilla d'aller voir le comité; je connaissais Fouchard pour avoir été deux fois électeur avec lui; on s'imagine bien que nous n'étions pas 1 M. de Rome s'était servi des initiales L. F. B. G. désignant Louis-Fran- çois de Bourbon-Conti. Dans une autre lettre, il priait M. de Salaberry de tâcher d'empêcher la destruction du parc de Chambord, jusqu'à ce qu'on eût décidé si la terre devait être ou non mise en vente. Wallon, la Terreur, t. II, p. 7G, et t. III, p. 100 et suiv. 2 C'est lui qui avait déterminé Carra à casser le comité départemental, et il avait été pour ce fait suspendu de ses fonctions et incarcéré. 3 Robbé de Beauveset 1712-1792, poète satirique et licencieux. * On verra plus loin les motifs de son arrestation. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-lSOl. 153- en société ; mais comme il m'avait vu jouir de quelque con- sidération, et que d'ailleurs j'avais affecté une nullité et une prudence qui ne me mettaient sur le chemin de personne, il fut décidé que j'irais lui parler. Hélas! que n'aurais-je pas l'ait pour tirer mon ami du précipice où il était jeté ! J'allai donc dans la cour du château trouver Fouchard. Je cherchai d'abord à l'amadouer, en lui rappelant ce que nous avions été ensemble; je finis par lui dire qu'il se dou- tait bien de la raison qui m'amenait; je fis l'éloge du cœur et de l'âme de M. de Salaberry , un précis de sa conduite, de ses vertus sociales, de son attachement pour les personnes qu'il connaissait, et de son âme reconnaissante. Il eut Fair de la franchise , me dit qu'il n'était pas le maître, mais qu'il ferait de son mieux. Je lui demandai la permission pour entrer aux Carmélites; il m'en donna une, et me dit que chaque fois que je le désirerais, je n'avais qu'à en envoyer demander au comité. Avant de me servir de la permission , je pris le parti d'en- voyer une lettre au député Julien ! , alors à Saumur. Cette lettre était d'un homme de la ville qui se croyait sûr de son amitié. Mon fils, Courson, s'offrit de porter la lettre lui-même en courrier, et le député promit une réponse que l'on n'a jamais eue. Les communes de Saint-Bohaire, de Fossé, de Marolle, envoyèrent des députés; c'étaient toutes paroisses à M. de Salaberrv, et il y était aimé comme urt père généreux. On ne voulait pas s'adresser au comité blaisois; Bon valet se mit donc à leur tête, et les mena à Paris pour porter leurs récla- mations à la Convention. Mais plus on montrait d'intérêt aux gens, plus on aggravait leurs maux. La députation fit les démarches les plus chaudes, les discours les plus pathé- tiques, sous la conduite de Bonvalet, qui y mettait autant de cœur que d'adresse. Tout fut inutile. La députation et mon fils de retour, nous tînmes conseil , et il fut convenu de 1 Julien de Toulouse, qui avait à cette époque une mission à Orléans et en Vendée. 154 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. prendre patience et d'attendre tout du temps , de la justice et des événements. C'était un parti plus difficile à faire prendre à la femme qu'au mari, que son caractère servait bien dans ces malheureuses circonstances. Il fut résolu que j'irais le voir. J'entrai le concierge, excellent homme , frère de mon ancien épicier, s'empressa de me conduire dans une grande pièce où un trictrac était dressé, ainsi que d'autres parties de jeu. C'était le salon où tous les prisonniers se rassemblaient. M. de Salaberry me parut aussi tranquille que s'il avait été dans son château; il me dit que son arrestation n'était nullement pénible, puis- qu'il se trouvait avec de très-aimables personnes. Il voulut me mener dans le corridor où était sa cellule; M. O'Donnel demeurait dans une autre; une autre, enfin, leur servait de salle à manger. Il me fit aussi voir le jardin. Dès que je pus être seul avec lui, je l'exhortai à une prudence que je ne lui voyais pas, car il parlait des injustices en homme offensé. Je lui conseillai de calmer sa vivacité , et je le quittai en lui promettant de venir un jour, tandis que mon fils viendrait l'autre, ce à quoi nous ne manquâmes pas. Il était servi de chez lui, ainsi que tous les autres, et ils se réunissaient sou- vent. Le jardin n'était pas encore dégradé, il était tel que du temps des religieuses; c'était l'été, et l'habitation était d'autant plus supportable qu'ils avaient la liberté de tout le local. Cependant l'intérêt général qu'on prenait à lui força le comité à dire qu'avant de statuer, il fallait l'interroger; ses amis pressèrent l'interrogatoire , ne doutant pas qu'il n'en sortît blanc comme neige. Il en fut instruit, et on lui envoya un plan de réponses, qui probablement auraient désarmé les accusateurs et les juges. Malheureusement M. de Salaberry consulta des gens arrêtés comme lui ; mais un homme en arrestation n'est plus de sang-froid toutes les injustices lui paraissent dix fois plus monstrueuses encore. On lui dit que lui, officier municipal, homme probe, ne pouvait recon- naître la juridiction dont s'étaient saisis des hommes mépri- QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 155 ses, et on lui donna le conseil de décliner le tribunal. Enfin, le comité se transporta pour l'interroger; nous espérions tous. Quel fut notre étonnement, lorsque nous sûmes qu'il les avait traités comme ils le méritaient, avait fait sa protes- tation sur la nullité de cette arrestation , et avait refusé de répondre à aucune question ! Le comité fut enchanté, et, témoignant traîtreusement le plus vif regret de ne pouvoir lui rendre sa liberté, écrivit au comité de salut public ce qui s'était passé. M. de Salaberry s'applaudissait, et ne voulut jamais comprendre que sa con- duite était des plus impolitiques; il soutenait toujours que dans les lettres de M. de Rome et de son fils, il n'y avait rien qui pût inculper personne; il était si ferme et, j'ose dire, si entêté, qu'il nous donna la sécurité la plus dangereuse. Alors que tout s'achetait, rien n'était plus aisé que de payer, fût-ce au poids de l'or, jusqu'à la dernière lettre, et de les jeter au feu; mais le destin en avait ordonné autrement. Je continuai à venir régulièrement, de deux jours l'un, de Cheverny pour le voir; j'en étais quitte pour envoyer deman- der des permis, mais sans jamais y aller moi-même ; car rien ne me répugnait tant que de me présenter aux autorités, et, tant que la Terreur a existé, je puis me vanter de n'avoir parlé à aucun, ne les connaissant même pas de vue. J'allais ensuite dîner avec madame de Salaberry chez madame Baron ; mais rien n'avançait. Il s'impatientait par moments comme un enfant, puis il revenait à son caractère aimable. Son fils était à Paris, et travaillait de son mieux; aimable, plein d'esprit, il avait formé des liaisons, même avec Barère, l'homme d'alors, le grand vizir de Robespierre. Ce fut à peu près dans ce temps-là que M. Pajot , fils de celui dont j'ai parlé, vint avec sa femme à Blois. Il faut rap- porter entièrement son histoire. M. Pajot de Marcheval avait été intendant de Grenoble ; séparé de sa femme au bout de vingt ans de mariage, ses affaires en avaient beaucoup souffert. Le Roi vint à son secours il fut fait conseiller d'Etat avec douze mille livres d'appointements. Il vivotait 156 MÉMOIRES DU COMTE Dl'FORT DE CHEVERNY. chez son fils ', qu'il avait eu le bonheur de marier avec ma- demoiselle de Guillaudeu, de Saint-Domingue, sœur de ma- dame de Gaze, mariée à un maître de requêtes, et de madame Gromot, dont le mari 2 avait eu, à la mort de son père, la place d'intendant de Monsieur, frère du Roi; la quatrième sœur était mariée à un M. de Née! 3 . M. Pajot, le père, était aimable et adoré de ses enfants. La seconde année de la Révolution , son fils et sa belle-fille étant revenus de leur voyage d'Italie, il passait toutes ses journées à un club du Palais-Royal, qu'on appelait le club des Amis, composé de ce qu'il y avait de plus honnête dans les deux sexes, et auquel était jointe une loge de francs- maçons où les dames étaient admises. Toute la jeunesse des plus qualifiées s'y réunissait, et l'on y donnait des fêtes une fois tous les quinze jours, après avoir tenu loge. Le reste de la semaine, plusieurs pièces, remplies de tous les journaux du jour, étaient fréquentées par ceux qui voulaient, ou causer, ou s'amuser au trictrac, et à d'autres jeux qui n'étaient pas ce qu'on appelle jeux de hasard. Le club fermait entre dix et onze heures, et M. Pajot y restait des derniers. Ses amis l'accompagnent un soir jusqu'à un fiacre, dans lequel il monte en leur disant bonsoir et don- nant son adresse rue Saint-Dominique. Onze heures, minuit, une heure se passent; sa fille et son fils prennent de l'inquié- tude, jamais il ne passait onze heures. Le lendemain, il ne paraît pas ; on va à la police; on compulse les registres de 1 Christophe-François Pajot de Marcheval, avocat général au parlement de Grenoble en 1772, maître des requêtes en 1775, conseiller à la Cour de cas- sation en 1815. 11 avait épousé Marie-Jeanne-Françoise de Guillaudeu du Plessis. 2 II semble qu'il ne puisse s'agir que de Marie-François-Joseph-Maxime Cromot de Foujry, né en 1756, maître des requêtes, surintendant des bâti- ments de Monsieur, après son père, Cromot du Boury; mais d'après des actes cités par M. de Chastellux, il aurait épousé une demoiselle de Barrai. 3 Arnaud-Jérôme- Aimé, comte de Néel, mestre de camp en second du ré- giment de Vermandois, gentilhomme de la maison du duc d'Anjjoulême, marié en 1787 à Ilélène-Aujjustine de Guillaudeu du Plessis. Le contrat lut siyné par le Roi le 15 avril. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 17»7-180J. lui dénonciations et de plaintes, vingt-trois personnes montées dans des fiacres avaient disparu; le fait est que depuis ce temps on n'a plus entendu parler de M. Pajot. 4 L'embarras pour la famille était de constater sa mort, et c'est ce qu'on ne pouvait faire. Le terrorisme arrive; on a la cruauté de le porter comme émigré; on saisit tout, on dévaste la terre de Marcheval, qui était à six lieues de moi, en pleine Sologne, et l'on suit une procédure. Les enfants avaient bien voyagé en Italie, mais ils étaient rentrés dans les temps prescrits; cependant, ils ne pouvaient prouver la non-émigration de leur père. On leur objectait méchamment qu'on devait le supposer émigré, puisqu'ds ne pouvaient repré- senter son extrait mortuaire. Pourtant la chose était si notoire, et l'injustice si criante, qu'on leur fit entrevoir l'espérance de la radiation, et ils vinrent à Blois pour faire constater le délit qu'on avait fait dans leurs possessions de Marcheval. Us s'adressèrent à M. Gauvilliers, directeur des do- maines, et se logèrent à côté de lui pour mieux suivre leurs affaires. Je le sus à mon arrivée à Blois, et je leur proposai de venir s'établir à Cheverny. ils acceptèrent, et le surlen- demain je les ramenai tous les deux. Ils passèrent trois semaines avec nous, et nous ne tardâmes pas à être enchantés d'avoir fait une si charmante acquisition. Le mari, doux, honnête, montrait la plus grande tendresse et complaisance pour sa femme. La femme, sans être une beauté, était pleine de grâces; elle en avait autant dans l'esprit qu'elle avait de talents. Très-forte dans le dessin et la peinture, amie de Natoire, elle avait profité du temps qu'elle avait passé en Italie et surtout à Rome, pour se fortifier. Ménageot \ le fameux directeur de l'Académie de peinture à Rome, s'était enthou- siasmé pour elle, et lui avait donné des conseils. Madame Lebrun, qui avait passé alors 2 , lui avait rendu le même ser- 1 François-Guillaume Ménageot 1744-1816, membre de l'Institut en 1809. 2 Madame Vigée-Lebrun passa environ huit mois à Rome à la fin de 1789 et au commencement de 1790. Voir ses Souvenirs. 158 MÉMOIRES DU COMTE DCJFORT DE CHEVERNY. vice. À peine fut-elle établie à Cheverny, qu'elle reprit ses pinceaux. David, que j'avais connu par M. Sedaine, dans un temps où l'on ne voyait que ses talents sans se douter des vices atroces qu'il a montrés depuis, m'avait offert de venir à Cheverny faire un grand tableau, en accompagnant M. Se- daine, qui jadis y venait tous les deux ans passer deux mois. J'avais, en conséquence, acheté une toile immense, marouflée et prête à peindre. Elle se mit à faire sur cette toile un pay- sage charmant, et en huit jours elle termina ce petit chef- d'œuvre; elle en fit un second avec la même facilité. M. et madame Pajot étaient fort aimés de leurs anciens vassaux, et ils avaient reçu à Cheverny une députation qui les invitait à revenir à Marcheval. Au fond de la Sologne, les habitants n'étaient pas encore à ce qu'on appelait la hau- teur de la Révolution. Cela les détermina à redoubler de soins vis-à-vis du département. Je leur donnai donc une voiture pour aller passer deux jours à Blois et suivre leurs affaires. Le prieur, qui avait à toucher son traitement, me demande une place , et les voilà embarqués tous les trois pour Blois. Le prieur fut ramené le soir; il nous raconta qu'en arrivant, il avait été voir son cousin Vourgères, admi- nistrateur, qu'il détestait à cause de ses principes, mais qu'il ménageait. Vourgères lui avait demandé en conversa- tion comment il passait le temps; il lui avait répondu qu'il était toujours chez moi, et que nous avions deux aimables parents, M- et madame Pajot. A l'instant, Vourgères s'écrie Ah! c'est donc là qu'ils sont! nous les cherchons partout pour les faire arrêter. Il y a au comité révolutionnaire deux lettres de Rome qu'on a décachetées et qui méritent bien l'incarcération. » Alors le curé se fâche Comment! vous vous servirez d'une confidence que je vous fais comme parent pour les faire arrêter? Si vous le faites, je ne vous le pardonnerai de ma vie. » Il insista, pressa, et enfin Vour- gères lui promit de ne pas en instruire avant vingt-quatre heures. Le prieur le quitte, court pour aller avertir le ménage, et ne peut les joindre qu'à cinq heures chez M. Gauvilliers. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE l 787-1801. 159 On tient conseil, il est arrêté qu'ils enverront chercher des chevaux de poste et s'enfuiront à neuf heures du soir. A cette heure ils étaient en voiture sur le chemin de Paris. Leur projet était d'aller s'établir à Neuilly, où était la meilleure compagnie de Paris, et tous leurs parents ! . Heureusement qu'ils se ravisèrent et s'arrêtèrent à Etampes, où ils vécurent ignorés jusqu'à ce moment. Je crois qu'ils y sont encore, quoique j'aie appris qu'ils sont rentrés en possession delà terre de Marcheval par la loi et le 9 thermidor. 1 Depuis que l'on avait interdit aux nobles le séjour de Paris, beaucoup de familles s'étaient réfugiées à Neuilly, où elles vécurent d'abord assez paisible- ment; mais elles ne purent longtemps échapper à la persécution. Mémoires sur les prisons, 1823, t. II, p. 248 et suiv., etc. CHAPITRE XXII Situation du Blaisois; Grégoire n'y paraît plus. — M. de Salaberry en liberté provisoire. — M. de Toulongeon à Harfleur. — M. Dufort est rayé du club de Blois. — Enlèvement des armes; Dulièpvre. — Velu à Cheverny. — Les réquisitions. — Mots à la mode Solide mâtin, etc. — Garnier de Saintes. — M. de la Porte. — Quelques prisonniers — On coupe le pont de Blois. — Exécution du marquis de Rome. — Le convoi des prisonniers de Saumur; sauvagerie révolutionnaire. — Les prisonniers de Blois à Pont- Levov. Jetons maintenant un coup d'œil sur la situation du Blai- sois. Grégoire, tout entier à la politique, ne paraissait plus dans son diocèse. Ame damnée de Pétion, il était dans le plan des républiques fédératives; il l'avouait et le prêchait tout haut. Il fut déjoué les républiques fédératives furent tuées avec Pétion. Grégoire eut peur. Les colons qu'il avait ruinés lui avaient juré une haine éternelle; il la méritait c'était le démagogue en chef des colonies. Alors il fit le mort. Affectant de tenir à la religion, au sacerdoce dont il était revêtu l , il ne voulut pas renoncer à son évêché, et, se ser- vant des quelques connaissances qu'il avait dans les arts et dans les sciences, il se livra tout entier à ce genre de travail dans l'Assemblée, espérant tôt ou tard jouer un rôle. De sorte que l'anarchie régnant dans l'Eglise comme dans le département, les grands vicaires mal payés se plaignirent de lui et agirent à leur fantaisie. M. de Salaberry était détenu depuis quatre mois, lorsque son fils arriva avec un sieur Bonvalet, ancien procureur au 1 II y a lieu, ce me semble, de protester contre la sévérité excessive de l'au- teur. S'il est un côté du caractère de Grégoire qui mérite le respect, c'est pré- cisément le courage avec lequel il maintint toujours sa qualité de prêtre. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801 . I 6i Parlement, qui voulait acquérir la terre de Pezay. Cet homme, lié avec les députés,» invoqua la nécessité de traiter, et le fils usa des recommandations dont il éiait muni pour obtenir que son père fût consigné en arrestation chez lui, avec deux gardes à ses irais. , Il obtint du département d'aller avec ses deux gardes à Pezay, puis à Fossé, où il faisait porter tous ses meubles, et, la vente terminée, M. de Salaberry fils retourna à Paris, espérant obtenir la liberté entière de son père. En chemin, il fut arrêté dans sa voiture et volé, ce qui fait voir qu'on n'était pas plus tranquille sur les routes que dans les vdles. Les arrestations se succédaient avec une rapidité affreuse. Je reçus une lettre de M. de Toulongeon; il me mandait que l'insurrection était très-forte à Montargis, la ville la plus proche de Dian, qu'on l'avait dépouillé de ses armes, et qu'on disait de si horribles choses qu'il ne pouvait plus tenir. Il me demandait de le recevoir, lui, sa femme et ses cinq enfants. Quoique je sentisse le danger d'une pareille réunion, je lui écrivis à l'instant que nous le recevrions, même avec un précepteur. Il m'avait demandé de lui faire une réponse à Orléans, aux Trois Empereurs. Mais l'effroi les poursui- vant de plus en plus, il n'attendit pas ma lettre et continua sa course jusqu'au Havre. A peine y sont-ils arrivés, avec leurs passe-ports bien léga- lisés, qu'on soupçonne l'instituteur d'être un prêtre, ce qui était vrai. Le comité révolutionnaire se transporte à l'auberge et fait ouvrir les malles; on y trouve un projet de charité si> r né l'abbé Bérault. Il n'était pas difficile de voir que c'était le même nom qui était sur le passe-port. Aussitôt on l'incarcère, à la désolation de la famille qui était compromise et qui en faisait grand cas. Alors M. de Toulongeon m'écrit qu'on soupçonne Bérault d'être émigré ou prêtre réfrac- taire; il me demande d'adresser à la municipalité du Havre un certificat bien légalisé, pour prouver que Bérault est depuis six ans instituteur de mes petits-enfants, et que je l'ai reçu comme tel chez moi à Gheverny. h. il flf>2 MÉMOIIIES DU COMTE DUFORT DE CIIEVERNY. Gomme alors j'avais un peu de consistance vis-à-vis la municipalité de Blois, qu'il était notoire qu'ils avaient passé près d'un an avec moi à Gheverny, et que l'abbé Bérault y avait été connu comme précepteur, je n'eus pas de peine à •obtenir les pièces que je demandais, et dans les termes les plus favorables. Je les fis partira l'instant, et je reçus six jours après la nouvelle que Bérault était sorti de prison au bout de trois semaines d'incarcération. Ils trouvèrent alors le séjour du Havre trop agité et trop dispendieux, et se déterminèrent à se fixer dans une petite rmaison, à Harfleur, où ils s'établirent et restèrent trois ans. 'Ils ne sont revenus à Dian qu'il y a trois mois. On avait mis les scellés chez eux huit jours après leur départ; le système était que dès qu'on voyait sortir un homme de chez lui pour éviter la persécution, on le réputait émigré. Mon gendre eut toutes les peines possibles à prouver et à faire constater le contraire. Le club de Cour avait été interrompu; les enragés voulu- rent le rétablir. On y procéda, tandis que celui de Blois s'épurait, c'est-à-dire chassait tout ce qui était honnête. J'appris que je serais épuré; on avait des griefs je ne m'y présentais plus, et l'on ne me voyait nulle part. Je reçus, en effet, un billet d'un style si singulier que je veux le consi- gner. La suscription était A Dufort père; la lettre, d'une seule feuille, cachetée du sceau de la société, était ainsi conçue Je suis chargé de t'annoncer que le Club de la Société t'a rayé de la liste de ses associés. Je me suis chargé de te l'écrire avec la plus grande satisfaction, puisque tu as été renvoyé d'une voix unanime. Signé Rochejean, Velu et Arnaud, secrétaire. » Gomme cette lettre était banale, je la mis dans ma poche sans même en accuser réception, c'est tout ce que la chose valait. Mais je n'en étais pas plus tranquille pour cela. On m'avait supprimé mes dîmes et mes droits verbaux, QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 163 au moment où, selon les décrets, je devais, liquidation faite, toucher à la trésorerie nationale cent trente mille livres '. Le décret du brûlement des titres 2 fut exécuté à la rigueur, et l'on n'eut pas huit jours pour s'y préparer. La municipa- lité de Gheverny, le comité de surveillance se transpor- tèrent chez moi ; ils y mirent, du reste, une forme aussi hon- nête qu'ils en étaient capables. Dans leur première visite, ils firent un ballot de tout ce qui était parchemins et les empor- tèrent dans des sacs. Nous prîmes alors le parti de nous assembler dans le salon, et de couper ceux qui me restaient de manière à pouvoir en faire de la colle; pour la munici- palité, après avoir fait sa tournée chez tous les possesseurs de fiefs, elle choisit un jour de décade et de fête patriotique pour en faire un auto-da-fé. Vint ensuite l'ordre de l'enlèvement des armes 3 , de sorte qu'un homme qui avait cessé volontairement de commander la garde nationale, auquel tout le monde rendait la justice d'y avoir été de quelque utilité, un homme nommé deux fois électeur fut déclaré comme suspect. Son crime était d'appartenir à un ordre proscrit et d'avoir une grande pos- session. Ce fut Dulièpvre qui se chargea de me désarmer. Ce Dulièpvre espérait jouer un rôle. Il avait été maire et s'en était acquitté au mécontentement général; bavard, écrivail- leur sans fin, despote, il faisait des procès-verbaux très- curieux par les termes bas bretons qu'il y employait. Il s'était fait l'ami, l'âme damnée d'Hézine, de Velu et de Chevalier. Sachant que l'on avait reçu l'ordre d'enlever les armes aux ci-devant nobles, il se rendit à la municipalité, pérora, et finit par se faire désigner pour cette commission. J'appris que, prêchant la loi agraire et le maximum, l'abbé Dulièpvre, sous prétexte de voir son frère, venait au club de 1 Les dîmes inféodées appartenant à des laïques avaient été supprimées, mais moyennant une indemnité qui devait être payée par le Trésor public. 2 Du 17 juillet 1793. 3 Décret du 26 mars 1793 Les ci-devant nobles, les ci-devant seigneurs... seront désarmés, ainsi que leurs agents et domestiques. » 11. 164 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. Cour, se promenait sur le chemin et disait aux paysans en regardant le château Mes amis, tant que vous verrez subsister ce château et les aristocrates qui sont dedans, vous ne serez jamais heureux. » Il était venu, amené par le bon prieur, me faire une visite elle se passa en discours les plus affreux contre le Roi, qui vivait encore, et contre les autorités. Notre silence lui fit abréger son éloquent pané- gyrique de l'esprit jacobinique; nous le soupçonnâmes d'être un espion des clubs. Le club de Cour se réorganisait par la peur. Les honnêtes gens désiraient que j'en fusse, pour imposer un peu aux agi- tateurs tels que les deux Dulièpvre, et donner une espèce de forme. Je me hâtai d'écrire au président que je croyais plus prudent, pour eux et pour moi, de ne pas me compter au nombre des associés, puisque le club de Blois m'avait expulsé de son sein. Livrés à eux-mêmes, ils nommèrent Dulièpvre et d'autres pareils, et ceux-ci les firent influencer par Velu et Chevalier, qui venaient en députation du club de Blois pour les mettre à ce qu'ils appelaient la hauteur. Velu s'était fait un renom en se dévouant au parti; gros, assez blanc, âgé de trente-cinq ans, il était devenu la terreur de tout le pays, depuis qu'il avait proposé au club et aux tvrannicides d'aller égorger la municipalité de Blois 1 . Il eut la commission de venir inspecter mon chartrier, pourvoir si j'avais tout donné, et si la municipalité avait fait son devoir a . Il arrive à l'improviste, rencontre à Cour Bimbenet, mon régisseur, et l'emmène pour venir faire l'inspection. Cette scène a un caractère si singulier que je vais la consigner ici dans le plus grand détail. Velu ne tenait pas à une bouteille de vin; il aurait vidé un tonneau sans qu'il y parût. Etant donc entré chez le maire, qui était aubergiste, il s'y rafraîchit assez pour que Bimbenet, quoique gardé à vue, pût me faire prévenir. J'avais deux clefs du chartrier j'en avais donné une à la Le 1 er juin 1793. ' À Le brûlement devait avoir lieu le l rr août 1793. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 165 municipalité, qui l'avait demandée, et j'avais laissé l'autre au régisseur, en lui donnant l'ordre de détruire sous sa respon- sabilité tout ce qui était suspect, et de conserver cependant tous les titres de propriété, ce qui était fort constitutionnel alors. Bimbenet trouva donc le secret de me faire passer sa clef, et à l'instant nous faisons disparaître quelques registres et quelques cartons qu'on aurait pu visiter. Quand on fut sûr que l'opération était faite, car il y avait quelques parti- culiers qui me servaient, on achemina Velu vers le château en lui faisant quitter la bouteille. Velu avait pour manie d'être à la hauteur; en consé- quence, il tutovait et voulait qu'on le tutoyât; il mettait une main sur sa poitrine, vous prenait de l'autre et vous disait Bonjour, frère! » Il arrive donc à neuf heures du matin, s'avance, me prend la main et me dit Bonjour, frère, comment te portes-tu? — A merveille, citoyen, et vous? — Tu ne me tutoies pas? reprit-il, tu n'es pas dans le sens de la Révolution. — Nous parlerons de cela; voulez-vous venir dans le salon? — Oui, frère, je te suis. » Nous entrons, il voit ma femme, qui, j'ose le dire, par sa tenue a un air imposant. Il l'embrasse hardiment en recommençant son geste sur la poitrine, lui prenant la main et lui disant Bonjour, sœur! — Allons, dis-je, nous allons déjeuner ensemble, et, si vous voulez, vous dînerez avec moi ; je vous reconnais, vous étiez mon président aux Jacobins. — J'y consens, me dit-il, mais à une condition , c'est que tu me tutoieras. — Je le ferai si je puis, mais ce n'est pas mon usage. » Enfin il fut convenu que je parlerais comme je pourrais; seulement, il écarquillait les yeux comme une carpe chaque fois que je prenais mon langage ordinaire. C'était une vraie comédie. Nous nous mîmes à causer; il m'exposa sa mission et me dit toute sa capacité. Après lui avoir garni la tête et le cœur d'une bouteille de vin , nous nous en débarrassâmes en l'envoyant avec mon fils et Bimbenet faire l'inspection du^chartrier ; je Ty laissai environ une heure. Leplaisant, c'est qu'il ne savait lire que dans le moulé, et, ne 166 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVEHNY. s'apercevant pas en feuilletant de ce qui était resté de répré- hensible, il en laissait l'examen au procureur de la commune et à Bimbenet, qui lisaient les titres en supprimant les féoda- lités, et il disait C'est bon, passe, passe » ; de sorte que, montant une heure après, je le trouvai ennuyé, excédé de cette besogne, et qu'il me dit C'est fini, tout est bien; mais fais-moi donc voir ton château qui est si beau. — Volontiers, suivez-moi. » Il avait entendu parler d'une très-jolie salle de fantoccini que j'avais, presque sous les toits, et pour lesquels, comme je l'ai dit, j'avais fait beaucoup de pièces. C'est ce qui le sur- prenait et l'intéressait le plus. Arrivé dans la salle des fan- toccini, il vit mes armes sur le devant de l'avant-scène un chat qui boit du vinaigre ne fait pas une plus laide grimace. Je lui dis, ce qui était en effet, que c'était un oubli, et je les fis effacer sur-le-champ. Il voulut monter sur le théâtre, vit des interlocuteurs nommés roi, prince, etc., etc. Il faut que tu effaces cela, me dit-il, il faut jouer des pièces républicaines; tu dois en faire et en jouer. — Vous voyez, a lui répondis-je, l'état où il est; c'est gardé comme une curiosité. » Nous descendîmes en bas par un escalier dérobé. Au milieu, il rencontre la femme de chambre de ma femme, fort jolie. Il s'arrête, et regardant mon second fils Il faut, en bon républicain, que tu couches avec elle et que tu l'épouses. » Je le regarde et lui dis Monsieur Velu, écoutez-moi bien, nous avons ici des mœurs, et pareil propos ne s'y est jamais tenu. Ainsi, respectez la jeunesse et ma maison. » Il parut déconcerté et me répliqua On voit bien que tu es vieux, car dans ton jeune âge tu en auras fait de belles. — Je ne sais, lui répondis-je, si je vous ai jamais autorisé par ma conduite à me tenir un pareil propos. Brisons là-dessus. » Il me suivit, et nous arrivâmes dans l'appartement de ma femme; il me demanda qu'on lui ouvrît le secrétaire. La petite leçon ne lui avait pas mal réussi; jusque-là, excepté QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1800. 167" sa manie de tutoyer, il avait eu l'air du respect, mais il redoubla. Ma femme lui ouvrit son secrétaire, il n'y avait rien, sauf un seul parchemin destiné à envelopper quelque chose. Il le prit, et je vis avec surprise que c'était un feuillet de titres féodaux; il le vit comme moi, mais je le lui fis rede- mande!" par ma femme, et il le rendit assez adroitement, comme par distraction. Il se transporta dans mon cabinet et ma chambre à cou- cher je lui ouvris mon bureau où je n'avais laissé que du papier blanc. Il vit un tableau couvert, il me demanda ce que c'était. C'est, lui dis-je, quelqu'un à qui j'étais attaché. » Il me dit Quand ce serait Louis XV, il est caché, ainsi qu'il y reste. » Et, se mettant à son aise, il me dit Tu as de l'encre et des plumes sur ton bureau, apporte- les ici. — Quoi, lui dis-je, pour faire mon inventaire? — Non, non, reprit-il, mais ils me demandent un procès- verbal, et tu m'aideras; il sera mieux pour toi, puisque tu le feras à ta fantaisie. » Ce n'était pas de sa part si mala- droit pour cacher son impéritie; je fis donc mettre Bimbenet à la même table, et ils se mirent à écrire tous deux le procès- verbal, que nous arrangeâmes comme nous le voulûmes. Il parlait, contait ses prouesses c'était une vraie tragi- comédie. Quand le procès-verbal fut fait, il nous pria tous de signer; nous n'hésitâmes pas, parce que je voyais que rien ne pouvait nous compromettre. Alors, l'heure du dîner arrivant, nous passâmes dans la salle à manger. C'étaient, comme toujours, mes gens qui nous servaient; je ne m'étais point plié au système d'une table générale, qui ne leur aurait pas convenu plus qu'à moi. Tous mes domestiques, excepté deux jeunes, avaient plus- de soixante ans. Ils n'avaient pas changé avec la Révolu- tion le plus nouveau avait douze ans de service, et ils se plaisaient autant chez moi que je me plaisais à les avoir. J'avais été obligé, au commencement, de leur proposer une diminution, et même Quéru, mon cuisinier, qui avait six cents livres de pension, m'offrit de me servir pour rien, ce 168 MEMOIRES DU- COMTE DUFORT DE CHEVERNY. que nous n'acceptâmes pas naturellement, mais qui nous tira des larmes des yeux. La curiosité les amena à venir nous voir dîner. En arri- vant, Velu me dit Frère, est-ce que tous ceux-là ne man- te gent pas avec toi?» Il ne voyait que quatre couverts, les deux membres de la municipalité ayant voulu manger à l'office. Je lui répondis Frère, cela ne leur conviendrait pas plus qu'à nous; consulte-les. » Il mangea peu, but comme un ogre, fut causant, nous conta toute sa vie, ses amours; il s'échauffa et frisa la polissonnerie à faire trembler ma femme, sans cependant s'en permettre aucune. A propos de la Révolution et sur le danger que nous courions, il dit naï- vement Est-ce que je n'en cours pas autant, moi? J'ai dans l'opinion que dans trois mois j'aurai le cou coupé, mais il faut prendre son parti. — Vous avez raison, lui dis- je, buvons tous un verre de vin à votre santé et pour vous préserver de malheur. » Il aurait tenu table jusqu'à la nuit. De temps en temps, il lâchait des saillies de sans-culot- tisme; il prit la main du domestique qui lui donnait des assiettes Je t'en prie, frère, lui dit-il, mets-toi à ma place, ,k et que je te serve à mon tour. » . Nous commencions à être si las, et de sa conversation, et du temps que nous étions à tenir table, que ma femme se leva et rentra dans le salon; nous le régalâmes alors de liqueurs fortes, et au bout d'une demi-heure il prit congé de nous. Lorsqu'il fut parti, nous augurâmes qu'il nous avait pris en amitié, car il dit qu'il viendrait nous voir; il s'exaltait sur la réception pareille que lui avaient faite M. et madame de Rancogne, qu'il louait beaucoup de ce qu'ils mangeaient avec tous leurs gens. Nous ne pûmes cependant lui savoir aucun mauvais gré de la manière dont il se conduisit, car, malgré le tutoiement, il fut amical et respectueux, autant que pouvait l'être un enragé jacobin. Nous apprîmes qu'en sortant de chez nous, il n'avait quitté le cabaret qu'à neuf heures du soir, rond comme une bedaine et n'en voulant plus, quoiqu'il n'y parût pas plus QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 163 que s'il sortait de son lit c'était le tonneau des Danaïdes. Ainsi finit cette scène qui n'eut aucune suite fâcheuse. On me rendit la clef duchartrier, et, moyennant le procès-verbal, je fus à l'abri de nouvelles recherches. Velu alla faire la même visite chez mon fils aîné au Breuil; elle fut courte, car il ne trouva rien, et il s'y comporta tout aussi décemment. A cette époque, les réquisitions devinrent continuelles. D'abord ce furent les foins; on visita les granges, je fus taxé à mener un millier à Blois, et il fallut faire mille démarches pour être remboursé, soit de la voiture, soit du foin. Le tout était taxé à la fantaisie et à la volonté des four- nisseurs, qui seuls étaient juge et partie, et se servaient du nom de la Nation pour faire leur fortune. On fit la même chose pour la paille et l'avoine; tous les huit jours il fallait en transporter à Blois. Le blé manquait; les voitures furent requises pour aller en chercher jusqu'à Vendômej mon fils et moi, qui avions les meilleurs chevaux, en eûmes la plus grande charge. Il allait obéir de la manière la plus passive et sans souffler mot; les moindres réquisitions étaient sous peine d'incarcération bien heureux lorsque ce n'était pas sous peine de mort. La Vendée se prononçant fortement on la disait dans le Mans, un député passa et donna l'ordre de faire faire une réquisition de chevaux. A l'instant, ordre aux municipalités d'envoyer au canton tous les chevaux de leur territoire; on enjoint d'y ajouter les harnais, les selles et les bottes. J'avais des selles pour trois postillons; j'en envoie une de poste, une de velours et mes six chevaux. Ils étaient hors d'âge'; un seul leur fait envie, il était sourd et ombrageux on le garde avec les deux selles, on estime mon cheval 750 francs en assi- gnats; on l'envoie à Tours où l'on s'aperçoit de ses défauts, et on me le renvoie. A l'égard de la selle de postillon, qui m'avait coûté 150 francs toute neuve, on la garde pour 60 francs, qu'on me paye six mois après. Quant à la selle de velours, la municipalité s'en empare pour son usage; on me la rend après; on peut juger de l'état où elle était. 170 MÉMOIRES DU COMTE DUFOUT DE CHEVERNY. Quinze jours après, ou reçoit l'ordre de saisir tous Jes chanvres, toutes les pièces de toile chez les tisserands, et d'envoyer son linge le bon, comme les draps, pour faire des chemises aux défenseurs de la patrie, et le fin élimé pour faire de la charpie. Il fallut obéir; chacun cacha ce qu'il put; mais, sous ce prétexte, on faisait des visites domiciliaires. Les réquisitions pleuvaient comme la grêle on demandait tout. Ce qui fit le plus de peine et porta le plus grand préju- dice, c'est que, le blé mangé, il vint un ordre de faire une réquisition sur les cochons; c'était couper la nourriture à tous les gens de la campagne. Ce fut une Saint-Barthélémy de cochons; chacun tua le sien et le mit dans son saloir, parce qu'on ne voulait les animaux qu'en vie, pour les faire con- duire soit à Paris, soit aux armées. Vint ensuite la réquisi- tion des cendres, dont des entrepreneurs, soit de savon, soit d'autres choses, disaient avoir besoin à Blois il fallait déposer le tout à la municipalité. C'était une pitié, et les autorités, les municipalités, les clubs trouvaient toutes ces déprédations et ces pillages le meilleur des gouvernements possibles. Il y avait des mots à la mode, parce que la populace don- nait le ton; ainsi, ils s'appelaient entre eux Solide mâtin. Un clubiste, en parlant d'un noble dont on faisait l'éloge, s'avisa de dire que ce n était pas le Pérou, Le mot devint un adage général on ne disait pas un mot de bien d'un indi- vidu ou d'une chose quelconque, qu'on ne vous répondît Ce n'est pas le Pérou! » Je m'avisai un jour de m'arrêter et de demander ce que c'était que le Pérou. Le plus éloquent de la troupe prit la parole et me dit Tu badines? comme si nous ne savions pas que c'était le cabriolet du tyran! » Enfin, pour abréger la nomenclature des réquisitions qui durèrent plus d'un an , on opéra vivement et avec une inquisition révoltante, pire qu'à Tunis et Alger, sur les sou- liers, les bas, les culottes, les chemises, les boucles d'argent et autres, les vestes, les habits, les chapeaux, et Ton finit QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 171 par prendre l'argenterie, comme on Je verra à son temps. Les ci-devant nobles étaient principalement en butte aux patriotes exclusifs, et il n'y avait pas de municipalité où il n'y en eût trois ou quatre bien prononcés. J'étais obligé d'aller souvent à Blois voir mon beau-frère, et, ne pouvant plus monter à cheval depuis dix ans à cause de mes rhuma- tismes, je faisais mettre deux chevaux sur une petite voiture à quatre roues, menée par un laboureur qui était bon postil- lon. Je ne manquais pas, lorsque j'allais à la ville, de mener ou ramener ceux que je trouvais en chemin, sans m'embar- rasser de leur façon de penser. J'appris, malgré tout cela, que les surveillants de Cour, bourg par lequel je passais, se disaient que j'allais bien souvent à Blois, que sûrement je me mêlais de trop de choses; j'en fus quitte pour éloigner mes voyages. Deux sans-culottes par excellence de Blois passèrent à Gheverny; l'un était un porteur de chaise, dont ma femme se servait à Blois. Dans la décoration des dehors du château, j'avais fait entourer le grand chemin de grandes bornes, pour empêcher que l'on ne foulât les gazons, et j'avais établi des chaînes de fer, d'une borne à l'autre, dans le goût antique. Ces sans-culottes passent par ma cour, car tout était libre, et s'écrient Voilà encore des marques de despotisme et de féodalité! Il ne se passera pas huit jours qu'il n'y ait une motion à la Société de Blois pour venir les abattre. » J'en fus averti, et avant leur retour, — car ils avaient été poser les scellés sur des maisons de prêtres persécutés, — je fis enterrer les bornes si profondément qu'elles me sont restées et que je n'en ai pas entendu parler depuis. Je fis enterrer de même une cloche, monument antique, enlevée d'un couvent par les Hurault, et servant à appeler aux repas. J'avais dans la chapelle du château une vierge en marbre blanc de quatre pieds de haut. Je la fis enfouir secrètement dans le parc, pour ne pas leur laisser le plaisir de la mettre en mille pièces. Dulièpvre critiquait les dehors du château. Au-dessus de 172 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. deux pavillons, qui ressemblent en petit à ceux du vieux Louvre, sont deux lanternes en plomb. J'entends dire qu'il faut les abattre et faire hommage du plomb à la nation pour cette fois, je m'y refuse, et ne veux pas entendre parler de détruire un monument du meilleur goût. Chaque trumeau du château avait, entre les deux fenêtres, des bustes de marbre que je savais être des empereurs romains; je leur assurai que c'étaient des philosophes sans-culottes grecs, et les con- servai. Dulièpvre garda cela dans son cœur de boue pour s'en servir utilement en temps et lieu, mais, comme toute la province s'intéressait à ce beau château, je pris mon parti de me refuser à toute insinuation, d'autant que je ne faisais que conserver ce que j'avais trouvé. J'avais effacé scrupuleuse- ment toutes les armes des Hurault, car je n'avais jamais voulu y substituer les miennes, et Ton ne pouvait me chercher querelle personnellement. Anciennement toutes les plaques des cheminées avaient des armes, et les Hurault les avaient prodiguées partout. L'ordre vient de les détruire, huit jours après de les retour- ner; j'obéis à l'instant, et elles sont encore retournées pour longtemps. Garnier de Saintes, député, jadis avocat à Saintes, parta- geait avec Tallien le département de l'armée de l'Ouest, c'est-à-dire la Vendée. Petit et d'une tournure recherchée jusque dans ses habits, il vint s'établir à Blois. Ces procon- suls, entourés d'aides de camp, de secrétaires et de clubs, prenaient les meilleures maisons, arrivaient sans linge et sans aucune provision, soit en victuailles, soit en effets. L'évê- ché, par décret, était revenu à la Nation, et le prétendu évêque, avec les douze mille livres qu'on lui donnait, était obligé de se loger où il pouvait. Garnier arriva donc, s'éta- blit à l'évêché, mit en réquisition le vin des particuliers en arrestation ou en fuite, et poussa la réquisition jusqu'à se faire fournir des peignoirs. C'était un vrai sans-culotte pour tout, excepté pour ce qui lui était personnel. Voyageant dans une berline magnifique, il voltigeait à Tours, au Mans QUATRIÈME ET DEKNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 173 et ailleurs, et revenait fidèlement à Blois. C'est alors qu'il déployait ses talents au club et à la loge des francs-maçons. M. de Salaberry avait acheté une maison de la Nation, à côté du château il voulait en faire une loge de francs- maçons, et l'avait décorée en conséquence. Cette loge n'était qu'un amusement, et l'on se préparait à en faire un endroit pour donner des fêtes, lorsque commencèrent les malheurs de M. de Salaberry. Garnier reprit la loge; c'était le moyen d'avoir de grands repas, de connaître l'esprit de la ville et de l'influencer; mais M. de Salaberry dans sa maison ! le gênait. Il avait dans les mains le travail fait d'après les lettres reçues; il alla au club, tint ensuite une séance au temple de la Raison 2 , décoré de son chapeau à plumes, de son écharpe et de son grand sabre. Là, il prononça l'arres- tation de plusieurs particuliers, et décida, de sa propre et souveraine autorité, que M. de Salaberry serait enfermé aux Ursulines. Celui-ci, qui s'ennuyait mortellement chez lui, ne regarda pas cette détention comme une chose bien malheu- reuse ; c'était un emploi agréable de son temps. Lorsqu'il avait été incarcéré aux Carmélites, cette prison était remplie de tous les honnêtes gens de la ville. C'est ici le moment de revenir à l'histoire de M. de la Porte, qui était notre proche parent par les femmes 3 . Il était 1 On a vu que M. de Salaberry, d'abord arrêté, n'était plus qu'en surveil- lance, et jouissait d'une liberté relative. 9 11 n'est question nulle part, dans les Histoires de Blois, de cette séance, qui serait antérieure à celle tenue par Guimberteau le 30 octobre 1793, et dont il sera parlé plus loin. Elles mentionnent seulement une autre séance d'épuration tenue par Garnier de Saintes en lévrier 1794. M. Dufort parle aussi de cette dernière séance. Je crois qu il y a quelque confusion dans ses sou- venirs. 3 Pierre de la Porte, fermier général, marié à une demoiselle de Soubeyran, en avait eu, en 1710, Pierre-Jean-François, seigneur de Meslay, intendant à Moulins, puis à Grenoble, conseiller d'Etat, maiié en secondes noces, en 1739, à Anne-Elisabeth Le Fèvre de Caumartin. Charles-François de la Porte de Meslay, leur fils, dont il est question ici, naquit en 1745. Il était, en 1789, intendant, non pas à Valenciennes, mais à .Nancy depuis 1778. Sa sœur, Jeanne-Elisabeth de la Porte, avait épousé en 1759 Louis Drurnmond, comte de Me! fort, le favori de la duchesse d'Orléans, dont il a été déjà question. Quant à lui, il s'était marié en 1768 à mademoiselle Meulan des Fontaines, 174 MÉMOIRES DU COMTE DUFOIIT DE CHEVERNY. arrière-petit-fils d'un fermier général. Son père, conseiller d'État, avait épousé mademoiselle Le Fèvre de Caumartin, d'une famille apparentée à ce qu'il y avait de plus grand. Sa sœur avait épousé M. le comte de Melfort. Pour lui, jeune, d'une belle figure, il avait été maître des requêtes, et, lors de la Révolution, il était intendant de Valenciennes. Il avait un fils de quinze ans et une fille plus âgée, pleine d'esprit, de talents et de caractère, comme elle l'a bien prouvé depuis. Pour parfaire l'éducation de son fils, il lui donna un gou- verneur, et l'envoya en Italie, un peu avant la Piévolution. Il fut dénoncé au club de Vendôme, comme ayant un fils émi- gré ; il avait une terre à deux lieues, la terre de Meslay, et les chouans menaçaient d'une incursion ; ce fut assez pour déterminer son arrestation. On le conduit à Vendôme, de là à Blois aux Carmélites, et le voilà en prison avec M. de Sala- berry ; ils se connaissaient auparavant, le malheur les réunit. Le fils du malheureux Foulon, intendant aux îles, avait, après la mort de son père, sauvé de sa fortune assez pour acheter de la veuve de M. Péan la terre d'Onzain, où il s'était fixé; il se faisait appeler d'Escotier. Il fut incarcéré aux Carmélites dans le temps des premières arrestations l . M. Le Ray de Chaumont, fameux par son amitié pour le célèbre Franklin, à qui il avait donné retraite à Passy dans le temps qu'il était envoyé des États-Unis de l'Amérique, était depuis six ans retiré a Chaumont. Il y faisait des expé- riences utiles, ayant établi une verrerie, et trouvé une terre excellente pour les creusets de chimie 2 . Cet ancien château, bâti par le cardinal d'Amboise, avait plusieurs tours d'une épaisseur singulière. Franklin et d'autres lui conseillèrent d'en destiner une pour conserver du blé, dont l'abondance qui, d'après Y Espion dévalisé p. 219, était la petite-fille de Gayot, conseiller d'État, ancien préteur royal de Strasbourg et ancien intendant des armées, homme fort influent. 1 II tut mené à Paris, mais échappa à l'échafaud grâce au 9 thermidor. 2 C'est aux fabriques de verres et de poteries de M. Le Ray qu'était attaché Jean-Baptiste Nini, dont les merveilleux médaillons en terre cuite sont main- tenant si recherchés. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1187-1801. 175 permettait alors cette expérience. En conséquence, M. de Gliaumont en fît emplir une de blé, et fît murer les portes avec toutes les précautions capables d'amener l'expérience à bien. Le fait était oublié, mais une âme damnée se souvient d'y avoir travaillé. Il fait sa dénonciation aux Jacobins, est porté en triomphe au comité où il la signe, et voilà l'ordre donné d'incarcérer M. de Gliaumont, qu'on amène aux Ursulines. Mais ce qu'on n'avait pas su, c'est que cinq ans après son expérience, la curiosité avait porté M. de Chau- mont à ouvrir la tour. Le blé s'était trouvé non-seulement pourri, mais portant un air méphitique, et comme il plongeait sur la Loire, une belle nuit, il avait fait jeter tout à l'eau. Il ne lui fut donc pas difficile de se disculper de cette dénon- ciation, et, dans tout autre temps, il serait sorti sur-le-champ. Il n'obtint cependant la liberté de retourner chez lui que six semaines après. M. de Pérignat l , ancien officier estimé, retiré à Vendôme, ayant la considération de tout le pays, ancien commandant de la garde nationale, influençant par son opinion tous les honnêtes gens, ne tarda pas a être incarcéré, et le fut à plu- sieurs reprises. On emprisonna aussi M. Boucherat, ancien commissionnaire, ancien maire de la ville 2 , riche vieillard de quatre-vingt-deux ans, vieillard considéré. Enfin, en une belle nuit, il en vint tant que toute la ville, pour ainsi dire, était en prison cela ne pouvait être regardé comme une mesure sérieuse. Chacun se rassura, et l'on passa son temps plus gaiement qu'on ne l'avait espéré. M. Delarue, de l'Ordre de Sainte-Geneviève, prieur curé de Gour-Gheverny depuis dix ans, ayant servi jadis, et dont la famille était protégée par M. de Maurepas, tâcha de se rendre utile dans la Révolution. Il fut maire et tint les regis- tres de la municipalité qu'il mit dans le plus grand ordre. 1 De Périfjnat, brigadier des armées du Roi, seigneur des Minières, etc. Catalogue de 1789 bailliage du Vendômois. 2 Pierre Boucherat, d'abord échevin, puis maire de Blois de 1783 à 1787. 176 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CIIEVERNY. Après avoir fait son serment, il était resté attaché à sa cure, lorsque le système de Robespierre s'établissant de plus en plus, un décret vint pour enlever les cloches. On en con- serva à grand 'peine une dans chaque paroisse. Elles fuient descendues et enlevées dans les quinze jours, portées à Blois, mises en pièces, et conduites à la Monnaie pour faire les pièces de deux sols républicaines qui circulent. Alors, les églises furent destinées à faire des temples de la Raison, et dès lors les sans-culottes cherchèrent querelle au curé. Il était très-aisé de le faire donner dans le piège. Aimant la littérature et le travail, il avait la foi du charbonnier, allant droit son chemin, prêchant Tordre et la raison. A jour nommé, comme je l'ai dit, on annonce que la Vendée est au Mans et marche sur Vendôme. Blois, dès l'instant, est regardée comme en état de siège. Le Vasseur de la Sarthe, député, passe par Blois et donne l'ordre d'abattre le pont l . L'ingénieur, M. Gabaille, homme d'es- prit et de mérite, reçoit l'ordre, avec la responsabilité sur sa tête, de couper le pont en abattant une arche. Il hésite Guimberteau arrive confirmer l'ordre, et vole à Tours pour des préparatifs de défense. Pourtant, on retarde de vingt- quatre heures, sur la représentation de la municipalité. L'or- dre était aussi d'abattre les arbres de la promenade sur le quai, pour empêcher les ennemis de rétablir le pont. Le courrier revient avec ordre de procéder sans délai, et l'ingé- nieur fait travailler. Pendant ce temps l'alarme était générale. Ordre aux pardes nationaux de se lever pour marcher sur Blois et de se fournir de vivres pour quatre jours; et la Sologne éprou- vait la disette la plus affreuse ! Cet ordre arrive à Cour à onze heures; la garde s'assemble, la municipalité aussi ; on va partir, lorsque quelques citoyens dévots c'était pendant les fêtes de Noël demandent une messe. On requiert le curé Delarue ; il veut envoyer demander l'autorisation à la 1 Le 10 décembre 1793. L'Histoire de Blois t. f, p. 2il et 4J2 donne des détails un peu différents. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1781-1801. 177 municipalité qui se cache; enfin, on l'oblige à dire la messe. Il fait un petit discours patriotique, et voilà la garde qui part. Gheverny était plus tranquille. Vu mon âge, j'étais claquemuré, et mon fils aîné, dans sa maison du Breuil, éloignée du bourg, n'en fut même pas instruit. Les zélés de la Sologne inondent bientôt la ville, et sur- tout le faubourg de Vienne. Les nouvelles devenaient plus rassurantes; on s'effraye de l'affluence du monde, de la famine qui en sera la suite; on les congédie. Les alarmes se dissipaient, mais la sévérité redoublait. On arrêta M. de Vareilles ', sourd et âgé de quatre-vingts ans, descendant d'un médecin de Catherine de Médicis anobli par elle. Les dénonciations pleuvaient sur le curé de Cour parce qu'il avait célébré la messe; on l'envoie chercher par deux cavaliers de gendarmerie, et on le conduit en arrestation. Il a beau dire qu'il y a été contraint c'est un aristocrate qui suit un autre culte que celui du temple de la Raison. Préservés jusque-là de la grêle révolutionnaire qui tom- bait autour de nous, nous nous étions renfermés chez nous. Mon fidèle Jumeau, quoique âgé de soixante-huit ans, allait à pied à Blois et nous rapportait des nouvelles, qui nous ras- suraient ou nous effrayaient, selon les circonstances. Le prieur et sa cousine venaient; nous lisions les papiers, nous gémissions, et nous faisions une partie; ils nous quittaient à onze heures. Us venaient l'un et l'autre comme en bonne fortune, car, vu l'esprit du jour, nous étions des brebis galeuses, des ci-devant nobles, des aristocrates. Nous nous bornions à notre enceinte sans, pendant plus de six mois, avoir voulu sortir même une fois dans le village, et nous ne pouvions savoir des nouvelles de ce qui se passait pour les arrestations que par tiers, n'écrivant et ne recevant aucune lettre. Tout prenait une teinte de cruauté affreuse. Les prêtres non assermentés étaient poursuivis à outrance ; leurs biens 1 Jérôme Drouin de Vareilles, écuyer, seigneur de Bouxeuil. Catalogue de 1789 bailliage de Blois. ". 12 178 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. saisis pour la Nation. Les scellés, les ventes, tout s'en- suivait. On ignorait ce qui se passait à Paris. On avait appris que le marquis de Rome était soupçonné, d'après sa correspon- dance, d'avoir voulu vendre Blois aux Vendéens; personne n'en croyait rien. C'était une calomnie inventée par les meneurs du club pour perdre les deux cousins, en com- mentant et rapprochant des fragments de lettres insigni- fiantes. Bonvalet, le maître d'hôtel et le seul défenseur officieux de son maître, car on était conspué dès qu'on osait parler pour lui, l'avait défendu à la séance de Guimberteau l . Celui-ci s'était rendu à la cathédrale, changée en temple de la Raison, entouré de tous les démagogues; ne connaissant personne, il avait ses notes toutes préparées. Il fait paraître à son tribunal toute la municipalité et autres. A. l'un, il dit Tu es un mauvais citoyen, je te condamne à tant d'amende et à l'incarcération. » A l'autre Tu es un aristocrate. » On demande des défenseurs, mais le peuple les exécrait, et l'on se tait. Dinocheau, procureur de la commune, n'avait pas paru à la séance; on prononça sa destitution, son incarcération, et Guimberteau donna ordre de fermer les portes, tandis qu'il envoyait deux gendarmes pour l'arrêter. Bonvalet défend son maître , mais inutilement. A l'instant, il part pour Paris, afin de rechercher chez M. de Salaberry et chez M. de Rome les lettres insignifiantes qui étaient des armes si dangereuses, d'après ce qu'il entendait murmurer de cette correspondance. Il brûle tout, et il a grand'peine à déterminer M. de Rome à en faire autant. Le lendemain, le Comité envoie chercher Rome; il se défend, on l'écoute, et Ton finit par lui donner un garde et sa liberté. Il ne s'en effraye pas, et continue à mener la vie la plus paisible , à aller aux Variétés, et à se coucher à neuf heures. C'était l'homme le moins capable de conspirer. i Le 30 octobre 1793. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 179 Libre de s'enfuir cent fois, il n'y pensa même pas. D'ail- leurs, il comptait sur Fouquier-Tinville, qui lui avait des obligations personnelles. Après trois semaines de garde, le Comité le fait conduire à la Conciergerie; son interrogatoire et sa condamnation furent l'affaire de deux beures. Il se défendit , dit-on, avec sagesse et sang-froid. Fouquier-Tinville prononça son juge- ment avec une joie inexprimable. Rome dit alors Vous me condamnez injustement; c'est un parti pris, comme le mien est pris de mourir. Vous retardez l'exécution à demain; je vois la charrette prête rendez-moi le service de m'épargner vingt- quatre heures de souffrances mo- rt raies. » Il périt l sans même qu'on sût à Blois qu'il fût en jugement. Nous apprîmes qu'on lui avait fait espérer qu'avec une somme d'argent son défenseur officieux le sauverait; c'était un leurre. Des amis avaient envoyé dans ce but quatre mille livres à deux servantes de Blois qu'il avait emmenées, mais on dit qu'elles aimèrent mieux les garder. Le surlendemain, nous étions à dîner tous les trois, ma femme, mon fils et moi. J'avais toujours insisté pour qu'on ne lût les nouvelles qu'après le dîner; mais la curiosité empoigne mon fils, et, au nécrologe de la guillotine, j'en- tends le nom de Rome. Nous sortons de table le cœur navré. Je me rappelle qu'un mois avant le fatal voyage qu'il avait fait à Paris avec M. de Salaberry , ils m'invitèrent à venir manger une matelote à la Galère, avec un nommé Ganin, que M. de Salaberry s'était attaché comme musicien. J'ai- mais peu ces parties de cabaret, mais je ne pus me refuser à leurs instances. Je savais que Chabot dînait à cette auberge avec des clubistes. En entrant, je vis un superbe domestique vêtu en courrier; il avait l'air de quelque valet de pied de prince. Une dili- gence des plus élégantes était sous une remise. Dans sa chambre, on voyait tout ouvert un nécessaire magnifique. 1 Le 14 novembre 1793. 12. 180 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. Nous nous enfermâmes dans une autre, et nous entendîmes leurs orgies. Chabot chanta; il nous parut qu'il avait une jolie voix; on faisait chorus. Ces chansons auraient offensé les oreilles les moins chastes. Après dîner, à travers les fenêtres et les rideaux fermés, nous les regardâmes sortir sur la levée. Chabot parut; pour moi , qui ne l'avais jamais vu qu'en soutane grasse, je ne l'aurais pas reconnu petit, mais bien fait, il avait les bottines les plus élégantes, une culotte de soie, une veste d'étoffe rouge brodée en bordure, un frac brun, une cravate blanche et bordée, une demi- coiffure négligée, quoique poudrée, et un bonnet rouge brodé, en forme de bonnet de police, sur l'oreille. Il cabrio- lait sur le quai, appelait ses convives par leurs noms, les prenait par-dessous le bras et leur disait des choses fort plaisantes, car ils riaient par écho. Cette horde s'achemina gaiement vers la société. Lorsque je me rappelle que, simple particulier, isolé chez moi à la campagne, je n'ai pas eu, dans ces cinq ans de révo- lution, un seul jour où je n'aie été tourmenté, soit par le récit vrai des plus tristes événements, soit par des inquiétudes fondées ; qu'il en a été de même par toute la France; que ce département même a été un des moins éprouvés, si l'on veut le comparer aux autres, je certifie qu'un homme qui vit dans un temps de révolution vit plus de cent ans en cinq. Les peines d'esprit amènent une agitation continuelle, qui finit par donner une stupeur, un ennui de la vie qui ne peu- vent s'exprimer. On en est tiré par un événement affreux, et l'on passe son temps dans une suite de tourments. Je reprends la tâche que je me suis imposée pour achever de peindre ce triste événement, et c'est le plus difficile. La prison des Ursulines était encombrée des plus honnêtes bourgeois et marchands, et de religieuses. On y mena aussi la marquise de la Brisolière, sœur des comtes de Fiers, dont l'un, nommé général, avait été guillotiné, tandis que l'autre avait eu les deux jambes emportées par un boulet de canon. Elle s'était d'abord enfuie à Bruxelles, puis était rentrée QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 17*7-1801. 181 assez à temps pour dilapider le mobilier que le bailli de la Tour lui avait confié. Elle voulait divorcer avec son mari, qu'on disait incarcéré à Rouen. Elle laissait une fille de dix- sept ans presque à l'abandon. Telle était cette femme fort douce, mais inconséquente. Toute communication nous était interdite avec mon beau- frère; on cherchait les moyens de m'incarcérer, et je n'y donnais pas de prise. Quand, aux Ursulines, on vit dans les journaux que Rome avait péri, on convint de dérober la nouvelle à M. de Salaberry, afin de ne pas l'inquiéter; mais sa femme, qui avait obtenu la permission de l'aller voir, prit sur elle, sans en parler à personne, de l'en instruire. Elle crut sans doute que le coup serait moins fort; mais cela réussit mal. M. de Salaberry tomba dans une tristesse sinistre. Heureusement deux choses faisaient essentielle- ment la base de son caractère, le courage et le goût de la distraction. Toute la société prisonnière s'empressa autour de lui; on l'accoutuma à penser que M. de Rome s'était perdu par sa seule imprudence, par des propos indiscrets il le crut ou fit semblant de le croire; d'ailleurs, sa grande vivacité ne lui permettait pas de se livrer longtemps à une pensée pénible, et il redevint bientôt aussi gai et aussi aimable qu'il l'était auparavant. Ce fut quelques jours après qu'un coquin , nommé Lepe- tit, vint remplir la ville d'effroi. Lors de l'approche de l'armée vendéenne vers Raugé , ce Lepetit , ainsi qu'un nommé Simon , avait été chargé par le représentant Levas- seur de la Sarthe d'évacuer sur Orléans les prisonniers de Saumur, au nombre d'environ huit cents. De Saumur à Orléans, on compta six cents victimes qui succombèrent à la fatigue et à la barbarie noyades, fusillades, massacres ! . Le 8 décembre 2 , le convoi arrivait à Blois. Lepetit pré- 1 L'auteur reproduit plus loin, in extenso, l'acte d'accusation dressé contre les auteurs de ces atrocités. On y trouvera les détails révoltants de tout ce qui s'est passé depuis Saumur jusqu'à Orléans. V. au chap. xxvf. 2 1793. 182 MÉMOIRES DIT COMTE DUFORT DE CHEVERNY. sente ses ordres à la municipalité, et demande une auberge. Un officier municipal le conduit au Château-Gaillard , der- nière auberge sur le quai, au chemin de Paris. Les femmes sont mises dans des chambres, les hommes et les prêtres dans l'écurie. Le piquet de cinquante hommes offert par la municipalité est refusé , et pour cause. Lepetit se rend au département, et Ton entend Hézine , le procureur-syndic, dire sur les marches de l'hôtel de ville Demain matin, on leur donnera une bonne correction, et nous ferons voir u aux Blaisois comme on les arrange. » Hézine et Gidouin passent quelques heures le soir avec Lepetit et Simon dans l'auberge du Château-Gaillard ; le lendemain Hézine y retourne et dit qu'il faut fusiller treize prisonniers pour donner l'exemple au peuple, qu'on com- mencerait par des paysans et qu'on finirait par des prêtres. Bientôt Lepetit fait sortir quatre paysans, les fait conduire auprès de l'eau et les place lui-même; ils sont fusillés et jetés tout habillés dans la rivière. Gidouin va regarder les morts, et dit Ce sont de f. .... gueux; est-ce que tu ne nous feras fusiller que ces quatre paysans? » Cinq prêtres sont amenés et exécutés. On se partage les dépouilles, et Gidouin fait part de sa joie à tous ceux qu'il rencontre. Les âmes étaient glacées de frayeur, et un morne silence régnait dans toute la ville. Nous sûmes l'événement une heure après, tant l'effroi se propageait vite. A Blois, les incarcérés se crurent dévoués à la mort. Le comité disait avoir reçu l'ordre de faire filer les prisonniers. On fit un triage le soir même. Les uns devaient être transportés aux prisons d'Orléans, les autres à l'abbaye-collége de Pont- Levoy, et les derniers rendus à la liberté. M. de Baillehache, M. de la Bossière et d'autres furent renvoyés chez eux. M. de Salaberry, M. de Pérignat, M. Dinocheau et d'autres furent destinés pour Orléans. On les accouplait et triait comme des bœufs. M. de Salaberry obtint, comme grâce, d'aller dans sa voiture menée à ses frais ils y montèrent trois. Lepetit s'offrit pour conduire le convoi; celte proposition fit frémir, QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 183 et les honnêtes gardes nationaux de Blois se chargèrent de l'escorte. Ils partirent, suivant les traces de Lepetit, insultés sur les chemins par une soldatesque atroce. A Beaugency , on entoura les prisonniers; on les força à descendre au milieu du sang qu'on venait de répandre. M. de Salaberry dit à M. de Pérignat Allons, c'est fini; un instant est bientôt passé; prenons notre parti. » Ils en furent quittes, et arri- vèrent à Orléans pour recevoir toutes sortes d'outrages. Ceux destinés pour Pont-Levoy furent conduits en char- rette. Le pont étant rompu , il fallait passer l'eau dans un bac. M. Boucherat, vieillard de quatre-vingt-deux ans, est assis au bout d'une charrette avec un M. Cellier-Renard; il glisse et ne peut remonter assez vite, on le menace avec la baïonnette. On les fait passer sur la levée du faubourg de Vienne; les fusillés et noyés y étaient, nus et attachés à des pieux; on les leur fit voir pour leur insinuer qu'autant leur en était réservé. Ils arrivèrent a Pont-Levoy à onze heures du soir; à peine le directeur était-il prévenu. On les déposa dans un vaste salon, auprès d'un grand feu; c'est ce qu'on pouvait offrir de mieux à des gens peu accoutumés à voyager aux injures de l'air, au mois de décembre, en charrette, et par une pluie continuelle. Chacun alla ensuite se coucher dans une petite chambre. C'est ici l'occasion de faire l'éloge du vieux Ghap- potin, ancien Bénédictin, et chargé du collège ' ; je n'ai cessé d'entendre tous les incarcérés rendre justice à son humanité et à ses soins pour les malheureux. Il y avait déjà huit jours que nous étions aux écoutes et que Jumeau allait à Blois pour savoir des nouvelles de M. de Salaberry, lorsque nous apprîmes que sa femme venait d'aller à Orléans pour tâcher d'être utile à son malheureux mari. i V. Guide historique à Blois et ses environs par La Saussaye, Blois, 1855, p. 240, et Touchard-Lafosse, Histoire de Bloit, p. 291. On y trouvera beau- coup de détails sur Ghappotin et sur l'humanité qu'il montra aux pri- sonniers. 184 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. Nous nous flattions, comme il était aimé et estimé à Orléans, qu'il y trouverait de l'adoucissement, quoique l'exemple des atrocités qui s'étaient passées nous fît trembler. Un nommé Hildebrand , né en Lorraine, bon musicien, et engagé comme tel dans un régiment en Espagne, avait été pris par les Algériens et avait passé cinq ans en escla- vage. Dégagé par le consul de Suède, parce qu'il avait servi à montrer la musique à ses enfants, il avait vu dans les affiches une place de musicien vacante à Blois; il s'était présenté, et l'avait obtenue du chapitre et de l'évêque. A la Révolution, il s'était fait maître de musique, et M. de Sala- berry se l'était attaché pour avoir une basse de plus à ses concerts. Cet homme, assez rustre, s'échauffait par moments ; heureux quand il prenait le bon chemin! A six heures du soir, on m'annonce deux gendarmes, et je vois entrer Hildebrand. Il me dit qu'on a conçu les plus vives inquiétudes sur les prisonniers de Blois menés à Orléans; qu'Orléans veut les renvoyer à Bourges, où l'on sait qu'on les tue sans miséricorde ; que la municipalité l'a revêtu de pleins pouvoirs pour aller les rattraper sur la route et les mener à Pont-Levoy; que leurs chevaux sont harassés, et qu'ils me prient de leur donner deux des miens. A l'instant, cela fut fait; ils n'eurent que le temps de souper, et parti- rent. Que n'aurais-je pas donné? Ils nous promirent d'aller coucher à Romoranlin, et je leur donnai un guide pour se rendre à Vierzon. Mes chevaux, mon guide reviennent, et nulle nouvelle. Enfin, nous apprenons que Hildebrand est à Blois, revenu de sa mission, et Bonvalet arrive de Pont-Levoy. Il m'ap- prend que M. de Salaberry et les autres sont arrivés à bon port à Pont-Levoy; que Hildebrand avec son gendarme était allé jusqu'à Orléans; que, muni de ses pouvoirs, il avait déterminé le départ pour Pont-Levoy avec force rebuffades; qu'en route, il s'était disputé avec la garde nationale d'Or- léans pour savoir qui commandait l'escorte , que des menaces, des querelles s'en étaient suivies ; que M. de Salaberry, tou- QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1781-1801. 185 jours dans sa voiture comme il était venu , était arrivé à minuit à Pont-Levoy, et qu'il y avait trouvé la meilleure réception et des soins particuliers. Bonvalet entra dans les plus grands détails sur les atro- cités que les prisonniers avaient éprouvées comptés comme des bœufs 7 enfermés le soir chacun dans leur cellule, mal nourris, quoique payant généreusement, ils avaient souffert toutes les humiliations possibles. Madame de Salaberry, qui s'était établie à Orléans, n'avait pu voir son mari; elle était revenue à Pont-Levoy. Je reçus une lettre de M. de Salaberry, il me demandait de venir à son secours pour payer une imposition révolution- naire de quinze mille livres, que Guimberteau lui avait imposée. Je lui en envoyai dix, et le reste sur la créance de Rousseau, que nous devions toucher à Paris. Je me gardai bien de lui écrire; je ne craignais pas son cœur, mais sa dis- traction et l'oubli où il était de brûler les letttres ; j'en avais trop de preuves. Pour lui, toujours le même, il ne montrait rien au dehors. Il fit son établissement à Pont-Levoy, fit venir sa musique et s'y livra avec fureur, ainsi qu'aux charmes de la société qui était très-aimable. M. de Lagrange, M. Ferrand ! , M. Dino- cheau, M. de Villiers, madame de la Brisolière et beaucoup d'autres, les maîtres de musique, tous se réunissaient pour lui faire passer le temps. Il me demandait des livres de médecine et d'histoire, et il aurait bien désiré me voir. Le supérieur m'y invitait, mais mes amis de Blois m'en détour- nèrent; mon fils aîné, comme moins marquant que moi, y alla. M. de la Porte y était, ainsi que sa fille; ils avaient été menés par M. de Salaberry. Ainsi, tout à Pont-Levoy prit une teinte moins triste. Les soins du sieur Ghappotin étaient délicats. Ayant pris leur parole d'honneur, il leur laissait à tous une honnête liberté, et ils auraient pu sortir mille fois. M. de Salaberry, 1 Ferrand Vaillant, ancien procureur de la commune de Blois, plus tard député aux Anciens, dont il sera question en 1797. 1S6 MEMOIRES DU COMTE DUFORÏ DE CIIEVEMNY. seul, paraissait en grand danger, mais il était trop loyal pour tenter d'enfreindre la consigne, quoique la grande porte fût ouverte. Content de courir partout, de jouir d'un grand emplacement, il était distrait par les cent cinquante jeunes gens dont on pouvait suivre l'éducation ; tout le monde l'aimait et le considérait. Cette position dura un mois. CHAPITRE XXIII Nouvelles impositions. — Dévastation des chapelles et des tombeaux. — Le temple de la liaison; procession saeriléjje. — Le duc et la duchesse de Saint- Ai;;nan sont arrêtés. — M. de Salaberry, conduit au tribunal révolu- tionnaire, refuse de s'évader. — Les prisons de Paris. — Quelques victimes. — M. de Luçay, décrété d'arrestation, est sauvé par sa femme. — Le vicomte de Beauharnais à Blois; il est arrêté et condamné. — M. Dufort est incarcéré aux Carmélites; compagnons de captivité. — M. de llancogne. Les sans-culottes mirent bientôt de nouvelles imposi- tions. Le premier mot pour moi fut de 6,000 livres. Gomme tout le pays savait ce que j'avais perdu, je fut réduit à 600, sur la représentation de Jumeau. On fit une réquisition de vaisselle d'argent, des effets d'église; j'envoyai jusqu'au calice de la chapelle, et. tous mes plats, reste dune vaisselle superbe et très-considérable que j'avais été obligé de vendre pour vivre, au commencement de la Révolution. On détruisit le dedans des églises; les tombeaux des Hurault, décorés de statues, furent mis en pièces. On fouilla dans les tombeaux. Il y avait un caveau dans lequel les Tlurault avaient leur sépulture; deux tombes de fonte furent brisées, tous les plombs des cercueils enlevés, les restes jetés debors, et, sans le cure qui charitablement les fit mettre dans le cimetière, ils étaient la proie des animaux. On trouva un enfant de quatre ans conservé jusqu'aux cheveux et au visage; il fut l'objet d'une indiscrète curiosité. Les atrocités redoublaient, ainsi que les persécutions pour porter la cocarde nationale, les incarcérations sur les moindres négligences. Le passage continuel des députés commissaires de la Vendée, qui séjournaient à Blois et allaient aux Jaco- bins, mettait ceux-ci dans une effervescence dont on n'a pas 188 MEMOIRES DU COMTE DUFOKT DE CHEVE11NY. d'idée. Santerre, Gorsas l , Merlin y parurent; le général Dubayet 2 , malgré l'invitation du club, eut le courage de refuser d'y aller, sous prétexte d'affaires. On y vit enfin Garnier de Saintes, proconsul ad hoc, puisque Blois était dans son arrondissement comme étant attaché à l'armée de l'Ouest. Le temple de la Raison était à son apogée; on l'avait décoré en carton ; on avait fait une montagne avec des inscriptions en papier. Hézine fit des processions civiques 3 ; un âne, chargé de tous les attributs pontificaux, avait une mitre sur la tête et une étole au cou. Hézine, avec une chasuble, une étole au côté, un bâton à croix dans la main, menait avec ces enragés tout ce scandale, et brûlait le missel sur la place publique. Dès que Garnier fut arrivé, on concerta une nouvelle assemblée au temple de la Raison. Le club et les agitateurs dressèrent leurs batteries; on voulut recommencer la scène de l'épuration, déjà faite par Garnier; la motion fut faite, acceptée, le jour pris 4 . Tous les habitants étaient dans des transes; on s'y porta par inquiétude et par curiosité. Toute la garde était invitée et commandée, de même que les auto- rités. L'ordre était pour midi. Garnier se fit attendre une heure, arriva mis coquettement, avec chapeau et panache de député, son écharpe, un grand sabre nu à son côté, suivi de ses conseils Hézine, Fouchard et de tout le comité. La montagne dans l'église devait être son trône, mais elle était peu solide; un tonneau croula. Le député trébuche, se relève lestement, tout se rétablit. 11 1 V. t. II, p. "136, note 2. ' Aubert du Bayet Jean-Baptiste-Annibal, 1757-1797, capitaine en 1789, puis député à l'Assemblée législative. H avait été jugé et absous à la suite de la reddition de Mayence, où il commandait en 179-5. Il fut ensuite envoyé à l'armée des côtes de Cherbourg, et c'est alors qu'il séjourna à Blois. Il fut encore arrêté une fois avant le 9 thermidor, devint général de division, ministre de la guerre 1795, et mourut ambassadeur à Constantinople. 3 Bercevin et Dupré, t. I, p. 103. Touchard-Lafosse, p. 273. 4 Le 23 février 1794. Les historiens de Blois parlent longuement de cette séance. M. Du fort confirme ici l'existence d'une séance tenue précédemment par le même représentant, et dont, comme je l'ai dit, je n'ai trouvé aucune trace dans les histoires locales. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 189 profite de cela pour dire que la sainte montagne est tra- vaillée, mais qu'elle est protégée par la Raison en dépit de tous les aristocrates. Ce fut une répétition de la représenta- tion faite par Guimberteau. Dinocheau, déjà incarcéré, fut condamné à rester en prison jusqu'à la paix. Rochejean avait fait l'extrait le plus abominable des lettres trouvées cbez M. de Salaberry. Péan les lut, et conclut en affirmant que M. de Rome et M. de Salaberry avaient vendu la ville à la Vendée. Cette accusation étonna, confondit, atterra tous les auditeurs, excepté le comité. Bonvalet monta quatre fois à la tribune, cria à l'injustice, prouva la fausseté de la dénon- ciation ; applaudi par tout ce qu'il restait d'honnêtes gens, il fut sifflé, conspué par les coquins. Garnier, qui voulait avoir l'air de conserver la forme de la justice, loua le zèle du défenseur, et finit par envoyer M. de Salaberry au tribunal révolutionnaire. S'il n'est pas coupable, ajouta-t-il, la jus- tice en décidera. » Les coquins avaient fait afficher dans toute la ville le jugement de M. Rome, où le travail fait contre eux deux faisait la base du jugement. En vingt-quatre heures, les affiches disparurent; les honnêtes gens étaient révoltés d'une si atroce inculpation. M. de Salaberry, à Pont-Levoy, attendait cette séance avec impatience; sûr de son innocence, il aurait pressé son jugement s'il avait pu. Nous avions de concert supprimé une lettre à Garnier, où il demandait d'être envoyé au tri- bunal révolutionnaire; nous en sentions la conséquence sans le lui dire, mais nous ne la savions pas aussi atroce. Dès qu'on fut instruit à Pont-Levoy du résultat de la séance, on prit des précautions pour en informer M. de Salaberry. Hélas! le malheureux fut enchanté; si on l'avait cru, il serait parti à l'instant, tellement il était sûr de son innocence. Pouvait-il s'imaginer les atrocités qui se pas- saient et dont on lui dissimulait une partie? Le descendant des ducs de Saint-Aignan ! , l'homme le • 1 Paul-Marie-Victoire de Beauvilliers, duc de Saint-Aiguan, avait épousé 100 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVEHNY. plus disgracié de la nature, rachitique, haut de trois pieds et demi, la tète dans les épaules, avait épousé mademoiselle de Bérenger, descendante des sires de Bérenger, grande et fort jolie; l'ambition lui avait fait passer sur le désa- grément du mari pour acquérir un tabouret. Le mariage s'était fait avec des formes ridicules; le petit duc, ne pouvant entrer dans le lit nuptial, y avait été porté comme une poupée par son valet de chambre. Ce petit être ne man- quait pas d'esprit, et la nature lui avait prodigué un goût désordonné pour les femmes. Il fit à sa femme deux enfants qui ne tinrent pas de lui. Elevé à Saint-Aignan, il y était aimé et considéré. Ils y passèrent quelque temps par néces- sité, le duc, malgré son duché, ne jouissant pas de 30,000 livres de rente; mais l'ennui prit à sa femme, et ils allèrent à Paris. Leduc prit l'essor, dépensa 100,000 écusen filles, et, vu sa figure, ce goût devait être fort cher pour lui; le feu se mit dans ses affaires, et ses parents les arrangèrent. La femme, sans être séparée, resta à Paris, et le duc vint mener dans son duché la vie d'un gentilhomme de cam- pagne. Ne pouvant habiter le château, il prit une maison à lui dans la ville. C'était sa position, lorsque la Révolution prit son cours. Les enragés, enchantés de tutoyer un duc, se firent ses camarades, et on le mit du club l . On sut que les brigands approchaient, les gens censés de ce parti ou les peureux firent un arrêté timide pour composer avec eux. Le bruit et les brigands se dispersèrent, ceux qui avaient signé virent qu'ils étaient signalés comme royalistes; ils convinrent de déchirer le feuillet signé dans le registre des délibérations, mais cela ne put se faire sans que les enragés le sussent. Le régisseur du duché % ami intime du député Frécine, lui écrivait tout ce qu'il pensait. Sur la en 1786 Françoise-Camille de Bérenger, fille de Kayruond-Pierre, comte du Gua. 1 11 le présidait en bonnet rouge, d'après J. B. Delorme Histoire de Saint- Aig nan f p. 265. 2 Un nommé Bretheau, d'après Delorme. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 191 question que Frécine lui fit par écrit au sujet de la mort du Roi, le régisseur lui répond tout ce qu'il pense, Frécine va porter la lettre au comité; autre dénonciation. Cependant la duchesse, voyant que Paris n'était pas tenable, arrive à Saint-Aignan et y reste, pensant être sûre du pays. 11 vient un ordre aux autorités de Garismont, car c'est ainsi que Je club avait demandé que Ion appelât Saint- Aignan *, trop connu par le titre de duché. L'ordre vient donc de mener le citoyen Saint-Aignan et la femme Saint- Aignan à Paris sans délai. Deux cavaliers, gendarmes du pays jadis et leurs serviteurs, s'en emparent, et ils partent dans leur berline. Il n'y eut sorte d'humiliations qu'ils n'éprouvassent à Blois. Ils descendirent dans un café; la duchesse, la tête haute, alla faire quelques emplettes, accompagnée par ses gen- darmes; elle les fatiguait par sa course légère, quoiqu'elle fût au commencement d'une grossesse. A leur départ, la populace s'attroupa, la vue du duc fut un objet de dérision; les cris ordinaire A la guillotine! » furent hurlés, avec les gloses Il a le cou trop court! Je voudrais bien voir comment on s'y prendra. » Ils soutinrent tout cet assaut avec courage. Quatre jours après, les gendarmes arrivèrent à Pont- Levoy pour emmener leurs victimes ; il fallait prévenir M. de Salaberry. Le supérieur et ses amis y mirent toutes les pré- cautions ; mais il répondit que c'était tout ce qu'il demandait, parut ferme et rassura tout le monde. Les deux gendarmes qui étaient cachés se montrent alors ; il les comble d'hon- nêtetés et veut partir; on fournit des chevaux, il monte dans sa voiture avec Bonvalet et les gendarmes, convient avec sa femme qu'elle le suivra à Paris, et laisse tous ses amis déses- pérés de la sécurité où il est ou qu'il affecte. Il soupe à l'auberge de Blois, envoie chercher son charron, fait visiter et raccommoder sa voiture, pour pouvoir arriver prompte- 1 Cela voulait dire Mont-sur-Gher. C'était une trouvaille du curé consti- tutionnel. Delorme. 192 MÉMOIRES DU COMTE DU FORT DE CllEVERNY. ment au Comité, et les voilà tous les quatre en route à cinq heures du matin ; ils arrivent pour coucher à Êtampes. Cependant, Bonvalet veillait toujours pour la conservation de son maître. Les gendarmes étaient les meilleures gens possible; ils s'intéressaient au prisonnier et le lui témoi- gnaient. Bonvalet les fait souper, les pousse de nourriture et de boisson, et les met dans un état à ne vouloir que dormir. Une fois qu'il sont couchés, il va trouver la servante de l'auberge; il lui dit qu'il doit aller voir une amie, et que, si elle veut laisser la porte de la maison ouverte, il lui donnera un billet de 100 francs; elle accepte. Bonvalet remonte, entend en passant les deux gendarmes ronfler, entre chez son maître, qu'il trouve assis tout habillé auprès du feu; alors il lui dit Monsieur, vous ne savez pas le danger que vous courez en allant à Paris; j'ai gagné la servante, la porte est ouverte, les gendarmes dorment. Suivez-moi; en trois heures, je vous mène à une ferme, au milieu des bois, où vous serez en sûreté jusqu'après l'orage. » M. de Sala- berry répond Quoi! tu veux que je mette ces deux non- ce nêtes gendarmes dans l'embarras? J'en suis incapable; du reste, je défie aucun tribunal de me condamner. » — Bon- valet, éloquent, persuasif, perd une heure de temps sans rien gagner. Hors de lui, désespéré Vous voulez votre perte, monsieur, je vous quitte. Permettez que j'aille trouver votre fils à Paris, et que je le sauve de la mort; je vais y employer tous mes moyens. — Va, reprit Salaberry, et n'aie aucune inquiétude. Cela doit finir par mon élar- gissement. » Bonvalet part, et, à cinq heures du matin, M. de Salaberry, avec ses deux gendarmes, reprend la route de Paris. Suivons Bonvalet. Il arrive rue Basse-du-Rempart, chez M. de Salaberry fils, qui ne se doutait de rien ; Bonvalet, qui avait vu la maison entourée, le prévient; le fils court au Comité où il avait des amis. On lui prépare un passe-port; on le fait sortir par une fausse porte, et il disparaît. M. de Salaberry, en arrivant, se fait conduire chez son QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 193 fils; il ne trouve personne et a l'imprudence de déposer son portefeuille dans une armoire. On le fait monter dans un fiacre et on le conduit au Comité. Il est reçu comme un cri- minel; on s'écrie qu'il est un vrai contre-révolutionnaire; il veut parler, on lui répond que le tribunal en jugera, et l'ordre est donné de le conduire à l'hospice. Ce n'était pas une faveur l'hospice était un dépôt près de la Conciergerie, qui servait lorsqu'elle était trop remplie. Son courage avait été ébranlé d'abord par une telle réception , mais le mot d'hospice le rassure, et, à dix heures, il entre dans cette prison. La première personne qu'il rencontre, c'est madame Roslin d'Ivry, mademoiselle Noguez, qui avait épousé, comme je l'ai dit, le fils de M. Roslin. Elle était veuve avec un fils, héritier de l'immense fortune de M. Roslin, qui, en vue de son décès, avait laissé à ma femme et à ses sœurs toute la substitution; le jeune homme ayant dix-huit ans, malgré une fortune de plus de cinquante mille livres de rente, avait été envoyé à l'armée par la réquisition. Les curateurs à la substitution, pour placer les fonds, avaient acheté la terre de Basville, superbe objet, devenu fameux par le suicide du chancelier Lamoignon au commencement de la Révo- lution. Madame d'Ivry y demeurait, et, ne voulant pas perdre la garde noble, n'avait pas déclaré son mariage avec M. Bel- lecourt, officier de fortune qui avait beaucoup vécu dans les cours d'Allemagne et surtout en Russie, homme intrigant qui jouait, dit-on, un rôle dans les correspondances, soit du roi de Prusse, soit de l'Empereur '. Un beau jour, ils sont enlevés et incarcérés à la Conciergerie. Le lendemain était le jour fixé pour son exécution elle s'y était résignée avec une bravoure sans exemple. M. de Salaberry trouve encore beaucoup d'autres per- sonnes de connaissance. On jouait au whist, au trictrac; tous 1 Angélique-Michel d'Estat de Bellecourt avait servi en Russie de 1783 à 1791. Il avait trente-trois ans, et sa femme trente-six. Wallon, la Terreur, t. III, p. 252. Son nom figure dans le l J elil Almanach de nos grands hommes, par Rivarol D'Estat, jeune poète jue la Russie nous a enlevé il. 13 194 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. étaient résignés. Madame de Grimaldi, ci-devant madame Legendre de Villemorien, mère de M. de Luçay, une des femmes les plus aimables de Paris, était traduite au tribunal révolutionnaire pour un propos indiscret tenu à son jardi- nier ' ; elle s'attendait à son sort, et continuait philosophi- quement la vie quelle avait menée dans le monde. L'injus- tice des jugements avait amené une telle indifférence sur la vie, qu'on enviait de passer les premiers. M. de Salaberry ne tarda pas à prendre le même esprit. Tout ce qu'il craignait était son imagination, et la distraction lui était plus néces- saire que jamais. Cependant Bonvalet ne perdait pas son temps. Le fils évadé, il se chargea de chercher pour le père un bon défen- seur officieux ; il crut l'avoir trouvé. M. de Salaberry approuva son choix l'espérance est ce qui meurt le dernier. Fouquier- Tinville lui avait des obligations directes; lorsqu'il était procureur 2 , M. de Salaberry lui avait rendu des services importants. Bonvalet obtint la permission de voir son maître. Pour madame de Salaberry, logeant en hôtel garni rue des Filles Saint-Thomas, ne pouvant voir personne, craignant tout pour elle, elle était réduite à aller, les après-midi, ache- ter des livres au Palais-Royal, aux galeries de bois. Le défenseur officieux, au vu des pièces, répondit de l'affaire, prétendit qu'elle ne serait rapportée qu'à son tour, et, comme la prison était pleine, que ce ne serait pas de sitôt. Il se fit bien payer et mit Bonvalet dans une sécurité qu'il inspira aux autres. Deux jours après, il apprend que le jugement serait prononcé le soir même; il court chez le défenseur, ne peut le joindre et va prévenir son malheureux 1 Elle avait épousé à Nice, en secondes noces, le 27 août 1791, Joseph, baron de Grimaldi. Elle aurait dit, d'après les dénonciateurs, que si les Prus- siens venaient à Paris, elle leur donnerait les appartements qu'elle avait pré- parés. Elle fut jugée et condamnée à mort le 2 juillet 1794. Wallon, t. V, p. 12. 2 Fouquier-Tinville fut procureur au Ghâtelet de 1774 à 1783, époque à laquelle il vendit sa charge. Après 1783, il n'est plus qu'homme de loi. Cam- paudon, le Tribunal révolutionnaire , t. J, p. 13 et suiv. QUATRIÈME ET DERN1ÈKE ÉPOQUE 1787-1801. 1U5 maître. Celui-ci le savait déjà et lui dit qu'il regrette seule- ment ses amis. Il monte au tribunal et se défend avec une énergie étonnante, mais on lui impose silence. Le malheu- reux Bonvalet le suit, se trouve sur son passage lorsqu'il sort d'être jugé. M. de Salaberry passe à côté de lui, le touche et ne le reconnaît pas il ne voyait plus rien. Il monte alors dans la fatale charrette, et Bonvalet écrit à Blois J'ai vu tomber sa tête occupons-nous de sauver le fils. » Madame de Salaberry était dans une telle sécurité qu'à ce moment même elle était à prendre l'air et chez des marchands; elle ne l'apprit qu'en rentrant chez elle. Inquiet de son sort, j'étais à Blois ce jour-là, et l'on cher- chait à me rassurer; le surlendemain, j'appris par le Moni- teur, nécrologe des assassinats, que j'avais perdu mon ami, et qu'il avait fait une fin digne de son honnêteté. Je le pleurai et le pleurerai toute ma vie. Je ferai mention ici de tous les parents, amis et con- naissances que nous avons perdus pendant ces six mois affreux. M. Dupuis de Marcé, mon cousin, conseiller de grand'- chambre, était incarcéré, ainsi que la tête du Parlement. M. de Saron, premier président, avait signé, ainsi qu'eux tous, une protestation en faveur du Roi. Se voyant perdu, il déposa l'écrit sous une cuvette de marbre de lieux à l'anglaise un valet, son seul confident, le vendit. A l'instant, on saisit ce prétexte pour les envoyer à la mort. Du même coup, je perdis mon cousin, M. de Gourgues ', président à mortier; presque tous les autres étaient de ma connaissance. Us firent une mort superbe, marchant au supplice comme lorsqu'ils allaient à une cérémonie. La religion, la dignité, les avaient soutenus jusqu'à la fin. M. de Sérilly, sa femme, son beau-frère M. de Pange- Domangeville, et M. d'Étigny, son frère, avaient été pris à la terre de Passy, près de Sens, et conduits à la Goncier- 1 Armand-Guillaume-François de Gourgues, président à la grand'chambre depuis 1763, guillotiné, ainsi que les précédents, le 20 avril 1794. 13. 196 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. gerie '. L'histoire du baron de Vioménil avait percé; ils furent jugés et condamnés. Sérilly ne voulut pas se défendre, et, en rentrant à la Conciergerie, il obligea sa femme à décla- rer qu'elle était grosse; il s'éleva entre eux un débat héroïque, et elle ne céda qu'au moment de monter dans la fatale voi- ture. Les hommes seuls furent exécutés; les journaux publics firent seulement mention du jugement, et je ne sus que trois mois après qu'elle était sauvée et libre. J'apprends par une lettre particulière que mon cousin, le président Ghabenat de Bonneuil, venait d'être incarcéré, qu'on le jugeait perdu, et qu'on avait nommé un tuteur à son fils pour sauver sa fortune. Gomme j'étais son plus proche parent, il est aisé de juger quel effet me fit cette nouvelle, jointe à tant d'autres qui m'arrivaient coup sur coup. M. de Sanlot, adjoint à la ferme générale, mais n'ayant été jamais qu'un des membres de la régie des aides, avait toujours entretenu avec moi la correspondance la plus active. Elle ne roulait sur aucun article qui pût nous compromettre, ainsi que celle de M. Sedaine, bien plus rare. C'étaient les seules que j'eusse conservées. Il m'apprend, sans nommer personne, que les fermiers généraux sont incarcérés jusqu'à la fin de leurs comptes. Je n'en connaissais presque plus, excepté M. de Lavoisier, mon voisin, le secrétaire de nos assemblées, homme de premier mérite, et que j'estimais sans être en liaison avec lui. M. de Boullongne était le seul à qui je prisse un grand intérêt; je le connaissais depuis qu'il était au monde, l'amitié que j'avais pour le père était toute transmise au fils, et les soins qu'il nous rendait me le faisaient regarder comme un tendre ami. Il m'avait écrit, un mois avant, qu'il comptait venir nous voir; sa lettre était très-gaie, et je lui avais répondu de même, en l'assurant qu'il serait très-bien reçu, pourvu qu'il vînt avec ses papiers bien en règle. M. de Sanlot m'apprend qu'ils sont tous prisonniers à 1 Voir Pauline de Beaumont, par M. Bardoux. Madame de Beaumont était avec eux à Passy-sur- Yonne et échappa seule à l'arrestation. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 197 l'hôtel des Fermes, qu'ils voient leurs parents, leurs amis, qu'ils n'ont que l'ennui de l'incarcération, et il me dit Boullongne fume deux pipes, l'une de tabac, l'autre de ne plus voyager. » Boullongne n'avait jamais été fermier général que pendant quinze jours. A la mort de son père, il avait cédé sa place à M. Chicoyneau de la Valette, son cou- sin, le fils de madame de la Valette qui venait souvent à Cheverny, et qui était morte il y avait six ans. La Valette n'était pas riche, et il y eut une dispute de générosité à qui serait incarcéré. Boullongne l'emporta. Il croyait que ce ne serait qu'une peine pécuniaire. Tout d'un coup, la corres- pondance habituelle de M. de Sanlot cesse. Me méfiant de tout, je cesse d'écrire. Tout le monde a su l'exécution barbare de ces honnêtes gens. M. de Lavoisier, appelé la veille pour montrer les comptes apurés, est condamné ainsi que les autres. Il les pré- para tous à la mort. Ils firent une fin superbe. Ce pauvre M. de Boullongne fut conduit à l'échafaud dans un état pitoyable l . Riche de cinquante mille écus de rente, d'une figure agréable, grand, bien fait, spirituel et instruit, con- naissant plusieurs langues, excellent musicien et ayant un goût exquis, il finit ses jours à quarante ans. Dans la liste, j'aperçois M. de Sanlot, comme adjoint. Mais sa femme avait remué ciel et terre; ne pouvant le sauver seul, elle sauva les deux autres adjoints avec lui 2 . M. de Sanlot, aussi- tôt revenu chez lui, m'écrivit qu'il se portait bien; je me trouvai mal en recevant la lettre, je le croyais mort. M. de Luçay, fermier général après son père, s'était fixé à Valençay. Renonçant à Paris, il dirigeait les forges de Luçay, et on ne le connaissait plus que sous le titre d'entre- preneur de forges. Mais on voulait avoir la tête de tous les fermiers généraux, et Dupin le député, élevé dans les emplois 1 Le 8 mai 1794. 2 II fut mis hors des débats en même temps que deux autres adjoints, Delahante et Rellefaye. Séance de la Convention du 8 mai 1794. Décret rendu sur la proposition de Dupin.' 198 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. de la ferme, voulait leurs dépouilles entières, de concert avec Robespierre. L'ordre arrive d'incarcérer M. de Luçay à Châtillon l ; on l'y conduit. Il trouve le secret de s'enfuir, et passe trois jours dans sa forêt de Garsendant, à la belle étoile. Que font la municipalité et le comité de surveillance? Ils font saisir madame de Luçay, jeune femme charmante, et l'incarcèrent au lieu de son mari. Si dans trois jours il ne se présente pas, elle est condamnée à mort. M. de Luçay l'apprend par un de ses gardes, chez lequel, mourant de faim, il va prendre un morceau de pain. Il se rend en toute bâte en prison à Ghâtillon ; madame de Luçay sort, va trou- ver Ferry 2 , député dans les départements, inspecteur des forges, et obtient qu'il défendra la vie de son mari. Cepen- dant on conduisait celui-ci au tribunal ; il s'échappe à Selles en Berry. Sa femme, qui revenait de Paris, était sûre que s'il se présentait, il serait absous comme entrepreneur utile à la République ; elle le fait chercher, le rassure, et le mène elle- même à Paris, où il obtient le sauf-conduit le plus sûr 3 . Pendant toutes ces traverses, M. de Luçay avait perdu sa mère, et madame de Luçay avait perdu son père, M. Papil- lon d'Auteroche, le plus digne homme possible. Il avait fait une fin digne de lui, en remettant tout à la volonté de Dieu avec la résignation la plus religieuse. Son frère, Papillon de la Ferté, intendant des menus, vieillard de soixante-seize ans, était mort de même 4 ; tous leurs biens étaient confisqués, mais c'était le moindre des maux. Je vais me dépêcher de tracer tous ces événements, qui me ramènent malgré moi à ce temps affreux. M. Mercier 5 , frère de madame Félix, fermier général retiré, 1 Châtillon-sur-ïndre, qui était alors un district et portait le nom d' Jndremont. 2 Ferry, député des Ardennes, était, avant la Révolution, professeur à l'École de génie, à Mézières. 3 On trouve dans la deuxième édition de la Biographie Michaud y t. XXV, d'intéressants détails sur le dévouement que montra madame de Luçay dans cette circonstance. * Papillon d'Auteroche fut exécuté le 8 mai 1794, et son frère le 7 juillet. 5 Louis Mercier, fermier général, condamné à mort le 14 mai 1794, comme QUATRIÈME Et DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 199 celui qui, après l'assemblée des notables, avait porté trois cent mille livres à M. Necker comme don à l'État, est com- pris dans la proscription ; la tête de ce vieillard de soixante- dix-lmit ans tombe sur Féchafaud. M. le comte de Talaru Chalmazel ! , cordon rouge, mon ami particulier, périt aussi. M. de Vermerange 2 , homme d'esprit, de plaisir et de capacité, se tenait caché à Bagnolet. La proscription arrive; il s'enfuit à Paris, on le poursuit; il se jette d'un cin- quième. Quoique fort gros, il ne se tue pas tout à fait, et va mourir à l'Hôtel-Dieu quatre heures après. Le duc de Villeroi, M. de la Borde, banquier de la cour, le duc du Châtelet, le duc de Biron , le maréchal et la maréchale de Mouchy- Noailles 3 , la duchesse de Gramont, sœur du duc de Ghoi- seul, M. de la Borde, fermier général, avec qui j'avais été élevé, terminent aussi leur carrière. L'effroi, le chagrin, la douleur nous bourrelaient à tout instant. Nous apprenons que madame de Salaberry est incarcérée, que M. et madame Amelot sont aussi sur la fatale liste. Pas un seul jour ne s'écoulait sans que nous apprissions un nouveau malheur. Notre situation à Gheverny était affreuse. Nulle communi- cation avec personne. Le fidèle Jumeau allait à pied chercher les lettres, et nous nous réunissions pendant les longues soirées d'hiver dans une petite pièce, le prieur-curé, sa cou- sine, mon fils, ma femme et moi. Mon fils aîné et sa femme venaient dîner de temps en temps, et mêler leurs chagrins aux nôtres. conspirateur mettant dans le tabac de l'eau et des ingrédients nuisibles à la santé v . 1 César-Marie, marquis de Talaru, né en 1725, premier maître d'hôtel de la Reine depuis 1763, guillotiné le 22 juillet 1794. ' Ou plutôt Veymerange, dont il a été déjà question. On parle souvent, dans le Moniteur de 1793 à 1797, d'une créance de la Nation sur un M. de Veimerange, ancien ami de Galonné et fermier général. Je ne crois pas que ce soit le même. 3 Philippe deNoailles, duc de Mouchy,né en 1715, guillotiné le 27 juin 1794. 11 avait été connu jusqu'en 177 j sous le nom de comte de Noailles. Il était maréchal de France depuis 1775. Sa femme, Anne-Claude-Laurence d'Arpajon, monta sur l'échafaud avec lui. 200 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. M. le vicomte de Beauharnais, pris et innocenté, s'était retiré dans sa terre, à six lieues de moi. Il avait, malheureu- sement pour lui, joué trop de rôles; il avait été général en chef, nommé au ministère de la guerre, président de la Con- vention. Il se présente au cluh de Blois, s'entend injurier, prend lui-même sa défense et se croit sauvé. Il loue dans ma rue à Blois une petite maison, et, comme plusieurs ouvriers nous étaient communs, il me fait faire mille amitiés et m'an- nonce qu'il viendra me voir. Les temps étaient bien changés ; je l'avais estimé, et je ne l'estimais plus l'ambition lui avait tourné la tête. Il assurait pourtant qu'il en était bien revenu, et il se croyait inattaquable par sa liaison avec Barère et Vadier. J'eus le courage, vu les circonstances, de lui faire savoir que je ne pouvais le recevoir; il se le tint pour dit. J'apprends quinze jours après qu'il est conduit en arrestation aux Carmes, et, quinze jours ensuite, qu'il a laissé sa tête sur l'échafaud ' . Dulièpvre, mon voisin, vendu aux Jacobins, faisait tout ce qu'il pouvait pour s'introduire chez moi, et m'importunait pour avoir des nouvelles. Je lui communiquais celles que je recevais; mais lorsqu'il y en avait de meilleures, il les ren- voyait ou demandait qu'on ne les lui fît pas passer. Il eut le courage de venir me trouver dans ma retraite, le jour où j'appris la mort de M. de Salaberry; il vit mes larmes, mon désespoir; mais sa vue me fit reprendre ma fermeté. Il venait se plaindre de ce que, vu la disette de Blois, il mourait de faim, et j'eus la bonté de lui offrir du pain qui me restait, quoique j'eusse plus de trente personnes à nourrir journel- lement. Nous apprenons qu'il est chargé par Hézine, procureur du district, d'épurer les autorités de Gheverny. Il a l'audace de faire cette épuration tout seul, dresse un état de tous les sujets en place, et met des notes à l'un mauvais citoyen, a l'autre attaché aux ci-devant, etc. Il présente une liste faite 1 Le 23 juillet 1794. QUATRIÈME ET DEKN1ÈRE ÉPOQUE 1787-1801;. 201 par lui, où il se désigne comme maire et nomme tous les plus enragés jacobins pour renouveler les autorités. Dès que cette manœuvre fut connue, toute la paroisse se souleva, et avec raison. On voulait chasser le curé, qui, par religion, tenait à son troupeau. Il avait eu beau prêter son ferment, on ne voulait plus de Dieu ; les diables étaient déchaînés. Nous eûmes toutes les peines du monde à le déterminer à fuir dans sa famille à Beaugency. Il fit d'autant mieux que, dans la semaine, des ordres furent donnés pour l'enlever. Je recueillisses meubles; la municipalité s'empara de sa maison et y fit ses orgies. Cependant, la lutte s'établit entre la municipalité et Dulièpvre. On convoque une assemblée; il veut; forcer l'élection en sa faveur, tous s'y opposent; grand bruit. Il déclare que cette opposition vient de plus haut, et qu'il saura en triompher. J'avais des gens qui m'étaient dévoués dans les deux bourgs. On vient m'avertir qu'on doit m'incarcérer; je reste passif. Mon boucher, Etienne Limousin, à qui j'avais donné secours dans la première insurrection, vient me trouver. Il m'avertit qu'on machine contre moi. — Hézine était venu à Cour faire des orgies dans lesquelles il avait dit S'il y avait encore un curé à Cheverny, on s'en prendrait à lui. C'est donc maintenant à votre ci-devant comte. » On veut prendre mon parti en disant que je ne m'étais mêlé de rien ; il se fâche et les traite d'aristocrates. Au café, il dit, en regardant Je château Voilà un beau château! il m'offusquera jusqu'à ce qu'il soit à la Nation. » Dulièpvre va continuellement à Blois, revient et menace de venir se faire installer avec deux cents gendarmes qui vivront aux dépens de la commune. Je réponds à Limousin que je ne me mêle de rien, que je ne crains rien, et que j'attends l'orage. Je m'étais préparé une retraite où j'aurais pu vivre déguisé je dédaigne de m'en servir. La vie d'un proscrit qui se cache est pire que la mort, et, à mon âge, ne pouvant ni m'habiller ni me déshabiller, je regardais cette existence comme le plus dur supplice. 202 MÉMOIRES DU COMTE DUFOKT DE CHEVERNY. Six jours se passent. Tous les matins, nous nous disions, ma femme et moi Encore un jour de passé! » Et, insen- siblement, nous nous persuadions que c'était une fausse alarme. Enfin, le jeudi 22 mai 1794, ou 3 prairial an II, je me lève à mon ordinaire, et sors tout habillé à sept heures du matin. J'entre chez mon jardinier; sa femme m'annonce que deux gendarmes sont arrivés à six heures et se sont ren- dus chez Dulièpvre. Je ne fais aucune question, et je rentre faire part de cette nouvelle à ma femme et à mon fils. Je ne tardai pas à être instruit qu'on avait présenté Tordre d'arres- tation à Dulièpvre, sans lui dire à qui il s'appliquait; qu'il avait été pris d'une forte émotion en ouvrant le paquet, croyant que c'était lui qu'on venait chercher, mais qu'après la lecture il s'était rassuré et avait couru à la municipalité de Cour. Là, sans vouloir s'expliquer, il avait demandé de la cire pour mettre les scellés, et était venu à la municipalité de Gheverny prendre avec lui Michel Guibert, procureur de la commune, menuisier, à qui j'avais fait apprendre son métier, et qui m'était fort attaché. Il avait aussi requis mon serru- rier, le nommé Cambon, du comité de surveillance, à qui il avait tourné la tête. Je fus prévenu une heure avant. Tous mes effets pré- cieux étaient cachés; mon bureau vide, excepté de papier blanc. J'employai l'heure qui me restait à brûler jusqu'aux papiers les plus inutiles. Dulièpvre et ses deux acolytes, ainsi que les deux cavaliers de la maréchaussée, ne tardèrent pas à arriver. L'un de ces derniers avait été chez moi domes- tique de M. de Barassy pendant dix ans, et m'était fort atta- ché; je connaissais l'autre comme un fort galant homme, jadis sous mes ordres, comme les autres de la province. Dulièpvre, avec sa voix aigre, après avoir débuté par le mot de citoyen, me fit ses excuses sur la commission désagréable dont il était chargé; je le priai d'en finir, et il me lut alors un ordre d'arrestation pour me conduire aux Carmélites, ainsi que le citoyen Rancogne, en vertu d'un ordre du Comité de salut public, le tout signé Hézine. Sans me le QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 203 remettre, il me dit qu'il devait poser les scellés, qu'il me priait de le conduire là où c'était nécessaire, qu'il ne savait pas la forme du procès-verbal, et qu'il me priait de l'aider dans la rédaction, espérant que je voudrais bien le signer ensuite. Je lui répondis que je signerais quand j'aurais lu, mais que je n'étais pas accoutumé à pareille besogne. Cependant mon fils Gourson était descendu, et j'avais envoyé chercher mon fils aîné et sa femme qui étaient chez eux au Breuil ; ils arrivèrent à l'instant. Ma femme, qui depuis trente ans n'avait jamais été séparée de moi, était dans un état affreux, quoiqu'elle y mît tout le courage possible. Nous commentâmes les termes de l'ordre d'arrestation, qui por- tait que je serais mené aux Carmélites. Ma femme demanda à Dulièpvre Mais, monsieur, croyez-vous que l'on va mener mon mari à Paris au Comité? » Dulièpvre n'adoucit pas sa voix, mais prend un ton piteux pour répondre Oui, citoyenne. » Ces deux mots retentirent à nos oreilles. Ma femme court alors aux cavaliers et leur demande si tels sont leurs ordres ; ils répondent qu'il n'en est pas dit un mot, et que les ordres sont donnés pour me recevoir aux Carmélites. Dulièpvre me pressant pour poser les scellés, je les menai tous dans mon cabinet; je leur ouvris mon bureau, une armoire dans la bibliothèque et tous les tiroirs. Quoiqu'il n'y eût rien, il voulut y mettre les scellés. Il fait de même dans ma chambre à coucher et dans le chartrier. Il entre dans la lingerie; la femme, mademoiselle Lagarde, lui ouvre les armoires, il se plaint qu'il y a très-peu de linge, et il avait raison ; il y avait plus de trois mois que presque tout avait été caché. On lui répond Voilà tout! » Duliè- pvre reprend Ah! il est caché; mais nous saurons bien le faire retrouver. » Enfin, les cavaliers lui disent qu'il en fait trop. Il redescend au salon, et le voilà à faire son procès- verbal. J'ai dit que c'était l'homme le plus diffus que j'aie connu, glissant à chaque phrase des mots de son pays. Il n'en finissait pas, et sa présence nous était à tous exécrable. Je fus obligé de lui faire simplifier son procès-verbal et de i>04 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. retrancher de vraies bêtises. Le voyant fini, je le signe; il le serre et s'en va, me recommandant à ses gendarmes. Pour en être plus tôt débarrassé, je ne lui demande aucune copie. Dès qu'il fut parti, les gendarmes me dirent que je pou- vais vaquer à mes affaires, qu'ils ne me suivraient même pas, leurs ordres étant seulement de me conduire dans la journée aux Carmélites, et ils me proposèrent de partir à six heures. Je ne sais comment sont les autres, mais pour moi je ne puis souffrir l'incertitude. Je leur répondis que je partirais dans ma berline à trois heures précises, et ils me dirent qu'ils m'accompagneraient de loin. Je les remerciai, et j'ajoutai que j'étais accoutumé jadis à les voir m'accompagner, — il est vrai que ce n'était pas pour aller aux Carmélites, — mais que je ne m'en estimais pas moins. Ils descendirent à l'office où on les traita, et moi, je vaquai dans ma basse-cour et mon parc comme si rien n'était arrivé; nous dinâmes en famille. A trois heures, ma berline, avec quatre chevaux et deux postillons, était prête; j'y montai avec ma femme, sa femme de chambre et mon laquais. Mon fils aîné et sa femme s'en retournèrent tristement chez eux, et je laissai mon second fils pour soigner la maison et empêcher que tout ne fût au pillage. Mon arrestation avait fait dans tout le pays une sensation étonnante. Quand nous passâmes dans les deux bourgs, tous les passants pleuraient ou se cachaient; pas une personne dans les rues; toutes les portes et les fenêtres étaient fermées comme en pleine nuit. Les cavaliers me suivaient à un quart de lieue de distance. Pour Dulièpvre, muni de son procès-verbal et d'un trousseau de cinq clefs, il me suivait aussi de loin, pour rendre compte à Hézine et jouir de son triomphe. Comme je logeais dans la rue des Carmélites, vis-à-vis ma prison, je me fis descendre chez moi. J'observai sur le quai que tous les passants me regardaient avec une espèce de terreur, et que les personnes de ma connaissance s'enfuyaient. Nous arrivâmes chez nous comme si la rue QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 205 avait été déserte. Un gendarme resta en bas, et l'autre, après être allé rendre compte de sa mission à Hézine et prendre des ordres, revint m'annoncer qu'il devait me déposer aux Carmélites, et que j'avais une heure à moi. Ma position était si triste, ma femme était si affectée, que pour nous dérober l'un et l'autre à une si triste situation, je n'hésitai pas à me rendre à l'instant à ma demeure forcée. La porte s'ouvre, j'entre dans la cour et de là dans la chambre du concierge. C'était un nommé Masare, ancien geôlier de la prison, et au demeurant le meilleur homme pos- sible; sa femme, née à Cour, était avare et revêche, mais elle avait tant de considération pour ceux qui pouvaient la payer qu'ils ne s'en apercevaient pas. Pendant que l'on faisait mon écrou, un grand jeune homme d'une jolie figure m'adresse la parole d'un air riant Citoyen, me dit-il, per- ce mettez que je vous demande de vos nouvelles. Je ne puis pas cependant vous féliciter de nous retrouver ensemble ici. » Du premier coup d'œil je l'avais reconnu pour le fameux Rochejean, grand vicaire terroriste, qui avait alors un procès criminel. Mais il était mis en cavalier, et c'était une raison pour que je pusse avoir l'air de ne pas me souvenir de lui. Je lui répondis donc Monsieur, par- ce donnez-moi , mais je n'ai pas l'honneur de vous con- naître. » — Citoyen, je suis Rochejean », répondit-il. Alors je lui fis plusieurs questions auxquelles il répondit très- sagement. Masare s'offrit pour m'accompagner à mon logement et me fit passer par l'église, par une petite cour. Après avoir monté quatre marches, je me trouvai dans une espèce de cuisine à une croisée, et en montant deux marches de plus, dans une assez grande pièce éclairée par trois croisées don- nant sur un grand jardin. On me dit que c'avait été l'infir- merie ou la lingerie des religieuses. Pendant ce temps, mon domestique, nommé Simon, me dressait un lit de fer qui me servait chez moi, et presque tous mes gens m'apportaient tout ce qui pouvait m'être utile, entre autres une espèce de 206 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY buffet noir immense, que je n'aurais pas regardé en tout autre temps, et qui nous fut d'une grande utilité. Il y avait alors dans cette prison le prieur de Cour dont j'ai parlé, et l'abbé Boutault, ci-devant prieur l du collège de Blois, le plus respectable et le plus probe des hommes, ayant l'esprit simple comme un enfant, et ayant élevé tous les honnêtes gens de la ville. Les terroristes prétextaient qu'il n'avait pas fait son serment, quoiqu'il prouvât qu'il s'était retiré avant, et, malgré cela, avait offert de le prêter. Craignant la mort ou la déportation, il s'était caché pendant quatre mois ; mais ayant peur de compromettre les siens, il alla se présenter aux autorités, et, à l'étonnement et au déses- poir de toute la ville, il fut conduit à la grande prison après mille opprobres. Il y avait deux mois qu'il était renfermé aux Carmélites où on le laissait plus tranquille. Avec eux était Gidouin, l'exécration de tout le pays, qui avait un procès criminel sur le corps; le reste était des gendarmes et des prisonniers, condamnés à des temps déterminés d'incar- cération. Le curé et M. Boutault s'empressèrent de me tenir com- pagnie; ils se plaignirent fort d'avoir fait ordinaire avec Gidouin, qui, à tout instant, décelait sa mauvaise âme, son impiété et son inimitié contre les prêtres. De temps à autre il était interrogé, et ne revenait jamais sans leur annoncer les malheurs auxquels il les croyait destinés; il ne se réjouissait que lorsqu'il leur faisait des récits de toutes les atrocités qui se passaient alors. Ce qu'il y avait de plus étrange, c'est qu'il avait été élevé dans le collège dont M. Boutault était supé- rieur, et qu'il n'avait eu, comme tous les autres, qu'à s'en louer. Rochejean et Gidouin vinrent me faire visite séparément. La conversation fut générale, comme entre gens qui vont faire une route longue dans un vaisseau ou dans une voiture 1 Ou plutôt principal, car le collège de Blois n'était pas dirigé par une con- grégation. L'abbé Boutault avait quitté la direction du collège en 1790, Histoire de Blois, t. II, p. 548. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 207 publique. Au bout de deux heures, je vis arriver M. le mar- quis de Rançonne, mon ami, de vingt ans plus jeune que moi. Il avait passé autrefois sa vie à Cheverny, mais depuis deux ans ces temps affreux l'avaient empêché d'y revenir. Dès qu'il arriva, nos compagnons nous laissèrent discrète- ment. Il me conta qu'on était venu le prendre tandis qu'il était à Ghâteaurenaud; qu'en arrivant, et en apprenant l'arrivée des gendarmes, il s'étaitrendu chez lui; que le gen- darme qui était chargé des ordres s'était comporté envers lui avec la plus grande insolence; qu'il était parti avec eux à cheval le plus tôt possible, et qu'il n'avait ni domestiques, ni rien. A l'instant, nous pourvûmes à tout. Il avait dans une maison de la rue des meubles que l'on apporta, etnous cou- châmes vis-à-vis l'un de l'autre. Pendant tout cet arrange- ment, nous parcourûmes la maison; car, une fois entré, on était libre d'aller partout. Il y avait un cloître en bas, un dortoir en haut, des décombres partout, cinq ou six petites cours, un jardin et des greniers immenses dont la vue, assez belle, était libre. Nous cherchâmes ensuite à nous rendre compte de notre position. L'ordre de nous arrêter ensemble paraissait sans motif; nous vîmes nos écrous, ils étaient pareils. Les gen- darmes disaient nous avoir remis à Masare, concierge, et le concierge signait nous avoir en dépôt. Tout cela était peu rassurant, et M. de Rancogne me confia qu'il avait une petite fiole d'opium, dont nous pourrions nous servir en cas de besoin; nous allâmes la cacher dans des décombres. Nous avions l'âme triste et la tête échauffée. Rochejean chercha tous les moyens de se rapprocher de moi; il vint nous faire une longue visite. Doux, poli, honnête, il parla littérature, anglais, italien, comme un homme qui savait les langues plus par théorie que par pratique; il nous raconta qu'il avait été Oratorien, qu'il était né à Salins. Enfin, il fit toutes les avances; et nous restâmes dans la mesure la plus sage. Simon, mon domestique, était décidé à ne pas me quitter. 208 MÉMOIRES DU COMTE DLJFORT DE CIIEVEK1NY. Il y avait dix ans que j'avais été attaqué d'un rhumatisme dans les reins depuis, je ne pouvais ni me chausser, ni me coucher seul. On n'avait pas la permission de le recevoir; il la prit, de concert avec le concierge. Voilà donc son lit roulé dans la première pièce, et à neuf heures précises arrive le souper, porté par mon fidèle Jumeau et un autre domestique, auxquels on permet de parvenir jusqu'à nous. Revenons à ma femme. Quand je lus entré aux Carmé- lites, elle resta dans la stupéfaction et dans le désespoir pendant plus d'une heure. Elle était abandonnée de tout le monde, et nos voisins, qui nous avaient quelques obligations, étaient menacés d'incarcération s'ils la voyaient. Elle prend son parti; elle, qui n'était de sa vie sortie seule, court chez M. Baron et madame delà Gondinaye. — Madame Baron était morte d'une fièvre maligne précisément le jour de l'exécution de M. de Salaberry. — Son entrée les consterna; sept ou huit amis y étaient assemblés, dont mademoiselle de Laduye, et l'on faisait les réflexions les plus tristes sur mon incarcé- ration et celle de M. de Rancogne; on parlait de M. de Laduye qu'on disait avoir été arrêté le lendemain, ainsi que mon fils aîné; de M. le marquis Hurault de Saint-Denis , au sujet duquel on faisait courir le même bruit. Toute la ville en était consternée, mais on n'osait rien témoigner. Elle fond en larmes, prie qu'on la mène à Hézine, aux autorités. On la console, on tient conseil, et l'on décide que, comme made- moiselle de Laduye a aussi à solliciter pour son frère 2 , elles iront ensemble voir Arnaud, le maître de pension, un des agents les plus ardents du comité. — Mademoiselle de Laduye le connaissait. Elles vont donc chez Arnaud, il n y était pas; deux heures se passent, et ma femme revient chez 1 Anne-Raoul-Marc, marquis de Saint-Denis, chevalier de Saint-Louis, capitaine au régiment de Caraman. Il avait été président de l'assemblée de la noblesse des bailliages de Blois et de Romorantin a l'élection de 1789. H était fils de David-Nicolas et d'une demoiselle de Beaumont. 2 On trouve au Catalogue de 1789 bailliage de Blois, Michel-François- Marie-Louis de la Fon de Laduye, écuyer, ancien capitaine de cavalerie au régiment de Berry, seigneur de la Picardière. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 209 elle se coucher après la soire'e la plus affreuse; elle ne peut dormir, et le lendemain elle est levée à cinq heures du matin. J'oublie de raconter que M. Olavidès, comte de Pilos, mon ancien ami l , s'était retiré avec son aumônier, M. Plas- siard, de l'Ordre de Saint-Lazare, au château de Meung, que M. Lecouteulx du Moley avait acheté et qu'il lui avait cédé. M. Plassiard m'avait écrit, il y avait un an, parce qu'il était inquiet d'un mal au pied pour lequel on craignait la gan- grène j'y avais couru. M. du Moley y était avec un médecin de Paris, et je m'en revins au bout de deux jours totalement rassuré. Nous nous écrivions souvent, et, comme Meung était un passage, je lui avais offert de se retirer avec moi. Cet homme respectable avait placé toute sa fortune en rentes viagères sur la Ville de Paris, mais, quoique naturalisé Fran- çais 2 , il se trouva englobé dans la proscription portée contre les étrangers. On avait saisi ses rentes, et pour mettre le comble à la violation de tous les procédés reçus, un ordre du Comité de salut public lavait fait incarcérer à Beaugency huit jours avant moi; je le savais lorsque je fus conduit aux Carmélites. Je reviens à l'incarcération. A peine le jour parut, que nous fûmes réveillés. Nous nous aperçûmes que notre pre- mière porte ne fermait pas, que la chambre était décarrelée, les murs dégradés, et, comme nos logements avaient servi à mettre des fourrages à la Nation et à loger pêle-mêle les gardes nationaux qu'on punissait, nous nous trouvâmes couverts de puces. Je portai mes plaintes à Masare. A 1 L'auteur n'a pas parlé d'Olavidès depuis le mois d'avril 1790. Bien peu de temps après cette époque, Olavidès, d'après M. Georges Escande qui lui a consacré deux longs articles dans la République française des 6 et 13 mai 1884, aurait fait partie de la députation de proscrits de tous les pays qu'Anacharsis Glootz, l'orateur du genre humain, conduisit à l'Assemblée nationale le 19 juin 1790. Je n'ai pu vérifier le fait, et le Moniteur ne donne pas les noms des manifestants. On voit, en tout cas, que son enthousiasme pour la Révolu- tion ne lui avait pas servi de sauvegarde. 9 II y a erreur de date. Le décret est du 26 vendémiaire an III 17 octo- bre 1794. Il porte que Paul Olavidès, dit Pilos, sera considéré comme citoyen français. ". 14 210 MÉMOIRES DU COMTE DTJFORT DE CHEVERNY. l'instant, le chirurgien de la maison, le nommé Delestre ', officier municipal, se présente il eut l'air de ne pas me connaître. Il vit les réparations et dit qu'on allait y pourvoir. Je fis voir que la porte ne pouvait se fermer, on me répondit que j'étais le maître de me fermer. Aussitôt, j'envoyai acheter une serrure de sûreté à trois clefs, et elle fut posée, non par mon serrurier, mais par celui de la maison, un des plus enragés clubistes. Tout avait pris une teinte sauvage vis-à- vis de moi; on tremblait de me parler. Je ne disais mot, mais je pensais avec raison que nous étions menacés de quelque malheur. Telle fut notre vie pendant les premiers dix jours. J'avais le bonheur de voir mes domestiques aux heures des repas, et on les multipliait à trois par jour. Nous devions ces bons procédés à nos manières généreuses vis-à-vis de nos gar- diens. Rochejean venait tous les jours, tout habillé et décem- ment, dès neuf heures du matin, et le soir à quatre heures; on causait sciences, histoire; nous avions les gazettes, nous les lisions sans aucun commentaire, et chaque fois qu'il nous quittait, nous nous interrogions pour voir s'il pouvait faire, d'après les paroles échangées, quelque dénonciation contre nous. C'était une cruelle nécessité que de vivre avec un homme que nous craignions nous le jugions peut-être trop sévèrement, et je le pense. Je lisais les voyages de Bruce 2 , je les lui proposai; il les lut avidement, ce qui nous débarrassa de sa présence pendant quelques heures par jour. Ma malheureuse femme n'avait pas dormi la première nuit de mon arrestation. A sept heures du matin, elle était chez Hézine; il était au Directoire. Elle y court et lui demande de me voir; il lui refuse; enfin, pour s'en débar- rasser, il lui dit que cela dépend du comité de surveillance; 1 11 se nommait, je crois, Gaudicheau de Lestre. Il y avait à Blois, avant la Révolution, trois chirurgiens de ce nom, le père, ancien chirurgien-major , inspecteur des hôpitaux militaires, et ses deux fils. Calendrier liislorique de F Orléanais. 2 Voyage pour découvrir les sources du Nil, traduit par Casteiu. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 211 elle s'y présente, — elle n'en connaissait pas un. — Arrive le président, le maître de pension Arnaud; il l'écoute sans la regarder et lui répond Citoyenne, nous ne le pouvons pas; nous attendons les ordres ultérieurs du Comité de salut public sur ces citoyens. » Si elle avait su dans le moment ce que cela signifiait, et l'espoir que ces messieurs formaient de nous faire conduire au Tribunal révolutionnaire pour s'emparer de nos biens, nous aurions été à l'instant en fuite. Heureusement que l'idée ne lui en vint pas. Elle demanda si Hézine avait sollicité comme il l'avait promis. Il lui fut répondu Pas un mot, citoyenne. » Elle retourne au Directoire, où Hézine était en tête-à-tête avec Dulièpvre; elle interpelle ce dernier pour qu'il rende justice à ma con- duite ; il reste muet. Elle demande que mon domestique Simon reste pour me soigner, disant que, sans cela, il faut que je reste au lit. On renvoie cette demande à la munici- palité. Elle sort désespérée, quoiqu'elle eut vu sur tous les visages, même des plus enragés, l'intérêt et l'effroi qu'inspirait notre position, et elle s'en retourne chez elle. Au détour d'une rue, elle entend la voix aigre de Dulièpvre qui l'appelle Citoyenne! Citoyenne! » Elle se retourne et l'attend. Citoyenne, je vous jure, dit-il en l'abordant, que j'ai bien pris votre parti... » Elle ne répond mot. Citoyenne, ajoute-t-il, il faut que je vous confie un secret. Hézine vient de donner l'ordre de poser les scellés sur vos caves à Gheverny. — Comme on voudra, répond-elle, la nation peut s'emparer de tout, pourvu qu'elle me laisse voir mon mari; mais quoi, sur tous nos vins? Je vous pré- viens que j'ai du vin de Malaga dont il ne se sert que lors- qu'il a des attaques de goutte dans la poitrine. — Oui, citoyenne, c'est pour les hôpitaux. — Mais il y a des eaux, et surtout des eaux de Vichy. — Ah ! des eaux, c'est diffè- re rent; vous pouvez les prendre. » Elle lui tourne le dos et revient chez elle. Jumeau venait de partir pour Cheverny; nul moyen de le prévenir. Dulièpvre court à Cheverny, il prend le sommelier Etienne, examine tout et veut mettre les 14. 212 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. scellés; mais comme il y avait une collection de vins fins dont le moins ancien avait dix ans, le sommelier lui repré- sente qu'il faut la veiller; alors, au lieu de mettre les scellés, il veut prendre les clefs; autre dispute. Gomme il n'avait que des ordres verbaux, l'opposition de tous mes gens et de mon fils le força de lui laisser les clefs sous sa responsabilité, et il s'en alla avec la malédiction générale. Ma femme envoya le lendemain chercher plusieurs caisses, remplies des vins les plus précieux, qui furent déposées chez nous à Blois. Cependant, la ville commençait à se rassurer sur mon compte ; tout le monde était attendri sur notre sort, et comme les autres arrestations annoncées n'avaient pas eu lieu, ma femme eut toute l'après-midi beaucoup d'honnêtes personnes qui s'offrirent à lui tenir compagnie. Elle n'ac- cepta qu'une mademoiselle Martin, fille de nos âges, bien apparentée dans la ville, et qui dès lors lui tint compagnie à demeure. C'est ici le moment de faire le portrait de ma femme. Jadis d'une figure superbe, de mœurs irréprochables, ayant un air imposant, et extrêmement bonne, sa conduite lui avait acquis la considération générale. J'avais toujours été au-devant de ce qui pouvait lui faire plaisir, et, entourée d'amis, elle vivait avec l'aisance de son rang. Tout à coup, seule, isolée, désespérée de notre séparation, il fallait qu'elle courût aux autorités pour essuyer des refus de gens sans éducation. Je ne m'étais pas, non plus qu'elle, sali avec personne; les mots de citoyens, de solides mâtins, les tutoie- ments nous étaient étrangers. Jamais nous n'avions arboré aucun de ces accoutrements civiques que tous mettaient alors; nous étions habillés, poudrés, vêtus comme dans l'ancien régime, montrant de la bonté à tout le monde, mais jamais aucune familiarité. Les circonstances et son cœur l'obligeaient coup sur coup à des démarches bien loin de ses habitudes. Enfin elle s'adresseà la municipalité. Au bout de trois jours, je reçus la permission de garder mon Simon sous la déno- QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 513 mination d'aide. Elle s'e'tait avisée de dire un domestique, mais un enragé avait bien vite su lui répondre qu'un citoyen français^n 'était point un domestique, mais un aide. Je n'en fus pas du reste privé un instant, car, avant cette permission, il venait à six heures du matin et ne s'en retournait qu'à dix, après [que nous étions couchés. Nous pouvions dire jusque-làque notre position était à l'eau rose. La situation de ma maison dans la même rue et presque vis-à-vis, la liberté, que nous avions achetée il est vrai, de recevoir trois fois parjour quatre ou cinq de mes gens, qui se chargeaient chacun d'un plat ou d'une bouteille pour avoir prétexte d'entrer, nous donnaient des relations continuelles avec l'extérieur. Jumeau, qui pouvait entrer à chaque instant, adoucissait autant que possible notre séparation. CHAPITRE XXIV Arrestation de la marquise de Flamarens. — Toujours la prison de Blois. — Convois de prêtres déportés. — Les occupations des prisonniers. — Nou- veaux venus MM. du Bue, ttobbé de Lagrange, Dinoeheau. — Le trésor des Capucins. — Le docteur Gautliier. — La fête de l'Etre suprême. — Amours télégraphiques de M. Robbé. — Une lunette indiscrète. — Des- maillot. — Arrestation de Velu, Arnaud et Hézine. — Ils sont envoyés au Tribunal révolutionnaire. La marquise de Flamarens, dont il faut que je fasse ici mention pour me reposer, était dans une bien plus fausse position. Nièce de M. de Maurepas et de feu l'archevêque de Bourges, elle n'avait jamais habité avec son mari, et elle avait fait les honneurs de la maison de M. et madame de Maurepas jusqu'à la mort du premier ministre. Elle se con- sacra alors à tenir la maison de l'archevêque de Bourges son oncle. Son âme avait besoin de s'attacher; sans enfants et fort riche, elle prit une nièce de son mari, mademoiselle de Grossolles, à l'âge de six ans, et lui donna une magnifique éducation. J'étais l'ami de collège de son oncle, qui de plus était mon voisin à Herbault en Sologne; nous fîmes une liaison intime, et nous lui procurâmes la connaissance de M. et madame de Gauvilliers. L'archevêque institua sa nièce sa légataire universelle. Elle hérita d'un superbe hôtel à Paris et de ses droits sur la terre d'Herbault ; mais quoi- qu'elle y eût fait, du temps de l'archevêque , beaucoup d'embellissements, la terre fut mise en licitation. L'arche- vêque avait un frère, ancien officier, qu'on avait fait gou- verneur du château de Blois. Il avait jadis été enfermé pour avoir voulu épouser la fille du bourgmestre d'un village où QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 215 il avait été en garnison '. Il l'avait épousée trois mois avant la mort de l'archevêque et en avait eu une fille. Madame de Flamarens, assez riche pour acheter Herbault, fit venir presque tout son mobilier qui était immense; il fut déposé chez M. de Gauvilliers. La terre fut vendue, mais par la maladresse du procureur et des gens d'affaires, madame Phélipeaux l'eut pour son compte et fit ainsi la fortune de sa fille. Cependant, madame de Flamarens, qui regardait made- moiselle de Grossolles comme son héritière, m'avait fait des propositions pour la marier avec le marquis de Toulongeon, mon petit-fils. Les deux jeunes gens étaient du même âge; c'était deux ou trois ans à attendre. Mon petit-fils, comme aîné, avait une substitution de soixante-quinze mille livres de rente en terres, en Franche-Comté, dont Ghamplitte était le principal objet. La Révolution arrive, tout se rompt. Madame de Flamarens veut établir sa nièce. M. le marquis du Saillant 2 , neveu des Mirabeau, est sur les rangs; on se donne parole. A peine est-ce fini qu'il émigré. Voilà madame la marquise de Flamarens et sa nièce isolées, ayant des terres et des biens immenses, mais pas une habitable. L'effroi se met dans Paris. La vieille madame de Maurepas, sourde et mourante, ne se doutait de rien ; tout fuit, excepté elle; madame de Flamarens et sa nièce se déguisent, pren- nent un fiacre et arrivent ainsi à Blois. La Terreur alors n'était pas encore venue, puisque c'était vers le 10 août. Ayant des passe-ports, elle loue une petite maison dans la rue des Carmélites, et elle tâche de se faire oublier. Elle se détermine ensuite à louer une maison assez belle où logeait le gueux d'Arnaud, le maître de pension, elle espère s'en faire un bouclier; ce n'était qu'un traître. Madame de Gau- 1 On a déjà donné les noms du mari et de la femme. Le mariage avait eu lieu à Neuvy, près Herbault, le 7 août 1780, à huit heures du soir. 2 Jean-Charles-Aimé-Victorin de Lasteyrie, comte du Saillant, qui fut colonel de cavalerie, chambellan de Napoléon I er et préfet. Sa mère, Elisa- beth-Charlotte de Riquetti de Mirabeau, était la sœur aînée de Mirabeau. 216 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVEKINY. villiers la sert de son mieux, la recevant au Guélaguette. Pour nous, nous ne communiquions avec elle que rarement. Dans le moment de la Terreur, on vient la chercher de Paris 1 , et on l'emmène en prison avec sa nièce. Elle n'en sortit qu'au 9 thermidor et rentra dans tous ses effets. Enfermée avec tous les gens les plus marquants de la France, elle tint table ouverte en sortant et les reçut chez elle. Par malheur, mademoiselle de Grossolles, tourmentée sans le vouloir faire paraître par tous ces événements, est atteinte d'une fièvre maligne et meurt le huitième jour, tout habillée, croyant n'avoir qu'un simple mal de gorge, sans avoir été alitée plus d'une heure. Elle était âgée de dix-huit ans. Un événement comme celui-là attaqua rudement le cœur et la santé de cette dame tendre, bienfaisante, et très-attachée à une enfant qu'elle regardait comme sa fille. Elle changea tous ses projets; elle se décida à abandonner tout à fait la ville de Blois, fit revenir tous ses effets, et resta à Paris où elle vit encore. Il n'y avait sorte de soins et d'amitiés que ne me rendît M. de Rancogne. J'étais plus vieux que lui, et il me traitait comme un ami qu'il faut soigner. L'abbé Boutault et le prieur Delarue venaient causer. Gidouin, poli et honnête, nous fuyait et se tenait à une distance respectueuse que nous entretenions par beaucoup de politesse. Pour Rochejean, il venait soir et matin, et sa conversation était du meilleur ton. M. de Rancogne, jouant du violon, fumant, donnant dans les sciences, dans les mathématiques et dans la physique, se détermina à faire venir son microscope solaire. En deux jours notre prison prit l'air d'un atelier de musique et de sciences. Les expériences microscopiques nous prirent deux heures, et nos quatre compagnons y assistèrent régulière- ment. Gidouin jouait assez mal du violon; faute d'autre, il 1 C'étaient, dit Y Histoire de Blois t. I, p. 232, une douzaine d'hommes de mauvaise mine se disant commissaires de la section du Bonnet rouge. On attribua généralement cet enlèvement à des vengeances particulières. Il eut lieu en février 1794. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 217 prit le second violon, et lui et M. de Rancogne y employè- rent une heure le matin, autant le soir. Nous passions le reste du temps sur nos lits, soit à lire, soit à dormir; nos repas étaient réguliers, et nous attendions ce moment avec impatience, parce que Jumeau et les autres nous rappor- taient les nouvelles de la ville. Cependant ma femme, bercée du bruit qui courait que notre arrestation ne serait pas longue, et ne voyant aucun changement, me fît dire qu'il fallait envoyer Jumeau à Paris, avec une lettre pour Lutaine, que nous savions jouer un rôle très-important dans les bureaux du Comité de salut public. Je lui écrivis donc pour savoir les motifs de mon arrestation, car on n'en donnait pas Ma belle-fille, qui connaissait beaucoup madame Treilhard, femme de l'avocat, avec qui elle avait été au couvent, voulut lui donner une lettre dont elle croyait l'effet certain. Jumeau s'embarqua donc pour Paris, et cette démarche nous aida pendant quinze jours à prendre notre incarcération en patience. Malheureusement, il n'y avait pas de jour où nous n'eus- sions le cœur brisé. Du département de la Meuse et de ceux adjacents, il nous arrivait des convois de dix jusqu'à vingt-sept prêtres, les uns chanoines, les autres bénéficiers ou curés. Ils venaientà pied ou dans des charrettes, conduits comme des veaux. Il y en avait de si vieux, de si infirmes, qu'ils tiraient les larmes des yeux. Deux neveux de l'arche- vêque de Paris ' y passèrent. Us étaient tous résignés à la mort. Ils arrivaient à six heures du soir, et on les mettait sur la paille dans une grande salle. Ils ne faisaient aucun bruit; les uns vaquaient avec une patience merveilleuse à leurs prières, tandis que d'autres étaient leurs pourvoyeurs. L'abbé Boutault, au nom de nous tous, leur procurait avec un zèle évangélique les consolations humaines. Pendant quinze jours, à six heures, nous étions sûrs d'une pareille arrivée; on les emmenait à la pointe du jour. Ils laissèrent 1 Mgr Leclerc de Juigné. 218 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. sur les murailles du dortoir la date de leur passade, leur nombre, et le nom du député qui les faisait assassiner. Un autre passage, en sens contraire, était encore plus triste. C'étaient les personnes condamnées à être menées au Tribunal révolutionnaire. Des femmes de tout rang, de tout âge, des enfants, des bommes, étaient conduits aux Carmélites pour partir le lendemain. Je m'enfermais sans en voir aucun, tandis que Gidouin et Rochejean tenaient leurs assises chez le concierge et s'amusaient des récits des pri- sonniers. On était sûr que s'il y avait un terroriste, il deve- nait l'ami intime de Gidouin. Nous étions cependant très-libres de nos actions, et mon domestique s'aperçut qu'une ancienne porte cochère était toute grande ouverte. Il nous en avertit, et nous en fûmes prévenir le concierge. On avait levé proprement la serrure qui ne tenait qu'à deux clous. Gidouin s^en servait tous les soirs pour aller voir la fille d'un commis principal des effets de guerre. Cette découverte dérangea fort ses bonnes for- tunes. Pour nous, à qui il était si facile de sortir, nous nous dîmes qu'il n'y aurait qu'un fil de soie, que nous ne le rom- prions pas. M. Bâillon, commissaire des guerres, avait été incarcéré aux Carmélites, jugé et blanchi. Il était né avec une âme excellente, et avait montré de l'énergie en plusieurs occa- sions; sa principale qualité était de se rendre utile aux mal- heureux. Par sa place, les prisons lui étaient ouvertes, ayant l'inspection sur les militaires. Il vint nous voir dès qu'il le put, et nous pûmes juger de son cœur noble et généreux ; il nous offrit courriers, chevaux, ses secrétaires, ses commis, nouvelles particulières, crédit vis-à-vis de Tallien et de Garnier. Il y avait environ quinze jours que nous vivions dans un calme pire que la mort. Nous charmions cet ennui, car il faisait le plus beau temps du monde, par les expériences du microscope solaire, que M. de Rancogne faisait et démon- trait avec une netteté très-intéressante depuis midi jusqu'à QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 219 l'heure du dîner. Tous les prisonniers y venaient, Roche- jean, Gidouin, Boutault et Delarue y étaient fidèles; lorsque ma femme nous fit dire que notre liaison avec Rochejean faisait un très-mauvais effet dans la ville; il y était détesté, et on le regardait comme le bourreau et le délateur de tous les honnêtes gens. Nous n'avions personnellement aucun sujet de nous en plaindre; il était doux, poli, avait le ton de la meilleure compagnie et ne parlait que littérature. Nous l'avions prié une ou deux fois à souper, et nous lisions ensemble les nouvelles sans affectation. Cet avis nous parut sérieux — nous savions tout l'intérêt que la ville nous portait. — Nous convînmes donc que nous lui ferions connaître tout naturellement ce qui se passait. M. de Rancogne le lui dit avec délicatesse; Rochejean répondit dès les premiers mots que, sans la manière dont nous l'avions traité, il aurait de lui-même cessé de venir chez nous dans la crainte de nous porter préjudice, mais que dès ce moment il s'abstiendrait de nous voir. M. de Rancogne vint me faire part de l'issue de sa négociation. Je crus convenable de des- cendre dans le cloître ou Rochejean se promenait; je lui témoignai le regret que j'avais de ne plus pouvoir le rece- voir. Gomme suppléant à la Convention, il s'offrit à nous servir; je lui répondis, avec ma douceur et mon urbanité ordinaires, que je ne l'importunerais jamais, quoique dans toute occasion je fusse disposé à lui rendre service. Nous nous séparâmes les meilleurs amis du monde. Je lui prê- tais toujours les livres, dont j'avais une abondante pro- vision, et lorsqu'il les reportait, ses visites étaient d'un instant. Nous apprîmes bientôt qu'il était arrivé un ordre du Comité de salut public de transporter tous les prisonniers de Pont-Levoy aux Carmélites. En effet, le lendemain, il arriva une diligence et deux charrettes; dans la diligence se trou- vaient M. du Bue, son laquais, M. et mademoiselle de Lagrange; dans las autres étaient M. Dinocheau et M. Men- jot, propriétaire de terres. 220 MÉMOIRES DU COMTE DUFOI1T DE CIIEVERNY. M. du Bue *, très-riche propriétaire de la Martinique, avait soixante-dix-huit ans. Homme de cinq pieds dix pouces, fait au tour, il avait une figure superbe et une jambe détachée comme à dix-huit ans. C'était un homme du plus grand mérite, et le duc de Ghoiseul qui connaissait ses talents lui fit toutes les cajoleries possibles pour lui faire accepter la place de chef du bureau des colonies. M. du Bue la prit par com- plaisance, car il n'était pas ambitieux et avait 800,000 li- vres de rente; il s'en acquitta supérieurement. Nommé en 1764, il se retira un an avant la disgrâce du ministre, au grand regret de tous, et resta l'ami du duc et de la duchesse de Gramont. Par attachement pour eux, il avait acheté la terre de Chissay, que lui avait cédée le duc. Cette terre était à trois lieues de Chanteloup et à une demi-lieue de Montri- chard. Il avait eu douze ans auparavant une attaque de paralysie, mais, sans un œil qui papillotait un peu, on nes'en serait pas aperçu. Son fils, qui avait autant de mérite que lui, était passé en Angleterre dès le commencement de la Révolution. Un homme de ce mérite fut recherché de tous les partis; nommé à l'Assemblée constituante et à l'Assemblée législa- tive, il refusa; inscrit sur la liste du club de Massiac 2 , il n'y parut jamais. Il avait vécu deux ans au château de Saint- Germain, chez son ami intime le maréchal de Noailles, mais craignant qu'on ne le rendît responsable de la conduite de son fils 3 , qui avait trente-six ans, il s'était retiré à Chissay 1 Jean-Baptiste du Rue, né en 1717 à la Martinique, mort à Paris en 1795 Plusieurs membres de sa famille s'étaient distingués par leurs services. Déléjju en 1761 par la colonie auprès du duc de Ghoiseul, il fut bientôt après nomm chef du bureau des colonies, position qu'il conserva jusqu'en 1770. 11 pri alors le titre honoraire d'intendant des deux Indes. Il était déjà syndic de 1 Compagnie des Indes. C'était un homme de mérite, à idées élevées, dont i est souvent question dans les Mélanges de madame INeckek. Voir aussi Duteks Mémoires d'un voyageur qui se repose, t. Il, p. 287, l'Introduction d M. de Lescure à la Correspondance secrète, p. xn, etc. 2 Club qui existait depuis le commencement de la Révolution; il n'étai composé que de colons ennemis de l'émancipation. II se réunissait à l'hôte Massiac, rue Pa^evin. 3 Louis-François du Bue, qui joua un rôle important à la Martinique pen QUATRIÈME ET DERNIÈHE ÉPOQUE 17*7-1801. 221 où il avait fait une vente simulée à son neveu du même nom, qui avait épousé sa nièce, pour ne donner aucune prise sur lui et vivre ignoré. Mais le Comité de salut public, sous pré- texte d'une liste du club Massiac, où il était inscrit, comme je l'ai dit, sans y avoir jamais paru, envoya l'ordre de l'incarcérer ', probablement pour le faire conduire au tri- bunal. Les scellés étaient mis partout chez lui, même sur l'argent et les assignats. On l'enferma avec un seul domes- tique à Pont-Levoy, où le supérieur adoucit autant que pos- sible sa détention. M. Robbé de Lagrange, dont j'ai déjà parlé, ayant épousé une femme de qualité fort laide et fort vieille, savait, comme dit Sedaine, ce que c'était que vivre en prison; il y était depuis vingt mois. Enfermé d'abord à la grande prison, parce qu'à la tête de la garde nationale il avait suivi par force une insurrection au Mans 2 , il avait été acquitté, puis réincarcéré comme suspect. Quoiqu'il eût cinquante ans sonnés, c'était un joli enfant de quinze ans, faisant des vers, étourdi comme s'il sortait du collège, toujours gai, toujours obligeant. Tel était le compagnon de M. du Bue; ils faisaient ordinaire ensemble. M. Dinocheau, jadis avocat, protégé par M. de Thémines, avait été de l'Assemblée constituante; il se fit connaître alors par le Courrier de Madon 3 , réponse critique au Cahier de Madon, ouvrage de M. l'évêque de Thémines, où celui-ci avait déployé quelques principes faits pour déplaire aux enragés. Ce fut une marque d'ingratitude qui lui fît tort dant la Révolution. Il fut nommé intendant à Saint-Domingue en 1814, député en 1827, et mourut à Paris la même année. 1 Un décret du 9 mars 1794- avait ordonné l'arrestation des membies de ce club, et en général de tous les colons opposants. Il fut rapporté le 17 novembre de la même année. 2 L'affaire était fort ancienne. C'était le 7 décembre 1791 qu'avait eu lieu l'insurrection de la commune de Choux district de Montdoubleau, où M. Robbé de Lagrange avait été compromis. Il avait été dénoncé le 22 à l'Assemblée, et le rapport concluant aux poursuites est. du 28. Moniteur des 30 et 31 dé- cembre 1791. 3 V. t. II, p. 111. 222 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVEltNY. dans le pays, où l'on savait que l'évêque lui avait tendu une main secourable. Il croyait avoir une grande réputation, parce qu'il avait de l'esprit et qu'il était avocat; ancienne- ment destiné à la prêtrise, il était pourtant un des premiers détracteurs de la religion. Jl fut nommé premier juge crimi- nel du département, et s'acquitta de ses fonctions avec une grande distinction, de la noblesse et des talents. A l'élection suivante, il fut nommé procureur de la ville, et s'entoura des plus honnêtes gens. Connaissant Carra, Gorsas, Tallien, de l'Assemblée constituante , il plaida la cause des citoyens contre les jacobins, et par sa fermeté il empêcha les clubs, et les troupes révolutionnaires qui passaient continuellement, allant en Vendée, de massacrer les meilleurs habitants. Cela suffit pour que dans l'assemblée tenue par le député Guim- berteau, on décidât d'incarcérer Dinocheau, qui fut traîné de prison en prison, aux Carmélites, aux Ursulines, à Orléans, et à Pont-Levov, d'où il revenait aux Carmélites. M. Menjot', propriétaire d'une terre près Mon tricha rd, arrêté pour ce seul titre, était marié et avait des enfants. Homme plein de force et privé d'exercice, il avait demandé à faire le voyage à pied. On faisait aussi des arrestations dans la ville. M. le mar- quis de Baillehache, âgé de cinquante ans, qui, pour se sau- ver, s'était prêté à tout, venait d'être incarcéré. Ce n'était pas pour sa fortune, mais pour son titre. Il arriva dans le corridor de telle manière que nous crûmes qu'il venait nous faire visite; nous ne tardâmes pas à être détrompés. Un chi- rurgien de village était venu à la ville un jour de fête en habits des dimanches; ayant dit qu'il s'était fait si beau à cause de la fête, il fut incarcéré sur-le-champ. Un frère ca- pucin, jadis garçon apothicaire de l'Ordre, étant saoul, avait envoyé la République au diable ; il vint aussi nous tenir com- pagnie. C'était un bonhomme à peu près nul, excepté sur 1 Paul-Philippe-Antoine Menjot, vicomte de Champfleur-Gioustel, dont le fils aîné, Paul-Louis-Augustin, épousa en 1824 l'arrière-petite-fille de l'auteur, Edme-Gabrielle des Meloizes-Fresnoy. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE l 787-1801. 223 les plantes. Il nous raconta la querelle de l'Ordre au com- mencement de la Révolution; elle est trop plaisante pour ne pas la rapporter ici. Il y avait àBloisune capucinière, ou hospice des Capucins, située hors de la ville dans le plus beau site possible, à côté du pâté de Gaston '. Cette capucinière était desservie par trois Pères et deux Frères ; ils avaient la confiance de la ville, quoiqu'on ne fût pas fort dévot. M. l'évêque de Thémines avait choisi le gardien pour confesseur; il l'avait tous les jours à dîner avec lui quand il résidait dans son évê- ché. Ces Pères affectaient la plus grande misère, quoique chez eux tout fût charmant, et ils envoyaient les deux Frères quêter dans la ville. La Révolution arriva; le gardien de Tours, qui était dans le secret de l'Ordre, vient au couvent; tous les cinq se rendent au trésor en dépôt il était de neuf mille cinq cents livres. Grande dispute on demande le partage égal, mais les supérieurs s'y refusent. L'humeur prend à l'un des Pères qui était fort violent; il court faire sa déposition à la municipalité, qui envoie avec lui deux gen- darmes et la force armée. On s'empara du trésor, qui fut envoyé à Paris. Les gens sensés plaignirent ces vieux céliba- taires à qui on enlevait leur dernière ressource, d'autres rirent de leur inconséquence 2 . De tous les arrivants, M. Dinocheau seul vint nous voir. Nous étions prévenus que les sans-culottes nous feraient un crime de le recevoir; nous le lui dîmes, et il fallut bien qu'il se contentât de nous avoir vus un instant. Jumeau était revenu de Paris sans avoir pu rien faire; il ne nous apportait que des espérances éloignées. Nos lettres avaient été remises; Lutaine, vêtu en terroriste, à la tête du bureau des impressions, et logeant dans l'appartement de 1 Qu'on nomme maintenant la butte des Capucins, et qui domine la ville. On croit que c'est un ancien tumulus. 2 D'après YHisloire de Biais t. II, p. 453, il y aurait eu, en effet, désaccord entre les Capucins pour le partage, mais ils se seraient bornés à soumettre leur différend à l'arbitrage du maire, qui, ne pouvant les concilier, fit verser la somme litigieuse dans la caisse du gouvernement. 224 MÉMOIRES DU COMTE DIJF0RT DE CHEVERNY. Madame Elisabeth, avait fait des promesses. Il paraissait pouvoir tout et ne pouvait rien. Quanta madame Treilhard, malgré toutes ses anciennes offres de service, elle n'avait pas daigné répondre. Les arrestations redoublaient. On incarcérait impitoyable- ment ceux qui n'avaient pas de cocardes. M. Desaires et M. Dufay vinrent augmenter le nombre des malheureux. M. Dufay était un homme d'esprit et de talent qui avait beaucoup perdu à la Révolution. Il était lié depuis plusieurs années avec M. Robin l , peintre d'histoire, qui était marié à Blois et y avait des possessions. Cet artiste s'était fait connaître par le salon italien que M. de Thémines avait fait construire à Blois; l'évêque, qui était un homme de goût, lui avait fait faire aussi plusieurs grands tableaux, soit pour la cathédrale, soit pour diffé- rentes églises, un entre autres, représentant saint Louis 2 , qui était fait pour augmenter sa réputation, et il y avait dans Paris plusieurs peintures de lui qui avaient quelques droits à l'estime des connaisseurs. Dans les commencements de la Révolution, le comité de Blois saisit une lettre dans laquelle il envoyait à son ami Desaires une chanson qui courait en l'honneur de Louis XVI, en lui recommandant de la montrer à ses amis particuliers, tels que Dufay. Le sieur Dufay, frère du maître de la poste aux chevaux, régisseur de la terre de Saumery, passait pour un très-hon- nête homme et l'était en effet. Madame la marquise de Saumery mademoiselle de Menou était sortie de France avant la Révolution, avec tous ses passe-ports, pour soigner la santé de son fils, le marquis de la Garre-Saumery, qui était menacé d'un polype au cœur. Elle avait été traitée comme émigrée; les fermes avaient été vendues, les meu- 1 Jean-Baptiste-Claude Bobin, né en 1734. Il en est question dans la Cor- respondance de Grimm expositions de peinture de 1773, 1779, 1783, 1787 et 1789. C'était, en outre, un critique d'art estimé, et il a fait des notices historiques sur plusieurs artistes. 2 II est encore à la cathédrale de Blois, dédiée à saint Louis. QUATRIÈME ET DEKNIÈRE ÉPOQUE l78T-180l. -225 Lies, les vins, les bijoux livrés à l'encan. Le sieur Dufay, en honnête homme, y avait mis opposition et les avait défendus d'une façon si prononcée qu'il avait irrité contre lui tous les faiseurs et dilapidateurs de Blois. La lettre de Robin fut une trouvaille pour les coquins on en prit une copie et on l'en- voya au Comité de salut public avec une bonne dénoncia- tion. Desaires et Dufay sont arrêtés; Robin prend la fuite et se cache dans Paris. Après quatre mois, ils sortent et vivent tranquilles. Garnier, le député, revient à Blois; les terroristes semblaient avoir le dessous. On cherchait à appeler dans les places les gens probes et capables. Desaires est nommé par Garnier au Département, il s'en défend et il tarde de s'y rendre. Cependant, le comité de Blois s'as- semble, furieux; il fait revivre la dénonciation, fait incarcérer Desaires et Dufay, et Je Comité de salut public donne ordre de saisira Paris Robin, qui revient se cacher chez lui à Blois. C'est ici qu'il faut que je fasse mention d'une personne dont les soins et l'amitié m'ont été d'une grande consola- tion. Le sieur Gauthier, né à Blois, appartenant à tout ce qu'il y a de plus honnête dans la ville, était orphelin, sans aucune fortune, et vivait avec une sœur aînée non mariée et pleine de mérite. S'ennuyant à quinze ans de vivre dans l'oisiveté, il partit un beau matin en sabots et se rendit à Paris. Né avec de l'esprit, une grande facilité à parler et de l'énergie, il se détermina à prendre l'état de chirurgien accoucheur, pour lequel il se sentait des talents. S'adressant au sieur Lambot, notaire, né à Blois, à titre de parent ou d'ami, il l'intéressa en sa faveur, fit des progrès étonnants et finit par se marier très-avantageusement et gagner sur le pavé de Paris trente mille livres de rente et beaucoup de réputation *. Devenu veuf avec une fille, il se remarie avec une demoiselle de Saint-Domingue qui lui apporte une habi- tation. Aimant la littérature, il y met tout son superflu et se forme une superbe bibliothèque. 1 C'est probablement Gauthier de Claubry; il n'y a pas d'autre Gautier parmi les chirurgiens de Paris dans les années qui ont précédé la Révolution. If. 13 22G MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. La Révolution arrive ; il est appelé à la Ville et forcé de prendre la présidence du bureau l . Il l'accepte, à condition de ne donner aucune signature et de n'avoir aucune respon- sabilité ; il est assez heureux pour sauver la vie à plusieurs personnes illustres. La Révolution tourne en sens contraire; il est dénoncé, proscrit ; on brûle sa bibliothèque ; son habi- tation de Saint-Domingue est saccagée, sa fortune se trouve à vau-l'eau. Obligé de se cacher, voyant son nom affiché à tous les coins de rue, il s'enfuit à Biois, où il n'avait pas paru depuis l'âge de quinze ans, mais où il avait conservé quelques maisons, anciennes propriétés de sa famille. Il y retrouve M. et madame Lambot qui l'avaient précédé. La réputation de ses talents l'y avait suivi. Ses yeux étaient dessillés, il ne voyait plus que les abus de la Révolu- tion. Depuis un an, malgré la jalousie des gens du métier, il prenait de plus en plus consistance. J'avais fait connaissance avec lui, et, me voyant incarcéré, il demanda au Comité, sous prétexte de ma santé, la permission de venir me voir tous les deux jours, et il vint chez ma femme jusqu'à trois fois par jour. Il était dans ce moment bien plus le médecin de mon esprit que de mon corps. Ayant des relations intimes avec Tallien, il prévoyait déjà la chute du pouvoir de Robespierre et raffermissait nos faibles espérances. Je ne connaissais en aucune manière M. Desaires, mais feu M. de Gypierre m'en avait dit toute sorte de bien. Avec notre parti pris de ne communiquer avec personne, il serait bien venu un millier d'incarcérés que nous ne leur aurions pas parlé. Mais le sieur Gauthier nous conta la manœuvre diabolique qu'on avait employée contre M. Desaires, et de ce moment il se forma entre nous une intimité qui probable- ment durera toute notre vie. Ce fut à peu près dans ce temps-là qu'il y eut une fête à l'Être suprême 2 . Nous nous transportâmes dans un grenier 1 Je ne le trouve pas sur les listes de la municipalité de Paris. 2 MM. Bergevin et Duprét. I, p. 237 en reproduisent un curieux compte QUATRIÈME ET DERNIERE EPOQUE 1787-1801. 227 pour en juger, car elle avait lieu en partie sur le pâté de Gaston. Tout ce que les sauvages ont imaginé de plus horri- ble en musique n'était rien en comparaison; des tuyaux de fer-blanc en porte-voix, imitant le mugissement des bœufs, Faisaient la base fondamentale de ces hurlements patrioti- ques. Toutes les autorités en costume, des comédiens, des filles de la ville, des bœufs, des instruments aratoires, un prêtre de l'Être suprême, des discours, des chansons patrio- tiques, rien n'y fut épargné. M. du Bue fut conduit par moi à une croisée de grenier où nous étions seuls. Son cœur dé- borda à cette vue il parla avec un feu, une éloquence telle que je ne pus le quitter qu'en voyant approcher des curieux; je changeai alors de conversation et me retirai le plus poli- ment que je pus. Je n'avais jamais vu M. du Bue; par un hasard singulier, nous ne nous étions pas rencontrés à Ghanteloup, quoiqu'il y fût presque à demeure. En vingt-quatre heures, nous nous décidâmes à lui proposer de manger ensemble. A l'instant, je monte chez lui et je lui fais ma proposition; il me répon- dit Je ne m'oppose jamais au bien qu'on veut me faire. » M. de Lagrange faisait ordinaire avec lui, et il fut con- venu qu'il ferait la partie carrée, ainsi que sa sœur, qui, quoique libre, ne le quittait jamais. Notre société devint in- time avec M. du Bue; son esprit, ses connaissances, sa phi- losophie religieuse et éclairée adoucissaient l'esprit satirique dont il se servait très-agréablement. Notre chambre, comme étant la plus commode, servit de salon et de salle à manger. Avec un peu de prestige, on pouvait se figurer être à la suite de la cour dans les voyages de Gompiègne ou de Fontai- nebleau. Cette compagnie contribua à adoucir nos maux réels. Cha- que Moniteur nous apportait la nomenclature de toutes les personnes sacrifiées, presque tous parents, amis ou connais- sances. La sensibilité de M. du Bue fut affreuse pour madame rendu dans le style du temps. Cette fête eut lieu le 8 juin 1794, le même jour qu'à Paris. 15. 22S MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. de Gramont et les Noailles. Quand il se mettait sur la poli- tique, il parlait avec un feu étonnant. Il attribuait tous les maux de la Révolution aux œuvres qui étaient entre les mains du peuple; il n'épargnait ni Rousseau, ni Montes- quieu, ni Raynal, ni les encyclopédistes, ni les économistes; il n'attribuait qu'au défaut de religion et de morale tous les maux qui nous avaient assaillis. Il se plaignait de la maison royale, dont tous les membres étaient incapables de se frayer un chemin au trône. Il disait que si, comme Henri IV, ils avaient eu un peu d'ambition, la maison de Bourbon aurait acquis l'empire de l'univers; qu'il y avait longtemps qu'il avait donné le projet de disséminer les princes de la maison rovale et les princes du sang en leur donnant de grandes possessions; qu'un roi à Pondichéry, un autre à Saint-Do- mingue, un en Amérique auraient donné des racines à cette maison; qu'il était inutile d'avoir des possessions lointaines qu'on ne pouvait pas gouverner; qu'elles seraient bien plus utiles, régies par le même sang, d'après les mêmes intérêts, et réunies par un commerce actif. Il maudissait M. de Maurepas pour son insouciance, M. Turgot pour ses folies d'économiste; il reprochait à la Reine d'avoir foulé aux pieds l'étiquette, d'avoir laissé ridi- culiser son mari. Il prouvait que le peuple français, accou- tumé à respecter son roi comme une divinité sur terre, avait profité de cette déconsidération pour l'assassiner, tout en méprisant celle qui par son inconséquence en était l'auteur; il rapprochait les circonstances, montrant le Roi conduit à la mort en berline, et la Reine menée ignominieusement en charrette. Ses conversations étaient variées. Gai, d'une très-bonne santé, il prenait quelquefois un violon et faisait voir par son jeu qu'il avait été de première force. Pour M. de Lagrange, il faisait des vers, ne pouvait se fixer un instant, courait, apportait des nouvelles qui souvent n'avaient nul fondement, et se berçait d'espérances qu'il fon- dait sur un commissaire du pouvoir exécutif, jadis chanteur QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 229 dans les cafés du boulevard. L'histoire qui m'arriva avec lui à ce sujet est trop plaisante pour que je ne la consigne pas ici. M. de Lagrange, qui avait une maison sur le haut de la montagne, près Saint-Nicolas, en avait loué une partie à un nommé Champignole, ayant avec lui sa femme et une fille de dix-liuit ans qui, disait-on, était jolie comme un ange. Ma- demoiselle de Lagrange, qui cherchait tous les moyens de faire sortir son frère de la captivité, voyant que ces dames étaient amies intimes du chanteur pouvoir exécutif, leur fit tant d'éloges de Lagrange, qu'il noua une intrigue par lettres avec mademoiselle Ghampignole. Peu discret, il montrait à tout !e monde les lettres et les réponses. Je ne fus pas des derniers, quoique je reçusse la chose avec une grande indif- férence. Il avait emprunté une lunette à M. de Rancogne, et disparaissait des trois ou quatre heures. Il nous conta qu'en montant dans le grenier du clocher des Carmélites, il découvrait avec sa lunette tout ce qui se passait dans l'appar- tement de mademoiselle Ghampignole, qu'il était en rela- tion de signaux avec elle, et qu'il était le plus heureux des hommes. Je pensais en rester là, mais pendant quatre jours ce fut une vraie persécution pour que je l'accompagnasse au grenier. Le quatrième jour, il avait pris rendez-vous à une heure fixe et annoncé qu'il m'amènerait. Enfin, je cède et j'arrive au grenier ; il me montre une grande fenêtre vis-à-vis, me prête sa lunette et me dit Regardez! » Je regarde. Voyez-vous cette jolie personne? — Oui, je la vois, il y a un homme avec elle. — Est-ce vrai? reprit-il, c'est le com- missaire du pouvoir exécutif. Elle ne nous fera pas de signes tant qu'il y sera. » Je lui passe froidement la lunette Regardez, lui dis-je, vous avez plus d'habitude que moi de la lunette. Examinez bien. » — Il regarde, saute, cabriole comme un jeune homme, riant et criant Ah! morbleu, je suis eu. » J'éclate de rire et viens conter cette scène à noire chambre. Cependant le sieur Rochejean, qui avait été mis par le juge 239 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVEIINY. aux Carmélites, fut transporté à la grande prison. Il était accusé de dilapidation comme supérieur du séminaire, mais on voyait clairement qu'on voulait l'atteindre sur ses forfaits comme révolutionnaire. Il n'eut que le temps de nous ren- voyer quelques livres, et mon domestique se trouvant sur la porte comme deux gendarmes l'emmenaient, il le chargea de nous faire ses adieux et ses compliments. Un nommé Desmaillot ', jadis, disait-on, instituteur de Saint-Just, vivant sur les boulevards aux petits spectacles comme versificateur à gages, avait trouvé le secret, introduit par Lutaine, secrétaire du comte de Pilos, de venir piquer parfois sa table sous prétexte de lui lire quelques pièces de vers. Grâce à ses intrigues, il fut nommé par Robespierre commissaire du pouvoir exécutif depuis Paris jusqu'à Blois. On se flattait qu'il aurait les pouvoirs les plus amples pour rendre justice aux incarcérés, mais ce n'était pas le but de Robespierre. Il l'envoyait pour inspecter les pouvoirs, les trouver coupables, — ce qui n'était pas difficile, — les faire conduire au Tribunal révolutionnaire, et ainsi supprimer tout ce qui pouvait lui faire opposition. Desmaillot avait pour ordre d'enlever toutes les procédures, même celle contre Rochejean. Tenant ainsi dans les mains les coquins qui lui auraient obligation de la vie, Robespierre pouvait s'en servir pour un temps, quitte à les détruire après. On annonça donc Desmaillot un mois d'avance; on prôna la justice qu'il faisait des coquins à Orléans, en les faisant arrêter et conduire au Tribunal révolutionnaire. Il s'arrêtait partout, ayant l'air de faire des actes de justice. Il arrive à Beaugency; il ignorait que le comte de Pilos y était incar- céré avec M. Lecouteulx du Moley. Il le traite avec respect et considération, avoue qu'il n'a pas le pouvoir de le faire 1 Antoine-François Eve, dit Desmnillot 1747-1814, soldat déserteur, puis comédien et auteur dramatique. Il avait, paraît-il, conservé les manières de son premier état. Un jour qu'il était à la tribune du club, raconte M. Lottin, la mémoire; vint à lui manquer. Sans se déconcerter, il saisit un violon et se met à jouer un air de contredanse au milieu de l'hilarité générale. Histoire de Bcaur/ency, t. I, p. 2'6. QUATRIÈME ET DEUNIÈRE ÉPOQUE 1787-180J. ?3I sortir, mais promet de retourner à Paris et d'être le premier solliciteur. Enfin, il arrive à Blois. Les deux premiers jours, il fut à sa besogne, et prit tous les renseignements sur le Comité révolutionnaire, le procureur Hézine et les autres. Ma femme lui fit demander une audience pour lui parler de M. de Rancogne et de moi. Il la lui accorda, et elle en fut fort contente; il lui montra du respect, la rassura, fit l'éloge de Robespierre, de son humanité, de sa justice, disant qu'il ne faisait aucune acception de personnes, et qu'il aimait la noblesse quand elle se conduisait aussi sagement que nous. Il lui assura que notre arrestation ne pouvait être longue, et qu'il allait retourner à Paris prendre des pouvoirs ad hoc. Rien n'est si aisé que de flatter des incarcérés. Nous jouîmes de ces bonnes paroles sans trop espérer, et il partit pour retourner à Paris sans que nous en fussions plus avancés. Huit jours après, il était près de onze heures du soir, je m'étais couché le premier, et M. de Rancogne était prêt à en faire autant, quand le curé de Cour, Delarue, entre dans notre chambre et nous dit Il y a quelque chose de nou- veau; les chiens aboient, et la sonnette va grand train. » M. de Rancogne, le curé et Simon vont se poster dans l'église, à une grille qui donnait sur la porte d'entrée. Ils voient arriver deux membres du comité c'étaient Arnaud, le maître de pension , un des plus forcenés , et ensuite Velu, le maître d'école. Le lendemain matin , nous envoyons aux renseignements, et nous apprenons qu'Arnaud et Velu sont incarcérés par l'ordre du Comité de salut public. Nous n'avions pas eu le temps de faire nos réflexions quand la porte de l'escalier qui donnait dans le jardin s'ouvre, — elle n'était pas à une toise de nos fenêtres, — et nous voyons débou- cher Hézine, en bottes, Arnaud et Velu, accompagnés du concierge. Nous pensions qu'Hézine venait pour inspecter la prison, lorsque le concierge s'échappe et vient nous dire Les voilà tous dedans à leur tour! » On peut juger de notre étonnement. Nous descendons tous les deux dans la cour; les trois scélérats étaient fort embarrassés de leur con- 232 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. tenance. Citoyen, dit Hézine à M. de Rancogne, a-t-on des nouvelles ici? — Oui, lui répondit-il, il y en a ; mais pourquoi les voulez-vous? Vous les avez en ville. — En 32 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. pas. » Et il se dirigea vers la porte. Cette réponse hardie étonna M. de Ségur, qui, le rappelant, lui dit Monsieur, a vous me parlez bien vivement. Asseyez-vous et vovons ensemble comment nous pourrions empêcher de braves gens de se tuer. » Cette manière de traiter désarma Lau- renceot. Il conseilla à M. de Ségur d'éloigner les deux régi- ments et d'enjoindre aux officiers qui avaient des rendez- vous de reprendre leur parole, s'engageant de son côté à calmer les légistes. M. de Ségur consentit; la convention fut exécutée, et Laurenceot fut bien vu de tous les partis. Lorsque la Révolution éclata, il fut nommé commandant de bataillon pour mener les volontaires à l'armée; il devint officier général et fut élu représentant à la troisième légis- lature. En même temps, le fils d'un closier de son père, élevé comme légiste et son ami, perçait par un mérite trans- cendant; c'était le fameux Pichegru. Leur intimité était telle que ce dernier logeait toujours chez Laurenceot, lorsqu'il revenait voir ses parents. Ce fut dans cette affreuse législature que le procès du Roi eut lieu. Laurenceot ne vota point contre son maître l ; aussi fut-il des soixante-treize qui furent incarcérés. Promenés de prison en prison, remplaçant à l'hôtel des Fermes les fer- miers généraux qu'on venait d'assassiner, ce qu'ils avaient souffert était épouvantable. Enfin le 9 thermidor arriva, et ils reprirent leurs places à la législature. Ce fut alors que Laurenceot fut nommé pour venir à Blois. Depuis la première Assemblée, où j'avais parents et amis, j'avais bien résolu de ne jamais voir aucun représentant; je n'avais pas cru nécessaire d'aller voir Brival, qui n'avait ait que me rendre justice; mais le sieur Bâillon, commissaire des guerres, qui m'avait si bien traité dans mon arrestation* m'invita à aller dîner chez lui avec Laurenceot et Marmé, son beau-frère et secrétaire; je prétextai une affaire et m'en dispensai. Laurenceot, qui n'avait rien à se reprocher, dit 1 11 vota la réclusion et le bannissement. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 253 que si je le connaissais, je lui rendrais justice, et, sachant que je donnais tous les jours à souper, il nous fit demander la permission d'y venir, ce que nous ne pûmes refuser. Dès le soir même, il arriva, sortant du club où il avait été rétablir le calme. On jouait; il se mit à jouer au trente- et-quarante et à d'autres jeux, avec noblesse et indifférence; enfin, il nous conta ce qu'il avait souffert, et nous présenta Marmé, son beau-frère, qui avait partagé son incarcération. La connaissance une fois faite, tout le temps qu'il passa en mission, il vint souper régulièrement, soit chez nous, soit dans notre société, et jamais nous ne trouvâmes rien de répréhensible dans sa conduite ou dans ses sentiments. Quoi- qu'il ne fût pas en état de jouer le rôle d'intendant, ou plutôt de proconsul, il eut le talent de plaire à tout le monde, excepté aux enragés. Il en a depuis reçu la récompense, ayant été nommé par les assemblées primaires pour être un des anciens députés réélus. — Il entra ainsi au conseil des Cinq-Cents. Il allait de temps en temps visiter les districts et y rétablir l'ordre. M'ayant dit qu'il comptait aller à Romorantin, je lui proposai de le mener à Cheverny, où il prendrait les chevaux que l'agent militaire lui fournissait. Je l'emmenai dans ma voiture à Cheverny, où je le traitai avec sa compagnie. Dès qu'il eut vu la beauté de l'habitation, il s'écria avec une naïveté pénétrante Comment, vous vivez encore! » Et nous eûmes la conversation la plus franche et la plus intéres- sante sur le système de destruction générale de Robespierre. Je lui fis voir que mes grilles avaient été enlevées par la réquisition du représentant Ferry, et je demandai qu'on me les rendît, ainsi qu'aux autres particuliers. On pouvait dire quelles avaient été volées sans objet, car presque toutes étaient encore dans la cour du District et du Département. Il écrivit comme représentant aux Comités, et il y eut un ordre de rendre à chacun les fers qu'on lui avait pris, s'il pouvait les découvrir. Mes grilles étaient démontées, mais je les retrouvai à peu près, et il m'en coûta, pour les rétablir 254 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. comme elles étaient, environ onze mille livres en assignats, ce qui représentait à peu près douze cents livres en numé- raire. J'avais perdu, dans les trois premières années de la Révo- lution, vingt-trois mille livres de rente en droits seigneu- riaux, en dîmes, droits sur les sels à Oléron et Broua^e, ma pension sur le trésor royal accordée par Louis XV, et plu- sieurs autres objets dont je ne fais pas mention ! . J'avais eu à subir les passages des gardes nationales, les contributions énormes mises par les jacobins, les réquisitions de tout genre, la saisie, sous le nom de don patriotique, de ce qui restait de vaisselle d'argent. J'avais fait des frais considérables pour empêcher mon second fils de servir quoiqu'il ne fût d'aucune réquisition, en fournissant d'abord un homme à sa place, et ensuite en l'envoyant lui-même tout équipé servir dans la garde nationale de Tours. Ma détention de quatre mois avait entraîné des dépenses excessives. J'avais manqué perdre plus encore. Le député Eschasseriaux avait, dans le temps de la Terreur, proposé et obtenu que Ton détruisît tous les étangs, sans aucun plan d'administration, sans même en discuter les inconvénients; j'en avais cinquante et un, on ordonna d'en dessécher quatre, et je fus obligé de faire constater que les autres ne pouvaient être bons à rien 2 . J'avais planté une avenue de peupliers à quatre rangs, en droite ligne, d'une lieue et demie la motion était faite de les abattre tous pour ôter l'air de féodalité ; j'eus un instant la crainte qu'elle ne fût adoptée. On prit mes plus beaux arbres pour la marine, et il n'y avait pas de semaine où je n'eusse à faire transporter dans les magasins militaires de Blois mes grains mis en réquisition ; heureux lorsqu'on n'envoyait pas mes voitures chercher du blé jusqu'à Vendôme! Les manœuvres, les charretiers ne se louaient plus que pour un mois, et les prix augmentaient à vue d'œil; je me suis vu 1 On trouvera au chapitre xxix un état détaillé de toutes ces pertes. 2 Décret du 14 frimaire an II L4 décembre 1793 Tous les étants seront mis à sec avant le 15 pluviôse prochain... » Abrogé le 1 er juillet 1795. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 255 obligé de payer toute une année quatre maçons pour répa- rations urgentes, chacun à vingt écus par jour en assignats. On peut juger des autres ouvriers à proportion. Je ne fais pas mention des arbres de la liberté qu'on venait prendre dans mon parc, du brûlement de tous les titres féodaux, du décret, rapporté plus tard, par lequel on confis- quait tous les livres et estampes qui portaient des armoiries, de l'ordre d'abattre tous les murs et de fouiller dans les églises, de la réquisition des armes, qui ne me furent rendues qu'en partie, de l'ordre de faire brûler tous les faux bois pour faire des cendres et en extraire le salpêtre, enfin tout ce que peut imaginer l'esprit de destruction et de brigandage. Depuis le 9 thermidor, tout rentrait dans un état plus facile, mais le mal était à son comble, et l'on ne pouvait revenir que peu à peu à une situation meilleure. Cependant, les autorités écoutaient les réclamations et y faisaient droit autant que possible, et les honnêtes gens pouvaient voyager et se promener dans les rues sans être insultés ou méprisés comme jadis. Mes affaires exigeaient ma présence à Paris, et je me déter- minai à aller y passer une dizaine de jours avec mon ami M. de Rancogne. Nous nous mîmes donc dans ma berline, Jumeau, M. de Rancogne et moi, pour nous rendre à Orléans. Je remplissais un objet cher à mon cœur, celui d'aller voir mon ami, M. Olavidès, comte de Pilos, qui occupait, comme je l'ai dit, le château de Meung. Nous partîmes le 23 avril 1795 et fûmes coucher chez mon ami à Meung. Il est aisé de se douter du plaisir que nous eûmes à nous revoir. Mon ami, dans la haute dévotion, avait avec lui un M. Reinard, prêtre, ancien professeur de physique à Amiens, qui avait accom- pagné des Anglaises dans un voyage d'Italie, et était revenu avant la grande Révolution se faire oublier à Meung. C'était un homme d'esprit, d'instruction et religieux. Nous partîmes le lendemain de grand matin pour nous rendre à Orléans, où nous avions retenu trois places dans la voiture publique. Il n'était plus question de voyager avec ses 236 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. voitures et ses chevaux; les fourrages manquaient sur la route, et, sans l'avoine que j'avais emportée, nous n'aurions pu arriver jusqu'à Orléans. Nous sûmes que nous ne partirions que le lendemain; je renvoyai ma voiture, et, après avoir dîné à table d'hôte, nous allâmes le soir à la comédie. On l'avait établie dans une église, vis-à-vis l'Intendance qui était changée en hôtel des administrations. La comédie fut bruyante. Il parut un bonnet rouge aux troisièmes, on le jeta sur le théâtre. Deux officiers de la ville en écharpe faisaient la police. Il se trouva qu'un ancien procureur estimé, frère du sieur Bim- benet, mon homme d'affaires à Gheverny, y était en fonc- tion ; dès qu'il m'aperçut, il vint me trouver à l'orchestre et me mit au fait de la police exacte qu'on y faisait contre les jacobins deux avaient été bâtonnés le matin sur la place du Martroi. Dès qu'on pouvait les joindre, c'était une vraie fête pour la jeunesse de la ville de les étriller d'importance. Nous partîmes le lendemain dans une voiture ronde, au nombre de huit, à onze heures du matin, pour aller souper à Étampes. A Étampes, mon premier soin fut de m'informer de M. et madame Pajot de Marcheval; j'eus toutes les peines du monde à les trouver. Ils avaient l'espoir de rentrer dans leurs terres ; je leur offris mes services, et je partis pour Paris, où nous arrivâmes dans la rue de la Comédie-Française 1 , près le Luxembourg, à neuf heures du matin. Je laissai le soin de mes affaires à Jumeau; M. de Ran- cogne partit de son côté, et moi je m'acheminai doucement pour me rendre au vieux Louvre, chez mon ami M. Sedaine, où j'étais attendu. Ce fut une vraie joie de nous revoir; je les avais secourus en victuailles le plus qu'il m'avait été possible, et ils avouèrent que sans cela, malgré leur aisance, ils seraient morts de faim. Us avaient chez eux mademoiselle Froidure de Réselle, leur fils aîné, qui était revenu de Stras- bourg couvert de gale, après avoir servi et pensé périr mille fois, leur fille aînée et la cadette qui avait seize ans et était 1 De l'Ancienne-Comédie. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801 . 257 belle comme un ange. Il y avait trois ans que nous ne nous étions vus. Tous les soirs de mon court voyage, je fréquentai les spec- tacles j'entendis chanter partout le Réveil du peuple, et je vis là, mieux que partout ailleurs, l'effervescence des jeunes gens contre les buveurs de sang. Il n'y avait pas une pièce où il ne fût question d'eux. J'allai à l'Opéra, où je vis une scène comme on en voyait souvent, mais qui était très-nou- velle pour moi. Lays, acteur de j'Opéra, avait été un ter- roriste décidé ' ; croyant l'effervescence passée, ii se décida, de concert avec ses camarades, à reparaître sur la scène, et se fit annoncer sur l'affiche comme devant jouer le rôle d'Oreste dans l'opéra â'Iphigénie de Gluck. J'étais dans l'amphi- théâtre; toute la salle était pleine. Dès qu'il parut, ce furent des silflements, des hurlements continuels; il resta les bras croisés. Il voulut parler, il voulut chanter; les cris redou- blèrent, et les femmes, dans toutes les loges, tirèrent leur mou- choir pour lui faire signe de se retirer. Au bout d'une heure, il sortit au bruit des applaudissements. Alors, un officier municipal s'avança sur le théâtre, il prononça Au nom de la loi ! » Toute la salle se tut. Il fit une phrase aussi plate qu'insignifiante; les cris, les hurlements recommencèrent de plus belle, et ce fut le même train. Enfin, à huit heures, le spectacle commença, et ce fut un autre acteur qui joua le rôle. A neuf heures, je me retirai. On m'avait prévenu que les rues de Paris n'étaient plus sûres le soir, et il n'y avait pas moyen de se procurer une voiture. Dès le lendemain de mon arrivée, je m'étais présenté à la section du Louvre, sur laquelle je demeurais. Elle siégeait à la Samaritaine sur le pont Neuf. Il me fallait deux répon- dants, sans compter M. Sedaine chez qui je demeurais. Pajou et Houdon 2 , les deux plus fameux sculpteurs de Paris, que 1 Voir à ce sujet la Biographie moderne 1806 et MM. de a Société française sous le Directoire, p. 357. 2 Jean-Antoine Houdon 1741-1828. Si nous avons rencontré à différentes ". 17 258 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. je connaissais beaucoup, se présentèrent pour m'en servir. Ainsi accompagné, je me rendis au bureau, où l'on enregistra mon passe-port. Après une demi-heure d'attente, on vérifia mon signalement, on reçut mes cautions et l'on me rendit mon passe-port avec injonction d'aller dans les deux jours au Comité de sûreté générale, pour obtenir la permission limitée de rester à Paris tant que mes affaires l'exigeraient. J'y allai le lendemain avec M. Sedaine et Jumeau. Le comité était en face de la rue de l'Échelle, dans l'ancien hôtel de La Vallière. Nous montâmes l'escalier et entrâmes dans une antichambre fort remplie de peuple; des cavaliers de gendarmerie faisaieut la police. Après une fort longue attente, j'entrai dans une pièce qui avait été jadis un grand salon, et où huit députés étaient autour d'une table. Appa- remment que ma tenue, plus propre que celle des autres, les frappa. Ils se passèrent mon passe-port et m'accordèrent une décade comme je le demandais. Je sus qu'Ysabeau , député de Tours, et qui sûrement avait entendu parler de moi, était celui qui m'avait le plus fixé. Après avoir fait timbrer mon passe -port, je descendis l'escalier avec Jumeau, et nous vîmes venir à nous le trop fameux Rochejean, avec la même tenue qu'il avait aux Car- mélites. Fidèle à la parole donnée, il passa à côté de nous comme si nous ne nous étions jamais rencontrés. Dès que j'eus mon passe-port, je m'assurai d'un fiacre à vingt-cinq francs en assignats pour chaque matinée, étant assez mauvais piéton. J'allai chez M. et madame Amelot, et je trouvai mon beau-frère dans un état bien triste ; il ne me reconnut pas. Madame Amelot se flattait qu'au beau temps sa tête et sa santé reviendraient. Nous dinâmes tristement avec madame la marquise de Roncherolles, madame Justine et un chirurgien, et à cinq heures, je courus la ville. Huit jours sont bientôt passés lorsqu'on a des affaires; je pris une matinée pour aller voir Mittié, mon médecin; il reprises dans ces Mémoires le nom de Pajou, c'est la première fois qu'on y trouve celui de Houdon. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 259 demeurait faubourg Saint-Honoré, tout au bout de la rue de l'Union l . M. de Salaberry m'offrit de m'y accompagner. M. de Salaberry avait alors trente ans. Il avait de l'esprit, de l'instruction, de la vivacité et une âme extrêmement hon- nête. Son caractère cbarmant, pareil à celui de son père, lui avait attiré mille amis des deux sexes qui l'avaient servi à merveille. J'allai voir aussi M. et madame de Luçay, qui demeuraient dans la même rue; de là, je passai chez mon ami Richebourg. Sa femme me conta que quoiqu'il eût été directeur de la Poste 2 , il avait échappé aux persécutions, grâce à l'amitié qu'on lui avait portée à la section du Roule. J'allai de là voir mademoiselle Legendre, ma belle-sœur, établie dans sa maison de Ghaillot; elle avait été obligée de se cacher pendant six mois. J'allai dîner chez madame de Salaberry, rue des Filles- Saint-Thomas, à l'hôtel des Trois Empereurs. A peine étions- nous sortis de table qu'on vint nous dire que la garde natio- nale entourait le Palais-Royal, que les patrouilles parcouraient les rues, et qu'on parlait d'une révolte. Malgré l'effroi des dames, chacun partit de son côté, moi pour retourner au Louvre, et M. de Salaberry pour se rendre à sa section. Je trouvai les dames déjà instruites du mouvement qui se préparait; à chaque instant, on venait leur dire des nou- velles; c'étaient des rixes de jeunes gens, que l'on appelait la troupe dorée de Fréron , contre des terroristes quelques voies de fait et beaucoup de menaces. Au bout d'une demi- heure, je les quittai. Je suivis la rue du Coq, vis-à-vis la barrière des Sergents; la rue Saint-Honoré était aussi tran- quille qu'à l'ordinaire. Il en était de même au Palais-Royal; j'allai jusque chez Le Bret, mon libraire, dans ce qu'on -appelait les baraques de bois ou le camp des Tartares il m'assura que tout était fini. Tel est Paris, et j'en avais fait l'expérience dans le temps de l'affaire de Réveillon on se 1 Rue d'Angoulême Saint-Honoré, puis rue de Morny et rue de la Boëtie. 2 II avait été, en 1792, président du directoire des postes et relais, comme on l'a dit ailleurs. 17. 260 MÉMOIRES DU COMTE DE CHEVERNY. tuait, s'assommait, se fusillait dans une rue, dans tout un quartier, tandis que le reste de la ville l'ignorait. J'avais rencontré M. de La Porte, dont j'ai déjà raconté l'arrestation; je vais en parler avec plus de détails. Lorsque ]a Révolution arriva, il était marié et avait une fille et un garçon, à un an de distance l'un de l'autre. Son fils ayant seize ans, il voulut le mettre à l'abri et, comme je 1 ai dit, l'envoya voyager en Europe, principalement en Italie, avec un gouverneur. Il garda sa fille avec lui et se confina à Meslay, sans se mêler de rien. N'imaginant pas qu'on pût regarder comme émigré un enfant qui ne voyageait que pour s'instruire, il le laissa se fixer à Rome et entretint avec lui un commerce suivi de lettres. Ce fut l'occasion de visites domiciliaires impromptu et des saisies les plus outrageantes. Vourgères, de Vendôme, alors membre du Comité de Blois, fut l'instigateur de toutes ces mesures. Les coquins Hézine et Péan s'attachèrent à faire éprouver à M. de La Porte tous les genres de persécution, et l'on finit par l'incarcérer avec M. de Salaberry. M. de Pérignat, de Vendôme, vint bientôt les rejoindre. Mademoiselle de La Porte, âgée de dix-neuf ans, de la physionomie la plus intéressante, ayant eu une éducation soignée, et remplie de talents, resta seule à veiller aux intérêts de ses parents, fit toutes les démarches pour leur procurer la liberté, et montra une énergie, un courage actif et un caractère au-dessus de tout ce qu'on pourrait en dire. Enfin, un moment plus doux arriva ils venaient d'être mis en liberté, lorsque l'infernal Comité de Blois répandit le bruit qu'on avait trouvé dans les interlignes des lettres de M. de La Porte fils, passant pour émigré, une correspon- dance compromettante. A l'instant M. et madame de La Porte furent incarcérés à Vendôme, et l'on assura qu'ils allaient être conduits au Tribunal révolutionnaire, d'où per- sonne ne revenait, tout accusé étant considéré comme cou- pable. La terre fut mise en vente, les meubles à l'encan. Mademoiselle de La Porte était aimée, considérée. La mort QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 261 de M. de Salaberry faisait trembler pour eux tout ce qu'il y avait d'honnêtes gens à Vendôme. On s'occupa de les faire évader. La fille conduisit tout, et ils purent se sauver. La mère partit avec l'abbé Bailly, ancien vicaire à Cour, et alors curé à Danzé, homme d'esprit et de tête; elle alla se confiner dans les vallons des Pyrénées, chez des particu- lières dont elle passait pour la nièce ' ; on craignait sa tête trop vive. Pour M. de La Porte, sûr de son sang-froid, il se rendit à Blois. Un chirurgien, le plus honnête possible, nommé Verger, le cacha pendant cinq mois; logé au milieu de la ville, il fut assez heureux pour attendre tranquillement la fin des orages jusqu'au 9 thermidor. Mademoiselle de La Porte, qui seule conduisait tout avec un M. Monnierde Vendôme, connaissait un nommé Gaillon, ancien procureur, fort livré à la Révolution, mais que Ion croyait jouer le patriote. Elle lui confia argent, bijoux, linge, habits, meubles précieux, enfin tout ce qu'elle avait pu sauver. Voyageant sans cesse de Vendôme à Blois, logeant dans toutes les auberges sans jamais y séjourner, allant tantôt à pied, tantôt à cheval, tantôt en charrette, tantôt par le messager, elle montrait une activité et un dévouement dont on ne peut avoir d'idée. Elle voyait son père furtive- ment, et courait où le besoin de sa présence auprès des auto- rités pouvait être nécessaire. Les enragés avaient été furieux de l'évasion, car ils regardaient l'exécution comme sûre et comptaient sur la confiscation. Leurs projets déjoués, ils n'en parlèrent plus. Enfin le 9 thermidor arriva; mademoiselle de La Porte court à Paris, assiège les Comités; jeune et belle, armée de ses moyens de défense, qu'elle employait avec les larmes de la persuasion, elle attendrit les plus cruels. Un commis, les larmes aux yeux, lui rend l'ordre de la sortie de son père en disant On me punira si l'on veut, mais je ne puis pas vous refuser une chose juste que des manœuvres sourdes 1 Voir chapitre xxix. 262 MEMOIRES DU COMTE DUFOIIT DE CHEVERNY. retardaient encore. » Elle revient triomphante, et son père sort de sa retraite. J'étais libre depuis deux jours, et nous allâmes nous voir réciproquement. Il avait été bien plus malheureux que moi. Je vis les honnêtes gens qui l'avaient sauvé et la chambre où il avait vécu, entouré des soins les plus tendres. Il obtient son entière justification, on pense qu'outre ses papiers, on va lui rendre la mainlevée totale. Mais les choses traînent, les mesures contre les émigrés deviennent de plus en plus sévères, et le fils étant toujours regardé comme émigré, M. de La Porte est laissé seulement en possession provisoire de ses biens. Cependant, Gaillon avait été frappé comme d'un coup de foudre à la nouvelle que M. de La Porte allait reparaître. Mademoiselle de La Porte remarqua sa froideur, et elle se rappela à l'instant qu'elle avait vu madame Gaillon portant son linge et vêtue d'une robe à elle. Elle réclame ses effets; Gaillon dit n'en avoir pas l'état; elle demande cent louis qu'elle lui a remis, Gaillon répond qu'il est prêt à les lui rendre en assignats; il est vrai qu'il les avait remis lui-même au Comité, en laissant croire que c'était un don qu'il faisait à la patrie. Le fait s'ébruite ; on force M. et mademoiselle de La Porte, qui étaient à Paris, à faire leur déposition. Par générosité, ils accusent Gaillon le moins possible. Il perd seulement sa place de greffier criminel. M. de Salaberry le père avait vu dans sa prison la char- mante personne qui montrait tant de dévouement à ses parents, et il avait formé, de concert avec M. de La Porte, le projet de la marier à son fils. Tous les deux avaient de l'esprit et de l'énergie, et avaient passé par l'école du malheur. Le mariage fut décidé entre les deux pères, à la condition que les jeunes gens se conviendraient. Tel était l'état de cette affaire à mon voyage de Paris. Après avoir terminé quelques affaires personnelles, j'allai chez M. et madame de Sanlot. Je les trouvai en famille, heureux de l'espérance de marier incessamment deux de QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 263 leurs filles ! . Je voulus aller à la Chaussée d'Antin voir M. de Lafreté et le président de Bonneuil, mon cousin, qui n'eût pas échappé au supplice si la chute de Robespierre avait tardé de huit jours. Je ne les trouvai ni l'un ni l'autre. Il n'y avait pas de rue qui ne m'inspirât de pénibles réflexions. Chaque maison, chaque hôtel où j'avais connu quelqu'un était vide. L'hôtel Talaru, rue Vivienne, demeure d'un de mes amis, était devenu une prison, et le maître avait été exécuté ; l'hôtel de Gramont, sur le boulevard, me faisait souvenir de la triste fin de la femme de France la plus altière et du meilleur ton ; l'hôtel de Malesherbes me rap- pelait un crime qui couvrira de honte dans tous les siècles cette malheureuse Révolution. J'allai chez madame Lecouteulx du Moley; elle était la seule qui tînt une maison dans ces temps difficiles, où l'on, mangeait à Paris du pain qui tenait au couteau comme s'il eût été fait de sarrasin. J'y dînai une fois. Je n'avais plus rien à faire; j'entendais journellement parler d'émeute, j'étais obligé de revenir à pied des spectacles, qui ne me faisaient aucun plaisir à cause du genre des pièces qu'on y jouait, et des scènes continuelles qui s'y passaient. Je me décidai donc à partir. J'empruntai un cabriolet, je louai au poids de lor deux chevaux pour me mènera la Croix de Berny, car il était impossible d'avoir des chevaux de poste à Paris, et, dûment muni de mes passe-ports, je partis à la pointe du jour. Trois fois dans la route on me demanda mon passe-port; à la dernière, un bonhomme, après l'avoir bien regardé, me le remit en me disant Citoyen, je vous souhaite un bon voyage, et que le bon Dieu vous accompagne! » langage bien étonnant et bien remarquable dans un temps où tous les diables étaient déchaînés. Les postes étaient mal servies; mon cabriolet s'était cassé dans la forêt de Cercottes, et il 1 M. Sanlot avait trois filles, dont l'une épousa M. Esmangard; la seconde, M. Bontils, et la troisième, le général Gorbineau [Saint-John de Crèuecœur, p. 230. 264 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE C1IEVEUNY. avait fallu le ramener au village pour le réparer. J'arrivai donc fort tard à Orléans, où mes gens m'attendaient depuis le matin avec mes chevaux et ma voiture. Nous devions tous aller coucher à Meung, mais il fallut attendre le lendemain, et j'arrivai pour dîner chez mon ami Pilos. Laurenceot, le député, était venu faire un voyage de cinq jours à Paris, et m'avait proposé de revenir à Blois avec moi. Mais il avait retardé son retour, et j'avais pris le parti de revenir seul, d'autant plus que mes deux chevaux, à l'auberge d'Orléans, me revenaient à vingt louis par jour en assignats. On croyait à Blois que le député revenait avec moi. Je trou- vais donc à mon arrivée le commissaire des guerres, l'agent national, enfin tous les gens qui dépendaient de lui. Je ris avec eux de l'honneur qu'ils me faisaient, honneur qui m'avait été rendu autrefois comme lieutenant général, mais dont actuellement je n'étais plus digne et que je n'enviais pas du tout. CHAPITRE XXVI Mesures contre les terroristes; on instruit contre Dulièpvre. — Départ de Laurenceot. — Vie à Blois. — Les Arnelot, etc. — On poursuit les auteurs du massacre de la levée. — Rapport de l'accusateur public. — La procé- dure est supprimée. — Convocation des assemblées primaires. — Accepta- tion de la constitution de l'an III. — Difficultés pour la réélection des membres de l'ancienne Assemblée. — Troubles de Paris. — Les jacobins reviennent sur l'eau. — Mission de Sevestre. On travaillait les terroristes à Blois à l'instar de Paris; tous furent désarmés. On n'oublia pas les frères Dulièpvre, dont la conduite avait révolté toute la ville. Les autorités avaient été renouvelées et composées de tout ce qu'il y avait d'honnête dans la province. M. Bellenoue-Villiers, homme probe, éloquent et de beaucoup d'esprit, était procureur général du Département, mis en place par Laurenceot. Il crut nécessaire d'expliquer par des pièces le désarmement des terroristes. Je reçus donc une lettre, par laquelle il m'invi- tait à me rendre à son bureau, et à faire connaître mes griefs contre Dulièpvre. Le rôle de délateur m'a toute ma vie déplu ; je commençai donc par lui déclarer que je ne savais rien. Il me dit alors Monsieur, vous désirez que les honnêtes gens soient en place, qu'ils poursuivent les ter- roristes, et, dès qu'ils font leur devoir, vous les abandonnez. En ce cas, il faut qu'à l'instant je remette ma place. » Je le quittai, et, réfléchissant à ce que ce galant homme venait de me dire, je me décidai à rédiger un mémoire que je lui remis le lendemain, et dans lequel je relatais toute la con- duite de Dulièpvre '. 1 L'auteur reproduit ici ce mémoire, que j'ai cru devoir supprimer, comme ne faisant que répéter des faits qui ont été racontés en leur temps. 266 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. Chevalier, jadis perruquier de ma femme, était, comme je l'ai dit, devenu administrateur par ses intrigues. Dès qu'il vit que la Révolution se tournait dans un autre sens, il changea comme elle. Avant ma sortie de prison, quelques jours avant le 9 thermidor, il vint à Gheverny épurer, dit-il, les autorités. C'était pour traiter Dulièpvre comme un gueux et lui ôter ses prétentions à aucune place. Les coquins étaient amis quand il s'agissait de piller; mais quand l'un pouvait faire sa main aux dépens de l'autre, il n'était plus question d'amitié. Dulièpvre se le tint pour dit et se confina dans sa closerie sans voir personne ; bafoué, conspué dans les deux bourgs quand il était obligé d'y passer, recevant dans la ville des injures comme délateur, il se tint coi et il fit bien. Depuis deux ans, ni moi ni personne des deux bourgs n'en avons entendu parler. La mission de Laurenceot étant finie, il rentra a la Con- vention, craint des terroristes. Il aimait le plaisir plus que le travail et n'avait pas la gravité d'un administrateur, mais il laissa une réputation d'exacte probité, et on lui savait gré de la persécution qu'il avait subie. Nous revînmes passer l'hiver à Bîois, et nous vécûmes aussi tranquillement qu'un temps de Révolution peut le permettre. Tout notre désir était de nous réunira notre ami, M. Ola- vidès, comte de Pilos. Je lui proposai de venir vivre avec nous, me chargeant de le nourrir, lui, son ami et un valet de chambre. C'était pour nous une société charmante, et pour lui l'agrément de sa vie. Il était connu dans leBlaisois, ayant passé à Gheverny plusieurs mois à différentes époques. Il arriva donc au mois de juillet de l'année passée, 1795, et depuis ce temps nous vivons tous en frères. La littérature, les journaux, les soins de la campagne, nous font mener une vie très-douce. Nous sommes rentrés ici ensemble pendant l'hiver, ma maison de Blois étant trop exiguë pour nous contenir tous; comme j'espère l'augmenter d'une autre l'année prochaine, nous irons y passer trois mois l'hiver. Quelques amis viennent QUATRIÈME ET DEIiNlÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 267 nous voir, mon fils aîné et sa femme dînent chez nous deux fois par semaine avec leurs enfants. Us ont aussi une fort jolie maison à Blois dans la rue des Carmélites, rue que j'habite; nous sommes donc à même de nous voir souvent, soit à la ville, soit à la campagne. M. de Toulongeon, mon gendre, après avoir passé trois ans a Harfleur, près du Havre, est revenu dans sa terre, il y a six mois, avec sa femme près d'accoucher de son sixième enfant. Madame veuve Amelot vit à Paris avec ses deux filles madame la comtesse Justine, non mariée, et madame la marquise de la Ferté, séparée de son mari par les circon- stances de la Révolution, ayant une fille avec elle, son mari ayant emmené son fils. M. Amelot, mon neveu, devenu veuf de mademoiselle de Biré, après avoir couru les plus grands dangers, s'est retiré à Madon, terre qu'il a achetée, à quatre lieues d'ici, et qu'il habite de préférence à sa terre de Chail- lou. Madame la marquise de Roncherolles, n'ayant plus avec elle ses enfants, qui sont dans les pays étrangers, vit chez sa belle-sœur, madame Amelot. M. le président Ghabenatet ses fils, mes cousins germains, vivent à Paris rue de la Chaussée d'Antin ou à Bonneuil près Paris. M. le marquis de Bouthillier-Chavigny, mon cousin issu de germain, et ses sœurs mariées sont tous sortis de France. M. et madame de Gauvilliers et leur fille, que nous avons tous élevée, jouissent, depuis la mort de M. Delorme, de la terre du Guélaguette, à cinq quarts de lieue d'ici, et continuent à nous tenir fidèle compagnie. Tel est le tableau de notre famille et de notre entourage. Enfin, j'ai terminé aujourd'hui, 1 er mai ! , l'histoire entière des événements qui se sont passés sous mes yeux et qui me sont personnels. Je vais, maintenant, dans un bref exposé, rapporter les principaux faits qui ont eu lieu dans le pays jusqu'au moment où je suis; alors, changeant de manière, je ferai un journal comme L'Étoile, où je mettrai successive- 1 1796, d'après ce qui précède. 268 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. ment, non les grands événements de la nation, mais les faits particuliers qui se passeront dans ia province, que l'on con- naît maintenant sous le nom de département. On y verra jour par jour les événements d'un petit pays. Ils donneront une idée de l'ensemble ; tout se passe de même partout, à quelques nuances près. Je reviens au départ de Laurenceot. Les corps renouvelés, les administrations et la justice, composés de gens probes et se croyant appuyés par le gouvernement, ne tardèrent pas à attaquer juridiquement les scélérats qui s'étaient joués de la vie et de la propriété des honnêtes gens. On incarcéra ceux qui avaient commis sur la levée de Blois les assassinats que j'ai relatés en leur temps. Je consigne ici le rapport de l'accusa- teur public, pièce rare et curieuse, qu'on a soustraite depuis ' Du 13 thermidor, an III e de la République française 2 . Acte d'accusation contre les nommés Le Petit 3 , Simon 4 , Bonneau 5 , Le Moine 6 , Vaulivert 7 , Hézine et Gidouin. FAITS. Lors de l'approche de l'armée vendéenne vers Beaugé, la ville de Saumur fut mise en état de siège. Le représen- tant du peuple Le Vasseur de la Sarthe donna des ordres pour l'évacuation des prisonniers sur Orléans; il confia l'exécution de ses ordres aux nommés Le Petit et Simon, et 1 Malgré la longueur de la pièce que l'on va lire, on a cru devoir la repro- duire in extenso. Elle paraît en effet inédite, et c'est un document des plus curieux pour l'histoire de la Terreur. 2 13 juillet 1795. Les Mémoires donnent l'intitulé et toutes les formules juridiques. 3 Membre du Comité révolutionnaire de Saumur. 4 Commandant de l'escorte. Simon était un jeune soldat de vingt-deux ans, d'une jolie figure, et marié à une jolie femme de son état. » Note de fauteur, 5 Membre du Comité révolutionnaire, et administrateurdu district de Chinon. G Mêmes qualités. 7 Membre du Département d'Indre-et-Loire. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-lSOl. 209 obtintdugénéralCommèrelecomniandementdel'escorte... ; cette escorte fut composée de quatre cents hommes. Il paraît que ces ordres furent concertés; les registres des autorités de Saumur et les registres destinés à recevoir les écrous n'en font aucune mention. Les prisonniers étaient de huit cents à huit cent cin- u quante; on peut les diviser en quatre classes. La première était d'hommes et de femmes habitants de la Vendée. La deuxième, d'hommes incarcérés comme suspects d'après la loi du 17 septembre 1793. La troisième, de prêtres, la majeure partie assermentés. La quatrième, d'hommes et de femmes reclus pour simple cause d'attachement au culte catholique. Le 12 frimaire 1 fut le jour fixé pour le départ; c'est dans l'ombre des ténèbres et à la lueur des flambeaux que se fait cette expédition. Le Petit et Simon, accompagnés de la force armée, se présentent dans les prisons sur les neuf heures du soir, mais le nombre des prisonniers est si grand que peu d'entre eux peuvent se placer sur les voi- tures qui leur sont destinées; hommes, femmes, filles, gar- çons, enfants même depuis l'âge de treize ans, sont obligés d'aller à pied, liés deux à deux, devant les charrettes. A peine fut-on sorti de la ville, l'ordre de fusiller tous ceux qui ne pourraient pas marcher fut donné par Le Petit. Depuis Saumur jusqu'à Orléans, on compte six cents malheureuses victimes de la fatigue, du besoin, et plus par- ticulièrement de la barbarie de leurs chefs; noyades, fusillades, massacres, vols, tels sont les crimes qu'offre cette cruelle translation monstruosité inouïe, car ils n'étaient pas commandés par la nécessité; aucun procès- verbal n'annonce que les prisonniers se fussent révoltés, aucune pièce ne fait connaître ce dont ils étaient coupables, u aucun jugement ne détermine ce dont ils étaient con- vaincus; obéissance et soumission pour les ordres du 1 2 décembre 1793. 270 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. représentant du peuple et de ceux qui les conduisaient, voilà ce qui perce de toutes parts. Que l'on juge de ce qui se passa depuis Saumur jusqu'à Montsoreau; on pouvait suivre le convoi aux traces de sang qui se trouvaient sur la route ; à chaque instant on tuait, de l'ordre des chefs, des malheureux qui, exténués de fatigue, ne pouvaient se soutenir; la vieillesse et l'enfance n'étaient même pas une cause d'exception. A Montsoreau, un malheureux est laissé pour mort dans la plaine des Adaux, il était percé de coups de baïonnette; on le réintègre dans les prisons; la municipalité, travaillée par la terreur, le fit jeter sur le fumier, où il fut immolé par un volontaire qui passait. Au coteau des Moncenières, entre Saumur et Montso- u reau, un malheureux succombait; il est impitoyablement tué par les soldats de l'escorte, qui déclarèrent obéir aux ordres de leurs chefs. La nuit vint jeter son voile lugubre sur ces scènes > d'horreur, mais de nouveaux forfaits se préparaient pour le lendemain. Au lever de l'aurore, le 13, en la commune de Lande l , un malheureux vieillard cède à l'affreux destin qui le poursuit, les forces l'abandonnent, il succombe. Une voix lui crie de marcher. — Je ne puis. — Je vais te tuer. — Tue-moi. — Commandant, faut-il le tuer? — Tue, répond le commandant de l'escorte, portant un habit vert et une épaulette garnie de fils d'argent. Le malheu- reux est fusillé, jeté dans l'eau; au sein de l'onde il palpi- tait encore, mais ses bourreaux terminèrent son existence à coups de pique. Un raffinement de barbarie se manifeste dans les ordres que donne Simon; il fait défendre de sortir des rangs sous peine d'être tué. Un instant après, un jeune homme de seize ans tombe de besoin; il rompt les rangs, un coup de pique lui est 1 Plutôt Candes Indre-et-Loire, au confluent de la Loire et de la Vienne. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 271 porté à la figure; elles se croisent sur son corps, et il est enlevé à l'aide de cet instrument fatal et tué à la sortie de Lande. Un émissaire de Le Petit, chargé d'un réquisitoire pour la municipalité de Chinon, y devance les prisonniers, et répand le bruit dans cette commune que ce sont des bri- gands de la Vendée, pris les armes à la main , qu'on con- duit à Orléans. La fureur se manifeste, et ils sont reçus avec les imprécations les plus Fortes ; les chefs profitèrent adroitement de cette disposition du peuple. Un malheu- reux vieillard, passant sur le pont de Chinon, tombe de fatigue; deux volontaires le saisissent au collet, veulent le contraindre de marcher, s'emparent de ses assignats, et, par Tordre de Simon, il est jeté par-dessus le pont. Le convoi arrive dans la commune de Chinon ; les pri- sonniers sont divisés; les uns sont déposés dans l'église de Saint-Même, les autres aux Ursulines. Des commis- saires de la municipalité et du Comité de surveillance se rendent à l'église pour y maintenir le bon ordre ; le commissaire de la municipalité se renferme dans les bornes de sa mission ; mais les membres du Comité de surveil- lance, Bonneau et Lemoine, participent aux horreurs qui s'y commettent. A leur arrivée , ils blâmèrent ceux qui apportaient de la nourriture aux prisonniers ; ils firent mettre en prison deux femmes pour leurs œuvres de cha- rite, et déclarèrent qu'il ne fallait rien apporter à des brigands pris les armes à la main. On fait mettre les prisonniers sur deux rangs. Lemoine les fait défiler en sa présence ; son collègue et lui déclarent que quiconque d'entre eux quitterait son chef de file serait privé de la ration de pain , et que quiconque sortirait des rangs serait fusillé. Les prisonniers crurent trouver dans les membres du Comité de surveillance des hommes qui compatiraient à leurs infortunes, mais ils se trompaient; ils rejetèrent leurs demandes et écartèrent leurs sollicitations. Tant de pré- 272 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. paratifs, une aussi mauvaise réception, annonçaient pour le lendemain quelque chose d'extraordinaire. Un bruit sourd de la fusillade qui devait avoir lieu le lendemain se répandit dans la commune ; le soir même, on en parlait au Comité de surveillance; une garde avait été mise par le commandant de la place pour surveiller les prisonniers; la nuit se passa dans le calme , sans plaintes ni agitation. Le Petit et Simon se rendent dès six heures du matin à Saint-Même ; Bonneau les y accompagne ; on fait le dénom- brement des détenus, on les met sur trois rangs; les vic- times qui devaient être sacrifiées furent laissées dans la nef, et les hommes regardés comme suspects furent mis dans le chœur. Heureux qui pouvait obtenir cette place! Bonneau et Lemoine parcouraient les rangs et partici- paient aux dispositions hostiles qui se préparaient. Sur les huit heures du matin, on bat la générale, et les citoyens se rendent sur la place; l'ordre portait que l'on devait s'v présenter, sous peine d'être déclaré suspect. Simon distri- ct bue la force armée, invite les citoyens de se joindre au détachement, et, quand ils font résistance, menace de les faire fusiller; ils se retirent. Des cartouches leur avaient été distribuées par le garde-magasin des poudres sur la réquisition du commandant de la place ; il en fit la distri- bution à son détachement. Déjà les voitures commençaient à défiler, lorsqu'un des membres des corps administratifs vint inviter Le Petit de se rendre au Comité de surveillance; il y va avec Simon. On lui demande de quel ordre il se dispose à faire fusiller u sur le territoire de la commune des prisonniers dont le convoi est destiné pour Orléans ; on lui demande où est le jugement qui porte leur condamnation. Il déclare avoir des pouvoirs illimités du représentant Le Vasseur de la Sarthe , dont il n'est comptable à personne. Cependant il en excipe, et les membres, après en avoir pris lecture, déclarent, ainsi qu'il est porté par leur arrêté du 14 fri- maire, que, vu les termes dans lesquels leurs pouvoirs QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-180 1. 273 sont conçus, signés du représentant du peuple , Le Vasseur de la Sarthe, ils se reposent pour l'exécution de la mission dont sont chargés lesdits commissaires sur leur zèle et pru- dence , pouvoirs qui, d'après les recherches faites sur les registres des autorités constituées de Ghinon, n'existent inscrits sur aucun d'eux. Simon, au retour du Comité, se rend à l'église, où il entre comme un furieux; il jette sa rage sur un malheu- reux, le traite de brigand, le menace de lui couper le cou, et le frappe à coups de plat de sabre. Inhumainement , il disait aux uns et aux autres Tu danseras la carmagnole l paroles insignifiantes, mais terribles pour les circonstances. Pendant ce temps, Le Petit était sur la place, qui, avec profusion, faisait distribuer du vin au détachement; les citoyens étaient également invités à en prendre. Simon se joint à lui, l'aide dans la distribution ; il harangue les sol- dats Mes amis, leur dit-il, buvons; il faut du courage; frappez sans pitié les ennemis de la patrie. Une scène inattendue, mais préparée avec intention, se développe au même instant, dans l'église de Saint-LMême. Un individu est tiré de la maison d'arrêt par les militaires de la garnison , et conduit dans la nef; on le réunit à six individus destinés à être fusillés. Qu'avait- il donc dit? qu'avait-il donc fait? quel crime avait-il donc commis? Lemoine l'explique C'est ce scélérat, dit-il à quelqu'un qui laccompagnait, gui a travaillé chez Goulard , chape- lier, qu'on a arrêté ces jours derniers; il est venu pour espionner. Le malheureux proteste de son innocence Tais- toi, dit Lemoine, scélérat, tu seras fusillé comme les autres - l'arrêt est prononcé. Recherché dans les prisons, recherché sur les registres des écrous, rien n'atteste son existence- qu'est-il donc devenu? Au milieu de ces différentes scènes , les détenus défi- laient. Une plus tragique se préparait. Un malheureux, en sortant de l'église, pouvait à peine se traîner; un coup de a baïonnette lui perce le dos, on le rentre dans l'église, son »• 18 27i MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. corps résiste aux coups redoublés des piques, et il est tué de deux coups de fusil. Quoique les prisonniers prévissent bien le sort qui les attendait, on a cependant la précaution inhumaine de leur déclarer qu'on les conduisait au sup- plice. Pendant la route, le soldat impatient disposait de leurs dépouilles; il prenait leurs chapeaux, il leur arrachait leurs mouchoirs du cou; il leur enlevait leurs boucles, leurs portefeuilles. A peine les prisonniers sont-ils hors des murs de la commune, à peine ont-ils gagné le chemin de Tours, Simon s'empare du cheval d'un gendarme; l'exécution commence. Un vieillard ne peut marcher, il donne ordre de le tuer , et , portant la parole , il dit En voilà un de tué ils ont massacré nos frères d'armes; enfants, courage! n'épargnons pas ces gueux-là. Les vic- ie times s'accumulent sous les mains de Le Petit et de Simon ; impatientés, dans leur rage, ils coupent à coups de sabre les cordes qui liaient ces malheureux ; la liberté ne leur est don- née que pour recevoir la mort on donne l'ordre un feu de file, qui se fait entendre au loin, apprend à tous les bons citoyens l'attentat horrible qui vient de se commettre; deux cent quatre-vingts malheureux sont assassinés; ceux qui n'étaient qu'estropiés ne demandaient pour grâce der- nière que la mort la plus prompte. On vit, au milieu de ce carnage affreux, des enfants prendre des masses de pierre et en écraser les cadavres qui palpitaient encore. Mais qui l'eût cru? On vit des citoyens présents à cette terrible scène Bonneau, Lemoine et Martin. Lemoine prit part à l'action par ses discours, et Martin par des faits. Le premier re- proche à un gendarme son humanité de ne vouloir pas tuer ce qu'il appelait ces coquins-là. On vit le second faire usage tour à tour du couteau et de la pique pour égorger ces infortunés. Les dépouilles ensanglantées de ces mal- heureux furent la récompense de tant d'atrocités; les hommes, les femmes se les disputaient. Le Petit, encore teint du sang qu'il venait de répandre , écrit aux membres du Comité de surveillance de Ghinon que, malgré la sur- QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 275 veillance et les précautions qu'il a prises, il n'a pu con- tenir plus longtemps l'indignation des soldats, et qu'ils ont satisfait leur juste fureur en répandant le sang des bri- gands aux cris mille fois répétés de Vive la République! a dune multitude de citoyens dont ils avaient été suivis. Un malheureux était échappé à cette scène sanglante ; il est pris le lendemain, 15, dans la commune de Beau- mont, et de suite conduit au Comité de surveillance de Ghinon. Au moment où on lui faisait subir son interroga- toire, entre Vaulivert; il s'empare de la parole, et, après quelques questions, il dit aux membres du Comité Cela a me regarde naturellement, j'en fais mon affaire. Il donne les ordres à un officier de garde; on va chercher quelques soldats , et le malheureux est conduit à la prairie Saint- Jacques, où il est fusillé. Tel est l'usage que Vaulivert faisait de ses pouvoirs illimités. Depuis Ghinon jusqu'à Tours, il paraît qu'il y eut quel- ques malheureux de fusillés, mais les circonstances de leur mort sont inconnues. Toujours même tactique de la part de Le Petit. Il arrive le premier à Tours, il y prévient le peuple contre les prisonniers; on demande qu'ils soient noyés. Son vœu est bientôt exaucé; un des prisonniers s'étant écarté des voitures et ayant été menacé par les soldats de l'escorte, le commandant le prend de la main d'un officier de garde, ordonne de le fusilier sur-le-champ; il est amené près du parapet, fusillé et jeté à l'eau. Le Petit rendu à la municipalité, on lui proposa, d'après les décla- rations qu'il fit du nombre des prisonniers, de lui donner des rations de pain et la paille nécessaire; il eut l'inhuma- nité de répondre que ce n était pas la peine, que ces gueux-Ut a étaient mourants , n'avaient besoin de rien et ne pouvaient arriver à Orléans; remontrances qui firent que le pain ne fut distribué que le lendemain. Ce trait peint la férocité de son caractère et ses desseins perfides. Le convoi arrive à Amboise. Deux Allemands et le citoyen Péan, ci-devant curé de Cherai, sont immolés à 18. 276 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. la fureur de Le Petit. En vain l'humanité réclame plus particulièrement en sa faveur; il était âgé, et n'avait au- cune condamnation contre lui, — J'ai l'ordre, répond Le Petit, il faut qu'il périsse. Cet infortuné est conduit derrière les voitures, et est fusillé. Il paraît qu'à Amboise une partie des prisonniers fut conduite à la Tour, et que l'autre resta de l'autre côté de l'eau. Ceux qui sont destinés à passer l'eau sont conduits dans une charrière. Dans cette traversée, deux malheureux paysans sont jetés à l'eau; en vain ils luttent contre la mort, en vain ils veulent se cramponner au bâtiment, on les sabre, on les tire à coups de fusil. En débarquant une malheureuse femme , âgée de quatre-vingt-six ou quatre-vingt-sept ans, dont l'esprit était aliéné , Le Petit ordonne de la fusiller; sa nièce se jette sur elle, elle lui fait un rempart de son corps, elle s'écrie qu'il faut les tuer toutes deux. Ce généreux dévoue- ment sauva la vie à la tante, excita la pitié des volontaires, u qui la relevèrent et l'aidèrent à remonter le port. a Le 18, le convoi se rendit à Blois; à un quart de lieue de cette commune, Le Petit ordonne aux prêtres de mettre pied à terre. Les prisonniers, en entrant , y furent reçus aux cris de Vive la Nation! Vive la République! Quelques enfants criaient A la guillotine! Mais la pré- sence du magistrat sut écarter cette première efferves- cence. Le Petit se présente a la municipalité, excipe l'ordre de translation et demande une auberge. L'officier muni- cipal le conduit au Château-Gaillard; les femmes qui étaient dans des voitures furent déposées dans des cham- bres, les hommes et les prêtres dans des écuries. Un piquet de cinquante hommes de garde avait été commandé pour aller au-devant du convoi et protéger les prisonniers; mais cette garde n'était pas celle qui convenait aux inten- tions de Le Petit, il fit tous ses efforts pour l'éloigner. Deux officiers municipaux conduisirent ensuite Le Petit au Département, où le séjour qu'il demandait lui fut refusé Là, en peu de mots, Le Petit fit connaître son caractère QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 217 bouillant et irascible, et ses intentions perfides. Sur le refus qu'on lui fit, il déclara qu'il prendrait son parti, et qu'il saurait bien se défaire des détenus. Il était alors entouré des Plucquet, des Goulu et autres commissaires qui, pour le malheur de la commune, y avaient été vomis " pnr le département du Loiret. Hézine était présent, et sourit à cette première attaque ; mais une seconde fut portée par un des commissaires, qui demanda que les hommes incarcérés comme suspects à Blois fussent confiés à Le Petit pour leur translation à Orléans. Cette proposition couvrit de honte celui qui la fit , et la fermeté de l'assemblée l'éloigna. Les habitants de cette commune étaient inquiets sur le sort des malheureux prisonniers; déjà le bruit des atrocités de Le Petit se répandait, déjà même on parlait de fusillade pour le lendemain. Un propos tenu par Hézine, qui avait alors de la prépondérance parmi le peuple, se communiquait; il avait dit devant la maison de la com- mune Demain, au matin, on leur donnera une bonne cor- rection, et nous ferons voir aux Blaisois comme on les arrange; mais, malheureusement, cette première rumeur ne fut pas connue des autorités. On ignore si, jusqu'à cette journée, Hézine et Gidouin avaient eu quelques liaisons avec Le Petit et Simon; mais bientôt elles se firent con- naître d'une manière plus ostensible. Le Petit et Simon étaient logés a la Montagne; Hézine y fut le soir, 18 fri- te maire, veille de la fusillade. Quel motif l'y conduisit? quelles affaires y avait-il à traiter? Le même soir, Hézine, sur les onze heures, se rendit à l'auberge de la République, où il soupa. Il fut question de la fusillade; il dit qu'elle devait avoir lieu le lendemain, à sept heures du matin, et qu'il comptait s'y rendre. Qui lui avait dit l'heure où la fusillade devait avoir lieu? comment Pavait-il appris? et pour quel motif? Le lendemain 19, Hézine est mémoratif de l'enga- gement qu'il avait pris la veille. Dès six heures du matin, il va voir les prisonniers; il dit à quelqu'un qui l'accom- 278 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. pagnait quil fallait fusiller treize prisonniers à Blois pour donner l'exemple au peuple, et que c'était lui qui était la cause quon fusillait à Blois, qu'on commencerait par des paysans et qu'on finirait par de saints prêtres. Il ajouta quil avait soupe avec Le Petit dont il avait reçu une lettre, et qu'il devait y avoir deux autres fusillés à Beauqency, disant que la fusillade de Blois aurait lieu à huit heures du matin, A moins d'avoir assisté au conseil de Le Petit, à moins d'avoir participé à ses projets, on ne pouvait être plus prévoyant, car tout ce que dit Hézine arriva. Ce jour-là même Hézine vint trouver Le Petit à son auberge, causa avec lui, et sur quelques observations que fit quelqu'un qui l'accompagnait, la conversation étant sur la fusillade qui devait avoir lieu, Hézine répondit Mort aux aristocrates ! faut-il donc des ordres pour les tuer? En attendant l'heure fatale, Le Petit, Hézine et Gidouin se promenaient dans la cour de l'auberge du Château-Gaillard, se tenant sous le bras. Gidouin et Hézine disaient à Le Petit Tu vas nous en faire fusiller, de ces sacrés gueux de a prêtres 3 afin de faire un exemple au peuple et montrer à ces sacrés aristocrates de quelle manière on les arrange. — Ce que tu voudras, répondit Le Petit, ils sont à ma disposition. — Est-ce à cette provocation que les infortunés durent leur malheureux sort? ou avait-il été arrêté dans le conci- liabule qui eut lieu la veille au Château-Gaillard entre Le Petit, Gidouin et Hézine? Entre huit et neuf heures du matin, tout était disposé pour le départ. Le Petit donne l'ordre pour faire partir les voitures, il va même en avant. Il rencontre Hézine et Gidouin à la pointe qui fait face au Château-Gaillard, Hézine lui dit Eh bien! vas-tu nous en faire fusiller? combien en vas-tu fusiller? Les voilà partis. Le Petit répond d'un air farouche Ceux qui sont à fusiller ne sont pas encore partis. Un instant après, Le Petit rentre à l'auberge, fait sortir quatre paysans de l'écurie; il les fait conduire au bord de l'eau, les range lui-même les uns après les QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 279 autres, et ils sont fusillés par ses ordres et jetés tout habillés dans la rivière. Hézine et Gidouin sont les premiers à applaudir à ce spectacle par les cris de Vive la Nation! Gidouin dit alors à Le Petit Est-ce que tu ne nous feras fusiller que ces quatre paysans-là? tu ne nous feras pas fusiller quelques cuises? Ces mots à peine prononcés, il descend au bord de l'eau, regarde les cadavres, et dit Ce sont de f. gueux, de f. scélérats, on fait bien de les fusiller. C'est probablement dans ce moment que Le Petit dit ou crie Vive la Nation ! il n'y a qu'à aller chercher de ces h de prêtres, on va leur en faire autant. L'impa- rt tience de Gidouin ne tarda pas à être satisfaite, cinq prêtres sont amenés sur le bord de l'eau, Le Petit les range lui- même, l'un d'eux ôte son habit qu'il donne aux volontaires et les prie de ne pas le manquer ; l'ordre cruel est donné, ils sont tous fusillés, mais l'un d'eux n'est pas frappé à mort, un officier plus humain donne l'ordre de tirer à sa - tête, et il tombe à ses pieds. Bientôt les vautours partagèrent leurs dépouilles ; ils les portèrent en triomphe et les dépo- rt sèrent dans les charrettes. La consternation était peinte sur toutes les figures, toutes les âmes étaient glacées a d'effroi, un morne silence régnait dans la commune. Il n'y avait que celui qui avait pris un barbare plaisir à faire rouler les cadavres dans l'eau, qui pût être gai après une scène aussi sanglante; il n'y avait que celui qui se per- suadait que la France se purgeait en versant illégalement le sang de ces malheureux, qui pût n'être pas agité; il n'y avait que celui qui se faisait un triomphe de porter sur ses habits du sang de ces infortunés, qui pût ne pas avoir l'âme bourrelée ; il n'y avait que celui qui disait qu'il n'avait pas regret de mourir après avoir joui d'un si beau spectacle, qui pût être tranquille; il n'y avait que celui qui posait en principe que le gouvernement ne pouvait s'établir que par de pareilles atrocités, qui pût encore songer à son plaisir. Aussi Gidouin fit-il part de sa joie à tous ceux qu'il rencontra, et chercha-t-il à la leur faire partager 280 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. De Blois, le convoi fut conduit à Beaugencv ', où les prisonniers arrivèrent et furent déposés à l'auberge de la Forêt; un piquet de la garde de Beaugency leur fut donné. On les fit défiler dans l'écurie, leur domicile ordinaire. Un des malheureux, qui avait les jambes nues et gelées, était conduit par ses camarades qui le tenaient par-dessous les bras. Le Petit et le commandant de la force armée com- te mandèrent au citoyen de Beaugency qui était de garde de le tuer. Le volontaire, indigné de cette proposition, s'y refusa. En ce cas, lui dirent-ils, nous le ferons tuer demain a matin. Toutes les dépouilles des malheureux fusillés n'étaient point abandonnées aux soldats, les chefs parta- it geaient ce qu'il y avait de plus précieux. Le Petit fit monter dans sa chambre à Beaugency une boîte qui appartenait à a l'un d'eux, il la brisa et disposa des effets qu'elle contenait. Il y vendit dans la cour de l'auberge un lit et un matelas. Cette vente attira sur lui les reproches des soldats. Ils furent poussés si loin qu'il ne put les apaiser qu'en pro- mettant d'en rendre compte le lendemain à la halte; ils reprochèrent à Le Petit d'en avoir ainsi agi à Blois et à Tours. Le 20 frimaire, jour où finirent tant d'atrocités, le convoi se mit en marche sur les sept heures du matin pour se rendre à Orléans, lieu de sa destination. Des citoyens de garde entrèrent dans l'écurie de l'auberge de la Forêt; ils y trouvèrent trois malheureux exténués de fatigue et étendus sur la paille; l'un d'eux était aveugle. Ils s'en saisirent et le montèrent sur une des voitures; ils revinrent ensuite vers les deux autres; en vain ils leur firent envisager les dangers qu'ils allaient courir. Le com- mandant de l'escorte et Le Petit, instruits de cet événe- ment, quittèrent leur chambre et descendirent à l'écurie. Le Petit voulut faire fusiller ces malheureux, la maîtresse de l'auberge s'y opposa. Aussitôt Le Petit appelle quelqu'un 1 Voir Y Histoire de Beaugeucy, par Lottin et Pellieux t. I, p. 268. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 281 de son détachement. Ces deux malheureux sont traînés au dehors, la figure contre terre. Alors Le Petit était entouré de la garde citoyenne. Elle refusa d'obéir à ces ordres inhumains. Elle refusa même de donner ses armes. Le commandant de la force armée se saisit d'un fusil à deux coups, tire sur l'un et sur l'autre de ces malheureux, et il est à l'instant imité par sa troupe; les cadavres sont laissés sur place, et le détachement fait route. On assure que dans cette circonstance, une malheureuse femme, ex-religieuse, serait tombée sous le fer de ces assas- sins si un des citoyens de la garde ne l'eût prise dans ses bras et mise sur une voiture, action digne d'éloges tant de la part de ce citoyen que des autres, dans ces temps de calamités publiques où la vertu et le courage étaient réduits au silence. Le juge de paix a constaté ce cruel événement par ses procès-verbaux du 20 frimaire an II. Les prisonniers arrivés à Orléans y trouvèrent secours et assistance; ils furent mis sous la protection de la loi. Les dénégations les plus formelles ont été les réponses de Gidouin, Hézine et Bonneau. Simon a prétendu qu'il 6 MÉMOIRES DU COMTE DL'FORT DE CHEVERNY. se firent entendre ; les prisonniers passèrent dans les trois voitures qui avaient servi à amener de Paris la compagnie Babeuf au tribunal de Vendôme. Ces voitures à quatre che- vaux sont des espèces de tombereaux à quatre roues, longs, pouvant tenir six à huit prisonniers, fermés de tous les côtés, attachés sur les limons l et ayant de chaque côté trois fenêtres grillées très-haut et avec des rideaux que les prisonniers peu- vent ouvrir et fermer à volonté; les sièges ne sont ni rem- bourrés ni suspendus; ce sont des planches. Dutertre, commandant les hussards pour cette expédition, était à leur tête sur un cheval magnifique. Ce Dutertre, qui était maître chaudronnier 2 avant la Révolution, est connu dans ce pays-ci pour y avoir paru pendant quelques semaines dans le temps de la Terreur comme adjudant général. Les hussards et les adjudants marchaient en troupe devant et derrière, et, pour terminer la marche, Bésard, Gidouin et Berger, se tenant par le bras, regardaient insolemment aux fenêtres et triomphaient à la tête des polissons et des gens sans aveu de la ville. On a remarqué que sur les quais et partout où ils ont passé, les portes ont été fermées et que personne n'a paru aux fenêtres. Les prisonniers devaient loger aux Carmélites, la munici- palité n'ayant pas d'autre endroit pour les recevoir. On leur avait destiné la pièce en bas, anciennement l'église, pièce qui a conservé toute sa hauteur et où l'on a laissé, en haut des croisées bouchées, deux ouvertures qui sont garnies de barreaux de fer, mais ne sont pas encore vitrées, et qui sont comme les soupiraux d'une cave très-profonde. On avait requis seize matelas. Le commissaire des guerres, vu l'humi- dité, en fit porter quarante-huit, de sorte qu'outre la paille fraîche qu'il envoya en quantité, les prisonniers eurent cha- 1 C'est-à-dire non suspendus. C'étaient, en effet, d'après M. de Lescure, les voitures qui avaient servi au transport de Babeuf et de ses coaccusés à Vendôme. 2 Ancien marchand à Mayenne. Cet homme grossier et ridicule, dit la Biographie de 1806, est une des plus plaisantes caricatures que la Révolu- tion ait fait paraître sur la scène. » QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 357 cun trois matelas; les lits dans cette grande pièce furent arrangés circulairement. Le concierge y mit toute l'humanité et la décence d'un honnête homme. On lui avait enjoint de la part du comman- dant de fournir des haquets; il s'y refusa, et envoya cher- cher dans le voisinage toute la faïence nécessaire pour que chaque prisonnier en fût pourvu pour la nuit. Toutes les autorités, tout le service pourles besoins urgents, tels que le traiteur, le perruquier, le cafetier, les chirurgiens, eurent leur entrée; on procura aux prisonniers des chaises, une table, du papier, cire, encre, plumes; ils commandèrent à souper chez le plus fameux traiteur, et Dossonville parut chargé de régler les dépenses communes. Voici leur noms ' 1. Brotier. 9. Le Telïier 3 . 2. La Villeheurnois. 10. Laffon-Ladébat 3. Dunan 2 . 11. Murinais. 4. Pichegru. 12. Dossonville. 5. Willot. 13. Ramel. 6. Bourdon de TOise. 14. Tronson du Goudray. 7. Barbé-Marbois. 15. Delarue. 8. Barthélémy. 16. Rovère. Pendant ce temps, le commandant Dutertre, qui devait 1 II a paru inutile de consacrer une note à chacun des déportés qui ne jouent dans ces mémoires qu'un rôle tout épisodique. Disons seulement qu'on comp- tait parmi eux un membre du Directoire Barthélémy Garnot, compris dans la même mesure, s'était enfui; cinq membres des Anciens Laffon-Ladébat, Barbé-Marbois, Bovère, Murinais et Tronson du Goudray célèbre par la défense de la Beine ; cinq membres des Cinq-Cents Delarue, Aubry, le général Pichegru, le général Willot et Bourdon de l'Oise. Ramel, adjudant général, était commandant de la garde du Corps législatif; il a laissé des Mémoires. La Villeheurnois, ancien maître des requêtes, et l'abbé Brotier avaient été poursuivis antérieurement pour un complot royaliste, et avaient déjà commencé à subir la détention à laquelle ils étaient condamnés. 8 C'est par erreur que figure ici ce Dunan, un des coaccusés de La Villeheur- nois; il faut substituer le nom d'Aubry. 3 Secrétaire et valet de chambre de Barthélémy, il avait obtenu à grand'- peine l'autorisation de le suivre, et il lui montra toujours le plus grand dévoue- ment. Il était traité exactement comme les déportés. 358 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. loger à l'auberge de la Galère, y envoie son adjudant et va s'établir chez Bésard pour faire orgie toute la nuit avec les élus, frères et amis. Il était muni d'un ordre du ministre au payeur général, M. Finot, pour toucher à valoir 8,000 livres; mais celui-ci refusa, l'ordre du ministre n'étant pas suffisant d'après les décrets. Aussitôt Dutertre se transporte au Dépar- tement en jurant comme un voleur; on invite M. Finot a s'y rendre; celui-ci se présente avec le calme le plus imposant et persiste dans son refus Il y a, dit-il, un décret, et le . voici, qui défend à tout payeur de délivrer un denier, et pour prouver combien je suis dans mon droit, je vais moti- ver mon refus par écrit » , ce qu'il a fait. Dutertre avait aussi 2,000 écus à toucher à Orléans, qui lui ont été égale- ment refusés. C'est cet événement qui l'a déterminé, au lieu de faire séjour à Blois, comme il lui était ordonné, à partir le lendemain et à aller coucher à Amboise, pour voir s'il trouverait sur sa route un paveur plus facile. Cependant les prisonniers s'étaient levés au jour, vu le froid qui leur arrivait par les fenêtres; ils avaient fait la toilette la plus complète; le perruquier les avait accom- modés, barbifiés tous les seize. Cet homme, jacobin fieffé, se vantait d'avoir vendu à Pichegru de l'essence de savon pour faire sa barbe. Les officiers municipaux, le commissaire des guerres, ses deux secrétaires et le sieur du Liman, com- mandant la gendarmerie, se rendirent à la prison à sept heures et demie. Bourdon de l'Oise, le plus près de la fenêtre, mon- tra son bonnet de nuit qui était mouillé comme si on l'avait plongé dans un seau d'eau. Un des municipaux, la veille, n'a- vait pas été reconnu par Barthélémy. C'était M. Delindre, commissionnaire à Blois, qui pour ses affaires avait passé sept semaines à Paris et n'en était revenu que depuis un mois. Comme il était fils de M. Delindre, attaché à madame la duchesse de Ghoiseul, et qu'à ce titre il l'avait beaucoup vue pendant son voyage, le directeur Barthélémy fut ravi de le retrouver, et ils causèrent plus d'une heure ensemble. Bar- thélémy se plaignit des injures qu'il avait reçues à Blois, les QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 35» premières de sa vie, en ajoutant qu'il y avait été très-sen- sible. La Villeheurnois ' se plaignit aussi, tant des voitures, qui ne sont que des tombereaux fermés, que de la dureté des conducteurs qui faisaient exprès de n'éviter ni une pierre ni une berge sur la route. Il montra ses coudes, qui étaient tout meurtris et bleus des contusions produites par les cahots. Barthélémy, malade et souffrant, s'adressa à Dutertre et lui demanda si en payant on ne pouvait louer dans la ville un cabriolet pour le conduire à Amboise. Cependant une très-jolie femme, âgée de vingt ans, mise tout en blanc, en bonnet très-modeste, suivie d'un laquais, se présente à la porte des Carmélites, et on l'introduit sans difficulté dans la chambre du concierge ; elle demande Barbé- Marbois ; il arrive, et madame Barbé-Marbois 2 , car c'était elle, lui saute au cou. Il la prend à l'instant par le bras et la conduit avec transport au milieu de ses compagnons d'infor- tune. Une émotion générale s'empare de tout le monde. Bourdon de l'Oise se couvre les yeux et ensuite fait un signe de ses deux mains pour la prier de s'éloigner, en crinnt dou- loureusement Hé, madame, est-ce que nous n'avons pas aussi des femmes? » La défaillance s'empare de madame Barbé-Marbois, elle chancelle; M. du Liman, commandant la gendarmerie, s'élance, la soutient, lui prend le bras et la reconduit jusqu'à la porte de la rue 3 . Dutertre, le comman- dant, était furieux Vous êtes un chouan! s'écrie-t-il, et je vous suspends de vos fonctions, en vertu des pouvoirs illi- mités que j'ai dans ma poche; dès ce moment vous êtes consigné pour ne plus entrer où sont les détenus, et je vais écrire au Directoire pour que vous soyez destitué. — Ci- toyen, répond du Liman, il y a vingt-deux ans que je sers, et l'on ne m'a jamais fait aucun reproche; si vous pouvez 1 M. Honoré Bonhomme a publié le Journal inédit de La Villeheurnois. 5 Elisabeth Moore, fille du gouverneur de l'État de Pensylvanie. Elle avait épousé en 1785 François de Barbé-Marbois, alors consul général aux Etats- Unis. Elle avait donc certainement beaucoup plus de vingt ans en 1797. 3 Voir le Journa d'un déporté, déjà cité, p. 391. 360 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. écrire, j'ai le même droit; et il est sans exemple que sous quelque gouvernement que ce soit, on punisse un senti- ment d'humanité. » A partir de ce moment, M. du Liman ne put communiquer avec les prisonniers. Dutertre, pour- suivant sa vengeance, le mit aux arrêts et le remplaça par l'ancien commandant Pilet, destitué comme terroriste. On offrit de l'argent aux détenus, et l'on sut qu'ils en étaient suffisamment pourvus. Le seul Tronson du Coudra y accepta vingt louis. Pichegru est profondément affecté, mais très-calme; il a toujours à la bouche un tuyau de paille comme contenance. Barthélémy, aussi tranquille que dans son cabinet, se résigne à tout sans ostentation, les autres font de même. Dossonville a conservé sa gaieté. A onze heures du matin, le lendemain, les voitures se sont rendues à la porte des Carmélites; la garde avance. Barthé- lémy est monté dans le cabriolet. Le Tellier voulait monter avec lui, mais, par ordre de Dutertre, un adjudant a pris la place. Le Tellier avait l'air désespéré de quitter un instant l'homme au sort duquel il s'est dévoué. Après avoir examiné si Ton ne pouvait pas tenir trois dans le cabriolet, il est monté dans les voitures fermées. Alors le cortège est parti; la rue des Carmélites s'est trouvée libre, la foule du peuple se retirait, et je n'ai entendu aucun cri. Les détenus avaient écrit à leurs parents et remis leurs lettres décachetées à différentes personnes, ne voulant pas les compromettre. Je suis parti le soir, emportant une tristesse profonde que parta- geaient toutes les personnes que j'ai vues, quoique je ne con- nusse que Dossonville. Le commissaire des guerres Bâillon m'assura que les offi- ciers de la troupe étaient fort mécontents des propos de leur chef et de sa manière d'agir. Aucun n'avait mangé avec lui; ils savaient qu'il avait avec lui deux espions qui avaient ordre de rendre compte de sa conduite journellement, ce qu'ils faisaient chacun de leur côté. Un courrier était parti de Blois la nuit pour le Directoire; Bâillon m'assura qu'il allait aussi faire son rapport sur un propos qu'avait tenu Dutertre. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 361 Impatienté de tous les soins qu'on rendait aux détenus, et du respect qu'on leur témoignait en leur parlant chapeau bas, il s'écria Voilà bien des singeries pour des gens qui peut-être dans quatre jours ne seront pas en vie l ! » Une circonstance qu'on remarqua, c'est qu'en sortant de la rue, un conducteur fit passer la voiture sur une borne. Dutertre ne conduisit les prisonniers que jusqu'à Poitiers. Là, sur la dénonciation de ses adjudants, il fut renvoyé à Paris sans escorte, comme coupable de dilapidation; mais il avait rendu un trop grand service au parti triomphant pour être puni. Il fut innocenté à son arrivée; ses accusateurs furent mis en jugement, et lui récompensé par un emploi à l'armée. 1 Dans les instructions écrites délivrées à Dutertre, et qu'il publia plus tard, on lisait ceci Le général Dutertre se pénétrera si fort de la nécessité de prévenir la fuite, l'évasion ou l'enlèvement des déportés, qu'en cas d'attaque de quelque individu, il doit agir militairement sur les condamnés, plutôt que de se les voir ravir. » Journal d'un déporté, p. 395, et Biographie moderne, 1806. On voit quelle latitude lui laissait un pareil blanc seing. Il assurait que le désir du Directoire était que les prisonniers fussent mis à mort en route, et que l'on cherchât à provoquer dans les villes la foule à des excès qui eussent tout légitimé; il s'attribuait le mérite de n'avoir pas suivi les intentions secrètes de ses maîtres. CHAPITRE XXIX Le général Cambray. — Evasion de M. de Neveu. — H apport de Boula v de la Meurthe; alarme générale. — Mort de M. de Berkemoode; histoire de sa femme. — Mort de Jélyotte. — L'évêque Grégoire et Mgr de Thémines. — Situation du pays. — Banqueroute des trois quarts sur la dette publique. — Ce qui en résulte pour l'auteur. — Don Olavidès; son ouvrage religieux. — Pertes subies par M. Dufort. — Visite de M. Amelot. — Nouveaux changements au Département. — État des choses à Tours. — Le jeune Picard est jugé à Blois; son évasion. — Maladie d'Olavidès. — La com- mission militaire de Tours. — Départ d'Olavidès. — Ce qu'on dit de Bona- parte. — Lecarlier, ministre de la police. — L'auteur s'établit à Blois. — La situation locale. — Les candidats aux élections. — Un parent de Merlin de Douai. — Détails sur celui-ci. — Persécutions contre les prêtres. — Encore madame Dayrell. — La comtesse de Buffon. — Personnes disparues à Paris. — François de Neufchâteau. Les temps étaient changés, ce n'étaient plus des procon- suls représentants qu'on envoyait dans les départements pour organiser la terreur, c'était maintenant un régime militaire. Les décrets se sanctionnaient, la banqueroute s'organisait, et la déportation était substituée à la guillotine. Le général Cambray 1 , jeune homme de trente ans, réunissait sous ses ordres trois départements, dont le Mans et Blois. Sa mission était principalement de prendre les mesures les plus sévères pour faire partir les réquisitionnâmes, et de faire déporter les émigrés et les prêtres réfractaires. Il était connu pour avoir effrayé tellement la ville de Cherbourg qu'elle s'était mise en état de siège 2 pour l'empêcher d'entrer; car il avait annoncé qu'il mettrait tout à feu et à sang. Dès qu'on sut le 1 Né à Douai en 1763, Cambray était, disait-on, le fdleul de Robespierre. Destitué en 1793, à la suite d'une plainte portée contre lui, mais bientôt replacé, il fut tué en 1799, à la Trebia. 2 Plutôt de défense. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 3fi3 jour de son arrivée à Biois, tous ceux qui aviiient quelque chose a craindre disparurent. On ne voyait plus ni prêtres ni jeunes gens. La ville de Blois ne voyait venir des cam- pagnes que des enfants ou des gens qui n'avaient rien à redouter. M. du Liman, quoique suspendu et aux arrêts par Tordre de Dutertre, envoya au général une garde d'honneur de deux brigades de gendarmerie et crut de son devoir d'aller lui faire une visite, accompagné du sieur Bâillon et de Dubois, son secrétaire. A peine Cambray fut-il arrivé, qu'il se transporta à la prison et en fît sortir Hézine. Ainsi, sans discussion ni jugement, on rendit à la liberté l'homme qui en était le moins digne. Ces messieurs se rendirent donc chez le général; un déjeuner était tout prêt; la société se composait de Gidouin, Berger, etc. Le général les reçut fort bien, releva M. du Liman de ses arrêts et invita ces trois fonctionnaires à déjeu- ner. Ce fut alors que Bâillon eut le courage de lui dire ce Général, ces citoyens ne sont pas de ma compagnie; ainsi permettez que je vous invite chez moi, car je ne mange jamais avec eux. » Sur cela tous les trois se retirent. Il paraît que le général sentit le malheur de sa position, car le lendemain, à sept heures du matin, il envoya demander à déjeuner pour dix heures au commissaire des guerres. Il y vint seul avec ses deux adjudants et se montra très-poli et très-décent. Une scène comique avait diverti toute la ville. Hézine, se promenant avec le général, passa par le marché aux herbes, devant une maison où jadis se tenait une assemblée de tous les honnêtes gens de la ville. Hézine, qui n'était pas corrigé de sa fureur révolutionnaire, s'arrête et dit au général Général, voici le repaire des chouans de tout le départe- ment. » La nommée Loupain, marchande de poisson c'est la peindre d'un mot, en est la concierge. En enten- dant le propos, elle sort comme une furie Qu'appelles-tu un repaire de chouans, gueux, misérable, tout couvert de 364 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. sang, de forfaits, d'atrocités? Apprends que ma maison n'est pas un repaire, jamais il n'y est entré un seul de tes coquins de jacobins, ni toi non plus, misérable; car jamais elle ne sera souillée par un monstre comme toi ! » Le général Cambray, cpii tenait Hézine par le bras, le quitte en riant, en lui disant Tire-t'en, Pierre! » A octobre 1 797. — Un M. de Neveu l arrive à Blois; il savait qu'on le poursuivrait comme émigré, quoiqu'il eut tous ses papiers en règle. On lui conseille de se cacher, il va chez lui près Vendôme. Le général Cambray, passant dans la ville, reçoit une dénonciation et l'envoie prendre pour le conduire à Biois. On met le prisonnier dans une charrette, avec son portemanteau qui était très-pesant. Il arrive à Blois, escorté de deux gendarmes; il est bien servi, et il fait changer quatre cent quatre-vingts louis d'or. Dans la soirée, il achète un cheval, demande à se faire accommoder, passe dans une petite pièce, sort de l'auberge par un escalier dérobé, monte à cheval et disparait. On veut mettre les gendarmes en pri- son, mais ils crient qu'ils ne répondent plus de rien si on les arrête; ils courent partout et ne trouvent rien. On envoie le portemanteau au Département; on fait chercher le général pour assister à l'ouverture; cinq chemises sales, des culottes abominables et dix serviettes trouées sont les seuls objets qui s'offrent à la vue. Dans une révolution, rien n'est stable; les terroristes relèvent la tête, la banqueroute des rentes sur la Ville se prononce, j'en suis écrasé. La jaunisse se déclare; en huit jours le mal se dissipe, et, à force de me raisonner, je finis par me trouver plus fort que mes chagrins. L'alarme générale donnée par le rapport de Boulay de la Meurthe 2 , appuyé par l'ex-prêtre Gay-Vernon, jetait le 1 François-Joseph de Neveu, ancien officier émigré, rentré en 1797. Ce fut M. Beruet, de Blois, qui facilita son évasion. Nobiliaire de Saint-Allais, t. V, p. 57. 2 Boulay de la Meurthe, après la journée du 18 fructidor, avait demandé la déportation des chefs du parti vaincu. Le 16 octobre, il proposa d'expulser du territoire de la République les membres de la haute noblesse et d'exclure QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 365 désespoir dans toute la France; le cri général en fait justice. Mais les gens qui réfléchissent jugent que la propriété n'est plus tenable, que l'on viendra d'une manière ou de l'autre à la loi agraire, et que la seule ressource est de conserver un modique revenu dans un endroit à l'abri des alarmes le tout est de le trouver, et de vivre oublié et ignoré. Quoique mes soixante-six ans me mettent à l'abri de la déportation, je m'y serais résigné pour ne plus être exposé aux vexations et peut-être à quelque chose de pire, mais le répit qu'on me laisse me permet de mûrir mon projet et de prendre mes dispositions. Il est sûr que le sol n'est plus tenable; les impositions écrasent les propriétés, principalement les plus fortes, et l'on est menacé continuellement d'exactions comme dans un pays conquis. Il faut satisfaire les gouvernants, et obtenir la tranquillité en se retirant ailleurs l . Nous reçûmes dans ce mois deux nouvelles assez tristes, mais on ne doit plus s'étonner de rien lorsqu'on est parvenu à notre âge. M. Lestevenon de Berkenroode, ambassadeur des Pro- vinces-Unies, arriva en France en 1751, un an avant que je fusse nommé introducteur des ambassadeurs. Rien de plus brillant que son ambassade; il avait épousé mademoiselle Van der Duyne, nièce de M. Keppel, milord Albemarle, ambassadeur en France. Cette famille a deux branches, l'une établie en Hollande, et l'autre qui a suivi Guillaume III lorsqu'il passa de Hollande au trône d'Angleterre, Madame de Berkenroode était jolie comme un ange; c'était la plus charmante miniature qu'on pût voir. L'am- bassadeur et elle, d'une représentation magnifique, firent une sensation étonnante aux voyages de Grécy et de Fon- les autres des fonctions publiques. Gay-Vernon, ancien évêque constitutionnel de Limoges, s'associa à cette proposition. 1 IN 'est-il pas curieux de voir un homme qui a échappé à tous les dangers de la Terreur penser à s'expatrier en 1797, poussé à bout par les mesures fiscales plus que par les dangers personnels? 366 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CIIEVERNY. tuinebleau. Si Louis XV sut respecter l'ambassade, les agréables tournèrent la tête à l'ambassadrice 1 . L'ambassa- deur y mit sagesse, raison, et, sans faire d'éclat, se sépara d'elle selon les lois de son pays. Elle vécut à Paris à sa fan- taisie, et lui continua son ambassade avec un tel succès et une estime si générale que, malgré les orages de la Révolu- tion, il n'a quitté que lorsque le roi Louis XVI fut prison- nier. JNous avions vécu intimement avec lui pendant trente ans. Quand les circonstances nous éloignèrent, il entretint un commerce de lettres soutenu avec ma femme ou moi; mais il y avait cinq ans que nous n'avions rien reçu de lui, lors- qu'il nous envoya ici une lettre d'adieu. M. Mercier, acqué- reur de Gormeré, nous promit, s'il existait encore, de lui faire tenir de nos nouvelles par ses relations de banque. Ma femme lui écrivit donc; mais M. Mercier ne tarda pas à nous renvoyer la lettre. On était allé aux informations à l'ancien bôtel de M. Berkenroode, rue d'Anjou; le fils y était, occupé à vendre les effets de son père, qui était mort six mois auparavant dans sa terre où il s'était retiré. Nous regrettâmes cet ami vertueux, pieux et sage. 30 octobre J 797. — Le même jour je reçus la nouvelle de la mort de Jelyotte 2 ; il s'était éteint à l'âge de quatre-vingt- quatre ans, au milieu d'une famille qui l'aimait; nous per- dîmes en lui un véritable ami. Lévêque constitutionnel Grégoire , quoique faisant le plongeon, n'avait pas un seul instant perdu de vue son dio- cèse, tandis que le véritable évêque Tbémines, du fond de l'Espagne, avait désigné deux grands vicaires, nommés Gal- lois et Antoine, dont la sévérité empêcha plusieurs prêtres de la faction de Grégoire de rentrer dans le giron de l'Eglise. 1 Sa tête a tourné pour M. de Villegagnon, lieutenant de mousquetaires... Elle devint grosse en l'absence de son mari .. Le divorce est prononcé en Hollande, et l'enfant est déclaré bâtard. » Mémoires de d' Argenson, 5 août 1765, t. IX, p. 54. 2 On a vu dans quelle erreur sont tombés tous les biographes, qui le font mourir en 1782. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 17S7-1801. 367 La révolution du 18 fructidor arriva, et Grégoire en pro- fita en homme habile. Il se forma dans la ville un dub con- stitutionnel sous le titre de Cercle. Grégoire entretint une correspondance suivie avec les meneurs, leur écrivant régu- lièrement tous les jours. Des dénonciations appuyées par lui furent envoyées au ministre de l'intérieur, ami intime de Merlin. On donna l'ordre d'incarcérer tous les prêtres dans le local des Capucins, qui avait déjà servi à cet usage. On dénonça M. du Liman, commandant la gendarmerie, comme ayant deux frères émigrés, ce qui est de toute fausseté ; on siVnala le sieur Bâillon comme aristocrate, parce qu'il a été pour la raison et pour la justice. Le Département, qui n'était pas encore renouvelé et qui se composait de tous les gens les plus probes , examine si les prêtres qui doivent être reclus sont coupables. Il se trouve qu'ils sont tous sexagé- naires, qu'ils ont prêté leurs serments et n'ont jamais fait aucune cabale. On leur a donné tout le temps de s'évader; triste condition pour des hommes paisibles et qui n'ont jamais eu plus besoin de repos et de tranquillité. 1 er novembre I 797. — Le Département et la Commune de Blois sont changés; l'imprimé ci-joint 1 expliquera claire- ment le vice de ces nouvelles élections. Chevalier Le Rond, perruquier, rit lui-même d'une affiche trouvée le matin à la porte du Département Chevalier Le Rond, jadis coiffeur de femmes, rase ici proprement. » Les dénonciations pleuvent à Paris; tous les terroristes en font. 1 er juillet 1798. — L'invasion subite dans toutes les admi- nistrations des sujets les plus outrés et les plus dangereux, 1 L'administration départementale était composée de MM. Turpin, prési- dent; Alardet, Turmeau, Chardon, Cellier, administrateurs; Lefebvre, com- missaire du Directoire, et Liger. Le 6 brumaire an VI 27 octobre 1797, Carnereau, Chevalier et Dupont vinrent signifier un arrêté du Directoire, por- tant destitution des membres des administrations départementale et municipale. Etaient nommés au Département Carnereau, Chevalier-Lerond, Galisset, Dupont et Chenu, et à la ville Bésard-Boysse, Lemaignen aîné, Jouhanneau, Selleron, Camelin, Masson-Maisonrouge et Bruère. Résumé de la pièce jointe au manuscrit. 368 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. l'activité des clubs, des cercles constitutionnels, amènent le découragement. Tous ceux qui ont appartenu à l'ancienne caste ne peuvent plus attendre ni justice ni sûreté. Les pro- priétaires sont tellement écrasés par les impositions qu'ils ne peuvent ni subvenir à leurs dépenses journalières, ni payer les frais de culture, ni venir au secours les uns des autres. L'intérêt de l'argent monte au taux de quatre pour cent par mois, les journées des ouvriers sont à un prix fou; un charretier, un laboureur, qu'on payait au plus cent vingt livres, a maintenant des gages de six cents livres; un mar- reur ! de vignes, qui gagnait jadis vingt sols, coûte mainte- nant trois livres et est nourri; et le blé ne vaut que vingt sols le boisseau. Cet état de choses remplit le but du gouverne- ment en faisant tomber l'argent dans ses coffres ou dans les mains de la dernière classe du peuple. Dès que je fus certain que, malgré le décret qui garantis- sait les dettes de la Nation, on ferait la banqueroute des trois quarts sur le grand-livre, toute ma résignation échoua. Mes rentes de Paris suffisaient non-seulement à payer la rente des contrats que nous devions, mais même nous per- mettaient d'amasser annuellement de quoi faire par la suite des remboursements. Il nous faut maintenant vivre de pri- vations ou tout abandonner. Ma femme, heureusement, oppose un courage surprenant aux malheurs qu'elle partage avec moi ; sa sagesse, sa conduite, son esprit et surtout son jugement réussissent à me rendre heureux en dépit du sort. femme adorable, que ne vous dois-je pas? Paul Olavidès et le citoyen Reinard, son aumônier dont j'ai déjà parlé, rendent encore notre intérieur délicieux. J'ai déjà fait mention de l'ouvrage qu'il composait dans sa langue El Evangelio en trionfo. Sans puiser dans d'autres livres que dans une tête bien meublée, dans une imagination féconde et abondante , il l'écrivit currente calamo dans un coin du salon, souffrant l'interruption, répondant aux ques- 1 Dans le Blaisois, la houe des vignerons se nomme une marre. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 369 tions, se mêlant même quelquefois de la conversation avec l'esprit que tout le monde lui connaît. Ce travail lui dura plus d'un an. Dès que l'ouvrage fut totalement fini, il l'envoya au neveu de sa femme , son ami particulier, don seîïor Urhina \ jadis général en chef à la Cintra, connu par ses victoires sur les Maures, ensuite gou- verneur de Valence , et maintenant à la cour comme lieute- nant général. Fort consulté, faisant partie du conseil royal et militaire , don Urbina jouit à la cour d'une grande considé- ration. Il n'eut pas plutôt jeté les yeux sur l'ouvrage, qu'il jugea de son importance et de l'excellent effet qu'il devait faire dans un pays où les principes tendaient à un relâchement universel. Il le communiqua aux gens les plus instruits et les plus religieux, et il fut décidé unanimement qu'il serait imprimé à Valence, après avoir été revêtu de toutes les approbations. Cet ouvrage , divisé en lettres , forme cinq volumes. Le premier fit la fortune de l'imprimeur; dès l'instant, il fut vendu soixante livres et monta à cent francs. Chaque tome fut attendu dans toute l'Espagne avec l'impatience la plus vive. Le nom de Fauteur, que l'on reconnut à son style, le souvenir des persécutions qu'il avait éprouvées, tout con- tribua au succès. L'ouvrage fut lu avec le même enthou- siasme à la cour, et l'on parlait de faire une nouvelle édition, avant même que le dernier tome parût. Cependant don Olavidès, qui était sujet tous les hivers à des catarrhes, fut pris, cette année, d'une maladie qui nous inquiéta beaucoup. Notre amitié nous le fit soigner et choyer comme le frère le plus chéri; ma femme fut sa première garde. Heureusement la nature, qui lui a fait un corps excel- lent , seconda les remèdes administrés sagement et à temps. Tous les accidents ont graduellement disparu, et il est main- tenant revenu dans son ancien état de santé. 1 II avait épousé la nièce de la femme d'Olavidès, comme on l'a vu. il. 24 370 MEMOIRES DU COMTE DTJF0RT DE CHEVERNY. Ce qui sans doute contribua autant que les remèdes à avancer sa guérison , ce fut une lettre de don Saavedra, ministre qui venait de succéder au prince de la Paix. Il lui mandait que le Roi désirait le revoir en Espagne , et l'avait chargé d'écrire au grand inquisiteur de s'entendre directe- ment avec lui, don Olavidès, pour aviser aux moyens de lui donner toute satisfaction. Tel est le point où en est main- tenant cette négociation. — Revenons à ce qui me con- cerne. Vers le mois de décembre 1 , les autorités avaient exigé impérieusement de chaque particulier de fournir à l'admi- nistration de leur canton un état circonstancié et signé de la totalité des biens dont ils jouissaient. En un mot , on devait donner son bilan en doit et avoir, sous peine de se voir imposé arbitrairement. — Décision outrageusement per- fide pour les négociants, marchands ou commerçants qui, pour la plupart, ne vivent que sur leur bonne réputation ou leur crédit. Je m'y soumis, et voici la copie que j'ai fournie État des pertes que f ai éprouvées depuis 1790 RENTE PRINCIPAL Rentes sur la Ville 22,500 francs. 450,000 francs. Ma charge de lieutenant géné- ral 1,500 » 39,000 b Droits féodaux 6,000 » 130,000 » Droits patrimoniaux sur les sels àOléron 4,100 » 81,000 » Pension 2,000 b Frais d'impôts, de dons gratuits, de maximum , frais d'incar- cération, impôts de guerre. 2,250 » 45,000 » Vente et dons de vaisselle d'ar- gent 1,425 » 28,500 » A reporter 39,775 francs. 773,500 francs, i 1797. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1781-1801. 371 Pertes de rentes sur particulier, savoir RENTE PRINCIPAL Report. . . 39,775 francs. 773,500 francs. Sur feu Rousseau 1,600 » 34,000 » SurLenoir 600 » 12,000 » Totaux 41,875 francs. 819,500 francs. Etat de ce qui me reste Rentes dues par legouvernement,cil6,930fr.,rél m Isa 5,6i9 f 68 c Sur particuliers 946 Fermages, métairies, prés, étangs 10,958 Vignes, 70 arpents à 20 francs 1,400 Bois taillis en coupes réglées . . 4,000 Basse-cour évaluée 600 Total. . . . . 23,553 f 08 c Etat des citoyens et citoyennes à mon service, et charges Femmes 2 , Q , . _ T \ dont 6 ont passe soixante ans. Hommes 2 Un garçon laboureur. Trois chevaux de labour. Aucune voiture roulant habituellement. Tant à mon gendre qu'à différents particuliers, je dois annuel- lement en perpétuel ou en viager, et fais rente de 18,000 francs. Cet état, que j'avais jusque-là évité de faire, et qui montre que si je n'avais pas une grande possession en bois et terres, je resterais sans aucune ressource, me donna une nouvelle attaque de jaunisse. Je vis que c'était une très-mauvaise façon de sortir de ce monde , et la moins courte; et je fus obligé de faire une véritable attention à ma santé. Je com- mence à espérer que, si je dois bientôt terminer ma carrière, ce ne sera pas du moins de cette manière fâcheuse. 24. 372 MEMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. Mon second fils est depuis le mois de novembre à Dian , près Montereau-faut-Yonne. Il tient compagnie à sa sœur; tandis que son beau-frère, depuis six mois en Franche- Comté, tâche de rattraper avec ses bons une faible partie des biens de son frère aîné et d'une substitution de plus de soixante-quinze mille livres de rente. Il est aisé de s'apercevoir que le gouvernement ne veut donner raison à aucun parti, ni laisser écraser tout à fait les jacobins; il les regarde comme des enfants perdus, que d'un coup de fouet il fait rentrer dans leur repaire. En vovant ce qui se fait à Blois, on peut juger de ce qui se passe ailleurs, la marche étant à peu près la même par toute la République. Ici l'on prend un mezzo termine. Les dernières nominations du peuple ayant été annulées, après six semaines, on vient de renommer pour président du tribunal criminel le nommé Moulnier, qui Tétait l'an passé, homme fort honnête et fort estimé ; pour accusateur public au criminel, un énergumène, un enragé républicain, jadis procureur à Montoire, qui s'appelle Bordier; et enfin, pour greffier criminel, le même Caillou, dont j'ai écrit l'his- toire tout au long; de sorte que, par ce barbare alliage, le Directoire , selon l'esprit de la société ci-devant jésuitique , crée des surveillants réciproques dans tous les partis. 1 er juillet 1798. — Le citoyen Amelot est, arrivé hier au soir dans ma cour. Le fils et le petit-fils de deux ministres cordons bleus , qui a été lui-même intendant de Bourgogne à vingt-trois ans, qui, à vingt-huit ans, fut mis à la tête de la trésorerie nationale par Necker, et avait le travail avec le Roi, a adopté le costume de la grosse bourgeoisie, ayant les cheveux sans poudre et coupés à la Titus, suivant la mode du jour; nous l'avons pris d'abord pour un gros fermier. Après avoir embrassé oncle et tante , il nous a conté qu'il était venu par les voitures publiques jusqu'à Blois, et que, comme actuellement il a établi dans sa maison, au faubourg Saint-Honoré , un manège et une école d'équitation où il a attaché les meilleurs écuyers, il avait envoyé un de ses pale- QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 373 freniers et un de ses quarante chevaux pour l'attendre à Blois, d'où il s'était rendu à sa terre de Ghaillou, afin de tâcher de recouvrer douze mille livres d'arriérés qui lui sont dus. Il y a passé six jours, et rapporte à ^rand'peine sept cents livres. Jl nous a fait un résumé de la triste situation de toute la famille, et la voici. Sa mère, la veuve du ministre, avait trois enfants, deux filles et un garçon; l'aînée resta fille, le garçon est celui que nous voyons, et la troisième est la mar- quise de La Ferté-Sénecterre. L'aînée n'a encore rien reçu des biens qui, sans la Révo- lution , auraient dû lui revenir, et vit chez eux à la charge de sa mère. La marquise de La Ferté avait eu trois enfants deux filles et un garçon. Son mari avait emmené le garçon ; et les deux filles , dont l'aînée , grande et jolie, est bonne à marier, vivent tristement avec leur mère chez madame Amelot. M. de La Ferté avait été déclaré émigré; tous ses biens avaient été vendus, et sa femme avait perdu sa dot, qui consistait soit en rentes sur la Ville, soit en contrats sur des émigrés. Toute la famille habitait encore le grand hôtel, rue de l'Université, et s'était réunie dans une petite partie de la maison pour laisser à leur mère la faculté de louer le reste. Madame Amelot n'avait plus que vingt-trois mille livres de revenu , sur lesquelles elle avait dix-huit mille livres de rente à faire; ainsi il lui en restait cinq. Par une délicatesse pareille à la nôtre, et aussi mal entendue, elle ne s'était pas servie de la facilité qui lui était offerte de rembourser en assignats. Sot préjugé de vouloir rester honnête , tandis que tant de gens s'en moquent ! Amelot m'apprit que mademoiselle Luker, devenue mar- quise Amelot du Guépéan l , et ayant un fils de dix ans de la 1 René-Michel Amelot, marquis du Guépéan, capitaine au régiment du Roi, avait épousé en 1787 Marie-Marguerite de Luker; elle était fille d'Édouard- Jean, marquis de Luker, qui habitait Reaugency, où il fut arrêté sous la Terreur pour n'être mis en liberté qu'au 9 thermidor. D'après ï Histoire de 374 MEMOIRES DU COMTE DUFOIIT DE CHEVERNY. plus jolie figure, était réduite à la plus grande misère par l'émigration de son mari. Elle était venue le supplier de lui trouver dans quelque maison de campagne une place de concierge, pour son pain et celui de son fils. Sa tante , mademoiselle Le Gendre, sœur de ma femme, âgée de plus de soixante ans , d'une piété et d'une charité exemplaires, qui jouissait jadis de trente-cinq mille livres de rente, se trouvait réduite, pour tout bien, à une petite mai- son près de la barrière de Ghaillot, et à deux mille livres de rente sur des particuliers qui, comme tout le monde, étaient presque insolvables. Il ajouta que sa tante, la marquise de Roncherolles, dont les enfants sont émigrés, traînait chez madame Amelot sa triste existence. Malgré la pénurie où il était lui-même, il désirait, avec le produit d'un moulin qu'il venait de vendre dans ce dépar- tement, acheter le château de Guépéan et ses petites dépen- dances, mis en vente par la Nation pour neuf mille livres argent, mais qui vaudrait aisément cinquante mille écus dans tout autre temps. Il y établirait sa malheureuse cousine. Enfin, les changements attendus dans l'administration du département viennent d'être connus. Bésard, l'ancien soldat énergumène, éternel membre de la municipalité, nommé par les enragés, aux dernières élections, membre du Départe- ment où il avait été précédemment un an, et Balayer fils, un des défenseurs officieux des babouvistes, viennent d'être destitués par le Directoire. On a nommé à leur place Dupont, l'émule de Grégoire , son grand vicaire constitutionnel , homme sale de corps et assez nui d'esprit, et Desfray, ancien marchand, homme honnête et dévoué, qui ne s'est pas sali dans la Révolution. Une chose assez plaisante est la dénonciation faite dans le Journal des hommes libres d'un comité secret composé de chouans à Blois. On nomme le citoyen Leconte , qui était Beaugency de Lottin, M. de Luker avait rendu de grands services dans le pays au début de la Révolution. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 375 jadis avocat à Paris, attaché aux affaires de Ja maison de Villeroi, et ayant acheté la terre de Roujou, il y a vingt ans. Sa capacité l'a fait appeler à des places de magistrature pendant la Révolution; alors il s'est mis à l'ordre du jour, et s'est si sagement conduit qu'il est depuis deux ans commis- saire civil du pouvoir exécutif près le tribunal. On cite aussi Durand deRomorantin, bien à l'ordre du jour, homme assez juste et honnête, surtout si l'on s'y prend le matin, commis- saire près le Département; Bodin *, jadis chirurgien à Am- boise, et appelé à la Convention , où il n'a pas voté la mort du Roi; la Révolution lui a fait troquer sa lancette contre un sabre, puisqu'il est commandant de la gendarmerie à Blois; enfin Thibault 2 , ancien curé de Souppes, depuis évêque du Gantai , aussi conventionnel et n'ayant pas voté la mort du Roi, mais s'étant attiré par sa probité, son air franc et ouvert, et son esprit, la confiance du Directoire et l'estime des bons citoyens partout où il a été. Il avoue qu'il est à sa dix-septième place depuis qu'il est sorti du Corps législatif; il a obtenu la trésorerie du département, qu'on évalue de vingt à vingt-cinq mille livres, et il espère y rester. Il paraît réellement que c'est grâce à ces quatre citoyens que les autorités ne sont pas plus mauvaises, mais le Direc- toire entendrait bien mal ses intérêts s'il ne les consultait pas; car, tout en soutenant la République, ils ne feront pas faire de mauvais choix. Les quatre dénoncés ont été aux recherches, et il paraît clair que le dénonciateur est le fou féroce d'Hézine, qui craignait la destitution de ses amis 1 Pierre- Joseph-François Bodin, conventionnel, fit partie des Cinq-Cents en 1797 et en 1799. Après le 18 brumaire, il fut nommé juge d'appel à Poi- tiers. Il mourut à Blois en 1809. 2 Ànne-Alexandre-Marie Thibault, député aux États généraux, évêque con- stitutionnel du Cantal en 1791, député à la Convention en 1792, vota pour l'appel au peuple et le sursis. Nommé aux Cinq-Cents, il en sortit en 1797 par le tirage au sort. Il y rentra comme député de Loir-et-Cher en 1799. Il fut plus tard membre du Tribunat, d'où il fut éliminé en 1802, et mourut en 1812. 376 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. Bésard et Balayer. On attend avec impatience de voir com- ment ils se vengeront de ce perturbateur, maintenant secré- taire de la municipalité de Vendôme. On parle beaucoup d'une histoire qui s'est passée à Tours. Un jeune homme, nommé Garteau, pris d'une passion pour une jeune personne dont la famille valait au moins la sienne, fait faire la demande; elle lui est refusée. On s'aper- çoit que sa tête s'échauffe, on le fait voyager pour affaires de commerce; il revient à Tours précisément le jour du mariage de la jeune personne qu'il aimait. A l'instant, il va se livrer à la commission militaire et se déclare émigré; on lui prouve le contraire, il persiste. Les juges, quoique peu pitoyables, font tout ce qu'ils peuvent pour le sauver; mais la loi est formelle. Il veut être condamné, il l'est. Alors, il s'écrie C'est ce que je voulais, je ne me sentais pas la force de me tuer moi-même. » Et il marche à l'échafaud. On avait fait courir le bruit que sa grâce était arrivée trois heures après sa mort ; mais on n'a fait aucune démarche pour l'obtenir. Tours, en proie aux terroristes qui dévorent tout le dépar- tement et occupent toutes les places, est dans l'état le plus déplorable. Les familles un peu aisées, les négociants, les marchands l'abandonnent, et sous peu la ville tombera dans la plus grande misère. Tous ceux qui y passent assurent qu'il n'y a dans ce pays aucune différence entre le temps de Robespierre et celui-ci. Le fils d'un maître à danser de Tours avait été en butte aux terroristes dans l'affaire du 15 thermidor. Il y eut une dénonciation horrible contre lui, prise de corps, longue incarcération, enfin jugement qui le condamne à quatre années de fers. Invoquant la Constitution, il en appelle au tribunal de Blois. En conséquence il y est traduit, et la cause est appelée le 8 messidor dernier ! . Neuf terroristes de Tours arrivent comme témoins à charge, tous savetiers et portefaix > 26 juin 1798. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE l 787-1801. 377 de bas étage; huit jeunes gens des mieux élevés et des plus distingués viennent comme témoins à décharge. On savait que le nommé Picard, jadis brigadier de la maréchaussée que j'avais à Cheverny homme qui m'avait été donné par feu M. de Cypierre, et dont j'avais fait la fortune en le plaçant sous M. de Polignac à Ghambord, et en faisant obtenir à son fils une place au dépôt des gardes-françaises, était spécialement chargé de lui mettre la main sur le collet, lorsqu'il serait absous. Les terroristes, qui se doutaient qu'on ne pouvait que l'innocenter, avaient en effet surpris au Directoire un mandat d'arrêt. Les deux partis étaient donc en présence. L'audience commence, l'assemblée était nombreuse. Les témoins à charge étaient sur un banc derrière, et faisaient un contraste frappant par leurs horribles figures avec les témoins à décharge qui avaient un air et une tenue honnêtes. Picard-Gaudron avait posté deux gendarmes sur l'escalier du tribunal et se tenait avec les quatre autres tout prêt à agir. Dès que l'innocence du prévenu a été prononcée, les gendarmes l'entourent; Picard saisit la basque de sa houp- pelande et l'entortille autour de son bras. Le président annonce que la séance est levée, et toute la foule se porte autour d'eux. Picard, ne se sentant pas assez fort, appelle à lui les deux gendarmes en faction sur l'escalier, et il signifie le mandat d'arrêt. On l'interpelle, il se défend sur ses ordres; on le chicane; le tumulte augmente. On consulte le prési- dent, qui dit que l'audience étant levée, selon la loi il n'est plus que simple particulier. Alors on pérore, on demande à Picard la communication du mandat d'arrêt, il le montre. Un quidam dans la foule s'en empare, le met dans sa poche et disparaît Picard veut courir après et lâche la redingote. C'était là où on l'attendait. A l'instant, léger comme l'oi- seau, le jeune homme pose le pied sur les genoux d'un par- ticulier assis, et, franchissant tous les bancs, il s'élance par une porte en haut destinée aux juges. En trois sauts il des- cend trente marches, et se met à courir dans la rue avec 378 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. un camarade qui l'attendait; en un instant il a disparu. Picard cependant, qui ne voulait pas perdre sa capture, prend le même chemin malgré les efforts du public. Il se met à courir comme un enragé et ne s'aperçoit pas que le fugitif avait fermé sur lui une porte vitrée; il s'y frappe d'une telle force qu'il tombe en vomissant le sang. Pendant ce temps, les témoins terroristes se mouraient de peur; ils demandèrent à être escortés jusqu'au bateau qui devait les ramener à Tours, ce qui fut fait, et l'on fut débar- rassé de leur présence. Dès qu'ils ont été arrivés chez eux, ils n'ont eu rien de plus pressé que de dresser un procès- verbal plein de faussetés et de mensonges, accusant le tribu- nal, les jeunes gens, les spectateurs, la ville même d'être en contre-révolution. Le Directoire envoie l'ordre au directeur du jury de suivre cette dénonciation, toute affaire cessante. Heureusement que le sieur Bellenoue-Chartier, maintenant directeur du jury, est un homme de la probité la plus stricte, qui ne se sacrifie jamais aux passions du jour. Quoique jeune, il est estimé et respecté de tous les partis, et il saura faire son devoir et rendre justice à qui elle appartient. Cette décade a été fertile en événements. Les mesures les plus sévères ont été prises à Paris contre les émigrés, les déportés, les prêtres, les chouans, les journalistes proscrits, les chauffeurs. Les ordres parviennent à l'instant dans les départements et aux commissaires du pouvoir exécutif. Le signalement de certaines personnes suspectes au gouverne- ment est en même temps envoyé à Durand, entre autres celui d'un ci-devant procureur du Mans, nommé Bazin ' petit, trapu, des yeux gros et saillants, vue basse, écrivant dans le Journal des hommes libres, et vendu à Hézine, aux babouvistes et à toute la séquelle. Il était soupçonné d'être le rédacteur de l'article qui dénonce les quatre citoyens dont j'ai parlé ci-dessus. S'en- fuyant de Paris, il se présente à la municipalité de Blois; il 1 On trouve un article sur lui dans la Biographie moderne de 1808. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 379 ne pouvait faire pis. Sous le prétexte qu'il manquait la signa- ture du commissaire du pouvoir exécutif, on le fait conduire à Durand, qui lui signifie qu'il va le faire incarcérer. Sa fureur, sa colère sont au comble. Quatre gendarmes s'en emparent, et au bout d'une heure on le conduit aux Carmélites. Tout le monde s'accorde à dire que c'est un drôle bon à déporter. 9 août 1798. — Encore une lacune dans ces Mémoires. Une nouvelle attaque de goutte dans la poitrine m'a fait croire que j'étais à mes derniers moments; ce fut l'affaire de six heures, et leau de goudron nie l'ayant détournée, j'en fus quitte pour une jaunisse de huit jours. Le lendemain du jour où don Olavidès reçut la leitre dont j'ai parlé, il fut pris à son réveil d'une rétention d'urine si douloureuse, qu'elle nous fit tout craindre; après vingt- deux heures de souffrances, il fut débarrassé; mais il s'en- suivit un peu de fièvre. Il était au moment de partir pour Paris ou de retourner en Espagne. Rien n'était plus con- trariant pour lui que cet accident dans un pareil moment. Des visites domiciliaires se sont faites à Blois d'après l'ordre du Directoire; on n'a pris aucun prêtre parce qu'ils se cachaient très-bien, et pas d'émigrés parce qu'il n'y en avait pas. On a fait quelques perquisitions dans les cam- pagnes, chez les demoiselles Mahi, grandes souteneuses de prêtres , et chez le ci-devant marquis Hurault de Saint- Denis, mais nulle part ailleurs. Le Directoire, suivant son système de balançoire, a des- titué Hézine, secrétaire de la municipalité de Vendôme; sur- le-champ, il s'est fait cabaretier dans la même ville, pour rassembler les babouvistes chez lui. Deux chefs de chouans viennent d'être fusillés à Tours par jugement; ce sont le nommé Mazurié, ci-devant prêtre, et un autre qui portait le nom de guerre de V Aimable '. La manière dont ils ont été pris est atroce Mazurié était retiré dans une maison à lui aux environs, il avait des certificats 1 Le 26 juillet 1798, la commission militaire de Tours avait condamné Guillaume Le Métayer et non Mazurié, dit Rochambeau, clerc tonsuré, et 380 MEMOIRES DU COMTE DUFOHT DE CHEVERNY. bien légalisés à son canton. Cinq gendarmes se déguisent, arrivent chez lui à huit heures, lui font confidence qu'ils sont chouans et demandent l'hospitalité; il les traite de son mieux. Au milieu du souper, ils sejettent sur lui, l'entraînent avec son compagnon à la commission militaire; le lende- main ils sont fusillés. Ils refusent de se laisser bander les yeux, ajournent le rapporteur à un an, en lui reprochant sa cruauté, et crient Vive le Roi! » jusqu'à ce qu'ils tombent sous les coups de fusil. Un voiturier de Ghinon passe avant-hier à Blois avec une voiture fermée ; un particulier a la curiosité de regarder à travers les barreaux. Le voiturier lui dit bonnement Ce sont six daims que je mène près de Fontainebleau ! , chez Barras, directeur ; il les a fait venir de Ghinon pour peupler son parc. » Enfin, la 31 e demi-brigade, la plus mauvaise troupe qui ait jamais existé, depuis le commandant jusqu'au dernier gou- jat, vient de recevoir l'ordre de se rendre à Strasbourg. C'était parmi eux qu'était prise la commission militaire de Tours, la plus sanguinaire qui ait existé ; un officier de la plus jolie figure était le rapporteur, et il n'a que des crimes à se reprocher. Le détachement qui est à Blois a mécon- tenté toute la ville. 12août 1798. — Lesréquisitions vont grand train; on prend jusqu'aux gens mariés et qui ont des enfants. C'est une déso- lation universelle. Ils partent liés et accolés; tous revien- nent dans le pays trois ou quatre jours après, mais effrayés de l'arrêté du Directoire qui condamne ceux qui les recèlent à 500 francs d'amende et deux ans de fers, ils se laissent prendre la nuit comme le jour et conduire aux Carmélites. Les barrières nouvellement mises pour les péages 2 indis- Leroux, son aide de camp, tous deux activement mêlés à la chouannerie. Dom Piolin, l'Église du Mans pendant la Révolution, t. III, p. 416, cité par M. Victor Pierre dans la Revue des questions historiques d'octobre 1884. 1 Probablement à Grosbois. 2 La loi du 9 vendémiaire an VI 30 septembre 1797 avait établi une taxe QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 381 posent les voituriers, la plupart gens sans patrie, jadis atta- chée à la Révolution dans l'espoir du pillage, mais qui main- tenant ne se voyant pas plus riches, crient contre l'ordre de choses actuel; c'est un feu de paille, et cette race mouton- nière obéira bientôt comme les réquisitionnaires. Le départ d'Olavidès est fixé à jeudi prochain, 27 août ' ; c'est un vrai sacrifice qu'il fait à sa famille et aux ordres du Roi. Il voyage avec deux voitures et emmène sept personnes Reinard,son aumônier; son valet de chambre, avec sa femme et sa fille; un courrier, le nommé Brunet; et Hadou, chirur- gien de l'hospice militaire de Blois. La foire de Blois, cette année, a été beaucoup plus consi- dérable tant en marchands qu'en acheteurs, mais les pre- miers s'en vont ruinés le 4 septembre, et la décade qu'on les a obligés de sanctifier en leur faisant fermer boutique a occa- sionné beaucoup de murmures. Si don Olavidès avait voulu emmener une colonie de Français, rien ne lui eût été plus facile; il est accablé de demandes, de lettres, de visites, et moi par contre-coup. Pour y obvier, il n'emmène personne ; ce serait mal se poser en arrivant que de s'entourer de Français, je me suis donc interdit toute sollicitation. Les Fiançais aiment beaucoup voyager dans tous les pays; la province blaisoise surtout a cette maladie, et si on lit les voyages, les mémoires des cap- tifs rachetés par les saints Pères de la Merci, on ne parcourt pas une page sans en trouver. Maintenant la Révolution, les réquisitions, la perte de toutes les fortunes, déterminent sans peine à sortir du pays, surtout depuis qu'on ne court plus le risque d'être déclaré émigré. J'ai parlé plusieurs fois de mesdemoiselles de Martainville qui, avant la Révolution, avaient tenu à Paris une délicieuse maison, rendez -vous des gens aimables. Elles s'étaient enfuies en Suisse et habitaient avec l'évêque de Gomminges d'entretien à percevoir sur les voitures de roulage et de voyage et les bêtes de somme, au moyen de barrières et bureaux placés sur les grandes routes. 1 II ne partit que le 18 septembre 1798, comme on le verra plus loin. 382 MÉMOIRES DU COMTE DUFOIlT DE CIIEVERNY. d'Osmont, tantôt aux eaux de Bade, tantôt près du lac de Constance. L'aînée, Flore, est morte d'une attaque d'apo- plexie. Je vais copier l'article qui la concerne, d'une lettre du 6 septembre, que je reçois de Sanlot Rien ne me coûte autant, mon ami, que d'être porteur de nouvelles affligeantes, mais il est impossible de ne pas k vous faire partager le chagrin que nous cause la mort d'une des aimables petites sœurs de Suisse. Ce n'est pas u celle dont la santé actuellement dérangée donnait le plus te d'inquiétude que nous avons à regretter. C'est cette pauvre Flore qui a été emportée, il y a aujourd'hui trois semaines, presque subitement, par une apoplexie d'humeur. Nous avons actuellement à redouter les suites de ce funeste évé- nement pour Alexandrine, qui ne résistera peut-être pas à un pareil assaut; malade comme elle l'est, elle ne sera pas assez forte pour supporter ce malheur. Sa sœur Cas- tera l part dans deux jours pour aller la joindre et adou- cir par sa présence l'amertume de cet isolement. C'est leur vieil ami 2 qui nous a donné tous ces détails affligeants. Nous avons la consolation de penser que si un deuxième malheur, que nous appréhendons, suivait celui dont je vous informe, il ne resterait pas abandonné. Son neveu l'aîné 3 vient de marier sa fille à un officier compatriote de la mère 4 qui possède des millions et qui, outre 12,000 livres de rente qu'il assure à son beau-père et à sa belle-mère, a fixé le douaire de sa femme à 60,000 livres par an. Notre 1 La mère de la trop fameuse madame de Buffon, maîtresse de d'Orléans. •> Note de l'auteur. 2 D'Osmont, ancien évêque de Comminges, retiré avec elles. » Note de l'auteur. 3 Ce d'Osmont, qui avait épousé mademoiselle Dillon, sœur de tous les Dillon et de madame de Martainville, et à qui la Reine avait fait avoir une place chez Madame, retirée en Suisse par la Révolution. » Id. Madame de Martainville, née Dillon, dont il est question dans la note ci-dessus, ligure au contrat de la comtesse de Buffon, en 1784, comme tante de la future. Elle signe Dillon de Martainville. Correspondance de Buffon, par M. JNadault de Buffon, t. II, p. 491. 4 u Madame Dillon, Anglaise. » Note de l'auteur. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 3S3 vieil ami l trouvera là un asile qui lui sera bien dû, car s'il se trouve dans la détresse, c'est pour avoir élevé et sou- tenu toute sa famille. » On n'attendait plus ici que le visa des passe-ports envoyés au Directoire, et un du chevalier Azara , ambassadeur d'Espagne; les deux voitures étaient chargées. Le château ne désemplissait pas; la nouvelle des faveurs que recevait Olavidès lui attirait des visites continuelles. Enfin les passe- ports arrivèrent. J'avais fait venir dix chevaux de poste la veille, pour mener les deux voitures en deux jours à Châ- teauroux. Il partit le 19 septembre, non sans beaucoup de regrets de part et d'autre. Don Oiavidès quittait des amis sûrs qui l'avaient pendant trois ans traité comme un tendre frère, et nous, nous perdions un homme rare, plein d'esprit, de connaissances, d'une douceur et d'une amabilité continuelles. Lumineux dans la conversation, éloquent sans être verbeux, il embellissait tout ce qu'il disait. Quoique supérieur à tous, il ne discutait qu'avec une modération dont je n'ai jamais vu d'exemple. Son aumônier, M. Reinard, nous convenait sous tous les rapports; aussi le vide qu'ils nous ont laissé est incalculable. Tout son désir était de nous emmener en Espagne, et il nous aplanissait toutes les difficultés, mais nous résistâmes. J'ai près de soixante-huit ans, et ma femme en a soixante; on ne s'expatrie pas à cet âge, à moins de raisons majeures. L'état affreux de notre fortune et les événements de la République peuvent d'un moment à l'autre nous y forcer. Alors comme alors! il nous restera l'espérance d'être aussi bien traités en Espagne que nous l'avons traité ici. Cependant Blois était assez tranquille, les prêtres seuls craignaient tout. Sans cesse on en voyait arriver aux Car- mélites pour être déportés. Mon fils aîné fut témoin d'une scène attendrissante. Cinq prêtres étaient arrivés le matin en charrette sans le sou; on fut obligé de faire une quête afin 1 Toujours l'évêque de Comminges. »» Note de l'auteur. 384 MÉMOIRES DO COMTE DUFORT DE CHEVERNY. de leur procurer à dîner. Un d'eux demande en arrivant mademoiselle de la Pagerie ! , tante de la citoyenne Bona- parte ; elle était à la campagne. Il se plaignit qu'en l'arrêtant on lui avait pris trente louis en or. Tous les prêtres, n'im- porte de quelle couleur, étaient consternés. Cependant, un bruit vague et que les arrivants de Paris paraissaient confirmer, était que le départ de l'expédition de Bonaparte était un vrai exil. Voici le fait On assurait que Bonaparte, dont l'existence inquiétait le Directoire par sa tête, son audace et ses exploits, avait été extraordinairement négligé à Paris où il avait joué un rôle plus que secondaire. Ombrageux dans son intérieur, despote avec les formes les plus sèches et les plus républicaines, on prétendait qu'il faisait régler par le juge de paix tous les mémoires de ses fournisseurs, les chicanant régulièrement à chaque audience, quoiqu'il fût, dit-on, riche de plus de quinze millions. Ce qui est certain, c'est que mademoiselle de la Pagerie, tante de sa femme, âgée de plus de quatre-vingts ans et ayant tout perdu à la Révolution, n'a pu obtenir de sa nièce, dont on connaît le bon cœur, aucun secours pécuniaire. On disait donc que le Directoire avait découvert, ou cru découvrir, un parti dont Barras, Bonaparte et Tallien étaient les principaux chefs; que Barras depuis ce temps, en atten- dant sa sortie, était convenu de ne plus se mêler de rien ; que pour Bonaparte, Merlin, après une explication, lui avait dit que la réputation méritée qu'il s'était acquise lui évitait la déportation ostensible; qu'on allait lui donner connais- sance de tous les projets proposés depuis vingt ans pour la prospérité et l'agrandissement de la France ; qu'il était le maître de choisir celui qu'il voudrait, qu'on lui fournirait tous les moyens; qu'après quinze jours d'examen, Bonaparte 1 Thérèse Tascher de la Pagerie, grand'tante de Joséphine. Eile avait recueilli chez elle sa sœur Madeleine, en religion Mère Saint-Louis, Ursuline à Blois, qui mourut en 1795. Mademoiselle de la Pagerie vécut jusqu'en 1806. On lui fit des obsèques magnifiques, auxquelles assistaient les autorités. A. Dupré, les Beauharnaîs et les Tascher, et l'abbé Richaudeau, les Ursu- lines de Blois. QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 3K5 s'était décidé pour celui qui s'exécute; qu'argent, hommes et vaisseaux, rien n'avait été épargné pour ce projet, chose très-indifférente au gouvernement, qui n'avait d'autre but que de se débarrasser de lui. A l'égard de Tallien, il ne fut pas continué au Corps législatif; il a été joué par Bonaparte, comme tout le monde l'a su; ce qui est certain, c'est que madame Tallien, qui est très-obligeante, sollicitée par quelqu'un à qui elle ne pou- vait guère refuser, lui dit tout naturellement Que voulez- vous que je fasse maintenant? je n'ai pas même le droit d'empêcher mon mari de partir '. » Tout cela m'est raconté par des personnes que je dois croire instruites. Septembre 1 798. — Toutes les fois que je pourrai avoir des notes sur des personnes qui jouent ou ont joué un rôle dans la Révolution, je les consignerai ici. Lecarlier 2 , maintenant ministre de la police, ancien membre de l'Assemblée constituante, a constamment été républicain. Dur et sévère dans toutes les missions où on l'a employé, il a toujours inspiré la crainte, sans cependant s'être plongé dans le crime comme Carrier, Lebon et tant d'autres. Il est né à Crépy, dans le département de l'Aisne; son père était fermier et faisait avec intelligence le commerce de bestiaux, principalement celui de moutons. Il fit fortune, plaça son fils chez un procureur, et maria sa fille à un homme de pratique à Crépy. Dès que la Révolution commença, Lecarlier revint de Paris avec le jargon de son étude, sédui- sit son assemblée primaire, promit monts et merveilles et obtint d'être nommé. Il est maintenant abhorré, et il l'avoue lui-même; au moins c'est un sentiment bien prononcé, il y en a tant d'autres qui n'inspirent que le mépris! Quanta lui 1 On sait que Tallien accompagna Bonaparte en Egypte. 2 Marie-Jean-François'-Philibert Lecarlier; il était maire de Laon avant la Révolution. En quittant le ministère de la police, il alla remplir les fonctions de commissaire générai en Belgique et mourut en 1799. "• 25 386 MËMOÎKKS DU COMTE DUFORT DE CUKYERNY. qui était riche avant la Révolution, il a cru se dévouer en acceptant cette place. Sa manière de donner des audiences est singulière; tou- jours pendu à sa sonnette, il vous laisse parler un instant, vous dit Je sais votre affaire » , et sonne pour faire entrer une autre personne. Un soi-disant émigré avait rempli toutes les obligations exigées pour obtenir sa radiation ; Lecarlier, poussé à bout et ne voulant pas le rayer, fait venir ses pre- miers commis, et leur dit Si d'ici à demain vous ne trouvez pas l'émigration constatée dans tous les papiers o que je vous remets, je vous renvoie tous. » La peur fit tra- vailler leur imagination, et, dans le délai fixé, l'homme reçut l'ordre de sortir de la République. Ces récits me sont venus par différentes personnes qui ont eu affaire à lui elles m'ont annoncé qu'il se retirait à la grande satisfaction de tout le monde. Il est remplacé par un nommé Duval l , connu pour avoir été un des soixante- treize emprisonnés par Robespierre. La conscription 2 s'établit lentement, et le peuple, qui s'accoutume à tout, même à être décimé si on l'exige, montre une soumission aveugle. La tranquillité règne dans le département, comme la misère, pour les propriétaires du moins; car pour les journaliers le vin est à trois sois, le pain à deux, les journées à trente ou quarante. Il s'ensuit néces- sairement que les cabarets sont très-fréquentés, et que le peuple fait la loi pour son travail. Cet état de choses peut-il durer? C'est la question que se font tous les gens instruits. La déportation des prêtres continue, il n'y a pas de jour qu'il n'en vienne coucher aux Carmélites, depuis sept jus- qu'à vingt. Ils sont emmenés en charrette et repartent le len- demain. Toute la Touraine est maintenant sans aucun ministre du culte. Le département de Loir-et-Cher n'a pas suivi les mêmes principes, car les prêtres jusqu'ici y sont 1 J. P. Duval, ancien député de Rouen, ministre de la police à la fin de 1798. Il fut préfet des Basses-Alpes sous l'Empire. 2 Loi du 19 fructidor an VI 5 septembre 1798. QUATIUÈMK ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 387 fort tranquilles. Ils peuvent dire comme l'homme qui tombait du haut des tours de Notre-Dame et criait en l'air Gela va bien ; pourvu que cela dure! » 29 novembre 1798. — Je viens de lire la conspiration d'Orléans par Montoie l . Sans contredit tous les détails sont des plus exacts; on regrette à chaque page que le monstre n'ait pas été écrasé par le gouvernement. Cependant on voit clairement qu'il a été dupe de l'intrigue et qu'il fut déjoué par un parti plus fin qui voulait la République. Il n'a été qu'un instrument qu'on a brisé dès qu'on n'en a plus eu besoin. Je me souviens que dans les commencements du club des Jacobins, pendant les premières six semaines de leur établis- sement, quand j'y étais entraîné par Beauharnais, l'abbé d'Espagnac et beaucoup d'autres gens que je croyais et crois encore très-honnêtes, et qui ne devinaient pas plus que moi où l'on voulait en venir, quelqu'un, dans cet antre affreux, lança un propos si révoltant, appuyé par Lameth, d'Aiguillon et Rœderer, que quelqu'un s'écria Où veut-on donc nous mener? Qu'on le dise, qu'on s'explique ! Serait-il possible qu'on voulût convertir le royaume en répu- blique? » Des rires sardoniques furent la réponse. Sedaine qui était avec nous le remarqua avec le même effroi. Il n'y a pas à en douter, le plan était fait et formé entre ces con- jurés et pas d'autres; ainsi le duc d'Orléans n'a été qu'une misérable dupe, qui a dépensé dix-sept millions pour se faire guillotiner. ^novembre 1798. — Me voici établi dans une petite maison que 'ai achetée et fait arrangera Blois. Je l'avais destinée à me loger avec Olavidès lorsque, comme je l'ai raconté, j'ai été obligé de le décider à partir pour l'Espagne. 1 Ce Montjoie est né à Bayonne, fils de Moracin de Hollande, qui nous reçut si bien. C'est une famille de négociants bien connue. » Note de l'auteur. C'est une erreur. Christophe-Félix-Louis Ventre de la Touloubre, connu sous le nom de Galflrt de Monijoie, était né à Aix, où son père était professeur de droit L'ouvrage dont il est question est intitulé Histoire de la conjura! ion de Louis-Philippe d'Orléans. Paris, 1796, 3 vol. in-8°. Il est loin de mériter confiance. 25. 388 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. Grâces soient rendues aux habitants de la ville de Blois, qui ont su rendre la société cjui s'y réunit la plus agréable possible. Blois est préférable à tous égards aux trois villes qui l'avoisinent Orléans, Vendôme et Tours, et de tout temps elle a obtenu cette distinction. Le peu de fortune des habitants a fait disparaître toute rivalité, et les distinctions de rang y sont nulles. Le peu de commerce qui s'y Fait n'excite pas la concurrence, le peu de gens qui y vivent y restent par un attrait irrésistible. Les possesseurs de terre, persécutés, ennuyés, viennent s'y établir. De ce nombre est mon ami le ci-devant marquis deRancogne, vrai patriarche, ayant cinquante ans et six enfants dont l'aîné est presque de la réquisition. Mon fils et sa femme habitent près de moi, et, malgré la pénurie qui atteint toutes les classes, on se réunit vingt, trente personnes, quelquefois plus. L'étranger qui est reçu dans ces réunions peut se croire au milieu d'une famille. Les femmes y sont élégamment mises, et l'on y compte presque autant de filles à marier plus jolies les unes que les autres. La musique y est portée à une grande perfection. Mon fils, M. Gauvilliers, directeur des domaines, M. de Rancogne donnent des concerts qui paraîtraient bons même à Paris. Mademoiselle Àmelia, fille de M. Gauvilliers, y montre un talent distingué. A Tégard de la situation politique, comme elle se ressemble probablement dans toutes les villes et départements de la République, je vais la peindre telle que je la vois. Il paraît que sur les 109 départements, il n'y en a que 12 qui jouissent d'une sorte de tranquillité, qui serait tempête dans tout autre temps. Celui-ci est au nombre des derniers; quoiqu'il soit taxé de royalisme, on y compte à peine trois ou quatre familles qui se soient trop prononcées. Le reste, plus prudent, n'a montré que le désir de voir les pouvoirs con- centrés dans la main du gouvernement. Les jacobins se cachent, mais sont toujours pleins de ruse et d'activité. Quoique cette classe soit maintenant reléguée dans la lie du QUATRIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE l787-I80l. 389 peuple, elle n'en est pas moins à craindre pour les gouvernants et les gouvernés. Depuis que, parle 18 fructidor, le Direc- toire s'est attribué tous les pouvoirs, on l'a vu casser toutes les élections du peuple et nommer partout les pouvoirs exécutifs; comme il ne craignait alors que le royalisme, il crut ne pouvoir mieux faire que de se confiera leurs ennemis naturels, et cherchant parmi les républicains ceux qui étaient les moins révolutionnaires, il leur confia les places, en faisant des espions et des délateurs organisés. Il ne fut heureux dans ce département que dans un seul choix, celui de Leconte, avocat de Paris, possesseur de la terre de Roujou, et dont j'ai déjà parlé. Il fut nommé com- missaire du pouvoir exécutif près le tribunal civil, et sa con- duite lui mérita le suffrage de tous les partis. Le choix ne fut pas si heureux pour le Département. On consulta certainement Venaille, ancien député, qui était fils d'un marchand de poterie de Romorantin; et l'on nomma commissaire près le Département, Durand, fils d'un procureur de Romorantin qui est devenu juge à Blois. Cependant ce Durand aurait valu quelque chose si, adonné au vin les trois quarts du jour, il eût fini le reste dans son bon sens. Le choix des administrateurs fut très-faible, pour ne rien dire de plus. On y comptait Gamereau, ancien marchand de drap ; Dupont, ancien chanoine de Saint-Aignan, recom- mandable par son extrême malpropreté, son dévouement au gouvernement par la peur et, comme prêtre, par sa négli- gence a remplir ses devoirs les plus sacrés; Desfray, ancien marchand, homme bon, mais faible; deux autres un peu meilleurs, mais ignorant les formes et les affaires, obligés par conséquent d'être subordonnés à leur secrétaire Liger, jadis procureur, trè^-républicain, mais honnête homme et plein de courage, puisqu'il avait été commandant à Cambrai. Le choix delà municipalité est encore plus pitoyable un Lemaignen, épicier, sachant àpeine lireet écrire; unGuillon, jadis menuisier, maintenant entrepreneur de bâtiments, homme à moyens et intelligence, mais qui s'est montré 390 MEMOIRES DU COMTE DU FOUT DE CHEVERNY. ingrat envers lévêquede Blois son protecteur, à qui il doit sa fortune. Ambitieux, fin, rusé, jacobin par principe et faux par caractère, il gouverne despotiquement les autres. Un homme très-instruit qui arrive à Paris me racontait le mépris général qui entoure les députés. Depuis que le traite- ment aux deux conseils est de 12,000 francs, tous les va-nu- pieds y prétendent, et tous les moyens leur sont bons. Voici leur calcul 3 ans à 1 2,000 francs par an font 36,000 francs; un logement de 30 francs par mois et un seul repas de 40 sols chez un restaurateur leur suffisent. Ainsi, après trois ans passés à s'asseoir et à se lever, ils ont 30,000 francs d'argent, ce qu'ils n'ont jamais possédé, et reviennent chez eux ou sont placés par le Directoire. Le mépris qui est attaché à ces places éloignera tout homme honnête, et par conséquent le champ restera libre à tous les gueux de la République. On sent bien que cet état de choses ne peut durer que tant que le Directoire le croira nécessaire. Pour le présent, il est maître et souverain, et voici sa marche. Ses deux con- seils sontmaintenantdivisés en trois partis les royalistes, les modérés et les jacobins. Si le Directoire veut faire passer une loi acerbe, il se renforce à l'instant par le parti jacobin. S'il a besoin d'une loi sage, il s'appuie sur les modérés. Il est airsi plus maître que feu Louis XVI, à qui l'on avait refusé tous les pouvoirs; par son astuce il les réunit tous. On fait courir maintenant des listes pour les députés à nommer aux assemblées primaires. Je vais peindre tous les acteurs sur les rangs. Le premier, c'est Bodin, accoucheur-chirurgien à Amboise, ancien membre de la législature, et maintenant capitaine de la gendarmerie à Blois, homme de peu de mérite, mais intrigant pour s'assurer une place lucrative. Le deuxième, Delestre, chirurgien sans clientèle, s'étant fait un manteau de patriotisme pour s'enrichir, maintenant commissaire du pouvoir exécutif près la municipalité et voulant troquer sa lancette contre la toge sénatoriale. Le troisième, Guillon, menuisier-entrepreneur, jouissant d'un grand crédit dans QUATRIÈME ET DERRIÈRE ÉPOQUE 1787-1801. 391 l'ordre jacobinique. Le quatrième, Durand, commissaire du pouvoir exécutif près le Département. Pour balancer ces noms, on y a accolé quelques autres qu'on espère biennepas être forcé de prendre Leconte, sur- nommé Roujou; Touzard, juge de paix, homme d'esprit, honnête et estimé généralement; Gabaille, fils d'un apothi- caire d'Orléans, ingénieur des ponts et chaussées, ayant été employé ici et ayant le vœu de tous les honnêtes gens par son honnêteté et son éducation tous gens probes et de mérite, par conséquent peu laits pour être nommés ou fort capables de refuser. Janvier 1799. — Je me trouve ici dans une position assez singulière pour la consigner. Voici le fait Depuis la première assemblée législative, quoique nommé trois fois électeur, j'ai évité scrupuleusement de me lier avec aucune autorité. Il y a trente ans, comme je l'ai dit, que Jumeau est attaché à mon service, et je lui ai confié peu à peu toutes mes affaires du dehors. Il est devenu mon ami par les services essentiels qu'il m'a rendus dans la Révolution; je l'ai vu pendant la Teneur partir à pied pour Orléans et en revenir chargé de 40,000 francs. Il nous a adouci à ma femme et à moi l'amer- tume d'une vie où tout successivement nous a manqué; quoique septuagénaire, il met dans ses actions la vivacité d'un jeune homme. Il est né avec l'esprit des affaires, et il abrège et termine les affaires les plus litigieuses. C'est à cet excellent homme que je dois de ne fréquenter aucune auto- rité; depuis la Révolution, je ne me suis présenté qu'une fois au Département. Il a toujours paru pour moi, et j'ai obtenu plus facilement par lui ce qui était juste et indispen- sable; je vis donc totalement isolé de la Révolution. Qui aurait pu penser que par des intermédiaires je me trouverais en relation indirecte avec Merlin, le fameux Merlin de Douai, directeur, et le principal agent de ce triste gouvernement? Ceci devient peu clair; je vais l'éclaircir. Sous l'ancien régime, un vicaire de Cour, nommé Bailly, se faisait distinguer par sa figure, son air honnête et sa couver- 392 MÉMOIRES DU COMTE DUFORT DE CHEVERNY. sation. Il avait commencé par servir dans la marine mar- chande et n'avait embrassé l'état ecclésiastique que pour être plus à portée de soigner sa mère. Il eut, au moment de la Révolution, l'occasion de déployer ses vertus filiales; sa mère, qui vivait bourgeoisement à Vendôme, fut si e frayée par l'insurrection et les manières révolutionnaires qu'elle tomba dans des accidents qui la conduisirent lentement au tombeau. Il la fit transporter à Cour et la soigna pendant trois ans avec le plus grand dévouement. Sur la fin, lors- qu'on eut forcé les électeurs à nommer aux cures, me trou- vant électeur et président, je fus assez heureux pour le faire nommer à la cure de Danzé près Vendôme. Il ne tarda pas à s'y attirer toute la considération possible et à se lier avec la noblesse du pays, et surtout avec M. de la Porte. Lorsque celui-ci fut incarcéré et menacé de passer au Tribunal révo- tionnaire, ses amis réussirent à le faire sauver de prison. Madame de la Porte était la personne la plus embarrassante; il fut convenu que Baiily se déguiserait en garde national, que madame de la Porte passerait pour sa sœur, et qu'ils par- tiraient avec des passe-ports pour aller trouver une tante supposée dans la vallée d'Auch près Bagnères et Gauterets, pour y vivre cachés jusqu'à la fin de l'orage. Ils partirent donc tous les deux avec des lettres de recommandation ad hoc, et s'établirent dans leur retraite. Pour dérouter les curieux, Baiily se fit nommer directeur de l'hôpital militaire, s'y conduisit supérieurement, se fit estimer et ne pilla pas. Il pouvait amasser 2,000 louis, et il n'en rapporta pas plus de 100. A son retour à Paris après le 9 thermidor, lorsqu'il se présenta à ses protecteurs, l'accueil qu'il en reçut était bien à l'ordre du jour. On lui demanda s'il avait fait fortune ; il avoua niaisement qu'il aurait pu la faire, que les moyens ne lui avaient pas manqué, mais lui avaient répugné; alors il fut éconduit comme un homme incapable. L'état ecclésiastique était proscrit; ne sachant où donner de la tête, il entra comme commis dans un des bureaux de la Guerre; ses manières le firent réussir, et enfin, QUATHIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE 1787-1801 393 il obtint la place de directeur de l'hôpital de Luxembourg, avec 3,000 francs d'appointements. Bailly avait toujours entretenu des relations avec moi; à mon dernier voyage à Paris, il était venu me voir tous les matins, et, depuis, je lui avais rendu quelques services, soit pour ses certificats, soit pour son extrait de serment civique. Cependant, il y avait plus de six mois que je n'en avais entendu parler, lorsque Thibault, receveur général du dépar- tement de Blois, fut appelé par Ramel, ministre des finances et son ami, à lune des trois places de receveur des barrières de Paris. Le bruit se répandit qu'il serait remplacé par le beau-frère de Merlin. Quelques semaines après , M. de la Porte , en venant me voir, m'annonça qu'il avait reçu une lettre de Bailly, qui lui mandait qu'il avait remis une lettre pour moi au nouveau receveur. Celui-ci ne tarda pas à me l'apporter. Il se nom- mait Desfossés, et venait de Luxembourg, où il avait occupé la même place. Il nous amena sa femme, et, s'expliquant avec une grande franchise , nous conta son histoire que voici Fils d'un avocat de Douai , il était entré dans les bureaux delà comptabilité de la maison du Roi à Versailles. La Révo- lution survenant, il retourna à Douai, et obtint différentes places dans la comptabilité. Il connaissait à Douai une jeune veuve n'ayant qu'une fille d'un M. Azé, conseiller au parle- ment de Douai , et sœur de la citoyenne Merlin. Desfossés trouva le moyen de la décider à l'épouser. Cette femme nous parut bonne, excellente, tout cœur comme sont les Fla- mandes. Elle avait été fort persécutée pendant le règne de Robespierre ; Merlin , antagoniste décidé , était poursuivi même dans ses parents. Lors de l'avènement de Merlin aux places, ils se servirent de son crédit. Merlin, à leur passage, les avait reçus à merveille; ils avaient été logés au Direc- toire et traités en parents. Ils mènent une vie toute différente de celle de leurs prédécesseurs, et, s'appuyant de nous, ils ont été reçus partout; ils se présentent avec 394 MÉMOIRES DU COMTE DU FORT DE GHEVERNY. simplicité et bonhomie, et toujours à leur place. Ils sont continuellement chez nous ou dans notre société; mais nous observons un silence profond sur la politique et sur les réflexions qui nous saisissent à la gorge, prêtes à nous échap- per, sur leurs chers parents. La pénurie d'argent se fait sentir ici de plus en plus; la Nation exige qu'on paye les impositions tous les mois à peine échus, et l'on ne peut exiger de l'argent des fermiers que l'année révolue. En Sologne, les fermiers n'ont point d'épo- que fixe pour payer, et jadis j'ai eu souvent cinq ans d'ar- riérés. l J ar le nouvel ordre de choses, on a confié le cadastre à faire, soit à des ignorants, soit à des ultra-révo- lutionnaires , de sorte que l'imposition, dans mes anciennes paroisses, se trouve à peu près de tieize sous sur vingt. Quelques représentations qu'on ait faites, le Département n'a rien diminué de ses prétentions ; il est aisé de prévoir que cela ne peut durer. Toutes les décades on envoie au Trésor public ce qu'on peut escroquer; mais l'État ne paye pas les fonctionnaires, et ils n'existent plus. Le commerce ne se fait plus au comp- tant, mais forcément en lettres de change à longue échéance, ce qui donne une grande latitude à toutes les friponneries possibles, et il y a une infinité de gens qui se sont rendus experts en falsification de lettres de change, congés , passe- ports et certificats. Leconte, marchand de cette ville, s'at- tendait à paver une lettre de change de quatre mille livres; on lui en présente une falsifiée et portée à dix-sept mille. Autre exemple deux certificats d'experts, pour être payés de fournitures, sont déclarés de toute fausseté; de sorte que tous les négociants ont l'effroi dans le cœur. ^février 1799. — Un homme de sens m'écrit de Paris que les gouvernants vivent au jour le jour. Le produit des barrières 1 , qu'on crovait destiné à l'entretien des grandes routes, servira aux besoins les plus urgents. L'infidélité des 1 A péage, dont il a été parlé précédemment. QUATRIÈME ET DEIIN1ÈRE ÉPOQUE Ï787-1 80l. 305 employés est telle qu'une décade entière n'a fourni que quatre cents francs, quoiqu'on fût sûr que le produit devait être de seize cents. Ainsi la République est volée partout; c'est un vrai brigandage. 24 février. — Desfossés est venu nous annoncer que le PALMARES DU CONCOURS GENERAL AGRICOLE. 2016. Rgion : Bretagne. Date d'dition : 01/03/2016 PALMARES DU CONCOURS GENERAL AGRICOLE. PRSENTATION Cr en 1870, le Concours Gnral Agricole est proprit du Ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Fort et du Ceneca. Il comporte 3 grandes catgories : les Concours des Animaux, les Concours des IMPORTANT - Le planning des rendez-vous, pour les demandes de titre, cartes d'identité et passeports, est complet. Le planning pour les mois de novembre et décembre ouvrira à compter du 04 octobre. sIFpn.
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  • le clos du petit saloir montfort sur meu